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Full text of "Les Vies des hommes illustres"

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NVPL  RESEARCH  UBRAHIES 


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LES  VIES 

DES 

HOMMES  ILLUSTRES 

DÉ  PLDTARQUE. 
X. 


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VIBJ?  JDf&  CE  tOLÛME. 

ï'HOCrO.V page         l  (  compare's, 

CaTON  d'utIQUK.  .    .  87  (    page  325 

Agis  et  ClÉOMÈNE.  .         267  f  Gomparës, 

TxB.BiCG'&Xcûaui:      3'^1(   page 465 


\ 


^DE  L'IMPRIMERIE  D'A.  EGROR. 


dbyCjOogle 


LES  VIES 

DES 

HOMMES  ILLUSTRES 

Traduites  eaFrmiçfiis.^  avec  des'  Remarques 
historique^  et  critiques  par  M.  Dacier; 

ST    SUi|yiSS    Df  s    S  OPP  LÉ  ME  ITT  S. 

Edition  reTue  et  âagraenlée  des  Vies  d^Auguste  et 
DE  TiTin ,  par  A.  L.  DELAROCHE. 

Avec  lr«  FortraiU  drwinéa  d'tprèf  l'antique  par  Gaiiiibrby^ 
•t  graréi  par  £)sx.tavx. 


TOME  DIXIEME. 


CHEZ  LOUIS  DUPRAT-DUVERGER, 

rue  de»  Grands-Augostin*,  a.'  ai. 


1811. 


dby  Google 


THE  NEW  YORK 

PUBLIC  LIBRARY 

520  5  ^-^-^ 

ASTOn,  LêNOX  ANO 

TlLDtlN  FOUNOATIONS. 

H  1911*  L 


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■i-  H    -    c. 


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USSTll^ 


p^lMT*.* 


THE  NEW  YORK 

PUBLIC  LIBRARY 


ASrOR.  LENOX  ANO 
TILOEN  FOUNOATIONa 


CIRCULATING 


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J--    atf,'       ~> 


PHOCION. 


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/O 


LES  VIE 


DES 


HOMMES  ILLUSTRES. 


PHOCION. 

Ju'oRATEUR  Demadès,  qui  avoit  beaucoup 
de  crédit  et  d'autorité  dans  Athènes,  parce 
que,  dans  le  gCMvernemeut  de  la  république, 
il  ne  faisoit  que  ce  qui  pouvoit  plaire  aux 
Macédoniens  et  a  Antipater,  et  qui,  par  cette 
raison ,  étoit  souvent  forcé  de  conseiller  et 
d'ordonner  des  choses  qui  blessoient  et  la  di- 
gnité et  les  mœurs  de  sa  ville,  disoit,  v  qu'il 
<c  étoit  digne  d'excuse ,  parce  qu'il  ne  gou- 
<(  vernoit  plus  que  les  débris  du  naufrage  de 
«  son  pays  '  ».  Ce  mot,  qui  paroît  trop  arro- 
gant et  trop  dur,  pourroit  se  trouver  vrai  'a  la 
lettre ,  si  on  l'appliquoit  au  gouvernement  de 
Phocion  ;  car  pour  Demadès ,  c'étoitliiî  même 
qui  causoit  len^CiTr^0e^^^sif>ilk,  vivant  ef 
gouvernaûVa^ii''\aj[a  dd  ^^  diisov 

^'      f  Cî^XULATifiQ  4^81^ 


2  J^HOCIOW. 

^   lutîon.^  qii^Antîpater  même  dîsolt  cîc  lui  ^ 

*  i-qnand  'il  fut  devenu  vieux ,  «  qu'il  n'en  res- 

«"lojt  que  la  langue  et  le  ventre,  de  même 

*  *     «  qu'aux  victimes  immolées  *  » .  Mais  la  vertu 

"  dé  Phocion  se  trouvant  en  tête  un  adversaire 

aussi  puissant  et  aussi  terrible  que  letemps's^ 

les  malheurs  de  la  Grèce  furent  cause  qirelle 

demeura  obscurcie ,  et  qu'elle  ne  jeta  plu5 

l'éclat  qiti  seul  forme  la  gloire.  Car  il  ne  faut 

J»as  suivre  le  sentiment  dé  Sophocle ,  qui  fait 
a  vertu  foible  et  débile ,  quand  il  dit  ;  «  Ne 
«  vous  imaginez  pas ,  seigneur ,  que  ceux  qui 
«  ont  le  bon  sens  en  partage ,  le  conservent 
«(  dans  les  malheurs ,  il  s^éclipse  alors  et  les 
«  abandonne  ^  » .  Mais  tout  le  pouvoir  qu'on 
doit  accorder  k  la  fortune  qui  combat  contre 
les  gens  de  bien ,  c'est  de  leur  attirer  souvent 
des  plaintes  9  des  reproches  et  des  calomniés , 
au  beu  des  honneurs  et  des  récompenses  qu'ils 
méritent  par  leurs  grands  travaux,  et  de  di^ 
miouer  la  confiance  qu'on  avoit  en  leur  vertu. 
Il  y  a  pourtant  des  gens  qui  croient  que 
les  peuples  sont  naturellement  plus  disposas 
h  s'élever  et  a  s'emporter  contre  des  gens  de 
bien ,  quand  ils  se  croient  heiflreux  ^ ,  parce 

Su^ajors  leurs  grands  succès  et  l'accroissement 
eJeur  puissance,  leur  élevant  le  courage  ^ 
les  rendent  fiers  et  orgueilleux.  Màii  c'est 
tout  le  contraire  j  cpr  on  voit  toujj»ur»^e  k» 

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PflOCION.  3 


chatouilleuses  et  si  délicates  ^  qa'^es  sont 
offensées  de  la  moindre  parole  qu'on  profère 
d'un  ton  un  peu  haut.  Or,  cehii  qui  reprend 
quelqu'un  des  &utes  qu'il  a  faites,  ^mfole  lui 
leprocher  ses  malhenrs,  et  cette  franchise 
porte  avec  elle  un  certain  air  de  mépris.  Et 
comme  ou  voit  que  le  miel  ai^it  les  ^aies  et 
les  ulcères ,  de  mêm^  les  remontrances  rraieft 
et  pleines  de  sens  mordent  et  aigrissent  sou- 
vent ceux  qui  sont  dans  le  malheur ,  si  elles 
ne  sont  accompagnées  d'une  certaine?  dou-' 
ceur ,  et  si  efles  ne  plient  et  n'obéisselit  un 
peu.<fï'est  pourquoi  Homère  appelle  la  dou- 
ceur menoeices ,  parce  qu'elle  ne  se  roidit 
pas  contre  la  partie  irritée  de  l'âme  ^ ,  qu'elle 
ne  la  oombâit  pas ,  qnVUe  ne  la  heurte  pasv 
Car  les  yeirs  qui  sont  affl^s  de  qfjêlque  in^ 
flammation ,  s^'alrêtent  avec  plaisir  sur  des 
couleuis  obscures ,  et  qui  n'ont  aucun  édfat , 
mais  ils  évitent  avec  som  «Des  qui  sont  vive» 
et  brilla<ntes«  Heu  e^t  de  même  d^iine  ville  qui 
se  trouve  d^os  des  malheurs  impr^vns  :  S2^ 
propre  feiWesàe  la  rend  si  timide  et  si  délicate , 
que  le  moindre  bniîtlur  fait  peur  ;  qit'elle  no 
peut  sotTffiîr  qu'on  lui  dise  la  vérhé ,  et  qu'elle 
demande  t^nm  ne  lui  p^i'lé  q^LTe^j^c^oseîT 


4  PHOCiON, 

quî  ne  lui  remettent  pas  sa  faute  devant  les 
yeux  7.  Voila  pourquoi  il  est  très-dangereux 
d'avoir  k  gouverner  une  telle  ville;  car  si  elle 
immole  celui  qui  la  flatte ,  ce  n'est  qu'après 
avoir  immqlé  celui  qui  ne  la  flattoit  point. 
Mais,  comme  les  mathématiciens  disent  que 
le  soleil  ne  se  laisse  pas  emporter  entière— 
ment  au  mouvement  des  cieux  * ,  et  qu'il  n'a 
pas  non  plus  un  mouvement  entièrement  op- 
posé ,  et  qui  leur  soit  contraire ,  mais  qu'il 
3uit  un  cours  un  peu  oblique  et  incliné,  et 
décrit  une  ligne  qui,  au  lieu  d'être  entière- 
ment droite  et  roide,  va  en  tournoyant  mol- 
lement et  en  biaisant,  et  que  par  cette  obli- 
quité, il  conserve  loute3  choses,  et  maintient 
le  wfonde  dans  la  juste  températiu'e  dont  il  a 
besoin;  de  même  dans  la  conduite  des  états, 
le  ton  qui  est  trop  fort  et  trop  roide ,  et  qui 
s'oppose  en  tout  et  partout  aux  volontés  du 
peuple ,  est  trop  rude  et  trop  dur.  Comme 
aussi  celui  qui  se  laisse  trop  aller  au  ton  de 
ceux  qui  font  des  fautes,  et  auquel  la  plupart 
inclinent ,  est  trop  doux  et  par  Ik  très-dan- 
gereux. Le  politique  qui  tient  le  milieu  ,  qui 
cède  quelquefois  aux  appétits  du  peuple,  pour 
le  faire  obéir  ailleurs,  et  qui  lui  accorde  une 
chose  agréable,  pour  s'en  faire  rendre  une 
nécessaire  et  utile ,  voilk  le  seid  qui  sache 
bien  gouverner  les  hommes;  car,  par  cette 

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PHOCfON.  6 

condesceodance  ,  ils  se  laissent  conduire  et 
se  prêtent  >  faire  de  très-bonnes  choses  :  ce 

Îu'ils  ne  font  point  quand  on  veut  les  avoir 
e  haute  lutte,  et  les  mener  par  force  et  par 
autorité.  Il  est  vrai  que  ce  milieu  est  difficile  k 
garder,  parce  qu'il  faut  mêler  la  douceur  et 
la  grâce  avec  la  sévérité  et  la  majesté  :  mé- 
lange qui  n'est  pas  aisé  a  faire  ;  maïs  quand 
on  y  a  réussi ,  il  n'y  a  ni  ton  ni  harmonie  si 
admirable^  :  c'est  le  mélange  le  plus  harmo- 
nieux (a)  et  le  plus  parfait.  Aussi  est-ce  celui 
dont  Dieu  se  sert  pour  gouverner  le  monde  ^ 
sans  rien  violenter  ni  forcer  y  et  n'îAposant 
la  nécessité  d'obéir  qu'après  l'avoir  tempérée 
par  la  persuasion  et  la  raison. 

Une  grande  austérité  faisoît  le  caractère  de 
Caton  le  jeune  ;  ses  mœurs  n'avoient  rien  da 
doux,  ni  qui  fût  capable  de  plaire  au  pe^uple 
et  de  le  persuader;  aussi  n'eut-il  aucun  crédit 
dans  le  gouvernement.  Cîcéron  dit  de  lui , 
«  que,  pour  avoir  voulu  gouverner,  comme 
«  s'il  eût  été  dans  la  république  de  Platon  ^ 
<<  et  qu'il  n'eût  pas  été  au  milieu  de  la  lie  du 
«  peuple  de  Romulus ,  il  essuya  un  refus  plein 
<(  de  honte  dans  la  poursuite  du  consulat  9  )>^ 
Pour  moi,  il  me  semble  qu'il  lui  arriva  ce 
qui  arrive  aux  fruits  qui  viennent  hors  de 
(il)  Le  grec  dit ,  «  le  plus  masical  3». 

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6  PHOCION, 

saison  ;  car ,  comme  on  voit  avec  plaisir  oe$ 
ftiiîts,  et  qu'on  les  admire  sans  s'en  servir ,  de 
même  ces  mœurs  antiques  de  Caton,  Tenant 
après  plusieurs  siècles  se  montrer  parmi  des 
vie'î  corrompues  et  des  mœurs  gâtées,  eurent 
d'abord  beaucoup  <Je  re'pntatîon  et  beaucoup 
d'éclat  :  mais  on  n'en  put  faire  aucun  usage  , 
k  cause  de  la  gravité  et  de  la  grandeur  excès— 
sive  de  sa  vertu ,  qui  se  trouva  trop  dispro- 
portionnée k  son  siècle,  et  aux  temps  qui 
régnoient  alors.  Caton  ne  se  mêla  poiat  du 
gouvernement,  lorsque  sa  patrie  étoît  déjà 
i^uinee,  comme  fit  Fhocîon;  mais  il  y  entra 
pendant  qu'elle  étoit  encore  battue  d'nne 
affreuse  tempête.  Il  n'y  entra  même  qu'en  se- 
cond ,.  comme  pour  servir  k  remuer  les  voîlesb 
€t  les  cordage»,  et  pour  aider  ceux  qui  a  voient 
plus  de  pouvoir  que  lui;  maïs  il  tre  toucboit 
point  au  gouvernail ,  et  ne  se  meloit  Biille-^ 
ment  de  conduire.  Cependant  il  ne  laissa  pas 
de  défendre  et  de  soutenir  long-teinps  la  ré- 
J^ublique  contre  la  fortune,  qui ^  ayant  entre-r 
pris  de  la  ruiner,  en  vint  k  bout  par  d'autres 
mains,  quoique  avec  beaucoup  de  peine,  fort 
lentement,  et  après  im  long  temps:  ehqoro 
é'en  fallutril  bien  peu  que  tlome  ne  triomphât 
èe  tous  les  efforts  de  la  fortune ,  par  le  secoure 
4c  Caton  et  fie  $n  VBttn  \  feqûeUe  neus  com- 

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pàTGùs  CéÛe  àe  Pbocion ,  non  jpoint  en  suP 
Tant  des  ressemblances  communes  et  géné-« 
taies  y  comme  pour  dire  qu'Us  out  été  tous 
deux  hommes  de  bien  et  de  grands  politiques  } 
car  il  y  a  sans  doute  de  la  difiSérence  de  va-> 
leur  k  valeur ,  comme  de  la  valeur  d^Alci- 
biade  k  celle  d'Epaminondas  ;  de  prudence  k 

Erudènce^  celle.de  Thémistodc  n'étant  pat 
i  même  que  celle  d'Aristide  j  de  justice  k 
justice,  celle  dfc  Numa  ne  ressemblant  point 
a  celle  d'Agésilas  '^.  Mais  les  vertus  de  ces 
deux  personnages  9  jusqu'k  leurs  pins  petites 
et  plus  imperceptibles  différences,  portoienc 
toutes  le  même  caractère ,  la  même  forme  et  • 
la  même  couleur  de  mœur$  et  de  sentiments» 
La  douceur  y  est  mêlée  avec  la  prudence,  la 
timidité  prévoyante  poiu*  les  antres  avec  l'a**» 
bandon  d'eux-mêmes  aut  plus  grands  dan^ 
gers  ;«t  la  fîiite  des  choses  honteuses  s'y  trouva 
si  bien  liée  et  unie  aVec  le  ssèle  constant  de 
la  justice,  qu'il  faudroit  un  jugement  bien 
subtil ,  comme  uu  instrument  bien  délié  pour 
les  séparer  et  pour  y  trouver  la  moindre  dif-« 
férence. 

Pour  ce  qui  est  de  Caton ,  tout  le  monde 
convient  (fU'îl  étoit  d'ujie  maison  illustre, 
conime  nous  le  dirons  dans  sa  vie.  Et  quant 
k  Phoeion ,  je  conjecture  qu'il  n'étoit  pas  d'une 
na»»ttMeenlièrein«Dt  obscure;  nide  bas  lieu; 

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8  PHOCION. 

çaf  sî ,  comme  Idoménée  (a)  le  prétend ,  îl 
eût  été  fils  d'un  faiseur  de  pilons  a  mortier  ,. 
Glaucîppus,  fils  d'Hyperîde,  dans  le  traité 
^ii'il  a  fait  contre  lui,  où  il  a  rassemblé  toutes 
les  injures  quMl  a  pu ,  n'auroit  jamais  oublié 
de  lui  reprocher  la  bassesse  de  son  extraction , 
et  lui-même  il  n'auroit  point  eu  ime  éduca- 
tion si  honnête  et  sî  sage  ;  car  étant  fort  jeune, 
îl  fut  disciple  de  Platon  ,  et  ensuite  de  Xé- 
nocrate  dans  l'Académie,  où  dès  le  commen- 
cement il  forma  ses  mœurs  et  sa  vie  sm*  le  mo- 
dèle de  la  plus  paifaite  vertu.  Duris  écrit  que 
jamais  Athénien  né  le  vit  ni  rire ,  ni  pleurer , 
ni  se  baigner  dans  les  étuves  publiques,  ni 
avoir  ses  mains  hors  de  son  manteau  quand  îl 
étoit  habillé.  D'ailleurs,  quand  îl  alloit  k  la 
campagne,  ou  qu'il^ étoit  k  l'armée,  il  mar- 
choit  toujours  mi-pieds  *  *  et  sans  manteau ,  a 
moins  qu'il  ne  fît  un  froid  excessif  et  insup- 
portable; de  sorte  que  les  soldats  Jisoient  en 
riant  ;  «  Voilk  Phocion  habillé ,  c'est  signe 
«  d'un  grand  hiver  ». 

Quoiqu'il  fût  d'un  natui:el  très-doux  et  très- 
humain  5  il  avoit  le  visage  si  rude  et  l'air  sî 
repoussant ,  que  ceux  qui  ne  le  connoissoient 
point,  auroient  craint  de  se  trouver  Seuls  avec 

(a)  Historien  qui  avoit  élé  discipk  d'Epicure.  Il 
avoit  ccrit  les  vies  de  ceux  ^ui  s'cioieni  aUacbé^  À  Sa- 
crale. 

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PHOCIOKi^^  9 

lui;  0n  jodr  quePorateur  Charès  parloit  fût- 
tement  contre  ses  sourcils  terribles,  les  Athé- 
Dieos  se  mirent k  rire;  mais  PbocioQ  leur  ^it  : 
«  Cependant  jamais  ces  sourcils  ne  vous  ont 
4(  [ait  aucun  mal  ;  mais  les  ris  de  ces  gens*lk 
((  oqt  &it  souvent  verser  bien  des  larmes  k 
«  votre  ville  )».  Ses  discours,  toujours  pleins 
de  çoBcejpdoss  heureuses  et  de  pensées  no- 
bles', éioîeot  utiles  et  salutaires ,  toujours  ren«> 
fennéi  dans  une  brièveté  propre  au  comman- 
dement ,  et  assaisonnés  d'une  austérité  qui 
n'étoit  mêlée  d'aucune  douceur.  Car,  comme 
Zenon  disoit,  «  que  le  philosophe  ne  doit 
«  point  proférer  de  parole,  qui  ne  soit  trempée 
u  dans  le  bon  sens  » ,  tous  les  discours  de 
Phooîon  renfermoient  beaucoup  de  seos  en 
peu  de  paroles.  Il  semble  que  Polyeuctus  le 
Sphettien  avoit  cela  en  rue ,  quand  il  disoit 
«c  que  Démosthène  étoit  le  plus  excellent  des 
«  orateurs,  et  que  Pfaocion  en  étoit  le  {Jus 
a  éloquent».  Car,  comme  parmi  les  mon-» 
noies,  celles  qui ,  sous  un  moindre  poids, 
renferment  phfô,4&  valeur  intrinsèque,  sont 
les  plus  estimée»^,  de  même  le  prix  du  discours 
consiste  k  faire  entendre  beaucoup  de  choses 
c;n  peu  de  mots.  L'on  dit  qu^un  jour  que  le 
tb^tre  étoit  plein  ^e  monde  ^  Phocion  se  pro* 
zaeuoû  sur  la  sc^e  tout  peniuf  çt  affermé  en 
X,         "        '  a 

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10  PHOCION^ 

Itti-iïiêiBe,  et  qu'un  de  ses  airiîs  lui  ayant  cBt  : 
«  Phocion ,  vous  avez  bien  Pair  d'un  homme 
«  oui  médité.  Vous  avez  raison ,  lui  répondit- 
«  il ,  je  médite  effectivetrient  si  je  ne  pourroîs 
n  point  retrancher  quelque  chose  du  discours 
«  que  je  dois  faire  aux  Athéniens  ».  Aussi 
Démosibène  /  qui  méprîsbit  tous  les  autres 
orirfieufs,  dès  que  Phocion  se  levoît  pour  par- 
ler ,  avoît  coutume  de  dire  tout  bas  k  ses 
amis  :  «  Yoiïïk  la  haché  de  mes  discours  qirî 
use  lève  ».  MaJs  peut-être  que  c'est  aux 
mœurs  de  Phocion  qii'îl  fatit  fair€  tout  l'hon- 
teur  du  grand  effet  que  ptoduîsoît  soi'  élo— 

Saence;  car  souvent  un  mot,  un  signe,  un 
,  in  d'ceil  d'if n  homme  de  bien ,  orit  plus  de 
pouvoir  et  de  force  pour  persuader ,  que  les 
périodes  les  mieuit  travaillées  étiès  figurés  les 
plus  pathétiques. 

Phocion  y  étant  encore  fbrt  jeune,  suivit  li 
la  guerre  le  général  Chabrias^  et  apprit  de  hû 
beaucoup  de  cho^s  concernant  le  métier  des 
armes.  Mais  il  y  en  eut  d'autres  où  il  fut  très- 
utile  b  Chabrias,  et  où  il  corrigea  àon  naturel 
4]ui  étoit  inégal  et  einporté.  Car  étant  d'ait* 
leurs  paresseux  et  difficile  h  émouvoir ,  ils  em- 
3port0]t  aisémétit  dans  les  combats,  et  son  cou^ 
-rage  s'enflammoit  de  manière  qu'il  se  jetoît 
iète  bfiisséa  'au  mMiéu  de;»  plus  grands  périls 

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CHOCIOK,.  Il 

avec  la  démise  témérité  :  il  lui  ea  coûta 
mèsne  la  vie*^  Cbio  (a);  car  il  se  piqua  d*a^ 
border  le  premier  avec  sa  galère  ^  et  il  fit  sa 
descente  malgré  les  efforts  des  ennemis  qui 
bordoient  le  rivage,  et  q|ii  s'y  opposoient- 
Phocion ,  qui  n'ayoit  pas  moins  de  prudence 
que  de  courage,  échauffoitla  lenteur  de  Cba* 
brias^  et  raleotissoit  Timpéttiosité  hors  de 
saison  de  sa  grande  audao^:  de  sorte  que 
Chabrias  ,  qui  étoit  naturellement  doux ,  et 
plein  de  bonté,  Paimoit  et  Festlmoh,  Tavan-^ 
çoit  aux  premières  charges,  lui  confioit  des 
commandements  importants,  et  le  faisoit  con* 
noitre  aux  Grecs,  en  se  servant  de  lui  dans 
les  affaires  les  plus  hasardeuses  et  de  la  plus 
grande  conséquence;  surtout  k  la  bataille  na-* 
vale  de  l'Ue  de  Naxos'  *,  il  lui  fit  acquérir  beaiu- 
coup  de  réputation  et  d'honneur,  car  il  lui 
dcmn^  le  commandement  de  son  aile  gauche^ 
cilles  ennemis  firen^J^rs  plus  grands  efforts, 
et  qui  décida  promptement  de  la  victoire» 
Comme  cette  bataille  fut  la  première  que  la 
ville  4' Athènes  gagna  avec  ses  seules  forces 
depuis  qu'elle  avoit  été  prise  par  Lysandre, 
ce  grand  succès  lui  causa  tant  de  joie,  qu'elle 
enconcutbeaucoupd'affection pour  Chabrias, 
et  qu'elle  commença  k  faire  grand  compte  de 

(«)  Ce  ia%  dans  la  aqerre  qu'où  appek  êoeimlp^, 

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ta  PHOCION. 

PhocioD,  comme  d^in  capitaîne  capable 'de 
la  bieii  servir.  Elle  remporta  cette  victoire  )e 
jour  de  la  fête  des  grands  mystères;  et  pour 
en  célébrer  la  mémoire  ,  Chabrias ,  tous  les? 
ans  à  pareil  jour  y  qui  éloit  le  seizième  du 
mois  d'octobre  (a) ,  distribiioit  du  vin  k  tous 
les  Athéniens. 

Quelque  temps  après,  Chabrias  envoyant 
Phocion  pour  recevoir  les  contributions  que 
les  îles  dévoient  payer,  et  voulant  kii  donner 
a  cette  occasion  vingt  vaifseanx ,  Phocion  lui 
dit  «  que ,  s'il  l'envoyoit  contre  des  ennemis  y 
<(  vingt  vaisseaux  ne  suffisoient  pas;  et  que, 
«  s'il  l'ehvoyoît  vers  des  alliés,  il  en  avoit 
M  assez  d'un  »  *  En  effet  ^  il  s'embarqiia  sur 
sa  seule  galère  ;  et  après  avoir  conféré  avec 
les  villes ,  leurs  principaux  ofiîciers  et  com- 
mandants, d'une  manière  simple  et  franche, 
il  s'en  retourna  avec  beaucoup  de  galères  que 
les  alliés  envoyoient  pour  porter  tout  l'argent 
qu'ils  dévoient. 

Phocion  ne  continua  pas  seulement  d'ho- 
norer Chabrias ,  et  de  lui  faire  la  cour  pen- 
dant sa  vie  ;  mais  encore  après  sa  mort ,  il  eut 
un  très-grand  soin  de  tous  ceux  qui  lui  ap— 

Sartenoient,  et  n'oublia  rien  peur  rendre 
onnète  homme  son  fils  Ctesippe;  et  quoi^ 

(«)  C^estrà-dire  le  premier  jour  de  la  fdte  j  car  elle 
diiroit  neuf  joura. 

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FHOCION.  ]5 

qn'it  le  Tk  dhra  naturel  féroce ,  emporté  et 
incorrigible,  il  ue  se  rebuta  point,  il  continua 
de  Pa venir,  et  tâcha  loujoiu's  de  le  redresser 
et  de  couvrir  ses  infamies.  Il  est  vrai  qu*une 
seule  fois  j  dans  une  de  ses  expéditions ,  ce 
jeune  homme ,  <pii  servoit  sovslui,  Tinipor- 
tunant  et  lui  it>mpant  la  tète  par  des  questions 
hors  de  propos ,  et  par  des  conseils  mêmes  qu'il 
s^avisojt  de  lui  donner  pour  le  redresser*, 
comme  d'^al  à  égal ,  Pnocion  perdit  presque 
patience, et  s'éark  :  <(  OChabiias,  Chabrias, 
«  que  je  te  {laîr  en  gmnd  retour  de  l'amitié 
«  que  ta  as  eue  ))dur  moi ,  en  supportant 
«  toutes  les  impertinences  de  ton  fils  »  ! 

Pbocion ,  voyant  que  ceux  qui  se  mèloient 
alors  du  gouvernement,  avoient  partagé  entre 
eux ,  comme  an  sort ,  les  charges  de  la  gueiTe 
et  celles  de  la  ville,  et  que  les  uns,  comme 
Eubitlus,  Aristopbon,  Démosthène,  Lycurgue 
et  Hjpende ,  ne  faisoiept  que  haranguer  le 

f>euple  j  et  proix^ser  tous  les  décrets;  et  que 
es  autres ,  comme  Diopid^e ,  Menesthée  , 
Léosthène  et  Charès,  savançdent  par  les 
exploita  de  la  guerre,  il  aima  mieux  imiter  la 
manière  de  gouverner  de  Périclès ,  d'Aristide 
et  de  Selon,  coqmie  plus  entière  et  plus  paiv 
falte^  parce  qu'elle  réum^t  JejEi  talents  de  la 
.  guerre,  efcçu^ de  Uipolitique*^;  car  chacun  de 
ces  \xo}»  personnage  ^U.  «  U  fois ,  coimna 

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3  4  VHOGIOV. 

dit  Archiloque ,  «  et  bon  senriteur  de  Mars  y 
c(  et  grand  courtisaa  des  aimables  Muses  ». 
Il  voyoit  même  que  la  déesse  protectrice 
d^ Athènes  ëtolt  et  s'appeloit  effectivement 
Polémique  et  Politique,  c'est-k-dirc ,  pror- 
pre  a  cooduire^des  armées  et  k  gouverner  des 
villes. 

S'étant  donc  formé  sav  ce  modèle  dans 
toute  sa  manière  de  gouverner,  il  eut  tou- 
jours en  vue  le  repos  et  la  paix ,  comme  le 
nut  de  tout  gouvernement  «âge.  Cependant 
il  fit  plus  d'expéditions  luîi  seul ,  non  seule- 
ment qu'aucun  des  capitaines  de  son  temps  j 
mais  encore  qu'aucun  de  ceux  qui  avoient  été 
avant  lui  ;  non  qn'il  demandât  niqu^il  Inriguât 
les  charges ,  mais  c'est  qu'il  ne  les  tuyoit  point 
et  ne  les  fefusoit  point  quand  sa  ville  l'y  a{>- 
peloit ;  carc'est  une  chose  constanteetavoiiëe 
de  tout  le  monde  y  qu'il  fut  élu  quarante-ciac^ 
fois  cajHtaine  général ,  et  qu'il  ne  se  trouva 
pas  une  seule  fois  aux  âections  ;  mak  qu'il 
fut  nommé  toujours  absent ,  ses  concitoyens 
l'ayant  toujours  rappelé  pour  le  chaîner  de  la 
conduite  de  leurs  armées.  Les  personnes  peit 
sensées  ne  pouvoient  assea  B^élonner  de  cette 
conduite  du  peuple ,  d^en  i»er  ainsi  pour 
Phocîoû ,  qui  le  plus 'souvent  B'^posoit  k  ses 
volontés  y  et  qui  jamais  ^pe  faisoit  et  ne  disok 
rien  pour  lui'^ompkûre;  ^ 

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PHOClOKs»  l5 

G>niiiie  on  dit  que  les  rois  s'amusent  de 
leurs  flatteurs,  cpiand  ilsoot  lavé  leurs  mains 
pour  se  mettre  a  table ,  de  même  le  peuple 
d' Athènes  se  servoit  de  ses  orateurs  les  puis 
gradeo:s  et  les  {dus  agréables  pour  avoir  le 
plaisîrd'entendre  leurs  harangues;  maisquand 
il  étoit  question  du  commandement  des  ai> 
mées ,  alors  toujours  sage  et  toujours  sérieux  ^ 
il  y  appeloit  le  plus  austère  et  le  plus  sensé 
de  ses  citoyens  9  et  choisissoit  celui  qui  s'op-- 
posoit  le  plus  k  ses  volontés  et  k  ses  caprices. 
Un  jour  qu'on  lut  en  pleine  assemblée  du 
peuple  un  oracle  de  Delphes ,  qui  portoit  y 
«  que  tous  les  Athéniens  étoient  d'accord ,  k 
«  l'exception  d'un  seul  qui  n'étoit  pas  de 
«  l'avis  des  autres» ,  Phocion  se  Leva  et  dit^ 
«  qu'on  s'épargnât  la  pdne  de  chercher;  que 
«  c^étoit  de  hii  dont  p»rloît  l'oracle ,'  car  il 
«  étoit  le  seul  a  qui  tout  ce  qu'on  fi^isoit 
i(  dé^aisoit  au  dernier  point  » .  Une  autre  fois 
ayant. dit  son  avis  devant  le< peuple,  il  fut 
applaudi  et  suivi  de  tout  lé  monde.  Etonué 
de  cette  approbation,  il  se  tourna  vers  ses 
amis,  et  leiir  dit  :  «  TSe  m'est-ii  point  échappé 
¥  qudque^  sottise  9  aans  que  j[e  m'en  sois 
«  aperçu  »? 

Une  autre  fois,  les  Athéniens demandoient 
que  chacun  contribuât  pour  faire  un  grand 
sacrifice  9  et  la  plupart  avoient  dc)k  donné 

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i6  PHociow; 

libëralement.  On  s'adressa  plusieurs  fois  k 
Pbocioii  qui  répondit  :  «  Demandez  aux  ri- 
((  ches  ;  car  pour  moi  j'aurois  honte  de  vous 
«  donner,  n'ayant  pas  encore  payé  cehii-ci  »  y 
montrant  l'usurier  Calliclès,  Et  comme  on  ne 
cessoit  de  crier  après  lui  et  de  l'importuner, 
il  leur  conta  cet  apologue  :  a  Un  jour -un 
«  homme  fort  poltron  s'enrôla  pour  aller  k  la 
«  guerre.  11  part.  ïout-d'un-coup  il  entend 
<(  des  corbeaux  croasser;  il  pose  les  armes  et 
«  s'arrête.  Un  moment  après  il  se  ra<^ure  y 
#(  reprend  ses  armes  et  se  met  en  marche.  Les 
«  corbeaux  recommencent  leurs  crisj  et  lui 
«  pose  encore  les  armes  et  s'arrête.  Ëntifi , 
«  après  plusieurs  reprises,  il  leur  dit  :  Vous 
i(  croasserez  tant  qu  il  vous  plaira,  mais  vous 
<(  ne  tâterez  pourtant  pas  de  ma  peau,  et  s'en 
«  retourna  ^. 

Quelque  temps  après,  les  Athéniens  vou- 
lurent forcer  Phocion  k  les  menercont^  l'en- 
nemi, et  il  n^en  voulut  rien  faire.  II9  l'appe- 
lèrent poltron^  lâche,  mais  il  leur  répondit  : 
«  Ni  vous  ne  sauriee  .me  rendre  vaillant ,  ui 
«  moi  voas  rendre  timides;  mais  nous  nous 
a  connoissons ,-  demeiitons-en  Ik  )».  Dans  des 
temps  difficiles ,  le  peuple,  devemi  insolent , 
li'emporta  eontre  lui,  et  vpuloit  que  sur  Pheure 
il  lui  rendh  compte  ^e  sa  conduite;  il  ne  fit  que 
leur  diie  :  (cl^es  amis  ^  av^at  toutes  choses^ 

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PHOCION.  If 

«  penses  eomment  vôtt^iroîis  tirerez  du  tnati^ 
u  vais  pas  oà  vous  «êtes  mi^-P^Ddant  la  guerre, 
les  Athémeès  étoient  humbles  et  fort  souples 
par  la  crainte  àa  pëtil  y  et  aussitôt  après  -la 
paix  faiie,  ils  dévenoieutarrogants  et  crîoSent 
contre  Photnou ,  lui  reproebant  qu'il  leur 
avoit  r«vi  laTÎetoii'^  qu'ils tenoient  entre  les 
Idains:  <c  Vousètés  bien-heureuxy letitrdit*il) 
(I  d'avoir  un  capitaine  qui  vous  cofUBctt,  car* 
«  sans  cela ,  il  y  «  dë^h  long-teiiip&  que  voua 
«  seriez  perdus»';'    • 

Un  jour  qu'ils  refusqîeutde  temiitfer  par  les 
voies  de  la  justice  l^difféifents'qu^ils  avoient 
avec'les  Bëotienspour  leurs  limites,  et  qu'ils 
vouloient  prendre  les  armes  9  il  leur  consulta 
«  de  combattra  avèo  des  paroles,  en  quoi  ils 
i(  étoient  les  plu^  forts,  et  non  avec  les  armes^ 
a  en  quoi  ils  étdient'  les  plus  feibles^.  Une 
autre  fois  qu'ils  s'avoîettt  nulle  attention  h  ce 
qu'il  d»oit  xlamie  confe»il  ^  il  leur  dit  :  «  Y onfi 
a  pouvez  bien  me  forcer  a  faire  ce  que  je  né 
«  veux  pas,  ibais  jamais 'vous  ne  liie  forcerez 
«  à  dire  contre  mon  sentiment  ce  qu'il  ne 
<(  fifiut  pas».  Démostbëne ,  un  des  orateurs 
qui  lui  étaient  Dppesds  dans  le  goiivernement^ 
lui  dit  un  jour  :  a  Pbocion ,  les  Athéniens 
«  vous  feront  mourir,  s'ils  rentrent  jamais 
M  dans leia'fureur.Etvous,ilsvou5feront mou- 
«  lir  ^  lui  repactit-il,  s'ils  r^trenl  jamais  dans 

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l8  PHOCIOK*. 

ii  leur  bon  sens  ».  P^^y^uctusleSphetlîeiilia-^ 

ranguoit  le  peuple  ,.p(Hir  lui  per^^cler  d'en--> 

trepreodre  k  guerre  jcpiitr^.  Piûl^ipe.  Connue 

il  .faîsqit  ce.  jour-la  une  chaleur  «xcessive ,  et 

qii'il  étoivfort  gros.,  il  ptpit  tout  hors  d'ha^ 

kÎAé ,  et  suQÎt  a girosses  gouttes;  de  sorte  qu'il 

Cut  obligé  de  baifeplusieursfoiâ  de  l'êau,  pour 

i|chevev  s<hi,  discours.  ï^hocîpa  9  h  voyant  eo^ 

^et  état5  4!t  :  nk  Athéoietts,  il  e^t  bien  juste 

K  i|iie:,.8ujr  la  parolç  de  cet  homme,  vous 

«  entrepreniez  la  guerre  contre  Philippe;  car, 

f(  oue  '  ne  devez-vous  pas  penser  de  ce  qu'il 

«  fôra»  lorai|u'il  sera  sous  la  cuirasse  et  le 

a  boucU^^et-que  les  ennemis  seront  proches^ 

«(  luix[kii,  pour  dire  seulement  en  votre  pré-f 

«  sen.ce  ce  qu'il  a  préparé  tout  k  son  aise^  se 

a  voit  a  tout  moment  sur.  le  point  d'étte  suC« 

<(  foqué  »  ?  L'orateur  Lycurgue.  Paccabloit 

d'injures  dans  uneasséouilée.du  peuple,  et 

lui  r^procboil;  entre  iantres  oheaes^  comme  un 

Irès-^grand  crime,  qu'Alexandre,; ayant  de^ 

mandé  a  la  ville  d^ Athènes  dix  de  ses  ci* 

toyéns'V'  pour  en  bire  ee  qu'il  voudroit,  il 

avoit  conseilU.de  les  donner.  Il  se  leva  et  dit  : 

«  J'ai  donné  aux  Athéniens  plasieùrs  conseils 

4<  très-sages  et  très-utiles ,  mais  ils  ne  les  sui-» 

«  vent  point  ».  Il  y  avoit  alors  k  Athènes  un 

homme  appelé  Archib]ade,.qui  contrefaisoit 

le  Lacédémoiden ,  avec  une  barl;«  d*une  lon« 

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pirocioN.  ig 

gnetir  diiùtmTée ,  un  méchant  manteau  tout 
use,  et  un  -vùage  triste  et  sévère.  Un  jour , 
dans  une  assemblée  du  peuple ,  Phocion ,  fa- 
tigué des  cofitrffdictious  qu'il  es^iyok,  appela 
cet  Archibiade  k  son  secours,  le  priant  de 
venir  confirmer  par  son.témoignage  la  vérité 
de  ce  qu'il  disoft;  mais  Archilnade  se  levant,  se 
rangea  du  cdté  des  Athéniens ,  et  dit'  ce  qui 
leur  éioit  le  plus  agréable.  Alors  Phocion ,  le 
prenant  k  la  barbe ,  lui  dit  :  «  O  Archibiade  ^ 
«  que  ne  feisois-tu  donc  raser  cette  grande 
<(  barbe,  puisque  in  voulois  faire  le  métier 
«  de  flatteur  »  ?  Aristogiton  le  î^ycophante, 
toujours  braté  dans  les  assemblées,  ne  parloit 
que  de  giieiTe ,  et  ne  cessoît  de  presser  le^ 
Athéniens  de  prendre  les  arihes  ;  mais  lors- 
qu'on fit  les  rôles  de  ceux  qtii  ponvoient  ou 
ne  poûvoîent  pas  servir,  il  vint  se  présenter ^ 
appuyé  sur  une  béquille  et  une  jambe  liée. 
Pliocion ,  qui  ëtoit  sur  son  tribunal,  le  voyant 
venir  de  loin ,  cria  au  greffier;  k  Écris  Aris-^ 
«  togiton ,  boiteux  et  lâche  ». 

Toutes  ces  réponses ,  qui  tnarqiient  beau- 
coup tfamertumc  et  de  fiel, font  que  Je  m'é- 
tonne tres-souvent  comment  et  pourquoi  un 
homme  si  rude  et  si  sévère  a  jamais  pu  avoir 
le  surnom  de  bon  et  de  doux:  mais  enfin,  je 
trouve  que,  s'il  est  difficile,  il  n'est  pourtant 
pas  fanpossà)le  que  le  même  homme  soit  en 

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30  PHOCION. 

même  temps  4qux  et  sévère ,  comme  on  trouve 
des  vins  qui  sont  ensemble  doux  et  piquants; 
car  on  en  voit  assez  qui  paroissent  doux  dans 
la  sociétjç ,  «t  soint;  pourtant  Itrèfi^- aigres  et 
trèsdapgerejiix.  Cependant  on  écrit  que  Pora- 
teur  H yperide  dit  un  jour  au  peuple  :  «  Athé- 
«  niens,  ne  regardez  poipt,  si  je  suis  aigre  ^ 
«  mais  regardez.si  je  le  suis  pour  rien  et  sans 
a  aucun  profit  pour  moi  »  :  comme  si  le  peuple 
ne  haïssoît  et  ne  rejet^oit  que  ceux  qui  se  ren- 
dent fâclieux  et  insupportables  par  leur  ava- 
rice, et  qu'il  n'eut  pas  encore  plus  de  haine 
Eourceux  qui ,  par  insolence ,  par'envie,  par 
aine ,  par  colère  ou  par  opiniâtreté,  abusent 
de  leur  pouvoir. 

.  Pour  Phoçion ,  janfiais  il  ne  fit  le  moindre 
pial  k  aucim  citoyen  par  aucune  haine  parti<r 
culière ,  et  ne  regarda  personne  comme  en-- 
nemi  3  mais  il  étoit  sévère  y  intraitable ,  et 
inflexible  k  l'égard  de  ceux  qui  s'élevoient 
contre  lui,  et  qui  résistoient  k,ce  qu'il  propo^ 
soit  pour  le  bien  de  la  patrie  :  car  dans  tout 
le  reste  de  sa  condtute ,  il  se  montrait  doux  ^ 
familier  et  humain;  jusque-là  que  quand  ceux 
qui  lui  avoient  été  les  plus  opposés,  venoient 
h  faire  des  fautes ,  et  a  tomber  dans  quelque 
jnalheur ,  il  coiiroit  k  leur  secours ,  et  parois- 
çoit  pour  eux  dans  les  tribunaux,  dès  qu'ils 
étoient  eu  danger  d'êtrf  condamnés.  On  ra- 

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PIIOCION.  SI 

oonte  que  ses  amis  lai  reprochant  UQ  jour  qu'iji 
défeDdoit  en  justice  un  mecfiant  k  qui  on  fair 
soit  le  procès  ^  it  leur  répondis  :  <(  Les  l>oi{^ 
<•:  n'ont  pas  besoin  au'on  les  défende  '4  ))^ 
Aristogiton  le  syco{M|ante  ayant  éré  con-j 
damne  y  fit  pier  Piiociou^de  venir  le  voir  j 
tout  aussitôt  il  sortit  pour  aller  k  la  prison^ 
et  comme  ses  amis  yquloient  l'en  empêcher  : 
^  Laîssez-^moi  aller,  mes  amis,  leur  dit-il; 
«  car  où  peut-on  voir  Aristogiton  plus  volon- 
,«  tiers  quelk  »?  ^ 

Cependant,  quand  les  Athéniens  envoyoient 
des  flottes  en  mer ,  si  c'étoit  un  autre  que 
Phocion  qui  les  commandât,  toutes  les  villes 
maritimes  de  leurs  alliés  et  les  insulaires ,  re« 
gardant  ces  flotte»  comme  ennemies ,  forti- 
fioient  leurs  murailles,  combloient  leurs  ports, 
et  retiraient  de  la  campagne  ^ans  les  villes , 
leurs  troupeaux,  leiu'S  esclaves,  leurs  femmes, 
leurs  enfants,  tftus  leurs  meubler  et  tous  leur% 
eSets.  Mais  quand  c'étoit  Phocion  qui  les 
commandoit,  tous  ces  peuples  alloient  bien 
loin  au-devant  de  lui,  couronnés  de  fleurs  et 
pletii^s  de  joie ,  et  l'introduisoient  dans  leur» 
ports.  Philippe ,  cïterchant  k  s'emparer  de 
PEubée  par  surprise ,  y  faîsoit  passer  de» 
troupes  delà  Macédoine ,  et  altiroit  les  villes 
dans  son  parti  par  le  moyen  des  tyrans  qui 
les  gouveraoiçnt,  et  qtti  vouloient  se  fortifier 

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33  1»H0CI0IÏ. 

de  sa  protection*  Sur  cela  Plutarque  d'Ere-, 
trie  (a)  appela  les  AthénieQS,  et  les  oonjura 
'de  vcntr  délî Vf ei;  cette  île  qui  éloit  dcja  oc- 
cupée par  les  Maéfédoniens.  "Les  Athéoiens 
envdyèreat  d'iâbdrd  Phocîon  avec  peu  de 
troupes,  dans  rëspiJranee  cpie  tous  tes  peu- 
ples de  Plie  se  joindroiënt  d'abord  k  lui.  Mais 
Fhocion  îi  son  arrîrëe  trouvant  Pîle  pleine  de 
traîtres,  et  s^aperceTârit  qtie  tout  y  étoît  cor- 
rompu et  presque  niMé  pai*  Forgent  que  Phi- 
lippe y  avoit  répandu ,  .se  vit  d'abord  dans 
un  très-grand  danger.  H  prît  le  parti  de  se 
saisir  d'une  éminence  qui  étôit  séparée  de  la 
plaine  de  Tamynes  jmr  nn  ravin  fort  profond  : 
xi  sV  fortifia,  et  retint  tout  ce  qu'il  avoit  de 
meilleures  troupes,  exhortant  ses  capitaines  k 
ne  pas  se  mettre  ev  peine  de  tous  ses  soldats 
mutins,  raisonneurs  et  peu  disciplinés ,  qui  se 
reiîroient  du  camp ,  et  qui  désertoient  ;  «  car , 
*«  disoit-il,  non  seulement  par  leur  peu  de 
«  discipline  ils  nous  seroient  ici  très-inutiles, 
«  mais  ils  deviendroiënt  même  nuisibles  et 
«  pernicieux  en  détournant  et  embarrassant 
«  ceux  qui  Sont  disposés  k  bien  faire  j  et  quand 
«  ils  seront  de  retour  k  Athènes ,  comme  ils 
«  se  sentiront  coupables  de  désertion,  ils  crie- 
«  ront  moins  contre  nous,  et  ne  nous  calom-^ 
«  nieront  pas  avec  tant  d'impudence  »« 
(à)  Ville  de  TEubée  suf  t'Eiirip©. 

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Quaind  les  esoeinb  se  fureat  amroehës^ 
i!  commanda  k  ses  ttoupe»  de  se  tenir  îniino«« 
biles  sons  les  armes ,  jtisqn  a  ce  ifu'it  eut  fak 
son  sacrifiée.  Cela  dura. asses  dé  temps,  soit 
qu'il  eut  de  la  peine  ïi  trouver  dei  signes  heu^* 
reux,  soit  <{ii'ii  voulftt  par'  Ik  engager  les  en-* 
nemis  à  s'avancer  davantage!  Pltitarque  cnit 
d'abord  que  ce  délai  venoit  de  lai  peuc  qui 
l'avoit  saisi,  let  qu'il  balaiicoitih  combattre^ 
c'est  pourquoi  sans  attendre  l'ordre  il  sV.« 
branla ,  etsiaroba  avecles  étrangers  qu'il  avoi( 
à  sa  solde.  La  cavalerie  qui  le  vit  aRer  k  la 
diarge ,  tie  put  se  contenir,  et  se  mit  k  ie  suivre 
pour  chatrgeir  aussi ,  mafe  en  désordre ,  et  les 
rangs  écartés^  comme  lorsqu'elle  sort  oit  des  re« 
tranchemesis.  Les  premiers  ayant  été  facile- 
ment rompus,  tous  les  autres  se  débandèrent^ 
et  Plptarqiie  lui-même  ptit  la  fuite.  La  plu^ 
part  des  ennemis  cro;faDt  avoir  tout  vaincu  > 
donnèrent  jusque  dans  le  camp ,  et  travail 
loient  k  en  abattre  laclàtureet  k  s'eu  rendra 
maîtres.  Dans  ce  moment,  le  sacrt^ce' de  Pho^ 
cton  se  trouvant  achevé ,  les  Atfaéoiens  tom- 
bèrent sur  eux,  et  les  mirent  en  foite ,  après 
en  avoir  tué  4a  plus  grande  partie  dans  les  re^ 
trancheraents  qu'ils  abattoient.  En  même 
temps ,  Phoçion  donne  ordjfe  k  son  corps  de 
bataille  de  rester  a  son  poste,  pour  attendra 


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s4  vmciON/ 

t^t  récffvfnrctnx  qui  a  voient  «të  rdnipits  d'a- 
bord h  là  :première  attaque,  et  qui  s'étoient 
débandes;  :et 'bi,  averj  fëlîte  de  ses  gens ,  Il 
alla  charger  l'enaemL  Ld  mêlée  fut  fort  rude, 
et  les  uns  et  iei'  atitras  dombattireut  avec  beau* 
coup  ie  v^l^ivett  sans  aucun  ménagement 

ÎourleuEjview  DeuiL  jeunes  officiers ,  Thallus, 
is de Cirmfasiy 6t Glaucus,'  fiisde Pofymède^ 
Ïui  coinoattoient  auprès  de  leur  .générât,  se 
istinguèrent  jpai>diessns  tons  lés;  autres:  Cle'ô- 
phane  acquît  aussi  beàttcotip  ^d'honneur  dans 
ce  combat;  ft  y  rendit  un  grand  service  ;  car 
rappelant  les  cavaliers  qui  avoient  pia  la. 
fui  r  e ,  il  les  força  par  ses  l  cri»  et*  ses  exhor*^ 
talions  k  venir  au. secours  de  leur  général  j 
qui  rtoit  en  danger  de  sa  personne  ;  et  en  les 
alliant ,  il  assura  la  victoire  de  l'infanterie* 
Après  le  c<Mubat,  Pbocion  chalssa  Plutarque 
d'Eretrie  ;  et  s'étant  emparé  du  fort  appelé 
Zaretra  >  situé  dans  un  lieu  trës-avanta^ 
geux ,  prëcisément  dans  l'endroit  où  i'-ile  se 
rétrécit'Cn  pointe ,  et  est  serrée  de  deux  côtés 
par  la  mer ,  il  ne  voulut  pas  permettre  qu'on 
prit  les  Grecs  priscHiniers  (a) ,  de  peur  que  les 
orateurs  d'Atnènes  ne;  portassent  un  jour  la 

fa)  D^aprèft  les  variaDtes  des  manuscrits,  il  faudroit 
lire,  «  renvoya  tou»  les  Grecs  qui  avoieot  été  faits 
prisonaicrs.  A.  L,  />. 


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^HOCION.  !»S 

peuple  k  escercer  contre  eux  quelque  cruauté 
par  un  emportemeut  de  colère  et  de  ven-r 
geance. 

PbocioD  y  après  ce  grand  succès ,  ne  fut  pas 
plutôt  parti,  que  tous  les  alliés  tegrettèreat  59, 
bonté  et  sa  jusUc^  9  et  que  les  Athénieus  cour 
nurent  sa  grande  capacité,  sa  valeur  et  soa 
expâ-ience.  Car  Molosôus  qui  lui  succéda  ^ 
et  qui  prit  après  lui  le  coiumandement ,  i/t 
la  guerre  de  manière  qu'il  tomba  lui-même 
entre  les  mains  des  cynemis.  Philippe,  ai)i 
u'avoit  que  des  vues  fart  vastes,  et  dont  les 
espérances  n'emhrassoient  rien  que  de  grande 
vint  dans  le  ps^  dé  FHellespont  «vec  toutes 
ses  forces,  ne  doutant  point  qu'k  la  faveur  de 
cette  conjoncture,  il  ne  se  rendit  niaitre  ausr 
sitôt  de  la  Cb^rs|onès^,  de  Périntbe ,  et  de  By- 
zaoce  (a).  Les  Athçnie^s  s'éiaiit  mis  en  devoir 
d'y  faire  passer  du  secours,  les  orateurs  fireni; 
tant  p«r  leurs  harangues^  qa'ils  y  envoyèrent 
Charèspourg^éralk  U  s'embarqua  donc  avec 
une  bonne  flotte ,  et.  ne  fit  rien  qui  répondit  ^ 
ce  grand  afipar^.  Les  yilles  mêmes  ne  vour 
ltu*ent  pas  le  recevoir  dans  l0ur&  pôr^  j  mai» 

(a)  Ces  deax  villes  ^toient  dans  la  partie  de  ^ 
Tliracc  qui  formpit  1<>  royaume  des  Odrysien»  j  Ver 
rîntfae  sur  la  Propoiitide ,  et  Byzance  [smv  le  Bqa* 
photc  ^.  X-  jQ.       .  * 

5. 

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J|6  PHOCïOTf 

8mpect  \  tout  le  monde,  il  étoit  force  dé 
croiser  le  long  des  côtes,  rànçonoont- les  al- 
liés, et  méprise  des  ennemis.  Le  peuple,  iiTÎtc 
|)ar  les  orateurs,  fit  éclater  son  indîgnation  et 
ée  repentoit  d'avoir  envoyé  du  secoura  ^  By- 
ïdnce.  Phocîon  se  levant  dit ,  «  qu'il  ne  fal- 
4(  (oit  point  s'irriter  contre  les  sMiés  m\  se  de- 
•«  fioient  de»  Athéniens,  mais  contre  les  géiié-^ 
a  raux  qm  donnoient  lieu  k  cette  dédanee. 
«  Car  ce  sont  ceu^ci  qui  vous  rendent  odieux 
*«(  et  formidablesk  ceaxmêmesqui  nesauroient 
«  se  sauver  sans  votre  secours  ». 

Le  peuple ,  frapj^é  de  ce  discours ,  changera 
d'avis  ^ir  l'heure,  et  ordonna  qu^l  allât  hiU 
wême  avec  de  Qoiavelles  forces  ku  see^wts  des 
alliés  dans  l'Hellespont.  Ge  choix  contribua 
-plus  que  tout  au  salut  de  Byzance;  car  la  ré-^ 
putation  de  niocicm  étoît  déjk  fort  ^ande  , 
et  Cléon,  i^un  des  f»«siieiis  de  Byzance 
en  vertu  et  en  autorité,  et  qui  avoit  lié  inie 
«mitiéparticMlière  avec  lui  dànsMefidéniie  y 
iutt  sa  caution'  envers  la  ville.  Les  !^zan* 
tins  fie  sovtfiHrent  doue  peiftt  qu'il  cauftpat 
dehors  comme  îl  le  v<^Ib!t  ;  mais  lui  poivrant 
leurs  portes,  ils  le  reçurent  dans  leur  ville  , 
«tuaêlèrent  parmi  einclc^  Athéntens,  qui, 
touchés  de  la  confiance  qu'on  avjoit  en  Içur 
bonne  foi,  se  montrèrent  très -sages,  très*- 

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tempâants,  et  eotièremeiit  iiT^rocIuibl(*s 
àans  leur  manière  de  vivre,  et  très-hardis 
dans  tdos  les  combats.  Philippe  fut  chasse  dé 
l'I&ilespoQC  après  y  avoir  perdu  beaucoup  de 
M  réputatidD  ;  car  jusque-là  il  avoit  passe 
pottr  inviocible ,  et  rien  n'avoit  osé  tenir  de- 
vant lui.  Phoeion  loi  prit  quelques  placer 
fortes  ou  il  avoit  mis  garnison  y  et  ayant  fait 
des  desccentes  eo  plusieurs  endroits  de  ses 
terres ,  il  conrut  et  pilla  tout  le  plat  pays  jus- 
qa^  ce  que  des  troupes  s'étant  assemblées ,  et 
étant  veno^au  secours ,  il  fut  blessé  et  obligé 
de  s'en  cetouï^ner. 

Qaelque  ten^  après,  les  habîrants  de  Mé- 
gaf«  (a)  l'envoyèrent  prier  secrètement  de 
venir  les  secourir  et  prendre  possession  de 
leurviiie.  Fhocion  y  qui  craignit  que  les  Béo~ 
tiens  avertis  de  ce  dessein ,  ne  le  prévinssent 
avant  qtj^  pût  y  être  arrivé ,  fit  tenir  dès  le 
grand  matin  une  assemblée ,  où  iUfit  part  aux 
Athéniens  de  ce  qcreles  Mégariens  lui  avoient 
proposé.  Les  /tbémens  ordonnèrent  sur 
llietire  qt^'ôn  troit  h  leur  secours  ,  et  Pho>- 
cîoB ,  f  U  sQdJr  de  FassëmUée,  fit  sonner  de  la 
trompette  poor  donner  le  signal  de  prenxlre 
les  armes  et  dé  partir^  et  sani'«tntre  délai ,  il 
les  mena  ai  Mégare.  Les  Mégariens  le  recurent 

(a)  Ville  à  VaciTémvU  occïâf^rfXaip  .^  TAtiique» 
près  le  ûoiit  Citbjccoi^..^.  £.!>•' 


28  PHOCION; 

avec  de  grandes  démonstrations  de  joie;  il 
fortifia  d'abord  le  port  de  Nisée ,  tira  deux 
bonnes  murailles  depuis  la  ville  jiiî^u'a  ce 
port ,  et  joignit  par  ce  moyen  la  ville  b  la 
mer  ;  de  sorte  que  ne  craignant  plus  ses  en- 
nemis du  côté  de  la  terre ,  elle  fut  entière- 
ment k  la  disposition  des  Atbéui.eçs* 

Athènes  s^étant  déclarée  ouvertement  en* 
.nemie  de  Philippe ,  et  ayapt  élu,  ^  l'absence 
de  Pbocion ,  d  autres  capitaines  pour  les  en- 
voyer k  cette  guerre ,  rhocion  a  son  retour 
des  Ues,  conseilla  d'abord  au  peuple  y  puisque 
Philippe  ne  cherchoit  qu'k  vivre  en  paix  avec 
eux,  et  qu'il  cpaîgnoit  l'issue  de  cette  guerre  , 
d'accepter  les  propositions  qu*il  offroit;  et 
comme  quelqu'un  de  cesorateurs  accoutumés 
k  passer  leur  vie  dans  le  tribunal  de  l'Hé- 
liée  *^5  et  k  ne  faire  d'autre  métier  que  d'ac- 
cuser les  uns  et  les  autres  y  s'opposa  k  soa 
ovis,  et  lui  dit  :  «  Osez-vous  bien,  Pbocion^ 
«  détourner  les  Athéniens  de  faire  la  guerre  y 
u  lorsqu'ilsont  déjà  les  armes  k  la  main  ?  Oui, 
«  sans  doute,  lui  répondit  Phocion,  jç  l'ose, 
«  et  cela ,  quoique  je  sache  fart  bien  que  si 
«  on  fait  la  guerre ,  je  te  commanderai,  et  que 
c(  si  l'on  failla  paix  tu  me  commanderas  ))r'  ^}. 
Mais  son  ayi;»  n'étant  pas  suivi  y  et  celui  de 
Déraosthcpe,  qui  conseilloit  aux  Alhéuiens 
'd'aller  donner  la  bataille  k  Philippe,  le  plus 
loin  qu^ils  pourroîent  de  J^JI^liLJTO^ifc  l^empor- 


rHOCIOK.  s^ 

tant,  etentrainant  tout  le  monde,  Pbocioci 
lui  dit  tont  haut  :  <^  Mon  ami ,  ne  checchonst 
«  point  où  nous  donnerons  la  bataille,  mais 
«  comment  nous  remporterons  la  victoire  ;  car 
«  voila  le  seul  moyen  d'éloigner  la  guerre  de 
«  nous.,  au  lieu  que  si  nous  sommes  battus  ^^ 
«  tous  les  maux  seront  k  nos  portes  )> . 

Après  que  les  Âtheliiens  eurent  perdu  la 
bataille  (a) ,  ies  jAus  mutins  et  les  plus  turbu- 
lents de  la  ville,  et  ceux  qui  ne  cnerchoiïiat 
que  des  nouveautés,! traînèrent  Charideme  '^ 
au  tribimal ,  pour  le  faire  élire  capitaine  ;  ce 
qui  alarma  tous  ies  gens  de  J>ien  qtii.  enttuA 
recours  ail  sénat  de  l'aréopage ,  et  la  y  au  mi-^ 
lieu  de  l'assemblée,  p^.leur^  larm^.et  ))ar 
leurs  prières,  ik  obtîtirent  epfin,  -ipjioiiqii'ftvec 
peine ,  qu'on  remit  la  ville  entre  l^s  mains  de 
rhocion»  Ce  dernier  dît  ali$sSt&t  que  son  avis 
éfoit  qu'il  fallait  recevoir  les  lois  et  les  Cj^mt 
dations  pleines  d'hunumi'té  que  Pliilippel  leiuî 
ofirolt.  >Iai$  Forateur  Demadès  ayant  pro^ 
posé  que  la  ville  seroit  coniprise  da|is  la  paix 
générale  ,  et  qu'elle  entreroit  dans  rassem- 
blée de  la  Grèce ,  Phocion  s'y  opposa  ,  et  sou- 
tint qu'il  n'eu  falloit  rien  &ire  qu'on  n'eût 
su  auparavant  les  detnandes  que  Philippe  fe« 
roit  anxGrecsdans  cette  assemUée  >  ^.Son  avig 

(a)  Il  s'agît  apiutremment  de  la  bataille  dç  Chëttt» 
n^e ,  gagnée  par  Philippe.  A.  Xr.  H* 

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90  FHOCION.' 

ae  fut  pas  le  plus  fort,  ^  cause  des  circonstances 
nriatheureusesoùl'on  se  trouv oit;  mais  biei) tôt 
après  y  voyant  les  Athéniens  tristes  et  dans  un 
cuisant  repentir  de  ce  ^u^ils  avoîent  fait  y 
parce  qu'îié  étoîent  obligés  de  fournir  des 
vaisseaux  et  de  la  cavalerie  k  Philippe ,  il  leitr 
dit  :  «  Eh  !  voila  justement  ce  que  je  craignoi$ 
«  quand  je  m'opposois  \l  votre  résblirtion. 
i\  Mais  puisque  vous  avez  reçu  ôts  conditions, 
«  il  £iut  supporter  voire  mal  avec- patrence  y 
4  et  ne  pas  vous  décourager.  Ressouvenez-* 
«  ^ous  que  vos  ancêtres  mêmes,  donnant  tan- 
k  tôt  la  loi  f  et  tantôt  la  i^ecevant  ^les  autres, 
«  et  remplissant  avec  sagesse  tous  les  devoirs 
4(  de  ces  deux  différents  états,  ont  sauviS 
K  leur  ville  et  toute  la  Grèce  en  même 
«  temps  ^).' 

•La  nouvelle  de  la  mort  de  Philippe  étant 
portée  k  Athèîies,  il  ne  voulut  pas  souffiir 
qiie  le  peuple  fît  des  sacrifices  pour  remer- 
cier les  Dieux  de  cette  nouvelle  :  «  car  il  n'y 
4<  «I  rien ,  leur  dit-il ,  qui  marque  pliis  de 


«  nassesse  décourage,  que  de  se  réjouir  de  la 
a  mort  d'un  ennemi.  D'ailleurs,  l'armée  qui 
M  vous  a  défaits  k  Ghéronée  n'est  affoiblie  que 
«  d'un  seul  homme  ».  Démosthène  s'empor- 
toit  et  invectivoit  un  jour  extrêmement  contre 
Alexsgidre  qui  s^avancoit  déjà  contre  Thèbes 
avec  des  troupes.  Phocion  le  blâmant ,  lui 
dit  ;  «  Malheureux ,  pourquoi  voulez-vou^ 

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PHOCIOW.  5l 

«  piqtier  et  irriter  dayantage  cet  lioimne  bar'^ 
«  bare  et  violent  '9,  et  si  avide  de  glbire ? 
«  Quand  vous  voyez  un  si  furieux  embrase^ 
«ment  s'allumer  autour  de  vous,  voulez-- 
«  vous  aussi  y  prëorjpitéfr  votte  ville?  Pour 
«  moi,  )e  ne  soiiffiirai  point  que  les  Athé^ 
«  niens  se  perdent  .quand  ib  le  voudraient  • 
<(  et  ce  n'est  que  pour  Pempècher^  que  j'ai 
«  accepte  le  commandement  ». 

Quelque  temps  après,  Thèbes  ayant  été 
prise  et  rasée,  et  Alexandre  ayam  envoyé 
sommer  les  Athéniens  de  itii  livrer  Dëmos^ 
tjiëne ,  Lycurgue  y  Hyperide  et  Charldème, 
toute  Paissemblée  jeta  en  même  temps  lea 
yeux  sur  Phocîon ,  et  Pflqppela  plusieurs  foi» 
par  son  nom  pour  savoir  ce  qu'il  pensoit.  li 
se  leva  enfin;  et  faisait  avancer  Nicœlèa^ 
un  de  ses  amis,  celui  qiii  lui  ëtoit  le  plut 
cher,  et  en  qui  il  avoit  le jpkts  de  confiance ^^ 
il  parla  en  ces  termes  :  «  Ces  hommes,  qu'A«- 
4(  lexandre  vous  demande,  ont  jeté  la  villç 
«  dants  l'ëtat  maflheureux  ùh  elle  m  trouve» 
«  SII  iiiè-d^màttdoit  cet  ami  que  j'aime  aï 
«  tendrteinent  (en  montrant  Nîcoclès),  tout 
«  in^otètf^  qu'il  est ,  je  seroîs  d'oVis*  i^'on  lui 
<c  livrât  ;  ^rmcA-même  je  regal^miscommc 
«  un  grabd  bonheur  de  mourir  poUrvous  sau-- 
a  ver  la  vie.  tlest  vrai,  Athéniens,  que  j'ai 
<(  grande  compftsôon  d«  k  miix%  o»  ce% 

'         DigitizedbyCjOOgle 


5î>  PHOCION* 

■a  pauvres  ThébaÎDs  qui  se  sont  *  petîrés-  dans 
«votre  ville;  maïs  il  suffit  mie  les  Grecs 
4<  pleurent Thèbes  j  saûsqu'ilspleurent  encore 
«  Athènes.  C?est  pourquoi  il  vaut  mieux  in- 
•<(  tercéder -auprès  du  vi^înque^r^  et  dex^an— 
«  der  grâce  poiw  Fune  et  pour  l'autre ,  que 
Xi  de  prendre  les  armes  pour  achever  de  se 
m  ruiner».  ,    i 

On  dît  qu'Alexandre  rejeta  le  première  décret 
qui  fut  rendu  sur  cette  délibération,  et  qu^il 
tourna  incme  le  dos  au^  ambassadeurs  qui 
^toieiitichargi&.d^  le  lui  ^'senter;  Mais  il 
jreout  le  second  qui  fut  porté  par  Phocion  , 
{>arce  qu'il  ^avoit  entendu  dire  aux  plus  âges 
de  sa  cour ,  i|ue  inm  père  Philippe  faisoit  grand 
cas  de  oet  homme.  Aussi  non  seulement  il  lui 
jdowa  une  audience  très-fa  voir  able ,  et  rççut 
ses  prières ,  mais  il  écouta  même  ses  conseils  ^ 
car  Phocion  lui  dit  «  que,  $'il  aimoit  le.re— 
«  pos,  il  devoit  renoncer  a  la  guerre  j  et  que  ^ 
M  si ,  au  coi^traire ,  il  étQit  ^imbitieux  de  gloire  y 
«  il  devok  tourner  ses  armes  contre;  les  Bar— 
«  bares,  au  lieu  d'attaquer  les  firecs  ».  Ejt 
ayant  jeté  ainù  adroiteinent  dans  ses  discours 
Jbeaueoup.  de  <àoâes  conforiDies  au  naturel  et 
aux  sentimenis  d'Alexandre,  il  le. changea 
tellememet  l'adoucit  si  fort,  que  ce  prince 
lui  dît  :  «  Que.  ks'  Athéniens  dévoient  avoir 
riS  l'oefl  attx  affaires  ^  $t  j|ii;e  anentifs  k  tout  cç^ 

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7«ociok;  53 

H  qui  se  patsseroit}  parce'  que,  sMI  venoit  k 

M  mourir,  c'étoit  ^  eux  seuls  qu'il  apparte* 

.  «  noit  de  commancler  *"*  »•  Alexandre  le 

goûta  si  bien ,  qu'il  lia  avec  lui  une  amitié 

I)artîculik*e.  11  la  fortifia  encore  parlelkn  de 
'hosfHtalité  y  et  il  lui  fit  des  honneurs  qu'il 
n'accordoît  qu'k  un  très-petit  nombre  de  ses 
plus  assidus  courtisans;  .L'historien  Duris 
ajoute  qu'Alezanebe,  après  qu'il  eut  acqtiis 
cette  gloire  qui  le  rendit  très -grand ,  et  qu'il 
eut  défisiit  Darius  ^  retràndia  de  toutes  les  let**- 
très  qu'il  écrivoit  le  mot  chaireiny  c'èst-kr 
dire,  aalut^  excepté  d«  celles  qu'il  écrivoit 
a  Phocion  ^^  Il  n'y  eut  que  lui  et  AntipaÉer 
k  qui  il  à^rivit  avec  cette  formule  ;  Charèa 
confirme  ce  récit. 

Quant  aux  présents  qu'il  lui  fit,  tout  le 
monde  tombe  a  accord  qu'il  lui^  envoya  cent 
talents  (a).  Cet  argent  portée  Athènes,  Pho-* 
don' demanda  a  ceux  quien  étoient  chaigés, 
<i  pour  quelle  raison ,  et  dans  quelle  vue 
«  Alexandre  le  choisissoit  lui  seul  parmi  un 
«  grand  nombre  d'Adiéniens ,  pour  lui-  en« 
«  voyer  une  si  grosse  somme?  C'est,  luirépon«ii 
<(  dir^it-ils ,  qu'Alexandre  vous  juge  seul 
4i  honnête  .l»>mmè  et  homme  de  bien.  Cela 
<féta0t,  répartit  Phocion,  qu'il  mC' laissa 
((  dbn<3  passer  pour  tel  et  l'être  en  effet  >u. 
{a)  EoTkoft  ^^fi^^k.  MLn  D. 

3^  Dig,t,zedbyUfe0gle 


54  PHociow* 

Ces  cnvoy&  ne  laissèrent  pas  de  le  sùîrre 

jusque  dans  sa  maison ,  où  ils  virent  une  sim* 

!>lîcité  qui  les  surprît.  Car  ils  trouvèrent  sa 
emme  qui  pëtrissoit;  et  lui-même,  en  leur 
i présence ,  alla  tirer  de  Peau  au  puitç  pour  se 
aver  les  pieds  *^.  Sur  cela ,  ils  Je  pressoient 
encore  davantage  de  ceoevoir  le  présent  du 
f  ci ,  ils  se  fichèrent  même ,  lui  disant ,  «  que 
<(  c'éioit  une  chose  indigne ,  qu'étant  un  des 
«principaux  auâs  d^im  si  grand  prince^  il 
«  vécut  si  pauvrement  ».:Dans,ce  moment  ^ 
Phociôn  vit  pass^  im  citoyen  fort  pauvre , 
ibouvert  d'un  vieux  «manteau  ss^ie  et  usé;  il 
letir  demanda,  «  s'ils  le  jugeoient  inférieur  a 
a  cet  homme*  A.  Dieu  ne  plaise ,  lui  répon-^ 
<(  dirent -ils  d'abord.  Cependant ,  continua 
%  Phoôion ,  il  vit  de  beaucoiç  moins  que 
i{  moi,  et  il  est  content  ^^.  En  tm  mot,  c'est 
m  en  vain  que  fe  posséderai  tant  d'or^  si  je 
«  ne  m'en  sers  point  ^  et  si  je  m'en  sers ,  je 
.  «me  décrierai  moi-même,  et  je  décrierai 
c(  Totre  maître  auprès  de  mes  concitoyens  »• 
C'est  ainsi  que  cet  argent  retourna  d'Athènes 


n'en  avoir  que  faire ,  et  de  savoir  s'en  passer. 
Alexandre  liit  très^dhé  de  ce  refiis ,  et  écri  - 
Tit encore  k  Phodon ,  pourlui  déclarer ,  «  qa'il 

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pfiocioir.  3S 

«  ne  prenoit  point  pour  ses  amis  ceux  qui. 
«  refiiBoient  ses  grâces  ».  Mais  Phocion  n  en 
Ait  pas  plus  porte  k  les  accepter^  Il  demanda, 
seulementia  liberté  du  sophiste  Echecralides^ 
d'Athénodore  d'imbre  et  de  deux  Rhodiens, 
Dëmaratus  et  Spaiton^  accusés  de  quelques 
crimes ,  et  qui  étoieDt  retenus  prisonniers  k 
jSardîs.  Alexandre  les  fit  délivrer  sur  l'heure. 
Envoyant  ensuite  Cratère  eu  Macédoine ,  il 
lui  comnianda  de  donner  k  Phocion ,  k  son 
choix ,  une  de  ces  quatre  villes  d'Asie,  Cio  (a), 
Gergithe  ,My lasse,  ou  Elées,  et  de  rassurer 
qu'il  seroit  encore  plus  fâché  que  la  première 
fois  s^il  la  refusok.  Malgré  toutes  ces  iDSlan«« 
ces,  Phocion  ne  voulut  pas  l'accepter ^  et 
Alexandre  mourut  peu:  de  temps  après.  Oi» 
montre  encore  au]€(ard'hui  dans  le  bourg  d% 
Mélîte  (b)  la  maison  de  Phocion ,  qui  est  lam^ 
brissee  de  plaques  de  cuivre,  mais  ou  reste  fort 
sinaple  etsan^<M*nement.  ' 

Il  fut  marié  deux  fois.  On  né  trouve  riev 
sur  sa  première  femme;  on  sait  seulement 
qu'elle  étoit  Sfieur  de  Céphisodote^  eKcelle&a 
sculpteur*  Mais  la  seconde  fut  aussi  célèbro 

(a)  Il  A6  ft'a^iC  pas  ici  de  ]'tle  de  Cio»  :mi^t^  ê\tn^ 
▼iUe  siii«ttn  fleuve  du  même  nom ,  dans  1%  Bilbirni^^ 
ou  ia  Mysi^ ,  qui  lui  est  contigiiè'.  Ji,  Z,,  />.  * 

(t)  CMMt  un  i^uartierdw  Pircc.  A^  L-Dn 

'      Digitizedby  Google 


36  ïHociomî 

h  Athènes  par  sa  grande  sagesse ,  bar  sq  mo-, 
destie  et  parisa  simplicité,  que  Phocion  par 
sa  bonté  et  par  sa  justice.  On  raconte  qu  un 
jour  y  les  Athéniens  étant  assemblés  au  théâtre 
pour  voir  jouer  quelque  tragédie  nouvelle, 
un  des  principaux  acteurs,  sur  le  point  de 
venir  sur  la  scène,  demanda  un  masque  de 
teîrie ,  parce  qu'il  devoit  jouer  le  rôle  d'une 
princesse,  et  un  grand  nombre  de  suivantes 
parées  magnifiquement.  Comme  Mélapthius  , 
quifaisoitles  fiais  du  chœur, ne  les  fourçiissoit. 

E oint,  F  jeteur  s^emportoît^  et  faîsoit  attendre 
îs  spectateurs,  ne  voulant  pas  absolument 
paroître.  Enfin,  Mélanthius, lassé  de  ces  dif- 
ficultés, le  poussa  par  force  au  milieu  du 
théâtre  ^  en  luîcriant  :  «  Tu  vois  la  femme  de 
«Phocion  qui  paSTottéh  pubUcavec  une  seule, 
¥.  suiviante ,  et  tu  viens  faire  ici  le  glorieux  , 
K  et  oocrûmpr/e  les  m^œurs  de  no&  femmes  »  ! 
Ce  mot  qui  fut  dit  assez  haut,  ayant  été  en- 
tendu, tous  les  •spêctâtciu's  le  reçurent  avec 
applaudissement  et  de  grands  battements  de 
mains.'  Une  fetiime  d'ionié ,  amie  de  la  femme 
de  Phocion^.  étant  venue  là  voir  et  logeant 
chez  elle ,  lui  montroit  ses  bijoux  d'or  enri- 
chis de  pierreries,  et  qui  consfôtôîent  en  des 
Eracelets  et  dès  colliers  magnifiques  f  «  Foui 
i(  raoi,luiditla femme  de  Phocion,  moû  seul 
a  ornement   c'est  Phocjon ,  qui  depuis  vin^ 

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f  anfiëes,  est  toujours  élu  gâiâral  des  Aibé^ 
«  niens  ». 

Le  fils  de  Phocion  vovlant  aller  combattre 
aux  jeux  des  fêtes  Panathënëes,  son  père  le 
lui  permit,  mais  k  condition  qu^il  courroit  )k 
pied  '^  :  non  «jn'S  fit  grand  cas  de  cette  yic-t 
toire  9  mais  afin  cpie  son  fils  exerçant  et  fi>rti«' 
fiant  son  co^ps  par  la  course  y.  s'accoutumàl 
a  une  vie  plus  rë^e  et  plus  sage  ;  car  co 
jeune  iHwune  ëtoit  fi>rt  oissolu ,  et  aimoit 
beaucoup  le  vin.  Il  remporta  le  pHx  de  ces- 
jeux ,  et  plusieurs  de  ses  amis  demandèrent  k 
Phocion  la  liberté  défaite  un  festin  pour  cé- 
lébrer cette  victoire*^.  Photaon  refusa  tous  les 
autres  f  et  ne  permit  ^u'k  un  seul  de  témoi'<- 
gnet*  par  cette  fête  l'attachement  qu'il  avoit 
pour  fl^aiaon;  L'heure  du  souper  venue ,  il 
se  rendit  cliez  ce  jeiiaie  homme.  Vojant  des 
préparotife  magnîoqnes,  et  qu^on  présentoir 
a  tous  les  conviés  de  grandes  cuvettes  pleines 
de  vin  préparé,  avec  toutes  Portes  d'aromates 
pour  leur  laver  lespieds  y  il  appela  se»  fils ,  et 
lui  dit  r«  PhoeQs,  ne  venxrt&npas  covriger 
H  toB  mai  qui  gâte  et  qui  corrompt  ta  Viofoire 
i<  par  ces^reKcés  îodî^les  >»  ?  Pour  le  retirer 
et  l'éloigner  èntièromept  de  cette  >aiaBière  do 
vivre  si  pleîfie  do  faixé^  H  lenuoQft  a  Lacédé- 
mone  j  et  lemitavec  les  teunes^geafrqui  étoient 
élevés  daÉs  tonbé^fe  retour  d^  h  disc^line 

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38  VHCCtow. 

de  Sp«^.  n  déplut  par  Ib  tux  Athéniens^ 
<]ui  prirent  cette  action  de  Phocion  pour  uuq 
preuyequ'i)  nëglifçeoitet  qu'il  mt^prisoit  m^e 
les  mœurs  et  les  coutumes  de  son  pays.  L^ora*- 
tear  Demad^s  lui  dit  ub  jour  k  cette  occa- 
sion :  «  Phocion  y  pmirquoi  ne  conaeilloos* 
:«  nous  pas  aux  Athéniens  de  prencbre  et  d'iuii- 
m  ter  ia  forme  du  gouvernement  de  L^c^dë* 
i«  moDe  ?  Si  vous  Fordonnez ,  je  suis  tout 
;«  prêt  k  le  proposer  au  peiiple ,  et  k  en  dres-^ 
|«  ser  le  décret.  En  vërité^  uiî  rêpbndit  Pho* 
i«  doQ,  il  te  siàroit  bien  k  toi ,  parfviné  d'esr^ 
i«  sences,  et  couvert  d'un  si  i>eau  manteau  -^ 
1^  de  |[H*ècher  aux-  Alhémens  la-  fti^»)lité  4^ 
i«  Laoëdëknttriens,  et  ^  louer  K^qur^H^  v> . .; 

Alexandre  ayant  éoril  aux  AihéoieiQiS  d^.kiî 
envoyer  un  oertaîn  ncadwe  de  gal«ff^|^  Q(  les 
orateurs  s'y  opposant ,  IWemUéè  ordwfa  ^ 
Pboâon  de  dipeson  avis:  ^  Bioa  ayjs  ^dat , 
«  kar  dic-il  ^  quevous  soyes Jes  plus  forts pajr 
H  les  armes,  cm  les  amis  de  oeul:  qui  le  soat  »^. 
Vomtmt  Pytbi^£^  qai  ne,v«B0it^e  de  Qom- 
menvev  ïi  païAarxdtvasit  h  peuple  *f ,  m^n- 
tfoik'd^  beansnaip  d'audace  et  ^'w^'fvek^e., 
et  étom^dissoft  iani  le  /âaobde)  dci  :Son.  babil  : 
«Ne  veiiK<^4a  deod^peâst  te  laire^  lui  dit 
H  Pbo<u<Mi'^«difRâasÀëjio«ivattefli9i:^.a^ 
«  dans  «etfte  ^ilei¥  ?        .         < 

lybrpaiei^'bqiitAjexandscxircMt  coafié  }m 

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P0OCIO1I.  $9 

garde  des  trésors  de  Babylone,  sVuot  enfui 
d'Asie  arec  d'immenSM  richesses,  aborda  k 
Athènes.  D'abord  tous  ceux  qui  avoient  ooù« 
tnme  de  s'eiMÎcbîr  de  lenr  métier  d'orateur^ 
coururent  k  lui  a  l'envi  j  tout  prêts  h  se  laia- 
ser  corrompre,  et  d^jk  inèine  corrompus  par 
Tespërauce.  Harpalus  ne  mancpa  pas  de  jeter 
k  coacun  d'eux  quelque  petite  partie  de  cet 
grands  trésors ,  poilr  les  amorcer.  Mais  il  en-- 
▼oya  k  Fbôcron  sept  cents  talents  (a),  met* 
tact  d'aiUenrr  tous  sell  autres  biens  et  sa  per« 
smine  même  en  sa  disposition  ^  et  sous  sa 
sauve-gsirde.  Phocion  parla  très -durement  k 
cenx  qui  vinrent  de  sa  part,  et  leur  déclarai 
qu'A  aOolt  prendre  des  mesures  violentes 
contre  lui ,  s'il  ne  cessoit  de  oorrompro  la  ville. 
Sur  cette  réponse,  Harpslus,  Ibrt  étonne,  et 
dëcbu  de  ses  espérances,  se  retira.  Peu  de 
jours  après ,  les  Athéniens  s'étaat  asaemblés 
pout*  délSbérer  sur  cette  afiaire,  Harpalus  vit 
jqué  ceux  qui  avoietit  reçu  son  argent  aMoient 
changé  de  Mngage ,  et  mi'aulieu  de  le  d^endre 
et  de  Fappuyer^  ils  l'accusoient  devant  \t 
peuplé,  idËD  que  leur  intelligence  avec  Uu  ne 
fkt  pas  découverte.  Ffaoçiou'  seul  qui  n'avoit 
Toiâu  rien  recevoir ,  ayant  toujovurs^en  vue  le 
bien  pubHc ,'  ne  laissoit  pas  d'avoir  quelque 
moyen  de  lé  tirer  d'affaire.  Ranuué  ps»  cea 


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iif  PHOCIOK* 

lueurs  de  bienveillance ,  il  se  remit  b  lui  faire 
la  cour  pour  essayer  de  le  gagner  j  mais  piu^ 
il  le  cousidéroit  et  le  recpunoisscHt  de  tous 
côtés,  plus  il  le  trou  voit  imprenable  k  For- 
gent comme  une  foiteresse  inaccessible,  Enfin^ 
il  forma  une  étroite  amitié  avec  Chariclè^,, 
gendre  de  Pbocion ,  et  fut  cause  que  cçt 
bomme  eut  une  très  -  mauvaise  réputation 
dans.  Athènes  ;  car  on  voyoit  qu'Harpalus 
navoit  en  lui  la  plua  :grande  confiance  ^ 
jet  qu'il  s'en  servoit  a  toutes  ses  affaires  ^ 

Î'uscjue-lk  qu'il  lui  donna  le.  soin.  4e  faire 
)àtir  un  magnifique  tombeau  h  Li  courUs^ne 
Pytbionioe  qu'il,  avoit.aimée,  et  donJt  Jlavoif 
.une  fille  ;  il  jui,  remit,  a  cet  efièt  de  grosses 
sommes  entre,  les  mains.  Cette  commission , 
déjk  assez  bontcfuse  par  el)e-meme ,  le  de^ 
vint  encore  pW.  par  la  manière  dont  il  s'^ 
acquitta  ^^  ;  car  on  voit  encore  ce  tombeau 
daus  le  lieu  .appelé  Ilerpiée  ^^9  sur  lèche* 
min  d'Atbèn^9.a.Eleusiiie^  et  on  n'y  découvre 
rien  qui  réponde  h  cette  grande. dépense  quj[ 
fat  de  trente  taie:i)ts(éf)^  selon  lesx^mptes  quç 
CbariclèsenrenditaHarpalus»  Après  la  port 
de  ce  dernier^  Cba^çi^s  et  Pl^ocion  prirent 
<heit  eux  la  fille  qu'il  avoit  eue  de  cette  cojuç- 
tisane,  et  la  firent  élever  avec  beaucoup  d^ 
60iti.  Peu  de  temps  après,  Chai  iciès  liit  appelé 
eu  justice,  pour  veuir  rendre  compte  de  i'em^ 


PHOCIOW.»  4t- 

ploi  de  Pargènt  iniil  avoit  reçn  â'flarpalna*' 
il  eat  recours  k  Hiocion ,  le  priant  de  le  se-» 
cmirk  et  de  Kaccompagner  le  jour  dii  juge-*» 
ment  poar  Taider  k  se  défendre.  Mais  Pfeodon^ 
le  refusa  franchement ,  et  lui  dit  :  a  Chari-^ 
((  clés  y  je  t'ai  fait  mon  gendre ,  mais  e'ést 
a  pour  toutes  choses  justes  et  honnêtes  »• 

Le  premier  qui  annobça  dans  Athènes  la 
nouvelle  de  la  mort  d'Alexandre ,  ce  fut  uft 
certain  Asclëpîade  ,  fils  d*Hippar<nie  ;  mais 
l'orateur  Demadès  exhortoit  les  Athéniens  ¥ 
ne  pas  lui  ajouter  (bi  :  a  Car ,  disoit-il ,  si 
«  cela  ëtoit,  toute  la  terre  entière  auroit  déjk 
«  SMitî  Podenr  de  ce  mort  »•  »»  Phocion 
Toyant  qu'a  cette  nouvelle  le  peuple  com<* 
mençoit  a  lever  la  tète  et  k  penser  k  des  nou«- 
veautës,  tâchoit  de  le  contenir.  Mais  comme 
malgré  ses  efforts  ,  la  plupart  des  orateurs 
couroîent  au  tribunal ,  et  crioient  que  la  nou-' 
velle  d'Aselépiade.étoit  véritable  ^  et  qulA<« 
fexandre  étôit  certainement  mort,  Phocion  se 
leva  et  leur  dit  :  «  Mais  s'il  est  mort  aujour^ 
«  dirai ,  il  le  sera  encoi%  demain ,  et  encore 
a  après  •  demain ,  de  sorte  que  nous  aurdné 
u  tout  le  temps  de  délihérêr  en  repo&et  aveo 
«  dliis  de  sâretë* 

Léosthène  qui,  par  ses  intrigués,  avoit 
précipite  la  ville  d  Athènes  -dans  la  guerre 
qui    fut    appelée    Laxpiaque   f"  y  voyant 

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4Sr  YHOCION. 

qoe  PhocioQen  ëloit  trës-fachë,  lai  deiiftndft 
d'un  ton  moqueur  :  «  Quel  bien  il  avoir  fait 
4hk  sa  viHe  pendant  tant  d'annëès  qii^il  avoit 
icéié  capkaine^^uéral  »  ?  «  Compteft-tu 
«  pour  un  petk  bien ,  r(^partit  Phocion ,  que 
aies  cîkiyens  qui  sont  morts  pendant  ce 
«  temps^lk  ont  ëtéenterrëa  dans  les  tombeaux. 
«  de  Wm  pèoes  v>  ?  Ce  Léosthène  oanti- 
xiioit  toiijovrs  déparier  devant  le  peuple 
jivec-  beaucoup  d'arrogance  et  de  vanité; 
Fhoçion ,  las  de  l'entendre  y  lui  dit  :  «  Jeune 
<«  homdie ,  tes  discours  ressemblent  aux  cy^ 
<  près:  iia  sont  grandset  bauta,  et  ne  portent 
4(  point  de  fiuit  ».  Alors  Hyperide  s'iétanl 
]evé ,  deiBanrda'4onr  baiit  ii  Fbooîon  :  «Quand 
«  seraH^e  dono  que  vous  oonseilieree  aux* 
u  Atbeniens  de  fiiire  la  giierre  »  ?  «  Ce  sera, 
K  lui  répondit  Phodon ,  quand  |e  verrai  lea 
«  jeunes  gens  résolue  k  ganler  leur  poste  ^  le» 
,41  ricbei  contribuer  selon  leiir  pouvoir,  et  les 
én  orateurs  s-abstenb  de  voler  les  denietai 
^publics  ». 

Comme  la  plupart  adnnroient  la  grande  et 
belle  armée  que  Léostbène  avoit  assemblée  ^ 
et  qu'ill'  demandoieni  k  Phodon  ce  qu'il  eu 
pensolt  :  <«  Elle  me  paroU  très*belle  pour  le 
4(  stade ,  leur  dh  il;  mais  je  crains  le  retour  ^  ', 
«  la  ville  n'avant  plus  ni'd'autres  fonds ,  ni 
«  d'#utre«  vaisseaux  )  vi  d'autres  troupe»  ii^ 

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Viréotment  jâslifia  sieè  craiiim.  L^thène 
f  t  d'abord  tks  ekpioîls  foft  ëektsfnts,  qui  loi 
doDuètent  beaucoup  de  réputauoD  ;  il  défit 
les  Béotiens  etibsitft^  ^aftgée  ^  et  f<H*ça  An- 
tipater  fk  s^  retirer  •émb^  la  ville  de  Lamtaç 
de  sorte  que  la  vJHe  d'Alhènes,  nageant  dava 
la  foie  et  'dans  respërance ,  ne  fiiisoit  que  cé- 
lébrer des  feUes  et  offrir  des  sacrifiées  ppor 
renieniier  les  Diètiit  deé  bèufeuses  nouyelles 
qn'elle  recef  oit  tons  ki»  jours.  La  plujpart 
croyant  confondre  Pbocion ,  et  le  rédnine  h 
ne  savoir  qrte  i^épotad^e  stir  Fopposirioii  qu*  A 
nvoit  toujours  faite  h  cette  guerre,  Ini  de— 
niandoieiit  s'il  fié  irolYdh>ifpRSavoirircâttoutea 
ces  belles  choMà  :  «  Oni^  sans  éo^t ,  répon-^ 
«  dît  ftiôcion ,  ft  trondrois  les  atoir  fiiites^ 
«  niai»  je  nevcnidrois  pas  n'atoir  pas  con«- 
«  seiQé  ce  qne  )'»  conëeillé  »«  Et  comme  ces 
boiîiKrs  nbttvetlesse  snivolentde  S»rt  près,  et 
arrivoieoit  du  ^«aitip  coup  sur  coup ,  Pnocion  « 
ijui  eta  craignoit  les  suites ,  s'écria  :  m  Quand 
«  ceaserûDs^nous  'dbne  de  vaincre  »  ?  Léofp> 
tbëne  étant  venii  k  ihourh-,  ceux  «qui  crai* 
gnoîent  que*  Thocion  ne  fnt  élu  général ,  et 
lie  mit  fin  k  cette  gnerre^  apostèrent  un  cer- 
tain bonmie  as^éK  obscur,  <ïui  s'ëtant levé ,  dit 
en  pleine  as^einblée,  ^tqii'it  étoît  ann  particur^ 
«  Iier-de  Biocion ,  et  qu'il  avoit  été  son  camaH 
a  rade  d^éoote  ;  qu'il  leur  conàeÂUok  doOQ  de 

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44  PHOCIQK. 

;  «.  ménager  ce  grapd  Homme,  parce  qu'ils  n'em 

c(  avoiçnt  pas  un  second  comme  lui,  et  d'éo* 
.  «  Toyer  Ântiphile  k  la  tête  de  l'armée  »*  Déjà 

les  Athénieii^  se  rendoient  k  cet  avis ,  lors- 
.-çje  Pbocion  s'avançant , .  dit  «  au  il  n'avoit 
ii^  jamais  été  le  camarade  de  cet  iiomiue ,  et 

Ai  ou'il  ne  Ta  voit  jamais  comiti^  m  n'avoit  été 
'.^  ae  ses  ainis.  Mais  y  ajouta* t;  il  en  lui  adres- 
;«  sant  la  parole:  Je  commence  d'aujourd'hui 

<(  k  te  compter  pcfur  mon  ami,  et  pour  mon 
^  meilleur  ami  ^  car  tu  as  donseilfé  tout  ce 

«  qu'il  y  a  voit  paiu*  moi  de  plus  utile  ». 

Les  Athéniens  voulapt  à  toute  force  entre- 
prendre la  guerre  contre. les.  Béotiens,  Pho* 
-cion  s?^  oj^osa  autant  qu'il  le  put  ;  et  comme 
^es  amis  lui  rejM^sentoient  que  les  Athéniens,, 
ii:rités  de  .cette  opposition  opiniâtre,  le  fc^- 
roient  mourir,, il  leur  répondit  ;  «  Oui,  iU 
.«  me  feront  mourir ,  mais  injustement  si  je 
«  conseille  ce  qui  est  utile^  et  très- juçtement 
»  si  je  prévariqne  pour  les;  flatter  ».  Voyant 

3ue  malgré  t^QUt  ce  qu'il  pouvoit  faire  et  dire  , 
^  s  ne  serebutoient  point ,  et  crioient.de  plus 
en  plus  coQtie  lui,  il  ordoipiaî -au  héraut  .de 
publier ,  «  Que  toi^  les  Athéniens ,  depuis 
<(  l'i^ge.  de  quatorze  ans  jusqu'à  soixante  , 
u  prissent  du  pain  pour  cinq  jours ,  et  qu'ils 
^<  le  suivissent  sans  autre  délai ,  au  sortir  de 
«<  VusêQuMéQ  ;>•  Il  »'cièye.  auj^to(  vn^  graa4 

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PHOCtON.     .  45 

V 

tumulte  paimile  peuple  ;  tous  les  vieillards 
se  mettent  a  çricr  et  k  se  retirer  :  «  Qu'y  n- 
<(  t>il  doDc  ïà  de  si  terrible ,  leur  dit  Phocion^ 
m  et  moi  qui  ai  quatre-viugts  ans ,  ne  serai- 
«  je  pas  .S  votre  tête  »  ?  Cette  répouse  les 
adoucit ,  et  leur  fit  perdre  cette  envie  déme- 
surée de  faire  la  guerre.  Mais  quelque  temps 
après,  ton  le  la  cote  étant  ravaî^ce  par  Mi- 
cioa ,  qui ,  avec  bon   nombre  de  Macédo- 
niens et.  d'autres  troupes  étrangères ,  s'étoît 
avancé  jusqu'au  bour^de  Rhamiiuse,  et  pil- 
loît  tout  le  pays^  Phocion  y  courut ,  et  mena 
contre  lui  les  Athéniens.  Là ,  «'empre^^saut 
tous  autour  de  lui,  chacun  se  mêle  de  faire 
le  général ,  et  de  lui  donner  des  conseils;  re- 
lai-ci  dit  qu'il &ut  occuper  une  telle  colline; 
celiiî^lk  qu'il  faut  envoyer  la  cavalerie  en 
tel  endroit  ;  cet  autre  qu'il  faut  choisir  un 
tel  camp,  et  s'y  placer  de  telle  et  telle  ma- 
nière :  a  O  Hercule  !  s'écria  Phocion ,  corn- 
ac bien  je  vois  de  capitaines  ,  et  combien  peu 
a  de  soldats  »  !  Quand  'A  eut  rangé  son  ar- 
mée en  batailk,  un  de  se&gens  de  pied  sortit 
des  rsoigs  et  s'avança  fièi^ment  au  milieu  des 
deux  armées  ;  un  des  ennemis  sortit  aussi  de 
son  cdté  et  s'avança  pour  le  combattre.  Alors 
l'Atbenien  saisi  de  crainte  se  retira  et  rega- 
gna sa  troupe  ;  «  Jeune  homme ,  lui  dit  Pho- 
<(  cîon ,  n'as  tu  point  de  honte  d'avoir  quitté 
X.      "  5"         ' 

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46  PHOcroN* 

«  en  ira  même  jour  deux  postes,  lepretofer, 
«  celui  où  ton  capitaine  f  avoit  placé  ,  et 
«  l'autre,  celui  oii  tu  t'étois  placé  toi-même  »? 
En  même  temps  il  chargea  les  ennemis  y  les 
rompit  et  les  mit  en  fuite ,  et  tua  Micion  leur 
chef,  avec  un  grand  nombre  d'entr'eux. 

Cependant  l'armée  de  la  ligue  des  Grecs  ^ 
qui  étoit  en  Thessalie  ,  gagna  ime  grande  ba* 
taille  contre  Antipater  ,  auquel  s'étoîent 
joints  Léonatus  et  tous  les  Macédoniens  qui 
étoient  en  Asie.  Léonatus  fut  tué  a  cette  ba- 
taille où  Antiphile  commandoit  l'infanterie  y 
et  Menon  le  thessalien ,  la  cavalerie.  Peu  de 
temps  après,  Cratère  étant  repassé  d'Asie  eu 
Grèce  avec  une  puissante  année ,  il  y  eut  une 
autre  grande  bataille  près  de  la  ville  de  Cra— 
non  (a),  où  les  Grecs  furent  battus.  Ni  la  dé- 
faite ,  ni  le  nombre  des  morts  ne  furent  pour- 
tant pas  considérables;  cet  échec  même  n'ar— 
riva  que  par  la  désobéissance  des  soldats  qiii 
avoient  des  capitaines  trop  doux  et  trop  |eii. 
nés  qui  ne  savoient  pas  se  faire  obéir  :  d'ail- 
leurs, Antipater  ne  se  fut  pas  plutôt  présenté 
devant  leurs  villes  pour  les  tâter,  qu'ils  se 
débandèrent  et  abandonnèrent  lâchement  la 
cause  delà  liberté;  Antipater  profita  decetre 
déseition ,  et  marcha  aussitôt  avec  son  armée 

(a)  Ville  dans  le  canton  d«  la  lliessalie  ^  appelé 
Tempe,  A,  L,  />• 

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vnocion.  4^ 

Ters  Aihëiies.  A  son  approche  y  Démosthëne 
et  Hyperide  abandoDiièrent  la  ville.  Demadèsy 
qui  a^étoît  pas  en  pouvoir  de  payer  la  moin- 
dre partie  des  ameudes  auxquelles  il  avoit  été 
condamné,  jusqu'k  sept  fois, pour  avoir  pro^ 
posé  des  choses  contre  les  lois  et  contre  Futik 
lité  publique ,  et  ^ui  étant  demeuré  infâme 
n'avoit  plus  le  droit  de  parler  et  de  rien  pro- 
poser an  peuple  ,  se  trouvant  alors  en 
pleine  liberté,  fit  un  décret  qui  portoit  qu'on 
enverroit  a  Anlipater  des  anibassadeurs  avec 
de  pleins  pouvoirs ,  pour  traiter  avec  lui  de 
la  jpaix.  Mais  le  peuple  ,  qui  eraignoit  ceux 
qu'on  pourroity  envoyer,  appela  d'une  com«* 
muûe  voix  Phocion ,  disant  qu'il  étoit  le  seul 
a  qui  il  put  con^r  une  commission  si  impor- 
tante et  si  délicate.  Alors  Phocion  se  leva,  et 
leur  dit  :  u  Si  vous  m'aviez  erulorsque  je  vous 
c(  donnois  mes  conseils,,  nous  ne  serions  pas 
u  présentement  réduits]^ délibérer  sur  desaf-* 
«  fairesde  cette  conséquence  )>.Ainsi  le  décret 
de  Demadès  ayant  été  approuvé  et  confirmé , 
Phocion  fut  envové  k  Antipater  qui  étoit 
campé  dans  la  Cadmée  (a) ,  et  qui  se  prépa-< 
roit  a  entrer  dans  l'Attique. 

La  première  chose  qu'il  lui  demanda  ,  ce 
fut,  «  qu'il  traitât  avec  lui  avant  que  de  dé-^ 

(a)  C'eftt-à-dîrc  dans  la  Béotie  5  car  la  Béotie  étoit 
•ppelfic  Cadmée,  cooMne  lai  ciladellfi  de  Tbèbita, 

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48  PHOCION, 

<c  camper  du  lieu  où  il  étoît  ».  Sur  cela  Cra- 
tère s'écrie  :  «  Phocion  nous  demande  uue 
«  chose  qui  n'est  ni  juste  ni  raisonnable ,  lors- 
it  qu'il  veut  que  nous  achevions  de  miner  les 
«  terres^de  nos  amis  et  de  nos  alliés,  tandis  que 
a  nous  pouvons  aller  vivre  aux  dépens  de  nos 
a  ennemis  ».  Antipater,  le  prenant  par  la 
main  ,  lui  dit  :  <(  Il  faut  faire  ce  plaisir  k  Pho- 
«  cion  ».  Mais  sur  toutes  les  conditions  de  la 
paix,  il  lui  déclara  qu'il  falloit  que  lés  Athé- 
nienss'en  remissent  entièfrement  klui,  comnie 
liii-même ,  lorsqu'il  fut  assiégé  daiis  la  ville 
de  Lamia ,  s'étoit  entièrement  rerni^  de  la  ca- 
pitulation k  Léosthëne  leur  capitaine. 

Phocion  alla  rapporter  cette  réponse  k 
Athènes,  et  les  Athéniens  ayant  accepté  cette 
condition  par  nécessité ,  il  s'en  retourna  k 
Thëbes  avec  les  autres  ambassadeurs  qui  fii« 
rent  nommés ,  et  k  1  a  tète  desquels  étoit  Xéno* 
crate  ;  car  on  avoit  pour  Uii  une  si  grande 
e&time ,  et  on  avoit  conçu  une  si  haute  idée 
de  sa  vertu ,  qu'on  étoit  persuadé  qu'il  n'y 
avoit  point  d'homme  ^  quelque  arrogant  , 
quelque  cruel  et  quelque  emporté  cju'il  pût 
être ,  k  qui  la  vue  de  Xénocrate  n'imprimât 
du  respect ,  et  qu'elle  ne  forçât  k  lui  rendre 
hommage.  Mais  le  contraire  arriva  par  Teffet 
de  la  brutalité  et  de  la  grossièreté  d'Antipa- 
ter^  et  par  l'antipathie  naturelle  qi'il  avoit 

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P HOC  ION.  4T[) 

poûrh  vertu.  D'abord ,  il  ne  salua  pas  Xëno^^^ 
crate  et  ne  le  regarda  point  3*,^  et  combla  de 
caresses  tous  les  autres.  Sur  quoi  on  rapporte 
que  Xénocrate  dit  :  n  Antipater  fait  fort  bien 
41  de  n'oser  me  regarder ,  et  de  rougir  devant 
«  moi  seul  de  m'avoir  pour  témoin  des  injus- 
«  ticês  qu'ïlva  commettre  contre  Athènes  »• 
Ensuite  Xénocrate  ayant  commencé  k  parlai 
Antipater,  qui  ne  pouvoit  le  supporter ,  Tîn- 
teiTompoit  k  tout  moment ,  et  entrant  enfin 
contre  litî  dans  une  véritable  colère ,  il  To- 
Wîgea  .k  se  taire.  Mais  après  que  Phocion  eut 
parlé,  Antipater  lexur  fit  réponse,  « q-n*il  étoit 
«  prêt  k  faire  amitié  eratliance  avec  les  Athé- 
<(  niens  k  condition  qu'ils  lui  lîvreroient  Dé- 
«  mosthène  et  Hyperide  ;  qu'ils  rétabliroient 
<(  le  gouvernement  sur  Pancîen  pîed  on  les 
«  charges  étoîent  données  aux  riches;  miMb 
«  recéVWîent  garnison  dans  le  port  de  Mu- 
«  nj'^chîâ  (a)  ;  qtTils  payeroient  tous  les  frais 
«de  la  guerre,  et  outre  cela  une  grosse 
«  amende  dont  on  conviendroit  »».Les  autres 
^ambassadeurs  étoient  satisfaits  de  ces  condi- 
tions qu'ils  regardoient  comn^e  fort  douces , 
vu  l'état  oh.  ils  se  trou  voient.  Xénocrate  seul 
les  trouva  insupportables,  et  dit  :  «  Antîpa- 
«  ter  nous  traite  fort  doucement  pour  des  es- 

(à)  Entre  celaî  de  Phalére  rets  rorieat,  et  celui 
au  Pirée  ver*  rocoident.  ^.  £.  /?.  .  .^,^,^i.. 

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5o  4PHOCiaNf 

«  clavcs^maîs  très-durement  pour  clés  boni»* 
«  mes  libres  ».  Et  comme  PLocion  lepressoU 
et  le  supplioit  de  se  relâcher  sur  Partîcle  de  la 
garnison  de  Munychia  ,  on  assure  qu'Antîpa- 
ter  lui  dit  :  tt  O  Phocion ,  nous  voulons  te 
«  faire  plaisir  en  toutes  choses  ,  excepté  en. 
«  celles  qui  cauçeroient  enfin  ta  ruine  et  la 
«  nôtre  ^'^  », 

D'xiutres  racontent  la  chose  autrement.  Us 
disent  q-u'Antipater  demanda  )i  Phocion  y  en 
cas  qu'il  se  relâchât  sur  ciette  garnison ,  s'il 
vouloit  être  caution  que  $a  ville  observeroit  | 
fidèlement  tous  les  articles  du  traité  de  paix  j 
et  ne  chercheroit  plus  b  remuer.  Phocion  gar- 
dant le  silence  et  tordant  k  répondre  j^  un  cer- 
tain Callimedon ,  surnommé  Carabus,  homme 
emporté,  et  qui  haïssoit  le  gouvernement  po- 
pulaire y  s'âvancant ,  dit  k  Antipater  :  «  Eh 
tf  quoi,  seigneur,  si  cet  homme ,  jioiur  vous 
«  amuser ,  s'avisoit  de  cautionner  sa  ville  , 
«  vous  y  fieriez- vous,  et  en  ferieî-vous  moins  | 
«  ce  que  vous  avee  résolu  de  faire  »  ?  Ainsi 
les  Athéniens  furent  obligés  de  recevoir  dans 
Munychia  une  garnison  macédonienne ,  qui 
étoit  commandée  parMényllus,  très-honuctel 
homme,  et  ami  de  Phocion.  Mais  cette  conJ 
ditîon  fut  trouvée  très-dure  et  très-superbe  , 
et  on  la  regarda  plutôt  comme  une  vanitij 
d*un  homme  qui  veut  abuser  de  son  pouvoir 

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FHOCIOK*  5ï 

avec  insolence ,  que  cpmme  une  sage  pré  • 
câttûon  prise  pour  sa  sûreté  et  pour  le  bien  de 
ses  afiaires  ^^. 

La  ooojoncture  du  temps  n'ajouta  pas  peu 
a  la  douleur  qu'en  ressentirent  les  Âtnénieos. 
Car  cette  garnison  entra  dans  Munychia,  le 
Tingtième  du  mois  d'octobre,  pendant  ia  fête 
des  grands  roystëres,  et  le  jour  que  l'on  con- 
duit en  pompe  le  dien  lacchus  d'Athènes  ^ 
Eleu^ne.  De  sorte  que  la  cérémonie  se  trou* 
Tant  troublée ,  la  plupart  se  mirent  k  compa- 
reries  fêtes  des  anciens  temps  avec  cellesqu^ils 
voy  oient  alors  :  «  Autrefois,  disoient-ils,  pen» 
«  dant  nos  grandes  prospérités,  les  Dieux  se 
«(  sont  souvent  manifestés  par  des  vision» 
«  mystiques  ,  et  par  des  voix  qu'ils  ont  fait 
«  entenure ,  et  qui  frappoient  de  terreur  nos 
«c  ennemis..  Bt  aujourd'hui  a  la  même  solen- 
c(  nité  les  Dieux  voient  tranquillement  le  plus 
4(  grand  des  malheurs  qui  pouvoient  arriver 
«  k  la  Grèce  ;  ils  voient  le  plus  saint  de  tous 
4(  les  jours  de  l'année  ,  et  celui  qui  nous  est 
«  le  plus  agréable  ,  souillé  et  marqué  par  la 
«  plus  affreuse  de  toutes  les  calamités,  qui  lui 
«  donnera  même  son,  nom  jusqu'k  la  fin  des 
n  siècles  n  • 

Quelque  temps  auparavant ,  on  avoit  ap-- 
porté  de  Dodone  a  Athènes  un  oracle  qui  or- 
éonn^it  aux  Athénien»  de  bien  garder  le» 

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62  PHOCION. 

promontoîrcs  3e  Diane  ^^,  pour  empêcher  les 
étrangers  de  s'eii  emparer ,  et  dans  ces  jours- 
la  y  les.bandelettes  sacrées  dont  on  entoure  les 
berceaux  mystiques  d'Iacchus ,  ayant  été 
mises  dans  Peau  pour  y  être  lavées  ^  en  rap^ 
portèrent  une  couleur  jaunâtre  et  pâle  comme 
celle  d^uM  mort ,  au  lieu  de  cette  vive  cou- 
leur de  pourpre  qu'elles  avoient  auparavant; 
et  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  singuBf  r  et  de 
plus  remarquable ,  les  linges  des  particuliers 
qu'on  lavoit  dans  la  même  eau ,  retenoient 
tout  l'éclat  de  leur  couleur  naturelle.  Ek 
"comme  un  des  initiés  aux  petits  mystères  la^ 
voit  un  pourceau  dans  un  endroit  du  port  où 
Teau  étoit  pure  et  nette  ^^ ,  un  monstrueux 
poisson  vint  le  saisir  et  en  dévora  tout  le  der- 
rière jusqu'au  ventre ,  le  Dieu  les  avertissant 
par  Ik  d'une  manière  trës-sensible  qu'ils  se-- 
roient  privés  des  parties  basses  de  leur  ville  ^ 
de  celles  qui  touchoient  k  la  mer  ^  mais  qu'ils 
en  conserveroient  les  parties  hautes. 

Cette  garnison  commandée  par  Ményllus 
ne  fit  aucun  mal  aux  habitants;  maisily  en  eut 
plus  de  douze  mille  qui^k  cause  de  leur  paît- 
vreté,  fîurent  exclus  du  gouvernement  par  un 
desarticlesdutraité.Une  partie  de  ces  malheu- 
reux  demeura  dans  Athènes  où  elle  faisoit  tous 
les  jours  ses  plaintes  de  l'injustice  qu'elle  souP> 
froit  ^et  les  autres  abandonnèrent  la  ville,  et 

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PHOCION.  55 

se  relirèrent  en  Thrace  où  Antipater  leur  as- 
signa une  rillcet  des  terres  pour  leur  habita- 
tion ,  et  ils  ressenibloient  parfaitement  k  des 
gens  qui  auroient  été  forcé  daos  leur  ville  et 
tiansportës  dans  un  pays  ennemi. 

La  mort  deDëmosthëne,  dans  l^ile  de  Ca* 
lanrie  (a),  et  celle  d*Hyperide  k  Cléones(i), 
confine  nous  Parons  écnt  ailleurs ,  firent  ai- 
mer et  regretter  aux  Athéniens  les  règnes 
d'Alexandre  et  de  Philippe.  Et  il  leur  aiTÎva 
justement  ce  qui  arriva  ensuite  après  la  mort 
d'Antigonus;  car  ceux  qui  l'a  voient  défait  et 
tiié  ,  et  qui  lui  snocédèrait,  traitèrent  si  ru- 
dement knrssujets ,  qti'un  paysan  de  la  Phry-* 
gie  s'étant  mis  k  fouir  la  terre,  et  quelqu'un 
lui  ayant  demandé  ce  qu'il  cherchoit  :  Hélas  , 
dit-il ,  en  jetant  un  profond  soupir  ,7e  cher^ 
che  jintigonuê  !  C  est  ce  que  disoient  aussi 
tous  ceux  qui  se  reçsouveiioient  de  la  magna- 
nimité y  de  la  générosité  et  de  la  clémence 
que  ces  deux  princes  conservoient  dans  leur 
courroux ,  toujours  prêts  k  pardonner,  b  re- 
mettre les  oflfenses ,  et  k  relever  leurs  enne- 
mis, au  lieu  qu'Antipater ,  sous  le 'masque 
d'un  homme  privé  ,  sous  un  vil  manteau  et 
sous  les  appar^Qces  d'une  vie  simple  et  fru-* 

{a)  A  V  eztrémiL&  du  golfe  Argolique  et  du  golf«L 
Saroniqae.  ^.L  D, 

{b)  Cléooes,  Tilie  do  rArj;oUd«.  A.  L,D» 

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54  JPHOCION. 

gale  y  âîssîmulàat  sa  puissance ,  se  montroft 
en  effet  un  maître  très-cruel  et  un  tyran  très- 
insupportable  k  tous  ceux  que  la  fortune  lui 
avoit  assujettis.  Cependant,  malgré  toute  sa 
cruauté ,  jPhocion  ne  laissa  pas  d'obtenir  de 
lui  par  ses  prières  le  rappel  de  plusieurs  ban- 
nis ;  et  k  l'égard  de  ceux  qu'il  ne  put  faire  re- 
venir ,  il  leur  procura  des  lieux  plus  commo- 
des et  moins  éloignés  5  car  il  empêcha  qu'ils 
ne  fussent  relégués  comme  les  autres  au-delk 
des  monts  Cérauniens  et  du  promontoire  de 
Ténare  ,  privés  du  doux  séjour  de  la  Grèce  ; 
ils  eurent  la  liberté  de  demeurer  dans  le  Pé- 
loponèse  :  de  ce  nombre  fut  Agnonidès,  sy- 
oophante  de  profession. 

Du  reste,  Antipater  (a)  gouverna  avee 
beaucoup  de  justice  et  de  douceur  ceux  qui 
restèrent  dans  Athènes ,  pourvut  des  pre- 
mières charges  et  desprincipaux  emplois  ceux 
qui  lui  parurent  les  plus  honnêtes  gens;  mais 
^ux  qu^il  çonnoissoit  remuants ,  séditieux  et 
curieux  de  nouveautés,  il  les  tenoit  éloignés 
de  toute  magistrature;  et  les  laissant  ainsi  sé^ 
cher  et  flétrir  par  cette  oisiveté  qui  les  met- 
toit  hors  d'état  de  pouvoir  exciter  des  trou* 

(a)  Il  me  semble  que  M.  Dacier  s^est  trompé ,  et 


3a^au  lieu  d'Antipatery  il  deYoit  mettre  PbocioB , 
Mit  il  est  question  dans  la  phrase  précédente.  11  n^^sc 
pas  probable  cpi' Antipater  soit  resté  à  AthèaeSi  puis« 
j^vi'ity  aroit  lais»^  JtfenyUus.  ji.  L,  J>. 

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^HOcioir«  55 

bles,  Il  leur  enseigiioit  k  aimer  la  campagne, 
et  h  prendre  plaisir  ^  cultiver  les  terres.  Kt 
voyant  Xënocrate  payer  h  la  ville  le  tribut 
que  loi  dévoient  les  étrangers  qui  étoient  ve- 
nus s'y  établir  ,  il  voulut  lui  donner  le  droit 
deboui^eoisie;  maisXénocrate  le  refusa,  di^ 
sant,  «  qu'il  n'auroit  jamais  de  part  k  un  gou- 
«  veraement  qu^il  avoit  toujours  désapprou- 
«  vé,  surtout  ayant  été  envoyé  ambassadeur 
«  auprès  d'Antipater  pour  s'y  opposer  ^^  ». 

Ményllus  envoya,  un  jour,  en  présent  a 
Phocion  une  somme  d'argent  considérable  ; 
mais  Phocion  fit  réponse ,  «  Que  ni  Ményl- 
<(  lus  n^étoit  plus  grand  seigneur  qu' Alexan- 
«  dre,  ni  lui  Phocion  n'avoît  alors  un  pré- 
«  texte  plus  spécieux  de  recevoir  son  pr&ent^ 
«  que  celui  qu'il  avoit  quand  il  refusa  le  don 
«  de  ce  roi  ».  Ményllus  l'ayant  prié  de  le  re- 
cevoir au  moins  pour  Phocus  son  fils  :  «  Si 
«  Phocus,  dit  Phocion,  change  de  manière  de 
«  vivre ,  et  qu'il  veuille  être  sage ,  le  bien  de 
«  son  père  lui  suffira  j  au  lieu  que  ^  s'il  conti- 
«  nue  d'être  ce  qu'il  est,  il  n'auroit  pas  assez 
«  de  toutes  les  richesses  du  monde  ».  Il  ré^ 
pondit  encore  plus  sèchement  k  AAipaterqui 
exigeoit  de  hu  quelque  chose  qui  n'étoit  ci 
honnête  ni  juste:  «  11  n'est  pas  possible,  lui 
m  dit-il ,  que  je  sois  en  même  temps  et  votre 
a  anû  et  votre  flatteur  »  y  et  Antipatei^  lui-* 

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56  rHocioîC. 

même  disoît  loujours ,  «  que  de  deux  amis 
«  qu'il  avoit  k  Athènes ,  Phocion  et  Dema- 
«  dès  j  il  n'avoit  jaroais  pu  ni  obliger  l'un  a 
«  rien  recevoir ,  ni  assouvir  i'avidité  de  Faù- 
c(  rre  ».  Aussi  Phocion  montroit-il ,  comme 
une  grande  preuve  de  sa  vertu  ^  la  pauvreté 
où  il  avoit  vieilli ,  après  avoir  été  tant  de  fois 
et  pendant  tant  d'années  capitaine -général 
desAthénre&s,  et  avœr  eu  les  phis grands  rois 

Sour  amis.  Aulien  qncDemadès  faboit  parade 
e  ses  richesses  dans  les  choses  mêmes  qui 
étoient  défendues  pat  les  Icms,  Car  il  y  avoit 
alors  k  Athènes  une  kri  qui  portoit ,  qu'aucun 
étranger  ne  seroit  reçu  dans  les  chœurs  de 
danse  et  de  musique  que  l'on  donaeroit  au 
peuple,  k  moins  que  tém  qui  fiiisoit  la  dé- 
pense des  cbœurs  ne  payât  une  amende  de 
milbe  drachmes,  (a).  Malgré  cette  défense , 
Demadès ,  donnant  un  jour  des  jeux  k^ses  d.ë> 
pens ,  introduisit  tout  d'un  coup  des  chœurs 
composés  de  cent  danseurs  étrangers,  et  en 
même  temps  il  apporta  au  théâtre  l'aident 
pour  payer  toutes  ces  amendes  k  mille  drach- 
mes par  tête.  Une  autre  fois  ,  en  mariant  son 
fils  DemAs,  il  lui  dit  :  «  Mon  fils,  quand  i'é  - 
«  pousai  ta  mère,  tont  se  passa  si  paisible^ 
«  ment,  que  noire  plus  proche  voisin  n^en 
tt  entendît  rien  **  ;  «tu  lieu  qu'aujourd'hiiî 
(a)  EaTiron  9Sg  fr.  d«  n^tra  mooQOÛ»*  A*  L»  2>. 

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PHOCION.  57 

«  les  princes  et  les  rois  contribuent  aux  frais 
«  de  tes  noces  » . 

Les  Athéniens  imporlunoient  tous  les  jours 
Phocion  )  pour  le  prier  d'aller  2i  la  cour  a'Au- 
tipater,  et  de  tâener  d'obtenir  qiul  ôtât  la 
garnison  de  leur  ville^MaisPfaocion  éludoit 
toujours  cette  ambassade ,  soit  qu'il  déses-r 
pérât  de  le  persuader  ,  ou  plutôt  qu'il  vit  qi^ 
Je  peuple  étoit  plus  sage  et  plus  facile  k  gou- 
verner ,  tenu  eu  bride  par  la  crainte  que  cette 
garnison  lui  inspiroit»  La  seule  cbose  qu'il  de* 
mandat  Ântipateret  qu'il  obtint,  c'est  qu'il 
n'exigeât  pas  si  promptement  les  sommes  que 
la  ville  lui  devoit  payer,  et  qu'il  lui  donnât 
quelque 'délai.  Les  Athéniens,  voyant  dQO^ 
que  Phocion  ne  voulolt  pas  de  cette  ambas  < 
sade,  s'adressèrent  11  Deiuadès  qui  s'en  char- 
gea volontiers,  et  pa):tit  aussitôt  avec  son  fils 
pour  la  Macédoine,  ou  l'on  peut  dire  que  son 
mauvais  destin  le  condui^t.  Il  y  arriva  dans 
le  moment  qu'Antipater  étoit  attaqué  d'une 
maladie  dont  il  mouriU,  et  que  sen  fils  Ca$- 
sandre,  maître  absolu  dé  toutes  les  afiaires , 
venoit  d'intercepter  ulie  kUre  que  ce  même 
Demadès écrivok  k  Antigonusen  Asie, pour 
le  presser V  de  venir  prompleinent  se  rendse 
maitre  de  la  Grèce  et  de  la  Macédoine,  «  qui 
a  ne  tenoient  plus,  disoit-il,  qu'k  un  fil ,  et 
«  encore  k  un  fil  vieux  et  pourri  »  y  voulant 

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68  PHOCION. 

par  Ta  se  moquer  d'Aiitipater.  Dès  qiie  Cas- 
sandre  les  vit  arriver  k  sa  cour ,  il  les  fit  ar- 
rêter l'un  et  l'autre  ;  et  prenant  d'abord  le  fils, 
il  regorgea  sous  les  yeux  de  son  père ,  et  si 

Eres  de  lui ,  que  le  sang  jaillit  partout  sur  ses 
abits,  etqa^il  en  fut  tout  ensanglante.  En- 
suite 5  après  lui  avoir  reproché  son  ingratitude 
et  sa  perfidie ,  et  Favoîr  accablé  d'injures ,  il 
le  tua  aussi  lui-même  sur  le  corps  de  son 
fils. 

Antîpater  avant  de  mourir ,  avoit  nommé 
Polyperchon  ^s  général  de  son  armée ,  et  soa 
fils  Cassandre  capitaine  de  mille  hommes  ; 
mais  k  peine  fut- il  mort  que  Cassandre  ,  peu 
content  de  ce  partage ,  s'empara  d'abord  des 
affaires  ;  et  sans  perdre  un  moment ,  envoya 
Nicanor  succéder  k  Méoyllns  dans  l'emploi 
de  capitaine  de  la  garnison  d'Athènes,  avant 
que  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  père  fut 
connue,  et  lui  ordonna  de  se 'rendre  maître 
de  la  forteresse  de  Munychîa.  Cela  fut  exé-^ 
cuté }  et  peu  de  jour&  éprès ,  les  Athéniens  ap- 

S rirent  la  mon  d'Aotipater.  Ils  accusèrent 
'abord  Phocion  de  l'avoir  sue  et  de  l'avoir 
cachée  en  faveur  de  Nicanor,  ce  qui  fit  cou- 
rir contre  lui  de»  bruits  très-désavantageux; 
mais  Phocion  ne  s'en  rait-nullement  en  peine, 
au  contraire,  il  eut  de  fréaujerites  entrevues 
«vec  lificaaor  ^  et  par  les  eotreti^g  qu'il  eut 

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PHOCION.  5) 

»vec  lui.,  il  le  rendit  non  seulement  très^ 
doux  et  très- bienveillant  pour  les  Athéniens  , 
mais  encore  il  lui  inspira  rambition  de  se  dis* 
tinguer  par  sa  magnificence  y  et  de  donuei^ 
des  jeux  au  peuple. 

Sur  ces  entrefaites,  Polyperchon  ,  kqui  le 
soin  de  la  personne  du  roi  [a)  avoit  été  con- 
fié, voulant  surprendre  Cassaudre  ,  envoya 
aux  Athéniens  des  lettres  qui  portoient,  «  qud 
a  le  roi  leur  rendoit  leur  démocratie  et  leur 
«  ancien  gouvernement  »  ,  par  lequel  tous 
les  Athéniens  sans  distinction  étoient  admis 
aux  diarges  4^"*.  C'étoit  un  piège  quMl  tendoit 
a[Phocion;  car  voulant  se  rendre  maître  de 
la  ville  d^Athèncs ,  comme  cela  parut  bien- 
tôt après  par  sa  conduite,  il  n'espéra  pas  de 
pouvoir  en  venirà  bout,  s'il  ne  trouv oit  moyen 
die  faire  chasser  Phocion.  Or  il  ne  doutoit  pas 
qu'il  ne  fut  cha^é  dès  que  ceux  qu'il  avoit 
exclus  du  gouvernement  seroient  rétablis  dans 
leurs  anciens  droits,  et  que  les  orateurs  et  les 
sycophant^  seroient  redevenus  maîtres  dans 
les  tribunjaux^ 

La  lecture  de  cette  lettre  ayant  excite 
du  niouvement  parmi  les  Athéniens  ,  et 
Nieanor  voulant  leur  parler  au  Pirée  4* ,  le 
peuple,  ^y  a5sembla  ^   et  Nieanor  parut  y 

(d)  Le  soin  du  fils  d* Alexandre,  ^ui  étoit  encore 

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6o  PHOCIOK. 

ayant  confié  sa  personne  k  Phocîon.»  Dercyl- 
lus,  qiù  comraaudoit  pour  le  roi.  datts  le 
pays,  se  mit  en  devoir  de  Palier  prendre 
dans  le  Pirée }  mais  Nicanor ,  qui  en  fut  aver- 
ti, se  sauva  avant  qu'il  pût  arriver,  et  fit 
assez  connoître  qu'il  se  vengermt  de  cette  tra- 
hison sur  la  ville.  D'abord  Phocion  fut  ac- 
cusé de  ne  l'avoir  pas  retenu  comme  il  le 
pouvoir,  et  de  Favoîr  laissé  échapper.  Il  ré- 
pondit ,  «  qu'il  se  fioit  aux  promesses  de  Ni— 
«  canor  ,  et  qu'on  ne  de  voit  riem  craindre  de 
«  sa  part;  mais  que  quand  même  Nicanor  au- 
«  roît  de  mauvais  desseins ,  il  aimoit  beau- 
«  coup  mieux  être  surpris  souffrant  l'injus- 
«  tîce ,  que  la  commettant  ». 
^  Cette  réponse ,  k  qui  l'examinera  par  rap— 

Sort  k  lui  seul ,  parokra  certainement  partir 
'un  grand  fond  de  magnanimité  y  de  vertu, 
et  de  justice  ;  mais  quand  on  pensera  qu'il 
Toyoit  en  danger  le  salut  de  sa  patrie ,  et  qui 
plus  est,  de  sa  patrie  dont  il  étoit  le  général 
et  le  premier  ma^strat ,  je  ne  sais  si  on  ne 
trouvera  pas  qu'il  vîoloit  un  droit  beaucoup 
plus  grand  et  une  foi  plus  ancienne  et  d'une 
obligation  sans  contredit  plus  respectable  et 
plus  forte ,  en  négligeant  le  soin  qu'il  devoît 
avoir  de  ses  concitoyens.  Car  on  ne  s^aujfoit 
i^Uéguer  poiu*  sa  défense  qu'il  ne  voulut  pas 
mettre  la  main  sur  Nicanor,  de  peur  de  jeter 

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pmôcion;  6i 

sa  vfllc  dans  une  guerTc  ioévitable.  Ou  peut 
dire  tout  au  plus  qu^il  vouloit  se  mettre  en 
droit  de  faire  valoir  la  foi-  et  la  justice  qu'il 
loi  avoit  g^irdées ,  afin  que  Nicanor  k  son 
tour ,  touche  de  r^ect  pour  lui  et  pour  les 
cMîgations  essentielles  qu'îi  lui  avoit  y  se  t)nt 
en  paix  et  ne  fit  aucun  mal  aux  Athéniens; 
Mais  la  vérité  est  qu'il  avoit  une  entière  coin 
fiance  en  Nicanor ,  et  ce  ftit  ce  qui  Tabiisa  ; 
car  on  eut  beau  le  lui  déférer  et  Facci«ser  au-* 
près  de  lui  comme  un  homme  qui  tendoit  dea 
embûches  pour  s'emparer  du  Pirëe,  qui ,  pout 
cet  effet ,  fkisoit  passer  seôrètement  h  Sala-* 
mine  des  troupes  étrangères^  et  qoî^  par  ses 

Citiques,  tâohc^  de  oorromprq  et  de  gagner 
principaux  habitants  du  Pirëe  même  y  ilf 
ne  Tonlut  jamais  croira  ces  rapports' ,  ni  \m^ 
écouter.  Il  fit  plus  emote  :  Philomédès ,  du 
boifrg  A  Lampra  (d),  ayant  fait  im  décret 
qui  ordôniiditb  toûstes  Ârhéâietos  de  prendre 
lesarrrtés,  et  tfobéfr  aux  ordres  de  Phocioa 
leur  r  général ,  (1  Hé^H^eà  P^xéiiUtlon'  de  oe 
décret^  jusqM^k  ce  que  tWcanbr ,  sorti  de  Itf 
forteresse  âeMany<jhla  aVet  des*tr6upés^  eut 
f  nviBoimé  de  tranohéesle  port  du  Pirée*  Alors 
Phocion  vouloit  mener  coptre  lui  les  Athé- 

'  (tf)  Il  y  «voit  4am  bourgs  de  «is  nom  dans  rAtti^ 

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6»  rHOCïa». 

niens  ^  mais  îMes  trouva  si  mutind&'cpt'il  n# 

put  se  faire  obéir.  j:?.  ; 

'  Dans  cemoibent  arriva  WtKBndte ,  fils  de 
Polyperchon,  qui  veaoit  aveè'une  grosse  ar- 
mée ,  sans  pre'texte  de  secourir  là  ville  contre 
Nicanor  ;  mais  en  effet  pour  tacher  de  s'ea 
emparer  Itii^même  y  s'il  lui  étoit  possible ,  ea 
profirant  de  la  division  où  elle  ëtolt.  Cariés 
DaDnis  qui  l'avoieot  suivi ,  y  eatrerent  d'abord; 
et  lousies  étrangers  ,Ja  plus  grande  partie  de 
la  popàlaee  9  et  touaJes  hommes  peidiis  ou 
tuiremeat  noiés  dlnfaraie  ,  se  rendireut  au- 
près d'eux  j  de  ^rte  qu'il  y  «ut  une  assem- 
blée confuse  de  gens  ramassés  et  sans  aucim 
ofdre  ni  âiaoiplii>e^  dans  la(|aelle  ils  déposer 
rem  Pliooioû  et  nomtoereiit 'd'ai*tres  gêné- 
raiixi:.Si  l'on  n'eut  vu  Alexandre,  s'abaitcher 
se^ul  avec  Nicàn^r  au  piisd  de  la  mi^^îiille ,  et 
que  leurs.-fréqUefits  rendez-vous  dans  le  même 
lieu  fi'eusisent  domië  du.  soupçon  ^u^^  Athé- 
niens, jan^ais  la  .viUe..n''auroit  échappa  a  ce 
graaddauger«  Mais  Pointeur  Agnonidè^ ,  s'é- 
|lin*:d!abord  a^acM  a  Phocion ,  et  l'ayant 
ncaq^é  de.trahi^n,  CaUimedon  et  Péri— 
clè$'(a)9.iqai  craigncôeat  le  même  sort ,  pri-» 

(a)  Oq  a  proposa  de  meUre  an  liea  dn  nom  de  P^ 
rtclés,  c«sJui  de  Ohariclès,  goitre  d^  Phociioiiy  doQk 
il  fiera  ijuestioa  plus  bas.  A,  L,  D,  ... 

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PHOCION.  65 

te&t  promptement  le  p^rti  de  sortir  de  la  ville, 
et  Phocian  y  avec  tous  ses  autres  amis,  qui 
étoiaii  restes-)  se  retira  vers  Polypfirchon» 
iklkm  de  Platée  et  Dioarque  de  Corîutbe, 
pour  lulifeire  plaisir,  voulurent  raccompa- 
gflier,  car  ik  se  vaatoieot  d'avoir  avec  ro- 
lypercbon  une  grande  liaison  d'amitié  et  de 
Éimiliaritë.  Mais  Dioarque  étant  tombé  ma- 
kde  en  chemin,  ils  furent  obligés  de  s'arrêter 
plusieurs  jours  à  E^tée  (a),  pendautlesquels 
A^oiiidès,sur  le  décret  que  proposa  Arches^ 
tratus,  persuada  au  peuple  d'envoyer  desam-< 
baasadeurs  k  Polyperchon ,  pour  accuser  Pho- 
cioo  dWoir  voulu  livrersa  ville. 

-  Le^  deux  parties  arrivèrent  en  même 
temps  auprès  de  Polyperchon  comme  il  tra-* 
versoit  av^  k  roi  4»  un  bourg  de  la  Phocide, 
nommé  Pbarugès ,  qui  est  au  pied  du  mont 
Acrorton,  qu'on  appelle  aujourd'hui  Galàte* 
Là  Polypprchpn  fit  tendre  un  d%is  d'or  sous 
lequel  il  fit  asseoir  le  roi ,  plaça  k  ses  côtés 
les  pr jn^ipimx  de  ses  amis  'Ct  de  ses  servi- 
teurs ;  et  avant  tout,  il  ordonna  qu'on  se  sai-^ 
sît  jfc  Dînarque^  qu'on  lui  donnât  la  torturç 
devant  tout  le  monde ,  et  qu'ensuite  on  le  Ht 
mourir. 

Alors  il  donna  aux  Athéniens  la  permission 
déparier;  mais  comme  ils  faisoient  beaucoup 

{a)  YilU  de  k  Phoci4e.. 

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64  PHOCION. 

de  tumulte  et  debniit,  en  s'accusaift  les  tms 
les  autres  devant  le  roi  et  son  conseil ,  Agno^ 
nidès ,  ^e  thrant  hors  de  la  fotile  ^  s'avança  et 
dit:  K  Seigneurs  Macédoniens,  faites -ntniâ 
remettre  tous  dans  une  cage,  et  renvoyer- 
«  nous  aux  Athéniens,  afin  quederanteiss: 
«  nous  rendions  compte  de  nôtre  Conduite  ». 
Le  roi  se  mît  k  rire  de  cette  proposition'; m^^s 
les  Macédoniens  qui  étoient  présents  k  cette 
assemblée,  et  les  étrangers  que  la  curiosité  y 
âvoît  attirés,  souhaitoient  fort  d'entendre 
plaider  cette  cause ,  et  faîsdiéiit  sigiïe  aux  am- 
Dassadenra  de  déduire  tout  de  suite  leurs  chefa 
d'accusation ,  sans  se  faire  renvoyer  defUnt 
h  pettple.  La  balance  ne  fut  pas  tenue  t)iea 
égale  entre  les  deux  parties;  carPotyperchott 
interrompit  souvent  Phocion  ;  et  ei^fin,  trans- 
porté de  colère,  et  frappant  la  terre  de  son 
bâton  ,  il  lui  commanda  de  de  tiire  et  >de  se 
retirer.  Comme  il  s*en  alloît ,  Hégemon  éleva, 
la  voix,  et  dît ,  «  que  Polyperchon  lui-m^e 
ii  étoit  témoin  de  Taffection  qti'ft-  avoî«  toru- 
<(  jours  eue  pour  le  peu{de  ».  Polypercbon , 
irrité  de  ce  mot  qui  le  rendôit  Suspeèf -,  fui 
répondit  :  «  Ne  viens  point  porter  ici  au  roi 
9  un  faux  témoignage  contre  moi  **  »•  Al<>vs 
!e  roi ,  se  levant  de  son  sîége  ,  s'avança  pour 
|)ercer  Hégemon  de  sa  lance;  nfaîs  Polyper»- 
>.€lioQ,  se  jetant  an-dev^utet  k  i^isissant  a^ 

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FHOCION.  65 

corps  y  l'en  empêcha ,  et  rassemblée  fut  rom- 
pue. Aussitôt  les  gardes  environnèrent  Pbo- 
cîon  et  ses  amis  aui  ëtoient  auprès  de  lui.  Les 
autres ,  qui  étoient  plus  loin ,  témoins  àm 
cette  yiolence,  se  couvrirent  le  visage  de  leurs 
manteaux  ^  et  se  sauvèrent  par  la  fuite.  Mais 
les  premiers  furent  conduits  par  Clitus  k 
Athènes,  en  af^arence  pour  y  être  jugés ^ 
mais  en  etkt  pour  y  être  mis  k  mort^  comme 
déjk  condamnés.  Là  manière  dont  on  les  traita 
ajoute  encore  a  la  rigneur  et  k  la  honte  de  ce 
traitement;  car  on  les  ccmduisit  dans  des 
charrettes  le  long  du  Céramique  jusqu'au 
théâtre ,  où  Clitus  les  tint  jusqu  k  ce  que  les 
archontes  eusseût  fait  assembler  le  peuple.  Ofl 
n'exclut  de  cette  assemblée  si  esclave ,  ni 
étranger ,  ni  homme  noté  d'ii&inie  ;  le  tri- 
bunal et  le  théâtre  fiirent  ouverts  k  toutes 
sortes  de  genS)  de  tout  sexe  et  de  toute  condi^ 
tion. 

D'abord  on  lit  publiquemeat  les  lettres  du 
roi,  qui  marquoient ,  «  qu'il  avôit  trouvé  ces 
4(  gens  convaincus  de  trahison;  mais  qu'il  leur 
«  en'  renvoyoit  le  jugement^  comme  k  des 
«  hommes  libres,  et  qui  avoient leurs  privilé^ 
«  ges  et  leurs  lois  ».  En  même  temfys  Clitus 
jH-^ente  ces  prisonniers  au  peuple,  A  l'aspect 
de  Phocion,  les  plus  honnêtes  citoyens  bais^ 
sant  les  yeia ,  et  se  couvrant  la  tète  ^  versè- 

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66  PHOCioîî. 

reot  des  larmes;  et  il  y  cq  eut  un  qui  eut  le 
coiuage  de  dire  tout  haut,  «  que  puisque  le 
«  roi  laissoit  au  peuple  le  jugemeatd'uae  af- 
«  faire  de  telle  coDséqueuce ,  il  ëtoit  bmi  de 
«  faire  sortir  de  Fassemblée  les  esclaves  et 
c(  les  étrangers  ».  Mais  la  populace  s'y  opposa, 
et  se  mit  k  crier  qu'il  falloit  plutôt  lapider  ces 
partisans  de  roligarchie ,  ces  ennemis  du 
peuple.  Il  n'y  eut  donc  plus  personne  qui  osât 
parler  pour  Phocion.  Niais  lui*- même  ayant 
enfin  obtenu  audience  quoiqu'avec  beaucoup 
de  difficulté  ^  il  dit  :  «  Athéniens,  comuient 
«voulez -vous  nous  faire  mourir? Est -t ce 
M<  justement  ou  injustement  »  ?  Quelques-uns 
ayant  répondu  ,  «  justement  :  Eh  !  repartit 
i«  Phocion ,  comment  pourrez-^ vous  assurer 
«  que  c'est  justement,  si  vous  ne  daignez  pas 
H  nous  entendre)»  ?  Voyant  qu'ils  si'enétcnent 
pas  plus  disposés  k  les  iécouter ,  il  s'avança  et 
ajouta  :  «  Pour  moi ,  je  confesse  que  je  vous 
«  ai  &itde  grandes  injustices ,  et  je  me  con- 
«  damne  moi-même  a  la  mort  ^  pour  toutes 
^Y' les  fautes  que  j'ai  commises  dans  le  gouver- 
ii  nement  ;  mais  pour  ceuxHÛ  ,  Athéuieos , 
<i  pourquoi  les  ferez-vous  mourir,  puisqu'ils 
.«  ne  vous  ont.  jamais  fait  aucun  tort ,  et  qu'ils 
«  ne  sont  point  coupables  »?  Le  peuple  se 
«ait  h  crier,  «  c'est  parce  qu'Us  soQt  te&amfs  »  ^ 
AcQ3motSy  Phocion  se  retira saps  répU^ 

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l»fiocioN.  G'^ 

qtier,  et  se  tint  en  repos  en  attendant  ce  qni 
alloit  être  ordonné.  Alors  Agnonidès  lut  le 
décret  qu'il  avoit  prépairë ,  et  qui  ordonnoit 
«  que  le  peuple  donneroit  ses  sufirages  ,  et 
<(  jugerôit ,  a  la  pluralité  des  voiï ,  si  les  pri- 
«  sonniers  étoient  coupables ,  et  que  s'ils 
«  étoient  jugés  tels,  on  les  feroit  tous  mourir 
«  sans  différer».  Ce  décret  étant  lu ,  ily  en-eut 

Ïiii  demandèrent  qu'on  ajoutât  au  décret  que 
hocion  seroit  appliqué  a  la  torture  avant 
que  d'être  mis  à  mort ,  et  qui  ordonnèrent 
qu'on  d{^ortât  la  roue,  et  qu'on  fît  yenir  les 
exécuteurs.  Mais  Agnonides ,  voyant  que 
CHtus  même  étoit  indigné  de  cette  rigueur , 
et  jugeant  lui-même  que  c'étoit  une  cruauté 
barbare  et  détestable,  dit  tout  haut  :  «  Athé* 
«  nieûs,  quand  nous  aurons  entre  nos  mains 
«  un  scélérat  comme  Callimedon,  nous  l'ap- 
«  piiquerons  k  la  torture  ;  mais  |e  n'ai  garde 
«  d'ordonner  une  telle  chose  contre Phocion  ». 
Alors  un  homme  de  bien  élevant  la  voix,  ré- 
pondit :  <(  Tti  fais  fort  bien ,  Agnonides  5  car 
«  si  nous  donnons  la  torture  li  Phocion  ^  que 
«te  ferons -nous  donc))?  Le  décret  étant 
confirmé ,  et  le  jugenient  admis  h  la  plu*, 
ralité  des  voix ,  il  n'y  eut  personne  qm 
demeurât  assis;  ils  se  levèrent  tous,  et 
la  plupart  se  coiuonnèrent  de  fleurs.  Tous 
les  sitÊ'ag^  furent  a  la  mçrt.  Avec  Phocioa 

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8  PHOCION. 

ëtoîent  Nicoclès ,  Thudippe  ,  Hégemon  et 
Pythoclès.  Mais  Déiiiétriiis  de  Rhalère ,  Cal- 
liiuedoD  ,  Cfaariclès  el  quelqiie3  autres,  quoi* 
que  abseuts ,  furent  aussi  condamnés. 

L'assemblée  ainsi  finie ,  ils  forent  menés 
dans  la  prison.  Les  compagnons  de  Phocion , 
«tteildris  par  tes  lauientatioiis  de  leurs  parents 
et  de  leurs  amis ,  qui  venoient  les  embrasser 
dans  les^ rues  9  el  leur  dire  les  derniers  adieux , 
inarchoient  en  pleurant  et  en  déplorant  leur 
nialheiureuse  destinée  ;  mais  Phocion  avoit  le 
même  visetge  et  la  même  contenance  y  que 
lorsqu'il  sortoit  de  l'assemblée  pour  aller 
commander  l'armée ,  et  que  les  Athéniens 
l'accompagnoient  chez  lui  pour  liii  faire  hon- 
neur. Ceux  ({ui  le  voyoïent  ne  pouvoient 
s'empêcher  d'admirer  cette  fenneté  et  cette 
grandeur  d'àme  qui  le  rendoient  insensible 
aux  accideotts  de  la  fi^rtuoe  ;  mais  plusieurs 
de  ses  ennemis  le  suivoient  en  le  chargeant 
d'injwres.  Et  il  y  en  eut  un  qui ,  plus  inso- 
lent que  les  autres ,  Vint  hii  cracher  au  visage. 
Phocion  ne  fit  que  se  tourner  vers  les  magis- 
trats, et  leur  dit  :  <(  Quelqu'un  ne  vent -il 
a  point  empêcher  cet  homme  de  conunettre 
«  lies  choses  si  indignes  et  si  messéantes»  ? 

Quand  ils  furettt  arrivés  dans  la  prison , 
Thudippe ,  voyant  la  ciguë  que  l'on  broyoît, 
se  désespéroit  et  pleiuroit  son  infortune  y  din 

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PHOCrON.  «9 

saot  que  c'ëtoit  b  tort  qu'on  le  faisoit  mourir 
avec  Phocion  :  «  Hé  quoi ,  lui  dit  ce  deniier^ 
«  n'est-ce  pas  une  grande  consolation  pour 
«  un  homme  comme  toi  de  mourir  avec  Pho- 
«  ciob  »  7  Qudqu'nn  de  ses  amis  lui  ayant 
demandé  s'il  avoit  quelque  chose  à  faire  dire 
Il  son  fils  :  «  Oui  certainement ,  dit -il ,  j'ai 
«  ouelque  chose  d'important  à  lui  recomman- 
de der ,  c'est  qu'A  ne  cherche  jamais  a  se  ven* 
<i  ger  des  Athéniens,  et  qu'il  perde  le  souve- 
«  iiir  ck  leur  injustice  ».  Et  comme  ISipodès, 
qui  étpit  le  meilleur  et  le  plus  fidèle  de  ses 
ami»,  lui  demandoit  en  grâce  qu'il  tni  pefrmit 
de  boire  le  poison  avant  lui  :  «  Ah  !  Nîcoc]ës> 
u  tki  répondit  Hiod^»! ,  tu  me  fais  Ik  titi't 
^  demande  bien  dure  et  bien  triste  pour  moi^ 
«  mais  puisque  je  ne  t'ai  jamais  rten  refusé 
(f  pendit  ma  \ie ,  je  l'accorde  encore  ce 
«  derater  plaisir  avant  ina  mort  ». 

Quand  ton®  les  autres  eurest  bu ,  il  se 
trouva  que  le  noison  vint  k  manquer ,  et  qu'il 
n'y  en  aroit  plus  pomr  Phodbn }  l'exéciiteuïr 
dit  t^'â  n'en  broieroit  pas  davantage ,  »i  on 
né  lui  donntÂt  douze  dracbmes(rz),  qui  étoient 
le-prix  de  diaque  dose.  Comme  cela  empor- 
toit  du  temps  et  causmt  quelque  retard ,  Pho^ 
cion  appula  im  de  ses  amis,  et  lui  dit,  ^^xjat 
«  puisqu'on  ne.  pouvoit  pas  mourir  gratis  k 
(ay  10  fr.  6a  ێnt,  de uotce  moanoioi  A.  L.  B- 

.  DigitizedbyijdDgle 


yO  PHOCIOKr 

ii.  Athènes  j  il  le  piioit  de  donner  ce  peu 
«,  d'argent,  k  rexëcuteur  »*,  C'étoit  le  dix- 
neuvièinQ  du  moi»  de  mai  y  jour  auquel  les 
chevaliers  {àisoiept  une.  proee^ion  a  cheval 
dans  toules  les  rues  enThonncurde  Jupi-* 
ter  ^^.  £u  passant  devant  la  prison  ,  les  uns 
itèrent  les  couronnes  de  dessus  leiu*  tête  ;  les 
autres,  jetant  les  yeux  sur  les  portes  de  cette 
prison,  fondirent  en  larmes  ;  et  tous  ceux  a 
qui  il  restoît  quelque  sentiment  d'humauite' , 
ftt  qui  n^avoient  pas  Fâme  entièrement  cor* 
rompue  et  aveuglée  par  la  colère ,  on  par 
l'envie,  trouvèrent  que  c'étoit  unetrès^grande 
jjnpie'té  a  la  ville  de  n'avoir  pu  se  contenir 
ce  joiu*-)a ,  ni  s'empêcher ,  pîendant  une  Ate 
$ï  solennelle ,  de  se  souiller  làt  la  mort  vio^ 
lente  d'un  hommje. 

Cependant  se$  eQfnemis  n'étant  pas  encore 
satisfaits,  et  comme  trouvaot; qu'il  matiquoit 
encore  quek|ue  "diose  k  kur  triomphe ,  ftrent 
ordonner  par  le  peuple  que  le  corps  de  f*ho- 
eioa  seroit  porté  hors  du  territoire  de  l'Attî- 

Sue,  ejt  qu'aucuiL  des  Athéniens  ne  donneroit 
u  feu  pour  honorel*  d'un  biiohèr  ses  funë*' 
railles.  C'est  pourquoi  aucun  de  ses  amk 
n'qs^t  seulement  toucher  k  son  corps  ;  mais 
un  certain  Conopjon ,  accoutumé  k  gagner  sa 
vie  a  ces  sortes  de  foï^ction^-  funèbres  5  JHÎt  le 
corps  pour  quelques  pièces  d^argç^t  qu  on  l^ii 

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FHOCIOîf.  71 

doim»^  le  porta  aii-deik  des  terres  5*Eleusîne? 

et  ayant  pris  dn  feu*  sur  celles  de  Mëgare ,  il 

lui  dressa  an  bûcher,  et  le  bràla.  Une  femme 

de  Mégare,  qui  assista  par  hasard  k  ses  fon^'- 

railles  avec  ses  esclaves ,  lui  éleva  dans  le 

même  endroit  nn  tombeaii  vide,  sur  lequel 

elle  fit  les  effusions  accoutumées;  et  mettant 

dans  sa  robe  les  .ossements  qu'elle  recueilUt 

avec  giand  soin  y  elle  les  porta  la  nuit  dans 

sa  maison ,  çt  les  enterra  sotis  son  foyer ,  en 

lui  adi'ef^saot  ces  paroles  :  «  O  mon  foyer  \  je 

u  te  confie  et  je  mets  en  dép6t  dans  ton  seid 

aces  préoietn:  restes  d'un  hémmede  bien. 

«  Conserve- les  fidèlement ,  pour  les  rendre 

(f.  un  }onr  an  tombeau  de  ses  ancèrres/ quand 

«  les  Athénien»  seront  devenus  plus  sages  ». 

En  effet,  bientôt  les  affaires  oui  arrivèrent 

firent  «viv^ement  sentir  anx  Atnéniens  quei 

viciant  magistrat ,  et:  quel  fidèle  gardien  dé 

la  tempérance  et  (fe;Ja  justice  ils  avoient  fait 

mourir.  Ils  lui  élevèrent  une  statue  de  bronze, 

et  enterrèrent  honorablement  ses  restes  aux 

dépens  du  public.  De  tous  ses  accusateurs, 

ils  firent  d'abpr^  mourir  A^nonkiès ,  après 

Tavoir  fait  condamner  par  tous  les  suffrages  : 

les  doux  autres,  Epiciire  et  Démophile  ,  qui 

s'étoîeot  sauvés ,  uuent  rencontrés  ensuite 

par  le  fils  de  Phocion ,  qui  en  fit  la  venfjeance 

içllç  ^u^ls  noiéntoieat.  On  dit  que  ce  Phocuâ 

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73  FHOOIOW 

ne  fut  pas  d^allleurs  un  fort  honnête  homme  ; 
çt  Ton  raconte  de  lui  qu'étadt  devenu  amou- 
reux d'uoe  esclave  qui  servoit  diez  un  de  ces 
inûimes  marchands  qui  vendent  des  filles,  il 
entendit  un  jour  par  hasard  dans  le  lycée 
Théodore  le  sophiste  qui  faisoit  cet  arriment  : 
«S'il  n^est  pas  honteux  de^delivrer  de  servi* 
t<  tude  un  ami ,  il  ne  l'est  pas  non  plus  de 
«.  délivrer  une  amie  ;  et  s'il  ne  Test  pas  de 
«  tirçr  de  captivité  un  compagnon ,  il  ne 
«  sauroit  l'être  d'en  tirer  irae  compagne  m. 
Le  jeune  homme ,  frappé  de  ce  discours,  et 
l'accommodant  k  sa  passion,  comme  une  rè- 
gle siire  qu'il  pouyoît  suivre ,  courut  aussitôt 
chez  le  marchand ,  et  délivra  sa  maîtresse  ^^, 
Au  reste,  ce  qu'on  venoît  de  fiiîre  contre 
Phocion  renouvela  aux  Grecs  le  souvenir  de 
ce  qu'on  avoit  fait  contre.  Socrate  :  car  cette 
dernière  faute  fut  semblable  h  la-  première  ;| 
f  t  suivie  des  mêmes  calamités  47.«  . . 


FIN  us  LA  TIE  DE  FHOCIOK. 


dbyCjOogïe 


NOTES., 


*  Csrx  «pli  ont  an  boa  yaifscau  encore  entier,  pe«K 
Tcnt  tenir  contre  les  tempête»  $  ittais  aprtele  naufrage, 
celui  qui  nVst  porte  que  sur  une  plf^nehe  au  dëbrU 
est  Dëcessairement  forcé  d^obëir  aui:ve|itsetd7en  être 
le  jouet.  Demaaé^  ne  pouToit  ifueiiz  excuser  sa  foi-r 
blesse  et  sa  eompûisance  pour  le^  Maoëdoniens,  qn^ 
(«r  cetie  comparaison.  C<ypf n4«AJL  eUe  n^est  paa  en- 
tièrement juste  ,  et  Socraie  ne  l>^oit  pa4  reçue*. 
Quelque  pressée  que  soit  une  ville^iBelui  qui  la  eou^ 
Teroe  ne  jdoil,  pas  céder  en  tont ,  c^t  doit  râister  a  c# 
qui  Ta  absolument  à  détruire  les  mo)ar«,  et  à  rava- 
ler la  di|;aiie  de  son  pfij9.  Lt^bistoire  foiimit  plusieurs 
exemples  de  gouYerneur»  d'états  qni  Font  liait. 

*  On  Yre  fUfioh  brÀler  sui^  Pauteî  ni  le  ventre  ni  la 
langue  dé  la* victime.  On  gardoit  le  ventre' pour  1^ 
farcir  et  pour  Te  servir  à  table  .  et  la  langue  pour  là 
hire  brûler  tfùr  TauteU  la  fin  du  repas  »  en  Thonneur 
de  Mercure  ,  et  pour  faire  dessus  des  libations» 
L'Odyssée  d'Homère  en  fournit  des  exemples. 

^  n  firadrmt  lire  ?  ayant  en  à  lutter  contre  on  te  mps 
oratfeuz,  eottime  eontrd  on  terrible  adversaire,  etc. 

^  Ce  passage  fist  de  VAntigone  de  Sophocle  » 
V.  S69.  Isamèoe  dit  k  Gréoi»^  pour  excHser  sa  sœur 
Antigone  : 

Ft  cela  est  vrai  la  plupart  du  temps  ^  mais  c'est  qne 
ce  srm  n'étoit  pa«  fv>it  boa ,  qu'il  n^étoit  pas  bieo. 

*  DigitizedbyCjOÇgle 


^4    .♦  NOTES. 

affermi,  bien  fortifie;  car  lorsquUI  est  lel ,  les  mal» 
heurâ  ne  lu  foot  ppiot,  j^enlre  ,  ^K  ue  seryent  qu  à  i« 
^ire  éclater. 


6 


Voici  un  grand  sujet  proposé  aux  politiques  » 
sayoir  ^i  les  peuples  heureux, solit  plus  4iâicijc$  à 
gouTerhcr  que  è^ut  «jai  sont  flans  le  malheur..  PI u- 
t^^iue  nous  di*  qu'il  y  a  des  gens  qui  croieut  les  pre- 
îniérs  plus  difiS<^és.  Car  en  efibt  lis  'bonheur  rend 
le  peuple  biefa  insolent.  ^Mais  11  se  dMate  pour  !<'« 
damiers,  par  là  seule  ratsod'qité  fe  nittlheut  aigrit , 
ff  «qu^un  esprit aig<^  ^^^  difiiciri  a  jnener.  51ais  je  ne 
comprends  pasconiikrébt  il  a  ch\brassé'lbi'ée'  dernier 
parti  j  car  p^rd^atui'es  endroits  de' ses  ouvrajges,  il 

SaroU  qu'ilest  jenlitérément^dd  flréraier.  Dans«la  Vie 
e  Lucuftufe,'trdit' en' propres  tcrrtj'es:  <<  Q'u'il  n'y  4 
M-ri«n  de  si-mâl  frisé  k  gouverner  qiié'^'b^mmé  à  qui 
«  la  frirtunerit^  c'othme  il  n'y  a' HtitT  de  p]ust^<iiie  à 
•c  mener  que  celui  à'  qui  elle  est  CTmtraire  ».  £t  ail- 
|ours  il  a  rendu  méjne  cela  sensible  pi^r  uo^e  iqiaee. 
pans  un  vaisseau  y  pendant  que  la  mer  est  ii^anquille 
çt  qu'on  a  iç  vent  a  souha'it  »  Us  passçgefft  ^e  ion\ 
pas  grand  compte  du  pilote^  et  sont  tout  prêts  à  lui 
résister  et  à  i^Vmporle'r  contrç  lui  ;  niais  «u'rvient-il 
une  ^mpéte  ,  alor^  i|s  né  regardent  que  lui  ^  et  son^ 
•tout  préis  à  exécuter  ses  ordres,  comme" n^altendant 
}çur  saluA  que  de  8Qi\  l^abileté  et  dç  soin  ^«ptlrlcnce. 
lil^^ans  cettf»,  Qiémp. >;ie  ,  il  va  nQU9;dire  bientôt) 
«  Que  pendant  la  guerriî ,  les  Athéniens  étdient  lort 
tt  numoies  et  fort  soui>les  par  la  crainte  du  péril , 
«  et  qûViprés'la  paix  faite,  ils  étoivnt  arrogants 'et 
«  superbes  'M.'  Powur  accorder  ceiVe  cahlradiction  apn 
parenie  ,  il  faut  croire  que  Plutaniue  ne  parle  ici  «ue^ 
de  la  disposition  çù  ^e  trouvent  les  peujjtles  selon 
qu'ils  sont  heureux  oà  malheureux  ,  pour  écouter  les 
réprimandes  gu''oQ  leur  fait ,  et  les  avis  qu'on  leur 
4onne  sur  les  Tantes  qu^^s  ont  corn  mises.  Il  e^  cem 
Vaiii  <^e  ceux  ^ui  soa|  danii  U  Vi^lhtvf  ont  les  9r^Ul(;% 

« 

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NOTES.  irS 

j^lns  délicates  ,  qu'ils  soot  plus  SiUé$  •  ai^r  qne  les 
aulres  ,  et  que  l'on  doit  garder  avec  eux  plus  de  me- 
sure et  plus  de  ménagemeot» 

^  11  y  a  dans  le  grec ,  ^^  lu*  ihfiivM  7jr  4'«W5*f 
artiXùv  ,  conime  cédant  à  ce  qui  plaît  a  Pdme,  Cc;  qui 
fait  un  très-mauvais  sens.  Je  crois  le  passage  cor-« 
rompa.  Au  Ihn  d^  i^o^Ff ,  il  faut  lir« ,  ^  mç* 
avis,  •fh$f*Ui»y:M  h. partie  eqflie  del'4'n^,  c'esi^r 
c'est-à-nlire  à  (a  ffOftie.  irritée^  Plut^rqve  expUqu« 
parfaiiexaent  la  saison  de  l'épilhète  qu^Homcre  donn^ 
a  la  douceur.. Elle  pe  se  rcjl^it.pa^  contre  la  colère, 
ei  ne  la  heurte  pas;  car  elle  l'^igriroit  au  contraire | 
nais  en  lui  codant ,  elle  la  dctrempe  et  la  teoipère, 

7  Les  ^(yieiirsd'An]|^ot  firoposent  y  d^apr^  M.  Dm 
toul ,  de  traduire  ainsi  }>  %  Qu^eJle  ne  peut  souffoir 
«  qu*on  lui  disâ  la  vérité  y  e^  cela  préciaénie»t  à  Tépo^ 
«que  ou  elle  en  liuroit  le  (ilus-beioio»  les  aflFairea 
«  étant  en  tel  4(at  qu'o»  surQÎiAia^,  ressource ,  poui 
%  remédiât  ans  fautes  quW  feiroit.  A.  L.  JU.        ,  *  -• 

*  Pendant  qne  (c  soleil  est  e^^porté  '4'oripnt  t^ 
occident  par  le  inouvcment  coïninun  des  cieux,  son 
ricl  particulier  remporte  d^bccidçut  en  orjeut  sqrlç 
plan  de  iVcliptîqij^  ',  q.ui  est  une  îjgnc  obliq^ue  et 
inclinée ,  plus  proche  ^e  ta  terre  clans  la  partie  ;^e'ri-^ 
dionale  du  moudé^  quç'daus  la  ^epLenU tonale,    ',  , 

9  '  Ce  paiteagè  de  C^idérbn  test  dans  la  preraif'ire  lëhre 
^u  second' livre  à'A^ticus  :  Nam  Cainnem  tîostmm 
non  tu  amas  plus  ipiam  egc'ê^^fê  ialmeri  ille  optOnù 
anima  uicnsy  et  a,ummd  Jute ,  nocet  interdum  reîpub, 
Dicit  enim  ,  tan^uam  in  Platonis  voXtru  u  ,  non 
tanquam  in  Roiituli  fcece  ,  sententinm.  Mais  il  ii^est 
fait  là  aucune  mention  'des  refus  qu^il  essujn  sur  le 
çoQsutat  j-'ge  qui  n'arriva  que  huit  ans  après  cetiô 
Ui^ti  cccHe,^  CQPU^e  X^i«u|4çf  et  Cruf^éviuèS  l'got  ibrt 

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76  NOTES. 

l^ien  remarqué.  Il  faut  done  expliquer  ce  nassa^  de 
Piutarque  nyorablement ,  et; supposer  qu'il  veut  seu* 
lement  faire  entendre  q«ie  Cicéroa  a  fori  bien  mar- 
que ce  caractère  de  Catoa,  qui  lui  fit  ensuite  essuyer 
ce  refus. 

"*  Il  tCj  a  rien  d^  plus  rrai ,  et  jamais  homme  ii« 
i^a  mieux  fait  voir  qu'iIomèf%.  Il  a  souvent  peint  la 
Valeur  avec  tous  ses  traits ,  et  elle  est  toujours  diflFé- 
rente  dans  ses  héros  j  celle  d^AchiUe  n'est  pas  la 
même  qve  celle  de  Diomède  j  celte  de  Diomede  n« 
ressemble  point  à  celle  d^AjaXy  ainsi  des  antres.  Il  en 
e$t  de  même  de  la*  prudence  :  celle  d'Ulysse  n^ast 
pas  celle  de  Nestor  ^  et€.     .   .    •        •; 

^^  Dans  ces  anciens  temps ,  cVtoit  une  coutiinia 
assez  générale  en  Grèce  d^aiiar  n\i-piéda  yeomme  (;ia- 
laiibon  l'a  remarqué*  sur  les  caractères  de  Théoplirast*. 
Xénophôtt  rapportequ^il yavoit  une* loi  de  Lycnrgue 
qni'ordonnoit  aux  Spartiates  d'aller  nu-pieds.  Paraii 
les>  ^thi^ioDS,  ceux  qui  menoiept  atie  vie  plus  dure 
et  plus  auaUlpe  -que  te$ -autres  /  alloieiit*iitt*pîeds,  à 
moins  .qu'il  ne  17 1  un  trés-srand  froid  ,  .ou  qu'ils 
n'eiissent  à' marcher  par  des  cuenîins  raboteux  et  dif- 
ficiles. Et'  c'eit  ^însi  que  Socrale  naarchoit  ordinai- 
rement. Les  Romains  ont  querquéfoîs  imité  cette 
austérité ,  comme  on  le  yoU  psf  rexenui^e  de  C!Iaton 
et  dcf  quelques  autres.  Dans  l^lémènfc  d* Alexandrie  , 
il  y  a  un  passage  qui  parbît  bien  singniiier;  it  dit  r 
c  jQu'il  est  séant  et  coi^r/ç^UkblQ  à  un  bnmme  de 
«  guerre  surtout  d'aller  -nuopieds  |  car  4!^^oiff  de^ 
«i^ttliersj  c^est  ^*n  P''esque4i4.».  '. 

^*  Naxos,  la  plus  grande  et  la  plus  fertile  des  cy- 
bladesy  au  milieu  de  l'archipel  de  )a  Méditerranée  ^ 
produit  d'excellent  vin  que  leS  anciens  comparaient 
au  nectar.  u4,  L.D, 

■   ^^-  Il  n'y  a  rien  de  plus*  parfait  qua  d'élre  propm 

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NOTES.  77 

en  même  temps  età  k  politique  et  à  la  guerre,  à 
commander  des  armées ,  et  à  gouverner  et  conduire 
des  étals.  Mais  il  est  difficile  de  réunir  ces  deux  grands 
talents.  Il  y  en  a  eu  de  grands  exemples  parmi  les 
Grecs.  Cela  est  plus  rare  parmi  nous^  et  je  suis  per- 
snadé  que  rédocation  en  est  la  seule  cause. 

*^  Ce  mot  est  fondé  sur  cette  vérité  eonistante  » 
cpie  ]a  instice  et  Tinnocence  protègent  assez  le^  gens 
de  bien ,  et  cpi^ils  n*ont  pas  besoin  d^aatres  défen« 
seors  ;  car  ils  sont  assez  forts  quand  la  justice  est 
pour  eux.  Cef>endaat  on  peut  opposer  à  ce  mot  dé 
PbocioD  un  principe  tout  contraire.  Ce  sont  les  bons 
qui  ont  besoin  très-souvent  d^tre  défendus  contre  la' 
persécution  des  méchants  et  contre  leurs  calomnies  , 
•t  ce  sont  les  méchants  qti^on  ne  doitjamais  défendre^ 

^^  Hëliëe  ,1e  plus  ^ndlaribunal  d^ Athènes ,  ainsi 
appelé  parce  cpi*d  étoit  découvert  et  eiposé  au  soleil. 
Les  jtk^eséloieni nommés  MéUastâs, 

^^  Voilà  une  des  grandes  marques  d*an4>on  mtof«» 
et  d'un  homme  de  bien ,  da  coaseilier  H  paix  ou  il 
sait  qu'il  sera  soumis -à  des-geas  qui  lui  sont  infê** 
rieurs  ,  et  de  détourner  da  ia  guerre  oà  il  est  sur  du 
commandement.  Nous  avons  oonnu  dc«  •gens  qui 
suivoient  d'autres  maximes. 

^7  Charidème ,  celui  qui  se  retifa  dans  la  snit^ 
auprès  de  Darius ,  et  y  reçut  la  mort  pour  prix  de 
la  noble  franchise  avec  laquelle  il  avoit  fÎEiit  sentir  à. 
ce  prince  la  différence  de  ses  troupes  si  brillantes 
d'or ,  avec  les  soldais  Macédoniens' tiofut  couverts  à» 
fer.  Vojez  Quinte-Curce ,  liv.  iij.  A.  X.  />. 

^^  Car  Fhoci6n'craigikoitaV6c  raison  quePhilfpp6 
ne  fit  aux  Qiec»  des  demandes  fort  onéreuses  ,  et 
auxquelles  les  Athéniens  sçroiént  ténus  de  différer 
f'Htt.  leur  part  si  là  p^ix  ^toit  faite  ^  et  qu%j  ett&«^ 

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78  NOTKS. 

sent  ^te  compris*  Ce  qui  suie  ya  le  faire  mieu^c  e»-m^  , 
tendre.     .  ,  i,  . 

*9  C'est  un  vers  du  neuvième  livre  dfe  l'Odyssée.. 
Après  qu'Ulysse  ,  échappé  de  Tantre  du  cyclop^»  » 
se  fut  rembarqué  avec  le«  compagnons- qui  luires— 
toient ,  il  a'dfesf>a  la  parohc  à  ce  m^nâlire;  qui,  o(«tre 
da  fureur  y.iajiça  contre  son  vaisseau  un^  grande  masse 
<iç  rocher  q^ii  toniha  devant  la  proi^  ^  et  excita  ai;», 
"t^l  n^puvenjLent  daa$.  la  mer ,  qo»?  le  flot  ep  reculant 
repoussa  Ijé  vaisseau  coatre  terre.  Ulysse  adressa»  en  w* 
corç  ^L  parole  au  cyclope,  et  c'est  ce  que  ses  conipa-:    \ 
gnoné^éffrayés  vouloient  eiÂpécher .  Us  fui  disent  donc 
ce  vers  :  «  Malheureux ,  poi^rq^o^  vaulez-yous ,  etc  m. 
Tous  .les  .plju,s  grandshoipmesde  ces,teinpji-ià  saxoient    \ 
Homère  par  cçyar:  ^  et  ,e«  fai^oieot  u^<sage^  ; 

.  *®  Rien  ne  ;n«^rquç  miens;  le  grand  seasi  d««Plv>-  ; 
èion  et  sa  gcau^^  habileté  dan  s  la  politique^  que  cette. 
negoeiatiorf  ^  car  il  profila  ipec veilleuse ipAent  du  pçi>'  , 
chant  et  de  Tinclination  d'Alexandre  ,  et  s'en  serait 
ftv«c  uni  atlt  admirable  »dur«  éloigner  la  guerre  do 
Son  pays.  PiOi:ir  réufiiÂv  dans  ces .  ocoasions ,  il  faut- 
ctonnottre  le  cara<^tère  de  ceux  aVec  qui  on  U-aite  ,  et 
s'en< servir  cconmc.  d'une  voile  qu'on .tourzie  au  veut 
q^'oarteui  Inidonner^       ...        ...  | 

**   Voici  un  raffînemént  do  ranîté  bien  ini^îigne  ■ 
d'Alc^ndrei»  Aucun  de$..rois.ni.des  emperetirs  qui 
Vont  fui vi  ,  n'ionl  «fi  qe,tte  fausse  délicatesse.  Com-w  i 
ment,  y  auroit-il  àç,^  la  bassesse  a  faire  ce  sonliait  9^  ; 
ce^^  4  qMJ  -il^  tîcfi'Vent,?  Ëh  \  il  y.  auroi^  de  la.f^ran-  ' 
fieur  .à  leur  oc^Qurer  l'état  h  eurent  ^lésigné  par  ce 
terme.  jVfaisJs^  vanité  sVst  bien  d4dpqaA\a|;;ée.   Oi^  I 
ne  peut  s'empêcher  de  rire ,  qurmd  on  considère  jus- 
qu'à qi^lles  minuties  on* a  porté  les'Cojçinalit'és  des 
lettr^.,  iVon  ^eu)epient  les^  (ermes  y  sont  ménairés, 
mais  les  espaces  iBOdiipassés  avec  autant  d^exactitud*^    ' 
qiie  s'il  s^agis«Qit  de  régler  les  limites  d'i^n  empire,   ; 

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Vesi  te  qui  fait  aujoard^'hai  une  partie  considérabU 
de  ia  gmndeur* 

**  Voilà  pourtant  un  homme  qui  avoit  e'të  plusieurs 
fois  capitaine  général  de  son  pays ,  et  qui  avoitgagn^ 
(les  batailles^  Ne  viendra-l-on  jamais  a  bout  de  per*. 
suader  que  la  plus  grande  simplicité  est  compatible 
avec  la  plus  haute  grandeur ,  et  que  le  luxe  ne  vient 
^ue  de  la  petitesse  ? 

•'  Ainsi  la  vertu  consistant  à  se  «Contenter  de  peu  , 
cet  homme  auroit  eu  davantage  sur  Phocion  »  et  auroi<; 
hé  plus  homme  dé  bien  que  lui,  si  Phocion  n^avoijt 
pa«  évé  content  de  ce  qu'il  avoit ,  et  qull  eCkt  vaulu 
^vaota^.  Ce  au>t.est  plein  de  sea»«, 

^*  CVloitutie  despluâf  ^atodes  fêtes  d^Alhdnes;  on 
la  célëbrott  en  Phonneur  dé  Mitierve.  11  y  avoit  les 
grands  .et  les  p^ftits  Panathénées  ^  Ifs^jp^ijts  se  .c^lé- 
brotentle  vingt  ôu^  n»ois  th«rgélion<  juin  >  et  iesgraod» 
au  mois  hçcatomb»OQ  (apùt).  I^es  petite  s^ouvroient 
par  la  course  des  ch^rs.,  après  la  course,  des  ohars  ii 
y  avoit  d'^autres.con^baf^  ^contçiela  lutie,  la  coufse. 
à  pied.  '    •    . 

Ibid.  11  me  semble  qu'on  n>st  ooiuieiitrp  dana  la  fi» 
nessede  ce  pacage,  etqu'o^  ne  ra  pas  bieu  ezpliqq^* 
I  .p.  filsde  Phocion  demandoit  à  son  père  la  permission 
d'aller  combattre  aux  {eux  dés  fdto»'*  Panathénées  : 
Phocion  qui  connoissoit  U  vanité «dc>  son  fils,  et'quji 
sentoit  qu'il  fie  demandoit  oette  permission  que  pooe 
parottre  sUr  un.  char  J»Agniôque ,  lui  pecmit  a*y  aUer^ 
juais  à  condition  quilne  paroltroit  que  pour  la  course  ,> 
et  quHl  ne  combattroit  q.u^à  pied.  La  manière  dont 
Pluiarqne  s'explique  est  trés-élégantè  et  trés-Ûite. 
Phocus  demandoit. à  aller  paroître  aux  Paaathenéef 
dans  la  course  des  chars*  e%  Phocion  ne  lui  permet 
cf  ue  d^aUer  .Combattre  à  pied,  il  le  lait  descendre  àê 
œ  cbsic  fldo^  son  ûAaginaûon  est  reinplie  et  flattée 'i 

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qn^ille  TQoyoie  avec  U  permission  de  comliAtlresetv 
lement  à  pied.  Cela  donne  à  ce  passâgt  beanooap  de 
grâce.  On  sait  que  les  Grecs  appeloient  ««i»Ciin9i 
celui  qui  descendoitdu  char  pour  combattre  à  pied. 
Phocion  faîsoit  par  là  deux  choses  avantageuses  a  son 
fils;  il  rabdissoit  sa  vanité,  et  il  lui  iroposoit  la  néce.s- 
sité  de  s^exercer  et  de  fortifier  son  corps  par  la  course. 

*^  C^ctoit  la  coutume  que  celui  qui  avoit  remportt 
la  victoire  à  ces  jeux  ,  traitât  ses  camarades  j  naais 
souvent  les  meilleurs  amis  du  vainqueur  briguoieni 
l'honneur  dé  célébrée  1&  victoire  de  leur  ami  par  un 
grand  Cestin, 

«^  Il  falloit  avoir  un  éértaib  âge  pbuf  être  admis  à 
Iparler  devant  le  peuple  ,  comme  cela  paroît  par  ïen 
oraisons  de  Oémosthène. 

*7  Car  SI  étoit  très-honteux  quie  le  béan-fils  de  Pho 
wm,  géttëral  dès  Athéniens,  se  chargeât  de  la  coni' 
itaission  de  faire  bàtrr  le  tombeau  de  la  courti'anc 
d'Harpalus ,  et  dVii  être  comme  l'efttreprencur  ;  mai 
il  fut  plus  iioflteux  '  eticcire  de  Vdlér  son  argent  e^ 
grossissant  ses  comptes.  Au  reste  ,  Quinte^Ciirc< 
donne  uin -autre 'nom  à  cette  courtisane  d'Harpalus' 
•t rappelle  Pptkpriie':  peàt  être  ce  noni  est  corrompi]^ 

^^  An-d«lâ  du  Cépbîse ,  sur  le  ohemiii ,  on  toI 
deux  tombeaux  mbnarqnables  par  les  ornements  don 
ils  sont  embclUs  j  i^un  est  duo- certain  homme  df 
Rhodes  ,  ({ûi  alla  s'établir  k  Athènes,  et  Tautre  e^ 
de  Pythionioe,  célèbre  courtisane ,  qo'Harpalu»ain»{ 
ti  éperdumeai ,  qu^aprés  6a  mort  il  lui  fit  ^levcr^ 
tomiK^auv  qui,  de  tous  les  anciens  ouvrages  qui  sot^ 
en  Grè«e.x>  est  le  plus  digne  d'Ôitto  vu.  C^est  sàm 
fe^u'en  parial^au  rnas  ,  peu  d^aecord  en  cela  av2 
Flntarqne  .  qin  ne  trourort  pas  oe  -  tombeau  «L  naetl 
^eiWewi!  ijiè  Ueû'qnê  PliitàrqUê^ppeke^  iSf «nMsfb  ^  «^ 
i«(Vc4é'pa9  ^>AtrM  Hûrmèê*  : 

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NOTE».  St 

*9  Qael  ëlose  d' Alexandre  !  car  ce  mot  figuré 
marque  la  grandeur  de  Tempirr  d^Aiexandre ,  oômme 
si  la  terre  entière  lui  ëtoit  soumise,  et  en  même  temps 
il  ëtoBue  rim>)ginalion  par  la  grandeur  de  l'hyper- 
bole. Dcmëlrius  Phalërëus  en  a  bien  senti  la  bi^'autë  ; 
car  il  la  met  dans  son  jour  par  sa  belle  remarque ,  ou 
il  fait  voir  cpie  ce  qui  rend  ce  mot  si  grave  et  si  ter*-  ' 
rible  ,  c'est  que  dans  ce  peu  de  paroles  se  trouvent 
l'emphase ,  rallégorie  et  r hyperbole. 

^<>  11  y  a  dans  le  texte ,  th  £Ai^i;v/»«y  toAc^f  ^ 
dans  IcL  (guerre  des  Grecs  Mais  Xylander  et  Cm  sé- 
rias ont  bien  vu  qu'il  falloit  lire ,  ùs  AttfcutKot  îr«A«- 
fuf  >  dans  la  guerre  Lamiaque  C*est  la  guerre  que 
tous  les  Grecs  ligués  ensemble ,  à  lVxc<»pti'>n  de» 
Béotiens  ,  pour  la  liberté  de  la  Grèce  ,  firent  sous  là 
conduite  de  Léosthène  contre  Antipater,  qu'ils  àé» 
firent  et  qu'ils»  obligèrent  de  se  renfermer  d;«ns  la 
ville  de  Camia  ,  et  elle  fut  appelée  Lamiaque  du  nom 
de  cette  ville.  Voyez  Diodore ,  liv.  xvii  j. 

Si  Ce  mot  est  parfaitement  beau  ,  mais  la  grâco 
D'en  est  pas  si  sensible  dans  notre  langue.  Cette  re- 
marque la  fera  sentir  :  les  Grecs  avoient  deux  sortes 
de  course  dans  le  stade.  La  première  étoit  la  simple^ 
quand  on  parcouroit  le  stade  depuis  la  barrière  jus* 
^u'à  la  home  ^  celle-là  étoit  appelée  ç«t,hùVy  lestade^ 
\t  l'autre  étoit  Voiler  et  .e  venir ^  et  on  l'apptloit 
^oAi;^w.  Phocion  trouvoit  donc  cette  armée  fort 
bcrlle  «"t  fort  leste  pour  courir  le  stade ,  et  pour  en  de- 
meurer là  ^  mais  il  craigooît  le  reto\ir  ,  ce  double 
stade  ,  comme  en  effet  la  fin  ne  répondit  point  à  ces 
beaux  commencements.  Ainsi  Phacion  avoit  grande 
raison  de  dire  ,  %t  ^t  ^i/it^of  1S  T^oXtfut  ^bivâCftf/. 
A  combien  d'entreprises  ce  mot  ne  petit-ii  pas  étr^ 
apjHiiqné?  ' 

^^  il  Payoït  pourtant  fg*^  bien  tcaité  lorsqu'on 

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î 


8'i  NOTES. 

l^avoit  enyoyë  a'robassarlcur  auprès  de  lui ,  pour  la 
Tançoti  des  prisonniers  qu'il  a  voit  faits.  Le  jour  même 
^u'il  arriva ,  Aniipaier  le  pria  à  souper ,  et  Xénocraf  c 
lui  répondit  ces  vers  d^Homère  qn^lJlysse  dit  à  Circé 
qui  le  pressoit  de  manger  :  «  Circé  ,  est-il  queiqn^un 
«  quij  en  ma  place,  pour  peu  qu'il  eût  de  bonté  et 
«  «rfaumanité,  pût  avoir  le  courage  de  manger  et  dé 
«  boire  avant  que  d'avoir  délivré  ses  compagnons ,  et 
«  que  de  les  voir  de  ses  propres  yeux  »  r  Odyssée  , 
liv.  X.  Antipater  ,  charmé  de  cctie  présence  d'esprit 
et  de  cette  application  si  heureuse ,  lui  rtndit  tous 
les  prisonniers. 

S3  )|  y^^i  £g2fe  entendre  qu'en  laissant  le  pcapj« 
xnaître  dans  Athènes,  cela  pourroit  enfin  causer  la 
ruine  de  Phocîon  et  fa  mort  même  ^  car  le  peuple 
d'Atbénes  éloit  fort  redoutable  à  ceux  qui  l'avoient 
gouverné ,  et  se  portoH  facilement  contre  eux  aux  ex- 
tié mités  les  plus  grandes,  et  la  suite  ilt  voir  i^u'àl 
avoil  raison. 

^^  Je  ne  comprends  pas  comment  on  pouvoit  re- 
garder celte  condition  comme  vaine  et  inutile.  Cette 
garnison  macédonienne  dans  le  fort  de  Munychia 
n'assuroit-rcUe  pas  le  gouvernement  oligarchique  dans 
Athènes,  et  ne  forlihoit-eile  pas  les  nobles  contre  les 
entreprises  du  peuple  ?  Elle  etoit  donc  utile  aux  vues 
et  aux  desseins  d'Antipater.  La  suite  même  le  prouve  ^ 
car  on  va  voir  que  Phocion  reconnoîl lui-même  que  1« 
peuplée  toit  plus  sage  et  plus  facile  à  gouvcmcF,  tenu 
en  bride  par  cette  garnison. 

^^  11  n'y  a  point  dans  l'Attiqve  de  promontoires 
qui  portent  le  nom  de  Diane ,  au  moins  je  n'en  cou- 
nois  point.  IVlais  l'oracle  de  Dodooe  s'exprime  poéti^- 
quement,  et  appelle  ces  piomontoires,  les  pronion-^ 
loiies  ae  Itiant  ^  parce  que  les  montagnes  et  les  i'orc^'ts 
étoient  de  l'aôanage  de  cette  déesse.  On  nV  qu'à  YoÀr 
€aUi«^i^us.«(0iB4  top  Uftft^à  Diane u 

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KOTE5.  85 

*^  Cette  leçon  pent  fort  bien  se  soutenir  ;  If  mmB-*^» 
Xtfuu  y  c'est-à-dire  «  dans  un  endroit  du  port  où  l'eau 
«  étoit  pure  et  netle  ».  Car  dans  les  ports,  il  y  a  des 
endroits  oii  l'eau  n'est  pas  nette  et  propre  à  laver.  (Ce- 
pendant il  faut  ayouer  que  la  correclion  que  Florent 
Chrétien  propose  dans  ses  commentaires  sur  la  comét 
die  d'Aristophane,  inlitulée  la  Pair^  est  très-vrai- 
9cmblablt:  :  il  croit  qn'il  faut  lire,  îv  K«yS'«p«  KtfM^t  » 
a  dans  le  port  de  (Jantharus  » ,  du  nom  d^ua  hero« 
^insi  nommé,  ou  plutôt  à/>ause  de  sa  figure.  C'est 
ainsi  qu'ont  lu  Meursitis  dans  son  livre  de  Pop,  ^t-^ 
ticœ^  et  Henri  de  Valois  sur  Harpocration.  IJt  cette 
leçon  est  confirme'e  par  un  manuscrit.  Il  est  parlé  d^ 
ce  port  ^ans  la  comédie  d'Aristophane  : 

*Rv  Uu^tlhi^  fr*ifç)  KitiB-Â^  Ai^9N 

%  Bans  le  Pirée  ,estleport  deCantharus  ».  Les  fautef 
les  pla.s  dangereuses,  et  celles,  qui  se  maintiennent  Iq 
plus  long'tempS',  ce  sont  toujours  celles  qui  présen- 
tent un  sens  naturel ,  et  des  ternes  propres  et  hors  do 
«oupçoAy  à  nue  première  vue.. 

^7  Xénoorate  étoit  de  Chalcédoine.  Il  avoi|,  été  en- 
voyé ambassadeur  auprès  d'Antipateri  po!»r  conservée 
la  démocratie  dans  Athènes,  et  pour  en^>échcr  qu^ 
les  riches  n^eussent  seuls  part  an  gouvernement. 

'^  Socrate  se  sert  d^un  trait  tout  semblable ,  pour 
rabattre  la  folle  vanité  d' Alcibiade  ;  car  en  l'opposant 
au  fils  du  grand  roi  auquel  il  voidoit  s'égaler  ,  il  dit  ï 
«  Quand  la  reine  est  accouchée  de  son  pr,emier  (Ils, 
«  qui  doit  succéder  à  la  oouj'onne ,  tous  les  peuples  qui 
«  sont  répandus  dans  ce  vaste  empire,  céiéhrent  sa 
«  naissance,  et  dans  la  suite,  tous  les  ans,  ce  jour-t£^ 
«  est  une  de  leurs  plus  fijrandes  ff^tes  ^  d^ns  tontes  lca„ 
<  tt  provinces  de  l'Asie,  ce  n'est  que  sacrifices  etquo 
<f  festins  i  an  liea  qi^e  quand  nous,  naisson&t  1)1^0x1  çhç9 

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84  NOTES. 

«i  Alcibiade ,  on  peut  nons  ap{>Hqaer  ee  ntot^a  poêle 
(c  comique  :  h  peine  nos  voisins  s^en  aperçoivent- il»  ». 
J)ang  le  premier  Atcibiade ,  tome  i  de  ma  traduction, 
page  3oh. 

'9  On  se  trompe  quand  on  ëcrit  ce  nom  par  une  *, 
J^olysperchon.  11  est  vrai  qu'il  y  a  eu  un  Etolien  ap- 
pelé t*olysperchon ,  mais  il  n'a  •  îen  de  commun  avec 
ce  Polyperchon  dont  il  s'agit  ici.  Etil  signifie  propre- 
znent  qui  se  hdte ,  de  vô  u  et  de  «nrtpx^-  Au  lieu  <jue 
«e  nom  Polyr)erch.»n  a  une  autre  origine ,  comme  M  .  le 
Fèvre  l'a  aemonlré  dans  st  s  notes  sur  Justin.  «  Poly- 
«  perchon,  dit-il,  est  un  nom  abrégé  par  syncope. 
«  Céloil  d'abord  Polyperrechon  »,  et  il  est  formé  de 
l'ancien  mot  flrtp^é,:geii>,  qu'on  disoit  pour  v^tp^x^iv  9 
qui  signifie  exceller ,  être  au-dessus,  ^insi  Polyper- 
chon sip;ni&e  excellent  ,  excellensy  eximius.  Et  on 
disoit  •Jei}}ix,''  pour  vtptix«»  >  comme  on  a  dit  Per-^ 
phila  pour  Periphila ,  etc. 

*o  Polyperchon  vit  qu'il  n'a  voit  d'autre  moyen  de 
surprendre  Gassandre ,  que  de  rétablir  la  démocratie 
dans  les  villes  où  Antipater  l'avoit  détruite,  pour  y 
substituer  l'olygarchie,  qui  l'en  rendoit  le  maître  ab-» 
soin.  Toute  cette  trame  est  fort  bien  détailléç  dans 
Diodore,  liv.  xviij. 

**^  Nicanor,  qui  avoit  senti  la  ruse  de  Polyperchon, 
Touloit  sans  doute  la  faire  apercevoir  aux  Atiiéniens, 
et  les  empêcher  par  là  de  donner  dans  ce  piège  ,  en 
leur  persuadant  que  ceitfî  démocratie  ,  dont  on  1rs 
leurroit,  leur  seroit  funeste^^,  et  que  Polyperchon  s'en 
serviroit  pour  les  subjugtier  et  se  rendre  maître^  de 
leur  ville. 

**  Aridée,  dont  il  étoit  Inteiir.  Il  e'toit  fr^rc  d'A  • 
lexaadre,  et  portoit  alors  te  nom  de  son  père  Philippe. 
11  régna  six  ans  et  quelques  mois. 

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NOTES.  85 

*5  En  effet ,  ce  root  d'Hëgeinon  e'toit  trèi-propre  â 
faire  CToire  au  r«i  que  Polypcrchon,  en  faisant  »cm- 
Waot  de  favoriser  PolygarcEie ,  travailloit  effective- 
meoi  à  rétablir  la  dëmocratie ,  pour  se  rendre  ma!tr« 

d'Athènes. 

• 

**  C'étoit  la  coutume  ;  il  fallojt  que  Tacciisë  se 
condamnât  lui-même  a  cruelque  peine ,  comme  je  l'ai 
eipliqné  sur  l'apologie  ae  Socrate.  Phocion  se  con- 
damne lui-même  à  îa  mort,  afin  que  l'animasilé  des 
Athéniens,  assouvie  par  là,  s'adouctt  un  peu  en  fa- 
veur de  ses  amis^  mais  cela  est  iontile. 

**  C'étoit  la  fête  appelée  dialia,  la  fête  de  Jupiter  j 
à  celte  lêtc,  les  pères  achctoient  des  jouets  pour  leurs 
eofants ,  comme  on  fait  aujourd'hui  aux  foires. 

*^  Par  le»  anciennes  comédies ,  nous  voyons  que  le» 
jeunes  gens  étoient  fort  sujets  à  prendre  des  raat- 
trcsses  chez  les  marchands  d'esclaves,  et  à  les  metlre 
•n  liberté  pour  les  épouser. 

^7  Ce  jugement  de  Phocion  estsemblable  à  celui  es 
Socrate  dans  tontes  ses  circonstances,  excepté  qu'au 
jugement  de  Socrate ,  les  Athéniens  respectèrent  da- 
vantage la  ffte  appelée  théorie ,  qu'ils  ne  respectèrent 
la  fête  de  Jupiter  à  cdtti  de  Phocion.  Depuis  la  mort 
de  Socrate  jusqu'à  celle  de  Phocion  i  i|  ^  &  quatre- 
vîngt-deux  ans.  Il  semble  que  les  Athéniens,  après 
avoir  fait  une  si  grande  faute ,  après  l'avoir  même  re-> 
connue,  et,  ce  qui  est  encore  plus,  après  en  avoir  été 
visiblement  punis,  ne  dévoient  pas  retomber  dans  le 
même  cas,  et  commettre  encore  une  semblable  injus- 
tice. Mais  tel  est  le  peuple,  il  ne  faut  pas  un  si  long 
espace  de  temps  à  mettre  entre  deux  f<}lies.  H  en  fera 
une  le  matin ,  il  s'en  repentiraàmidi,  ctraprès-dînée 
il  en  fera  une  toute  pareille. 


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-**•»%  *.* 


\  CIRCULATING 


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CATOlSr    D^UTIglTJE, 

J)acwf\  Ec/iàon   m   ^  f 


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CATON  D^UTIQUE. 


JL  k  maisovi  de  Caton  tive  le  commeoceineiit 
de  80B  ëelat  et  de  son  lustie  de  son  bisaïeul 
Caton  le  Censeur ,  petsoDmge  i^it,  par  sa 
verln  y  parvint  «k  une  plus  grande  sëputatioa 
et  k  une  plus  grande  puissance  qu'aucua 
Romain  ^de  son  temps  y  eooune  nous  Tavons 
écrit  dan$.$a  vie.  Cetui-rci  dont  nous  parlons 
présentement  y  arrière^-petit-fils  du  prunier  % 
fut  lai^.cN^helia  de  père  et  de  mète  arec 
son  frère  Cœpiian,  et  une  sœur  noinimée  Por* 
cie.  Il  atoit  aussi  une  autre  aoeur  appelé» 
Servilie^,  mais  elle  n'ëtoit  sosur  que  de  mèrCè 
Ils  furent  tous  nourris  et  élevés  dan»  In  mai— 
son  de  LiTius.Drusiis,  leuFonclematemel  ^f 
qui  lenoit  alocs  le  premier  rang  et  avoit  1» 
principak  autorité  dans  la  vUle  ;  ;  c'étott  ua 
nomme  trës-éloqurat  y  d*une  Ivës-^  grande 
sagesse  y  et  qui  y  en  eourage  et  en^  grandeur 
d'une  y  ne  eédoît  k  aucun  des  Romains.  On 
dit^e  Caton  montra  dès  son- enfance,  dans 
le  son  de  sa  voix  y  dans  les  traits  d(»  son  visage 
et  dans  toufed  $q$  actions  ^  jusque  dans  ses 
|eux  mêmes  y  un  naturel  inflexible  qui  ne 
s'étonnoit  ni  ae  &'émouvoit  de  rien  >  et  une 

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fermeté  inébranlable  en  toutes  choses.  Jl 
s'entreprenoit  rien  dont  il  ne  vint  à^  bout , 
et  il  s'y  opiniâtroit  avec  une  ardeur  au-delà 
de  son  âge.  Et  s'il  paroissoit  revèche  et  rude 
k  ceux  qui  vouloient  le  gagner  par  leur&flat^ 
teries ,  H  se  niotitr(Ht  encore  ^tf$  rebelle  k 
ceux  qin  voulaient  Tîntîniidefr  fàr  leiiirs  tne- 
iiaces.  II  étoit  très- difficile  de  Pémotivoir 
jusqu'k  le  faire  rire,  et  ce  n^est  que  très- 
rarement  qu'on  a  vu  son  visage  s'épanautf 
Î'usqu'au  souris.  Il  n'étoit  ni  sujet  m  prompt 
i  se  mettre  en  colke  ;  mai»  une  fois  irrité , 
il  n'étoit  pas  facile  de  l'apaAsèp. 

Quand  il  commença  b  étudier  les  belles- 
lettres,  i)  se  trouva  dur'etlent  h^c;ôm]>rën- 
dre  ;  mais  ce  qu'il  avoît  une  fois  hien  cohi- 
pris,  il  le  recenoit  fort  yen ,  tl  avoit  la 
mémoire  ferme  et  sûre  ;  oe  •^ni  arrffe  «issez 
ordinairefxienft ,  c$ir  on  Tovt  que  lés  «Sprits 
Tifs  oublient  fiiciten^ent ,  et  que  lés  «sprits 
lents,  qui  n'af^enuent  qu'k  force  d'appli-- 
dation  «t  de  peine  ^  retiennent  ëeAucoup 
mieuK  ;  àhaque  chose  •qu'où  apprend  et  qu'on 
inculque  dans  sa  tête  ^afit  un  nouveau  mou- 
vemeRt  et  une  sorte  de  ftamhfte  qiii  «llilijne 
l^âme»  Mais  ce  qui  coDtribuoîl  le  pins  a  ren- 
dre  Caton  si  dur  et  si  leot  k  apprendre,  c'est 
qu'il  ne  croyoit  pas  iégèrêWent^  G^  appren- 
dre, ce  n'est  autre  cbose  que  ^recevoir  une 

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X 


impression ,  et  il  arriTC  toujours  que  ccuï-lk 
croient  plus  facîleiBeot  qui  ont  le  moins  d'ob-^ 
jectioBS  h  faire  contre  ce  qii'on  leur  dit  ;  c'est 
pourquoi  les  jeunes  gens  croient  pliis  facile-» 
nient  que  les  vieux,  et  les  malades  que  les 
sains.  El  en  géi^ral ,  partout  où  la  partie 
qui  doute  est  la  plus  foible  ,  le  consentement 
&st  le  plus  prompt.  Cependant  (^aton  ne  lais* 
soit  pas  d'obéir  k  smi  précepteur,  et  de  faire 
tout  ce  quHl  lui  ordonnoft  ;  mais  il  lui  de-* 
mandoit  la  raison  de  chaque  chose ,  et  en 
tout  il  Toukm  savoir  le  motif.  Aitsèi  dit-on 
^e  son  précepteur  étoit  uU  très -honnête 
homme  et  très -savait ,  et  qu'il  employoit 
plutôt  le  raisotifiemwt  tjue  là  m^ace  :  il 
s'appelott  Sarpedm. 

Peadam  que  Caton  étoit  -en<;oTe  «nfant  y 
les  peuples  de  l'Itàiîè ,-  JiHiës  dés  Romains  , 
soUiditoiinit  te  droit  de  boiirgèoiâie  dans 
Romfe  ;  et  Pompédiits  Sîlo  (n),  graiid  hômmé 
de  pierre  y  et  qui  avoil  beaiicctop  de  répu-« 
tation  ,  passa  k  cette  occaaon  plusieurs  jour$ 
chez  Livras  Drusus,  son  ami  particulier,  ren- 
daitl  ce  temps- Ik  ,  il  s'amusa  souvent  avec 
les  enfants,  qui  Soient  dans  ta  matson  ,  et 
vivoit  avec  etix  dans  la  dernière  familiarité  ! 
i(  Mes  enfants,  leur  dit <  il  pn  )our  ,  intercé- 

(a)  Les  cdîteurs  d'Amyot  proposent  de  lire  Pp^ 
pédios  Siio.  ^»  L.  D. 

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]}9  CATOW  d'iTTIQUE.     ' 

«  despournous  auprès  de  votre  oncle,  afiu 
c(  qu'il  nous  aide  k  obtenir  le  droit  de  bour- 
«  geoisie  cpie  nous  demandons».  Csepion  y  en 
riant ,  fit  d'abord  signe  qu'il  solliciteroit  son 
oncle  ^  et  pomme  Caton  ne  répondit  rien  ,  et 
qu'il  tenoit  le»  yeux  fixement  attachés  sur  ces 
étrangers  avec  un  visage  dur  et  s^^vfere  : 
a  Et  toi  y  mon  enfant  ^  lui  dit  Pompédius  , 
«que  dis -tu?  ne  veux -lu  pas  parler  a  ton 
a  oncle  en  faveur  de  ses  hôtes  aussi-bien  que 
A  ton  Grère  »  ?  Comme  il  ne  répondoit  rien 
encore  y  et  que  ^«par  son  silence  et  par  tout 
son  aîr ,  il  paroissoit  rejeter  sa  prière ,  Pom- 
pédius j  le  prenant  entre  ses  bras  y  et  le  te-- 
nant  suspendu  hors  de  la  fenêtre  comme  prêt 
k  le  jeter,  lui  dit  :  «  Promets  de  parler ^  ou 
«  je  te  laisse  tomber  »«  |1  prononça  ces  mots 
d'un  ton  rude  et  menaçant,  en  le  tenant  tou-- 
jours  hors  de  la  fenêtre ,  çt  lui.  donnant  d'^ 
verses  secousses  pour  le  mieux  effrayer.  Après 
que  Caton  eut  souffert  cela  très-long-temps  y 
saos  témoigner  le  moindre  étoiinement,  mi  la 
moindre  crainte  y  Pompédius  le  remettant  k 
terre  y  dit  tout  bas  k  ses  amis  :  «  Quel  bon— 
«  heur  un  jour  pour  l'Italie  y  si  cet  enfant 
i<  vit  !  s'il  étoit  aujourd'hui  en  âge  d'homme  ^ 
A  je  ne  crois  pas  que ,  parmi  tout  le  peuple  , 
«  nous  eussions  un  seul  suffrage  pour  nous  », 
Une  autre  fois  un  de  ses  parents  l'ayant 

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CATÔH  D^TTlQtJB.  gt 

prie  aTec  d'autres  enfaats  k  un  repas  qu'3 
ooonoit  pour  célébrer  le  jour  de  sa  naissance , 
tous  ces  enients  se  trouvant  Ik  (ensemble ,  et 
ne  sachant  que  faire  en  attendant  le  souper  y 
se  mirent  k  jouer  dans  un  coin  de  la  maison 
les  uns  avec  lesautres,  grands  et  petits.  Leur 
jeu  étoit  de  représenter  un  jugement  dana 
toutes  les  formes^  ;  il  y  a  voit  des  juges,  des 
accusateurs ,  des  défendeurs  et  des  huissiers 
pour  mener  en  prison  ceux  qui  seroient  con- 
damnés. Un  de  ces  enfants  qui  avoient  été 
jugés  9  et  qui  étoit  fort  beau  de  visage ,  firt 
livré  a  un  garçon  plus  grand  que  lui ,  qui  le 
mena  dteins  ime  petite  chambre  oii  il  l'enfer- 
ma. L'enfant  eut  peur  et  se  mit  a  appeler 
Caton  k  son  secours.  Caton ,  se  doutant  d'a- 
bord de  ce  que  c'étoit ,  coumt  k  la  porte  de 
la  chambre  ;  et  poussant  ceux  qui  se  met* 
toient  au -devant  de  kii ,  et  qui  vouloient 
Fempêcher  d'entrer,  il  délivra  l'enfant,  et 
tout  en  colère  il  Temmena  dans  sa  maisou  , 
où  la  plupart  des  autres  enfants  le  suivirent. 
Totut  cela  rendit  le  jeune  Caton  si  célèbre 
parmi  ceux  de  son  âge ,  que  Sylla ,  voulant 
donner  au  peuple  le  spectacle  du  tournois 
sacré  des  enfants  k  cheval,  que  les  Romains 
appeUent  Trojye(a)ytt  ayant  choisi  les  en- 

(a)  On  peut  en  voir  la  description  au  ciaquiém» 
Uvr«  de  r£a<^iae  d«  YirgU«.  ^.  L  D. 

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€^%  CATON   d'UTIQUE. 

fants  des  phu  nobles  maisons ,  qu'il  prepatoit 
et  iostruisoit  pour  cette  grande  journée  ,  il 
nomma  les  deux  chefs  des  bandes.  Le  premier 
fut  reçu  agréablemem  par  tous  les  autres  ,  a 
cause  de  sa  mère  :  car  il  étoit  fils  de  Méteila, 
femme  de  Sylla  ;  mais  ils  ne  voulurent  jamais 
de  l'autre,  appelé  Sextus,  quoiqu'il  fut  pro- 
pre neveu  du  grand  Pompée ,  et  ils  se  mirent 
.tous  k  crier  qift'ils  ne  vouloient  ni  s'exercer 
sous  lui ,  ni  le  suivre.  Sylla  leur  demanda 
quel  autre  enfant  ils  vouloient  donc  qu'on 
mit  a  leur  tète.  Us  répondirent  tous,  Caton  ;et 
Sextus  lui-même  se  retira  et  lui  céda  volon- 
tairement cet  honneur,  comme  au  plus  digne. 
Sylla  y  iqui  avoit  été  l'ami  particulier   de 
.Caton  le  père,  envoyoit  souvent  chercher  ses 
.deux  jeunes  enfants,  Cœpion  et  Caton,  et 
s'entretenoit  avec  eux;  faveur  singulière  qu'il 
faisoit  k  fort  peu  de  gens,  a  cause  de  la  ^ran* 
deur  du  rang  qu'il,  teaoit,  de  la  dignité  de 
sa  charge  et  de  sa  grande  puissance.  Sarpe- 
don ,  jugeant  que  cet  avantage  étoit  très- 
considérable  pour  la  réputation,  l'avancement 
et  la  sûreté  de  ses  élèves ,  les  menoit  très- 
souvent  ,  et  surtout  Caton ,  dans  la  maison 
de   Sylla,   pour  lui   faire  la    cour.  Cette 
maison  alors  ressembloit  proprement  k  un 
enfer  et  2i  im  lieu  de  supplices ,  par  la  quan- 
tité de  gens  qu'on  y  goAduidoît  tous  les  jours , 

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CATON  d'uTIQITE^  (j'S 

i  qui  on  donnoit  la  torture ,  et  que  l'on  faî- 
soit  mourir.  Caton  ëtoit  alors  dans  sa  qua- 
torzième année.  Voyant  les  tètes  des  plus 
illustres  persounag^^s  de  Rome,  qu'on  empor- 
toit ,  et  entendant  gémir  et  soupirer  en  secret 
ceux  qui  a^istoient  b  ces  sanglantes  tragédies, 
il  demanda  ^  son  précepteur  :  a  D'où  vient 
«  qu'il  ne  se  trouve  personne  qui  tue  cet 
«  nomme?  C'est ,  lui  répondit  le  précepteur, 
«  qu'on  le  craint  encotc  plus  qu'on  ne  le  hait, 
<(  Pourquoi  donc ,  répliqua  l'enfant ,  en  me 
«  menant  ici,  ne  m  avez -vous  pas  donné 
«  une  épée ,  afin  qu'en  tuant  Ce  monstre ,  je 
«  délivrasse  ma  patrie  de  la  cnielle  servitude 
((  où  e^e  gânit  »  ?  Sarpedon ,  ayant  entendu 
ce  discours ,  et  voyant  en  même  temps  les 
yeux  et  le  visage  de  Caton  allumés  de  fureur, 
fut  saisi  de  orainte  ^  et  depuis  ce  moment  il 
rdbserva  de  plus  près ,  et  le  garda  comme  a 
vue ,  de  peur  qu'il  ne  se  portât  k  quelque 
action  ténéraire  contre  Sylla. 

Il  ëtoit  encore  dans  la  première  enfance  , 
lorsqu'on  lui  demanda  qui  étoit  celui  qu'il 
nimoit  davantage  ;  il  répondit  «  que  c'étoit 
«  son  frère  ;  et  le  second  après  lui,  continua* 
«  t- on,  il  rendit  encore  son  frère  ».  Et 
comme  k  la  troisième  question  il  fit  encore  la 
même  réponse,  on  cessa  de  l'interroger. Quand 
il  fut  plus  avancé  en  âge,  cette  afiection  qu'il 

X.  D,g,t,zedbyijO(âgle 


94  cATos  d'uïique. 

avoît  pour  son  frère  ne  fit  que  croître  et  se 
fortifier  ;  car,  k  vingt  ans ,  il  n'avoit  jamais 
soupe  sans  Csepion  ;  jamais  il  n'avoit  été  k  la 
campagne  ^  ni  paru  sur  la  place  publique 
sans  lui.  Mais  quand  son  frère  se  parfumoit 
d'essences ,  il  ne  l'imitoit  point  en  cela  ,  et 
dans  tout  le  reste  de  sa  manière  de  vivre,  il 
étoit  très-rigide  et  très-austère  j  de  sorte  que 
Caepion  même ,  dont  on  admiroit  la  tempe-* 
rance  et  la  sobriété,  avouoit,  ce  qu^il  croyoit 
a  véritablement  avoir  quelque  sagesse  quand 
«  il  se  comparoit  aux  autres  ;  mais,  ajoutoit* 
«  il ,  quand  je  viens  k  comparer  ma  vie  k 
«  celle  de  mon  frère  Caton ,  je  ne  me  trouve 
«  en  rien  plus  sage  qu'un  Sippius  »•  Ce  Sip* 
pius  étoit  un  des  hommes  de  ce  temps-lk  les 
plusdiiTaméspar  leur  luxe  et  parleurmollease. 

Caton ,  ayant  été  nommé  prêtre  d'Apollon, 
se  sépara  de  son  frère  ,  et  emporta  sa  part 
de  la  succession  aux  biens  paternds ,  qui  se 
trouva  monter  k  cent  vingt  talents  (a)*  Mais 
inalgré  tout  ce  bien ,  il  mena  une  vie  encore 
plus  élroitje  et  plus  resserrée.  Il  lia  stirtout 
tin  commerce  intime  avec  AnttpaterdeTvr, 
philosophe  stoïcien ,  et  s'appliqua  particnfiè* 
rement  a  l'étude  de  la  morale  et  de  la  politi-r 
que,  si  enflammé  d'amour  pour  tq^ute  vertu , 
j^u^il  paroissoit  y  être  |K>ussé  par  une  inspira* 

(4)  Piès  do  59a,5t>3  fr,  Af  L.  D. 

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lion  di^ne.  il  étoit  surtout  churrné  de  la 
beauté  de  la  jastice  ;  mais  de  cette  justice 
sévère  et  inflexible,  qui  ne  mollit  ni  par 
grâce  ùi  par  faveur  ^.  Il  s'appliqua  aussi  k 
Tëloquen^^ .  pour  être  en  état  de  parler  au 
peuple  dans  ks  occasions  :  car  comme  dans 
une  grande  ville  il  doit  y  avoir  toujours  des 
provisions  pour  la  gui^rre,  il  vouloit  de  mèm« 
que  dans  la  philosophie  politique  on  entretint 
toujours  des  forces  pour  les  temps  fâcheux.; 
Cependant  il  ne  s'exerçoit  point  k  cette  étude 
avec  les  autres*;  et  jamais  personne  ne  Fa 
entendu  faire  des  discours  pour  se  former  y. 
comme  c'ëtoit  la  coutume.  Quelqu'un  de  ses 
camarades  lui  ayant  dit  :  t<  Caton  j  on  blâme 
«beaucoup  ton  silence.  -Pourvu  qu'on  ne 
<(  blâme  pas  ma  vie  y  répondit  Caton  ,  je  suis 
«  content.  Je  commencerai  k  parler  quand 
«  je  serai  capable  de  dire  des  choses  qui  mé-> 
H  riteront  de  n'être  pas  ensevelies  dans  le 
«  silence  )). 

Il  y  a  voit  k  Rome  '  la  basilique  Porcia  , 
que  le  vieui  Gàton  àvoit  fait  bâtîir  pendant 
sa  censure.  Les  tribuns  àvoient  coutume  de 
tenir  Ik  leurs  audiences.  Mai»  il  y  avoir  une 
colonne  placée  de  façon  qu'elle  nuisoît  k 
leurs  sièges  ;  ils  résolurent  donc  de  l'ôter  ou 
de  la  changer  de  place.  Ce  ftn  la  première 
eccasion  qui  attira  Caton  malgré  lui  k  xme 

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06  CÀTON   J)^UTIQUE. 

9$semUée  publique»  Il  s'imposa  fortement  au 
âesseio  des  tribuns;  Qt  par  cette  |>reuve  qu'il 
donna ,  et  de  son  éloqueikce  et  de  «on  cou— 
rage,  il  attira  radmiratloa  de  tout  le  monde. 
Car  son  discours  s'avoit  rien  qui  sentit  le 
jeune  bonune  ,  aucune  affetejfie  ,.  ni  vaîae 
enflure,  mais  il  étoit  serré,  plein  de  force  et 
de  sens.  Cependant ,  au  travers  de  la  brie-» 
veté  et  de  ta  solidité  de  ses  sentences ,  on 
yoyoir  briller  une  certaine  grâce  qui  flattoit 
les  auditeurs  ;  et  k  sévérité  de  ses  mœurs  , 
relevant  cette  graice  naïve ,  formoit  un  mé- 
lange délicieux  de  gravité  et  d'agrément ,  qui 
|EEU2>oit  un  véritable.  {Saisir.  Sa  voix  étoit  assez 
pleine  pour  se  f9ire  entendre  aisément  k  ce 
peuple  nombreux; ,  et  elle  a  voit  tant  de  vi* 
gueur  et  de  foroe.,  que  rien  ne  le  lassoit  ;  car 
souvent  il  lui  est  arvivé  de  parler  tQ)it  un  jour 
3ans  être  fatigué  ^f 

.  Après  avoir  gagtt,é  sa  Ciause  contre  les  tri^ 
Buns ,  il  se  replongea  ilans  son  silence  ordi^ 
paire ,  et  se  renferma  dans  ses  études  domes- 
tiques ,,  pour  se  former  de  plus  en  plus.  II 
fortifioit  au<îsi  son  corps  .par  les  exercices  les 

tlus  pénibles ,.  en  raccoiUUmant  a  supporter 
;s  cnaleurfi  les  plus  excesif^ives ,  les  glaces ,. 
les  neiges  et  tousjes  frimas  de  Thiver ,  la  tète 
tonjour^  découverte,  et  a  voyager  toujours 
ik  pied  en  toute  saison,  pendant  que  ses  amis 

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^li  Taccompagnoi^t  ëloient  ^  cheVaL  Eni 
tnsyrchaiit  stinsi^  il  ^apwothdk  souvent  tantôt 
te  Yna  et  tarit&t  ^e  vmàre ,  et  s'ekrtretenoît 
Siittilièreiiieiil  avec  eni.  fiaflfS  §e^  maladies  ^ 
îl  jo^oit  )i  la  tempëiMièe'iine  patience  ad- 
wmmïAe  ;  car  ^  lorsqu'il'"  àvoit  là  fièvre ,  3 
fàtsoh  les  journées  seul  y  Saas  vouloir  Toii* 
personne  JBsqu'k  ce  cftie  sa  fièvre  fht  passée , 
et  ^'li  D^y  eftt  plus  aneuAe  apparence  dé 
recoor. 

Quand  il  soiipoit  avec  ses  amis ,  on  droit 
aia  sort  k  qui  cbéîsiroit  le  premier  les  parts  f 
et  »  le  sort  dé  choisi):  le  prèniFier  né  lui  tom-> 
boit  poim^  ses  dinis  le  Itii  déféroient  par  hom 
Bear;  maisilleMAiSoiHf,  dièant'qn'â.iiefàl'^ 
loit  rien  faire  malgré  là  i^e^se  Vénirs  7.  AU 
commencement  il  n'aimoit  pas  h  rester  long* 
temps  h  table ,  et  se  levait  pour  Pordinairé 
itpres  avou*  I^h  itne  seule  (Ms.  Mais  dsms  la 
foite  il  pAtfflàMt  )i -bdipê  ;  de  sorte  que  sou^ 
rmt  îi  pasSbit  les  tfuiàlli  tablé.  Ses  amis> 
jppHr  eicmser  œt  'excès  y  alléguoierit  <iette  rat^ 
^OÊiy  que  ses  occupations  publiques  9  et  lè$ 
grandes  affaires  qui  Toccupoieni ,  absorbant 
^ies  journéèsf entières,  et  l'empêchant  de  con** 
verset-  avec  ses  amis,  il  étoit  bien  aise  d*emr 

roycr  là  Buît  et  tout  le  temps  de  son  soupet 

pourquo^^cërtain  Memi^fls^  disant  un 


i 


^8  OATON  d'UTïQUE- 

jour  dans  tiD  cerc^e  ,  «  que  Caton  ne  fanbit 
«  quctboir^  tome  la  nuit  )i  ,  Cicëroû  y  Pin-* 
terrompai^t  p  lui  dit  ;  «  Mais  tu  ne  dis  pas 
(i  qu'il' jouç  aux  dés  tout  le  jour  ». 

En  général  y  .Caton  9  persuadée  que  le^ 
mœurs  de  sc^  temps  ëtoient  si  corrompues  , 
et  avoiei^tl^Qin  d  un  si  grand  changement , 
que  y  pour  les  réformer,  il  falloit  faire  abso- 
lument tout  le  contraire  de  ce  que  Ton  &i— 
soit,  il  prit  ce  dernier  parti;  et  comme  la  pou^ 
pre  k  plus  vive  9  et  celle  qui  avoit  été  teiate 
deux  ^:,  ;étoit  la  plus  recaiefcbée  et  la  pW 
estimée.^  il  n'en  portoitqiie.dela  plus  sonir* 
bre.  Souvent  y  après'  S0n  dtner ,  il  sortoiC 
op-; pieds.,  et  en;6im|^le  tunique,  non  pour 
acquérir  quçl<pie  réputation  par  cette  siogu-^ 
lanté,  mais  pour  s'jaccoutiimer  k  ne  rougit 
que  des  choses  véritablement  honteuses ,  et 
k  n'avoir  nulle  honte  de  celle»  4]ui  ne  le  sont 
que  dans  l'opinion  >.  Une  ^anoe  succession 
lui  étant  échue  par  la  mort  d'un  cousin  ger« 
main,  qui  s'appe|oit.Caiton  comme  lui,  et 
cette  succession  pouvant  valmr  cent  talents  ^ 
il  la  vendit  ;  et  tout  .l'argent  qu'il  en  retira  , 
il  le  prêtoity  sans  aucun  intérêt ,  k  ceux  de  ses 
amis  qui  en  avoient  besoin.  Souvent  même 
il  leur  donnoit  ses  terres  et  ses  esclaves  a  en- 
gager au  public  9  et  il  confirmoit  cet  enga«- 
gement,  :  .       ..        ^ 

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eATON  D^[JTIQUE.  99 

Quand  il  crut  qu!il  itoit  temps  die  penser 
au  mariage,  lui  qui  jusque -'la  n'avoft  eu 
«OËnnefce^aV^c aticuue femme ,  ilrccheichà 
Lépida ,  qui  auparavant  avoit  été  fiancée  \ 
Sdpion  Metellus.  Scipion  s¥tant  dëdit ,  e( 
ajant  rompu  le  coBtrat  ^  avoit  laisse  Lépida 
iibre  ;  mais ,  siur  cette  recherche  de  Caton  ^ 
il  s'en  repentit  ;  et  ayant  mis  tout  en  oeuvre 
pour  renouer  son  mariage ,  il  y  réussit.  Ca- 
ton y  piqué  de  ce  procédé,  et  plein  de  colère^ 
Aitsur  le  point  de  poursuivre  Scipion  ^n  jus*- 
tice  9  ;  mai^NSes  amis  l'en  ayant  empêché ,  le 
feu  de  la  colère  et  de  la  jeunesse  le  porta  k 
exhaler  sa  l>ile  ^n  chansons  ;  il  fit  des  vers 
ïambes ,  où  il  déchiroit  Scipion  et  Taccabloit 
d'injures ,  en  jettBt  dans  ses  vers  tout  le  fiel 
et  toute  l'amerltmie  du  poète  Archiloque  '", 
sans  imiter  ses  obscénités  ^t  ses  reproches 
frivoles  et  puérils. Caton  épousa  AttiHa, fille 
de  Soranus  j  et  ce  fut  sa  première  femme  ^ 
et  non  pas  la  seule ,  comme  cela  étoit  arrivé 
k  Lëlius  y  qui ,  en  cela  plus  heureux  que  lui , 
ayant  vécu-iort  long -temps  ,  n'eut  jamais 
d'autre  femme  que  la  première  qu'il  avoit 
épousée. 

On  vît  alors  (a)  s'élever  la  guerre  qu'oii 
appela  la  guerre  des  esclaves  y  ou  la  guerre;^ 

(a)  L'an  71  avant  Tire  ohr^tnrta^    . 

520508  ' 


3  OO  ÇATOî^  dVtIQUE» 

(le  S{>artacus ,  pour  laquelle  GelliUs  (a)^*  fut 
nommé  préteur.  Caton  .alla  scirvir^so^s  lui  en 
qualité  de  Toiontaife,  par  amitié  pour  GaepioR 
j^ui  y  commandôit  uuUe  homme3r$  m^  il  nls 

iHtt  y  donner  des  marqua  de  Sa  lM>nne  Vo- 
ooté  et  de  soa  courage ,  comme  il  Tauroit 
-voulu  )  k  cause  de  l'iocapacité  du  général  y 
jqui  s'acquitta  fort  mal  de  son  emploi.  Ce- 
pendant au  mitieu  de  la  moUesffe  et  du  luxe 
qui  régnoient  dans  cette  armée  ^  il.  fit^ou:- 
jours  paroltre  Unt  d'ordre ,  de  modestie  et 
de  valeur ,  quand  il  eu  étoU  besoin ,  tanf  de 
fermeté  et  de  prudence,  que  tout  le  oionde 
trouvott  qu'il  n'étoit  en  rien  inférieur  k  l^àn* 
ci^  CsLton  son  bisa'ieui^  Son  général  Gellius 
lijî  décerna  de -grands  Jloj^^iiirs  et  les  prix  les 
plus  considérables-  dont  on  bonorçît  la  valeur  ; 
mais  il  ne  voulut  ni  les  avoitier  ni  les  recevoir^ 
idisant  qu'il  n'ayoit  xim  fait; qui  méritât  ce%! 
récompenses. 

Cette  sévérité,  le  faispii  passer  pour  u^ 
bomme  étrange  et  singulier.  Il  fiit  rendu  alo^j 
me  notivelle  ordonnance^  ptir  laquelle  il^oij 
idéfeDdu  k  ceux  qui  brig^uoieni  les  obaxçd 
d'avoir  auprès  d  eux  de  ces  gens  que  lès  RcJ 
mains  appUeol  fèçrréenclaifiura  ^  '*  Câten  ] 
briguant  ta  chai^e.^^dç.  Irib^^d^^  soldais^  obéi 
seul  a  cette  loi  ** ,  et  ifit  tant  qu'il  vint  a  bou| 
{,a)  L.  GelHus&fattooltu    .  ^ .;     .  , . 

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CATON  d'UTIQUB.  lOl 

it  sriuer  et  d'appeler  par  leur  nom  tons  les 
dtojei».  Cela  déplut  exHéroement  k  ceux 
mêioes  qcû  le  kmoieBi  ;  car  pk»  ils  Toyoîent 
que  font  ce  «u'il  ûiisoit  ëtoît  beau  ,  imis  la 
difficidlé  uii'm  trouvoiem  a  Tiinîter  le  leur 
rcodmt  odieiix  et  lasupportaUe. 

A  jttt  donc  ëtë  noninié  tribun  de  soldat»  ^ 
3fot  eB^ojé  en  Maoe^dohie  où  oomiDandok 
le  prétenr  Rubrrâs.  L'on  dit  que  le  jour  de 
son  départ  9  comme  sa  fismme  etoît  fort  affli- 
^ée  et  fendoit  en  larmea,  Munatius ,  un  de» 
amjs  de  Caton  y  loi  dît  :  «  Prenez  courage  ^ 
«  AttBia  y  |e  vous  garderai  votre  mart.  Voitk 
«  <pii  est  tnen  dit  "i  ,  r^artit  Caton ,  sani^ 
rien  ajonter  davantage,  maisipiond  on  fiit  k 
une  |onmée  de  Home ,  et  qu'on  eut  soivpë  ^ 
Caton  dh  à  Munatius  :  h  Maintenant  y  afin 
«  qne  ta  puisses  tenir  la  parole  que  tu  as 
«  donnée  h  AttiKa  de  me  Uen  garder,  il  faut 
«  que  tu  ne  me  quittes  ni  ^mr  ni  nufl  ».  Etr 
même  temps  il  ordonna  que  tmnè  it$  sdirs  on 
tendh  dénie  lits  dans  sa  diambre  y  mt  pour 
bii  y  et  l'autre  pour  Munatius  ;  à&  sorte  que-' 
Mmiatias  y  olJigé  de  oondier  toujours  dans- 
la  même  chambre ,  éloit  bien  jititbt  gardé* 
par  Caton ,  qui  s'en  fldsoit  ufi  i»nuseinent  y 
que  Caton  ne  l'étoit  par  Munatius. 

Caton  menoit  toujours  b  sa  suite  qui^KO» 
esclaves  pour  le  servir  j  deyx  affrandbis  er 

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loa  CATON  b'utique. 

quatre  amis  particuliers  ^  tons  bien  montés , 
pendant  «|u'il  alloit  k  pied,  s'entretenant 
tantôt  avec  les  uns,  tantôt  avec  les  autres, 
comme  je  l'ai  dëjk  dit.  Quand  il  fut  arrivé  k 
l'armée,  où  il  y  avoit  plusieurs  légions,  le 
préteur  Rubrius  lui  en  jclonna  une  a  comman- 
der. Dans  ce  poste  honorable,  il  pensa  que 
ce  n'étoit  pas  un  acte  bien  extraordinaire  ni 
bien  royal  que  de  se  montrer  vertueux  lui- 
même  ,  vu  ou'il  n'étoit  qu'un  seul  homme , 
mais  qu'il  falloit  rendre  aussi  vertueux  que  lui 
tous  ceux  qu'il  avoit  sous  son  commandement.: 
Animé  de  cette  noble  ambition ,  il  ne  retran- 
cha pas  la  crainte  que  Ton  devoit  avoir  de 
sa  puissance 9  mais  il  ajouta  k  l'autorité,.  la 
raison,  qu'il  employoit  toujours  pour  periHia- 
der  et  instruire  ses  soldats.  A  cette  méthode , 
il  joignoit  les  récompenses  et  les  cbâtimeats; 
de  sorte  qu'il  seroit  difficile  de  dire  s'il  4e» 
rendit  plus  paisibles  que  belliqueux,  et  pliis 
vaillants  que  justes,  tant  ils  paroissoient  ter« 
ribles  k  leurs  ennemis ,  et  doux  k  leurs  allies, 
timides  k  commettre  tout  ce  qui  étoit  hon- 
teux, et  prompts  et  hardis  k  entreprendre  tout 
ce  qui  étoit  hoonète  et  digne  de  louange.  Il 
arriva  de  Ik  que  ce  dont  il  se  soucioitlemoins^ 
et b quoi  il  avoit  le  moins  pensé, fut  justement 
ce  qui  lui  fut  le  plus  acquis ,  réputation  , 
crédit ,  honneur  9  amitié  et  respect  de  la  part 

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CATON  d'uTIQUE.  1o5 

des  soldats.  Car  ce  qu'il  commandoit  aux 
au&es,  U  le  faîsoit  tout  le  premier  j  et  dans 
sa  mafiière  de  se  vêtir  y  de  vivre  et  de  mar- 
clier  en  campagne ,  il  s'^aloit  bien  plus  aqx 
moindres  soldats ,  qu'il  ne  se  conft^œoit  aux 
capitaineSé  Et  au  contraire,  dans  tout  ce  qui 
regardoit  les  mœurs ,  la  grandeur  décourage 
et  la  manière  de  parler,  il  tâchoit  toujours  de 
surpasser  les  officiers  les  plus  distingues,  et 
les  généraux  mêmes.  Et  par  Ik ,  avec  Festune 
des  troupes,  il  gagna  insensiUement  leur  af- 
fection. Car  le  véritable  zèle  pour  la  vertu  ne 
s'engendre  daiis  les  âmes  qivavec  l'amitié  et 
le  respect  dus  k  ceux  qui  en  donnât  l'exem- 

fAe^  et  c'est  une  chose  sûre  que  ceux  qui 
ouent  les  gens  vertueux  sans  les  aimer,  res-* 
pectent  bien  leur  réputatioa ,  mais  n'admirent 
point  leur  vertu,  et  ne  sont  pomt  soigneux  de 
rimiler. 

Cat<«  ayant  appris  qu' Athénodore ,  sur- 
nommé Cordylion ,  personnage  très  -  savant 
dans  la  philosophie  des  Stoïciens,  et  fort 
avancé  en  âge ,  étoit  retiré  k  Pergame ,  et 
qu'il  avoit  résisté  opiniâtrement  a  toutes  les 
prières  et  k  toutes  les  instances  que  des  géné- 
raux d'armée  et  des  rois  mêmes  lui  avoienl 
faîtes  pour  l'attirer  auprès  d'eux  ^^^  en  lui 
oQrant  leur  amitié  et  des  conditions  très-ho- 
uorables^  jugea  bkn  qi^ç  ge  serait  i^utikr-^ 

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Ao4  CATOW  U'ITTIQUE. 

meot  qu'il  lui  éeriroit ^^ et  qti^il  luieÉurerroit 
ifuelqu'uQ  pour  l'inriter  ii  venir  auprès  de  litt» 
C'est  pourquoi  ^  profitait  de  deui:  mois  de 
congé  que  les  loi»  romanes  lui  accordoîeiit 
pour  aller  vaquer  k  ses  aff^res^  il  s^efii(Mn|iia 
et  alla  en  Asie  trouver  ce  pkîlosophe,  se  pco- 
viettant  biea  de  toutes  les  bonnes  quintiÀ 
qu'il  sentoit  en  lui-aieme  j  qu'il  réiissiroitditiis 
SOQ  dessein  ,  et  qu'il  feroit  une  kemease 
diasse.  Quand  il  fut  auprès  de  loi ,  il  com- 
battit ses  sMytife  avec  tant  de  feree,  et  em-. 
ploya  de  si  bonnes  raisons  ^  qu'en&i  il  le  fit 
changer  de  résolution  ,  et  remmena  av^ee 
lui  dans  son  camp,  tout  fier  et  tout  foyeuic 
de  cette  victoire ,  qu'il  regardoit  conune  ua 
exploit  plus  grand  et  ph»  éclatant  que  toos 
ceux  de  LucuUus  et  de  Pompée,  qui  alioient 
sub)uguant  par  la  fosrœ  des  armes  les  satMns 
et  les  royaumes  de  l'Orient  '♦. 

Pendant  qu'il  étôit  encore  à  Farmée  ttflban 
de  soldats,  son  frère  C«pion ,  allant  en  Asie, 
tombai  malade  en  Ibrace ,  dans  la  ^ville 
d'iEnus  (a),  et  il  en  reçut  d'abord  la  mm- 
vellc  par  des  l^tves  qu'ôn'lui  écrivît.  Quoique 
le  temps  fut  trèsHOotauvais,  et  que  la  mer  ftt 
egitée  d'une  violente  tempête,  il  voulut 


(a)  Autrefois  A]^pe]ée  Msynthe -,  «Ile  étoUi 
de  1  embouchure  orientale  de  rfibr*,  dans  1«  cwtoi^ 


dbyCjOogle 


CATON  D\TTIQUE.  Ïo5 

tirsansdifférer  ;  et  ne  trouvant  point  de  grandi 
vaisseaux  y  i\  se  jeta  dans  un  navire  marchand 
avec  deux  de  ses  amis  et  trois  esclaves ,  et 
partit  de  Thessalonique  (a).  H  fut  en  très* 
grand  danger  d'être  submerge ,  et  ne  se  sauva 
que  par  un  bonheur  qu'on  n'auroit  jamais  osé 
espérer.  Il  arriva  ^  £nus  comme  son  fipèré 
veooit  de  rendre  le  dernier  soupir,  lifut  plus 
sensible  9i  cette  perte  au'il  ne  convenoil  a  un 
philosophe  ,  et  a  un  pnilosopfae  stoïcien  ;  car 
il  ne  témoigna  pas  seulement  l'excès  de  sa 
douleur  par  ses  regrets,  par  ses  soupirs,  par 
ses  larme»,  par  les  transports  qui  le  pous- 
soient  a  se  jeter  sur  ce  corps  mort  quil  em- 
brassoit  tendrement,  et  par  toutes  les  autres 
marques  de  ^affliction  la  plus  vive  et  la  plus 
sensible ,  mais  encore  par  la  grande  dépense 
qu'il  fit  k  ses  funérailles.  Il  employa  de  grosses 
sommes  en  parfums  et  en  drogues  odorifé- 
rantes,^ fit  brûler  beaucoup  d'étoffes  précieuses 
sur  son  bûcher ,  et  lui  éleva  au  milieu  de  la 
place  d' JSnus  un  tombeau  magnifique  de  mar* 
bre  de  Thasos,  qui  lui  conta  huit  talents  **• 
Il  y  avoit  beaucoup  de  gens  qui  blâmoient 
cette  dépense  excessive ,  et  qui  l'interpté- 
toîent  mal ,  en  la  comparant  k  la  modestie  et 
k  la  simplicité  dont  il  faisoit  profession  dans 

(a)  Dans  la  MacedoÎAe»  sur  U  golfe  Thermaï^e. 
A.  L.  D^ 


Xe 


)yL.oogle 


106  CATON  BOUTIQUE. 

tout  le  reste;  Mais  ces  gens  ne  s'apercevoient 
pas  combien  la  fermeté  inflexible  de  cethonioie 
contre  les  voluptés ,  contre  les  craintes,  contre 
ies  prières  injustes  et  impudentes,  étoit  mêlée 
de  douceur  et  d'humanité.  Plusieurs  villes  , 
princes  et  gouverneurs  lui  envoyèrent  beau- 
Cîoup  de  présents  pour  honorer  ces  obsèques  ; 
mais  il  refusa  tout  l'argent ,  et  ne  prit  ^e  les 
drogues ,  les  parAims  et  les  étoffes,  qu'il  paya 
k  ceux  qui  les  envoyoient. 

Ayant  été  institué  héritier  par  égales  por- 
tions avec  la  fille  unique  de  Caepion,  il  ne 
voulut  pas  que  sa  nièce  supportât  la  moindre 
partie  des  frais  qu'il  avoit  faits  pour  les  funé- 
railles de  sou  père.  Cependant,  malgré  celte 
générosité ,  il  se  trouva  quelqu'un  qui  laissa 
par  écrit,  qu^après  que  le  bûcher  fut  éteint ,  il 

{^assa  les  cendres  dans  un  tamis  pour  retirer 
^or  et  l'argent  qïû  avoientété  fondus,  tant 
cet  écrivain  croyoit  qu'il  lui  éloit  permis  d'at- 
taquer non  seulement  avec  l'épée,  mais  en- 
core avec  la  plume,  ce  personnage  que  sai 
vertu  mettoit  au-dessus  des  reproches  et  des 
calomnies  '6. 

Quand  Caton  quitta  l'armée  après  le  temps 
de  sa  charge  fini,  il  fut  accompagné  non  pai 
des  vœux ,  comme  cela  se  fait  ordinairement^ 
non  par  des  applaudissements  et  des  louanges, 
mais  par  les  regrets ,  les  larmes  et  les  embras- 

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CATOM  jiVTlQUE.  IO7 

sements  infinis  Ae  tous  les  soldats  qiii  s'em-- 
pressoîent  autour  de  lui,  qui  étendoient  leur* 
vêtements  sous  ses  pieds  partout  où  il  passoit, 
et  qui  lui  preiroient  les  mains  pour  les  oaiser; 
honneurs  que  les  Romains  de  ce  temps-lk  ne 
faisoient  qu'avec  peine  k  très -peu  de  leurs 
généraux.  Mais  avant  que  de  retourner  k 
Rome ,  pour  s'y  occuper  des  affaires  publi- 
ques ,  il  voulut  voyager  pour  connoitre  par 
lui-même  l'Asie,  et  pour  s'instnu're  des  mœurs, 
des  coutumes  et  des  forces  de  ses  provinces. 
Et  en  même  temps  il  fiit  bien  aise  de  faire 
plaisir  k  Déjotarus,  roi  de  Galatîe,  qui,  k 
cause  de  l'amitié  et  de  l'hospitaTitë  qu'il  avoît 
liées  autrefois  avec  son  père,  l'av<it  prié  avec 
de  grandes  instances  de  l'aller  voir. 

Il  partit  donc,  et  voici  de  quelle  manière 
il  fit  ce  voyage.  Le  matin  k  la  pointe  du  jour, 
il  envoyoit  son  cuisinier  et  son  boulanger  au 
lieu  où  il  devoit  coucher.  Ces  gens  entroient 
modestement  et  sans  bruit  dans  la  vîHe  ou 
dans  le  bourg  ;  et  s'ils  ne  trouvoîent  aucun 
ami  de  Caton ,  ou  de  sa  famille,  aucun  homme 
de  sa  connoissance ,  ils  lui  apprêtoîent  son 
souper  k  l'hôtellerie,  sans  être  h  charge  k 
personne.  Quand  il  n'y  avoit  point  d'hôtel- 
lerie oii  il  pût  loger,  alors  ils  s'adressoient  au 
gouverneur  ou  au  magistrat ,  et  se  conten- 
toient  du  premier  logement  qu'on  vouloit  leur 

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108  CATO»  d'UTIQUB. 

donner.  Il  arrivoit  même  souvent  cpi'on  ne 
youloit  pas  croire  qu'ils  fussent  a  Catoa  y  et 
ou'on  les  traitoit  avec  mépris,  parce  qu'ils  ne 
s^adressoient  pas  aux  magistrats  en  faisant 
beaucoup  de  nruit  et  avec  de  grandes  aie- 
naces  '^ .  de  sprte  que  Caton  très -souvent 
arrivoit  le  soir  qu'ils  n'avoient  point  encore 
pu  trouver  de  logis*  Mais  c'étoit  bien  pis 
quand  il  paroissoit:  car  on  n'en  faisoit  aucun 
cas;  et  quand  on  le  voyoit  assis  sur  son  ba- 
gage ,  sans  dire  une  seule  parole,  on  le  pre^ 
noit  pour  quelque  hoï&meile' néant  qui  n'osoit 
wvrir  la  boucne.  Cependant  il  les  appeloît 
quelquefois,  et  leur  disoit  :  «  Malheureux  ^ 
n  que  vous  êtes,  diéfaites-vous  de  cette  du- 
«  reté  que  vous  avez  nour  les  étrangers  ,  et 
fc  recevez-les  mieux.  C^e  ne  seront  pas  tou- 
<(  jours  des  Gâtons  qui  passeront  par  votre 
«  ville.  Tâchez  de  modérer  par  un  bon  ac- 
«  cueil  la  licence  que  leur  pouvoir  leur  donne 
«  chez  vous.  Ils  ne  chercbent  qu'un  prétexte 
<(  pour  prendre  par  force  et  avec  usure  ce  que 
<(  vous  n'aurez  pas  voulu  leur  donner  de  boa 
f  gré  ». 

On  dit  qu'en  Syrie,  il  lui  arriva  une  aven- 
ture fort  plaisante.  Comme  il  arrivoit  \  An— 
tioche,  il  vit  devant  la  porte  de  la  ville  quan- 
tité d'hommes  rangés  en  haie  avec  beaucoup 
d'ordre.  D'un  côté  étoieut  les  jeunes^  gc&s 

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arec  de  béaox  maoteaiix ,  et  de  Pautre  les 
enfants  inagDifiqiieiDent  parés.   Ensuite  on 
voyoît  marcher  des  hommes  vêtus  de  rohes 
blanches  9  queloiies-uns  même  avoient  des 
€oorcttines,  car  c'ëtoient  les  prêtres  des  Dieux 
et  les  magistrats.  Caton  cnit  d^abord  que 
cet  appareil  étoit  un  honneur  que  la  ville  Juî 
faisolt,  et  une  entrée  magnifique  qu'elle  lui 
avoît  préparée.  Il  gronda  extrêmement  ses  - 
gens  qu'il  avoit  envoyés  devant,  selon  sa 
coutume,  de  ce  qu'ils n'avoient  pas  empêché 
cette  cérémonie  et  ce  grand  appareH,  et  com- 
manda \k  ses  amis  qui  étpient  k  cheval ,  de 
descendre,  et  marcha  avec  eirx  k  pied  vers 
ceux  qui  s'avançoient.  Quafid  î!sfur<^nt  asse^ 
près,  le  maître  des  cérémonies  qui  régloit 
toute  cette  marche,  etquiempêchoit  la  foule  ^ 
homme  déjk^  ^é,  tenant  une  baguette  k  la 
main  et  une  couronne ,  s'avança  vers  Catoit- 
qui  mardioit  le  premier;  et  sans  le  s^iluer  ut 
lui  faire  aucun  honneur ,  il  lui  demande  «  ovT 
«  ils  avoient  laissé  Démétrlus,  et  s'il  arrive— 
«  roit  Inentàt».  Ce  Démétrius  étoit  un  af- 
franchi de  Povnpée^et  alors  toute  la  terre  ayant 
les  yeux  attachés  sur  Pompée,  faisoit  indi- 
gnement la  cour  k  soû  affi-ancbi ,  parce  qu'il 
étoit  tout -puissant  auprès  de  son  maître. 
A  cetltie  demande,  toiis  les  amis  de  Caton  se 
mirent  k  rire  avec  tant  de  force,  qu'ils  Jis^ 

D,g,t,zedbyijtf6'gle 


lld  CATON  d'uTIQUE. 

ponvoîent  se  retenir,  et  traversèrent  aînsî  la 
foule.  Caton ,  confos,  s'ëcrîa  :  «  O  la  malheu- 
«  reuse  vîlle  »  !  sans  dire  une  seule  parole  de 
plus.  Mais  dans  la  suite,  il  aroit  coutume  de 
rire  de  sa  mdprise,  soit  qu'illa  racontât  ou 
q'i'il  ne  fît  que  s'en  ressouvenir. 

Pompe'e,  par  son  exemple,  corr^ea  bien 
les  hommes ,  et  les  empêcha  de  commettre 
par  ignorance  de  ces  sortes  de  fautes  envers 
Caton.  Ce  dernier  étant  arrivé  a  Ephèse ,  alla 
Saluer  Pompée,  comme  celiii  qui  étoît  plus 
âgé  que  lui ,  constitué  en  plus  grandfi  dignité, 
et  d'une  plus  grande  réputation,  et  qni  com- 
mandoit  alors  les  plus  puissantes  armées  de 
l'empire.  Pompée ,  qui  le  vit  venir  de. loin  , 
ne  voulut  pas  l'attendre  sur  son  siège,  mais 
il  alla  k  sa  rencontre ,  comme  au-devant  d'un 
des  plus  grands  personnages, de  Rome  ;  et  lui 
tendant  la  main,  il  l'embrassa  avec  toutes  les 
marques  de  bienveillance  et  d'estime ,  donna 
de  grands  éloges  k  sa  vertu  en  sa  présence  , 
et  de  plus  grands  encore  quand  il  se  fut  retiré  j 
ide  sorte  que  des  ce  moment-la ,  tout  le  monde 
se  tourna  vers  Caton ,  et  n^eut  d'attention  qiie 
pour  lui  5  et  on  commença  k  Fadmirer  sur  le» 
choses  mêmes  qui  le  faisoîent  mépriser  aupa- 
.  ravant ,  et  k  reconnoHrc  de  plus  près  sa  dou- 
ceur et  sa  grandeur  d'âme.  L'on  ne  fut  pas 
long-temps  sans  s'apercevoir  que  ce  bon  ac- 

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C ATON  D'trriQUK.  1 1  If 

cucîl  de  Pompée  et  son  empressement  ponr 
lui,  étoient  plutôt  l'effet  de  l'estime  et  du 
respect  qu'il  ayoît  pour  sa  vertu,  que  d'an* 
cune  affection  qu'il  eût  pour  sa  personne.  Et 
on  vit  clairement  qu'il  ne  pou  voit  s'empêcher 
de  lui  marquer  une  grande  admiration^  et  de 
lui  faire  de  grands  honneurs  pendant  qu'il 
l'eut  auprès  de  lui,  mais  qu'il  fut  charmé  de 
le  voir  partir.  Car  tous  les  autres  jeunes  Ro- 
mains qui  l'alloientvoir,  ils'efforçoit  de  les  r^ 
tenir,  et  leur  témoignoit  tout  le  désir  qii'il  a  voit 
qu'ils  voulussent  rester  auprès  de  lui ,  au  lieu 
qu'il  ne  fit  pas  la  moindre  démarche  pour  re- 
tenir Caton.  Au  contraire,  comme  si  Gaton 
présent  eût  été  un  censeur  qui  lui  eût  de- 
mandé compte  de  toutes  ses  actions ,  et  con^ 
trolé  son  autorité,  il  vit  son  départ  avec  un 
grand  plaisir.  Il  est  vrai  qu'il  lui  recommanda 
sa  femme  et  ses  enfants,  honneur  qu'il  n'avoit 
encore  fait  k  aucun  de  ceux  qui  étoient  re- 
tournés k  Rome;  mais  il  faut  dire  aussi  qpi'ils 
étoient  proches  parents  de  Caton.  Depuis  ce 
moment ,  toutes  les  villes  par  où  il  passoit , 
déih  pleines  de  sa  réputation ,  s'empressoient 
k  i'envi  k  qui  lui  feroit  le  plus  d'honneur.  Ce 
n'étoit  partout  que  banquets  et  fêtes  qu'on 
kii  donnoit;  et  au  milieu  de  ces  réjouissances, 
il  prioit  ses  amis,  de  prendre  gar^e  k  lui ,  de 
peur  que^  fta%  s'en  apercevoir,  il  ne  confirm&t 

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113  CATON  P'UTIQU*. 

un  mot  que  Ciirîon  lui  avoît  dit  autrefois.  Ce 
Curion ,  fâché  de  voir  l'austérité  de  Caton 
qui  étoit  son  ami  et  sou  camarade,  lui  de* 
manda  un  jour  ^  «  si  après  le  temps  de  sa 
«  charge  expiré ,  il  ne  seroit  pas  bien  dise 
«  d'aller  voû-  l'Asie  h.  Caton  lui  ayant  ré* 
pondu  qu'il  la  verroit  avec  plaisir  :  «  Tu 
H  feras  fort  bien ,  repartit  Curion ,  car  tu  re— 
il  viendras  de  la  plus  doux  et  plus  traitable  »  ; 
et  il  se  servit  d'un  m(M  latin  (a)  qui  signifie 
proprement  cela. 

Déjotarus,  roi  de  la  Galatie ,  envoya  prier 
Caton  de  le  venir  voir^  car  il  étoi^  déjk  vieux, 
et  il  vouloit  lui  recommander  et  mettre  sous 
sa  protection  ses  enfants  et  toute  sa  maison. 
Dès  qu'il  fut  arrivé  k  la  oour ,  le  roi  Itii  en- 
voya toutes  sortes  de  magaifiques  présents  , 
pour  gagner  sa  £|veur^  et  employa  tous  les 
moyens  imaginables  et  les  prières  les  plus 
pressantes  pour  le  porter  k  lesxeoevoir.  Caton 
fut  si  irrité  de  ces  démarches,  qu'étant  arrivé 
le  soir ,  il  ne  ^t  que  coucher  dans  son  palais ,   1 
et  partît  le  lendemain  veis  la  tro^èflie  heure   \ 
du  joiu*.  Mais  le  aoir  en  arrivant  k  Pessi-^  | 
nonte  {i>)y  il  y  trouva  luie  phœ  grande  quantité  , 
de  présents  enoare  plus  riebes ,  avec  des  let--  ' 

(a)  Mansuetifff. 

(b)  ViUe  de  la  prtyrince  d^Asie ,  appelée  Galatie, 
^  Gallo^Grà^Cf  présida  flei|^*4»aQ§Rra.  ^»'^-  wD.^ 

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î 


CATON  d'uTIQUK.  1i5 

très  de  Déjotarus,  qui  le  oonjuroît  de  le»^ 
agréer jf  ou,  s^il  ne  vouloit  pas  liù  faire  cet 
honneur ,  de  permettre  au  moins  k  ses  amîs^ 
de  les  prendre  :  «  car,  disoitril,  ils  sont  bien 
H  dignes  de  recevoir  du  bien  de  vous;  mais- 
(c  vous  n'en  avez  pas  assez  pour  les  enrichir 
{(  comme  ils  le  méritent  ».  Catoa  ne  le  vou- 
lut jaiQais  souffrir,  quoiqu'il  en  vit  plusieurs 
ui  étojent  tentés  et  qui  murmuroient  tout  bask 
e  ne  pas  profiter  de  cette  occasion.  Mais  il 
leur  dit  que,  s'ils prenoient  ces  présents,  cela 
fourziiroit  des  prétextes  a  toutes  les  exactions 
et  a  toutes  les  concussions,  et  que  d'ailleurs^ 
ses  amis  partageroient  toujours  avec  lui  tout 
le  bien  qu'il  aurait  acquis  par  des  voies  justes 
et  hennetes.  Ainsi  il  renvoya  k  Déjotarus  aes 
riches  pr^nts.  Comme  il  étoit  prêt  a  s'eiD- 
barquei*  pour  repassa  k  Brunduse,  ses  ami» 
lui  reprfôentèrent  qu'il  falloît  mettre  dans  ua 
autre  vaisseau  les  cendres  de  son  frère  Cch 

5 ion  y  qu'il  transportoit  avec  lui  ;  mais  il  leur 
it  qu'il  se  sépareroit  plutôt  de  son  âme  qim 
de  CCS  restes  précieux,  et  mit  k  la  voile.  Ont 
dit  qu'il  arriva  par  hasard  que  le  vaisseau  ovk 
il  ëtoit,  fut  en  grand  péril  dans  ce  passage^ 
au  lieu  que  tous  les  autres  firent  œtte  tra-«^ 
versée  assez  heureusement  **.  . 

De  retour  a  Rome,  il  étoit  toujours  ou  dans 
sat  maison  k  conférer  avec   le  philosophe 

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Il4  CAtÔN  D'UTIQtm. 

Athënodorc,  ou  sur  la  place  publique  pour 
servir  ses  amîs.  Des  qu  il  se  vit  en  âge  (a) 
àe  demander  la  questure ,  il  ne  se  mît  sur  les 
tangs  qu'après  avoir  lu  avec  soin  toutes  les 
lois  et  les  oi^donnances  qui  concernoîent  Pétat 
et  l'office  de  qiiesieur ,  avoir  .consulté  sur 
chaque  point  ceux  qui  avoîent  le  plus  d'expé- 
rience ,  et  s'être  mis  au  fait  de  toute  l'auto- 
rité et  de  la  puissance  que  cette  charge  pou- 
voit  donner.  De  la  vint  que ,  dès  qu'il  y  fut 
installé ,  il  fit  de  grands  changements  parmi 
les  officiers  et  les  greffiers  du  trésor  pid)lîc, 
qui ,  ayant  toujours  entre  leurs  mains  les  re- 
gistres et  les  lois  sur  les  finances,  quand  ils! 
venoient  k  avoir  h  leur  tète  de  jeunes  ques- 
teurs, qui,  par  leur  ignorance  et  par  leur 
peu  d^expérîf  nce ,  avoient  encore  besoin  de 
maîtres,  ne  leur  Jaissoieni  pas  l'autorité  entre 
les  mains,  maïs  devenoient  eux-mêmes  les 
véritables  questeurs.  Caton  corrigea  cet  abus  j  ' 
car  prenant  les  affiiires  b  cœur ,  et  s'y  appli- 
quant fortement  ,  il  ne  se  contenta  pas  seule- 
ment du  titre  et  des  honneurs  de  questeur, 
mais  il  voulut  en  avoir  encore  l'esprit ,  le  cou- 
rage et  le  Ton  ;  et  mit  les  greffiers  sur  le  pied 
de  n'être  plus  que  ses  officiers  pour  servir 
sous  lui  5  comme  c'étoit  leur  véritable^état  *9. 
11  les  reprenoit  quand  fls  manquoientii  leur* 
(tt)  Cet  âge  étoit  fixé  «  aS  ans. 

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CATON  d'UTIQUB.  Il5 

.devoir  et  les  instruisoit  quand  ils  faisolent  des 
fautes  par  ignorance.  Comme  la  licence  oà 
ils  avoient  vécu  les  avoit  reudus  fiers  et 
audacieux ,  et  qu'ils  alloient  flatter  et  caresser 
les  autres  questeurs  |)Our  pouvoir  plus  impu- 
nément s'opposer  a  lui  y  il  commença  par  pri- 
ver de  son  emploi  le  principal  d'entre  e\x%  ^ 
convaincu  de  mauvaise  foi  et  de  fraude  dans 
le  partage  d'une  succession  entre  des  cohéri- 
tiers. Il  en  appela  un  autre  en  justice  pour 
Ëilsification  ou  supposition  de  testament.  Li- 
tatius  Catulus,  qui  étoit  alors  censeur ,  et  qui  . 
tiroit  de  sa  charge  un  grand  relief,  et  un  plus 
grand  encore  de  sa  vertu,  comme  se  distinguant 
au-dessus  de  tous  les  Romains  par  sa  justice  et 
par  sa  grande  sage^,  parut  pour  le  défendre, 
quoiqu'il  fut  d'ailleurs  le  panégyriste  deCaton, 
et  qu  il  passât  avec  lui  la  plus  grande  partie  de 
sa  vie  5  mais  se  voyant  vaincu  par  la  force  des 
raisons  et  des  preuves,  il  demanda  ouverte^ 
meut  qu'a  sa  considération  on  pardonnât  k 
cet  homme.  Caton  vouloitTempècher  de  don- 
ner suite  a  une  demande  si  infuste  ;  et  comme 
il  redonbloit  ses  instances ,  Caion  lui  dit  : 
«  Catulus  9  c'est  une  honte  que  voua^  qui  ête  > 
«  censeur,  et  qui  en  cette  qualité  devez  fair« 
«  une  information  exacte  de  nos  vie  et  mœurs,^ 
i(  vous  vous  laissiez  dégrader  par  nos  servi- 
ra tetuis  ^"^  qui  ont  malyersé  dans  leuf.Qi&qe  n  i 

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Il6  GATON   D'UTIQUK. 

A  ces  mots,  Catulus  le  regarda  cc^nme  se  prë« 
parant  k  répondre;  mais  cependant  il  ne  dit 
rien ,  et^  soit  colère  ou  honte ,  il  se  retira  tout 
«onfus.  Cependant  le  coupable  ne  fut  pas  oon- 
-damné;  car  s'ëtant  trouvé  une  voix  de  plus 
pour  le  condamner  que  pmu:  Pabsoudre,  Lu- 
tatius  Catulus  envoya  d'abord  b  Marcos  Loi- 
lius  y  collègue  de  Caton  dans  la  questure , 
tjui  y  'a  cause  de  quelque  indisposition^  n'a  voit 
pu  se  trouver  au  jugement,  pour  le  prier  de 
venir  sur  l'heure  même  au  secours  de  ce  mal- 
heureux, Lollius  se  fit  porter  en  litière,  e< 
arriva  après  le  jugement  rendu.  Il  ne  laii 
pas  de  donner  son  suffrage  en  faveur  du  cri- 
minel; et  p^r  Ik  les  voix  s'étant  trouvé  par 
tagées,  il  fut  sauvé.  Mais  Caton  ne  voukil 
plus  se  servir  de  lui  pour  greffiei*,  ni  lui  paye 
ses  gages ,  et  refusa  de  compter  la  voix  d 
Lollius  comme  une  voix  utile.  ^ 

Par  cette  conduite  pleine  de  droiture 
de  fermeté,  Caton  humilia  les  greffiers,  l 
rendit  souples  et  soumis,  eut  \k  sa  dispositioi 
tous  les  registres ,  et  rendit  par  Ik  en  peu  d 
temps  la  chambre  du  trésor  plus  grave  et  plu 
respectable  que  le  sénat  même.  De  sorte  qu^ 
tout  le  monde  pensoit  et  disoit  que  Csttoïà 
avoit  ajouté  k  la  questure  toute  la  dignité  etj 
toute  l'autorité  du  consulat;  car  ayant  trouv^ 
4'anciefifies  dettes  4es  particaliers  au  trésoii 

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CATON  d'UTIQTTK.  II7 

public,  et  du  trésor  aux  particuliers,  il  cor- 
rigea ce  désordre,  et  régla  si  bien  toutes 
choses,  que  la  ville  ne  fit  et  ne  reçut  plus  au- 
cun tort;  car  il  exigea  avec  la  dernière  ri- 
gueur, toiitrce  qui  lui  étoit  du,  et  il  l'obligea 
aussi  de  payer  sans  remise  et  sans  aucun  re- 
tranchement tout  ce  au'elle  devoit  ;  de  ma- 
nière que  tout  le  peuple  admiroit  et  respectoît 
également  Caton ,  en  voyant  que  ceux  qui 
sVtoieut  flattés  de  priver  la  république  de  ce 
(ju'iis  lui  dévoient,  ëtoient  forcés  de  payer, 
et  que  ceux  qui  avoient  cru  pevdre  tout  ce 
^iii  leur  étoit  dû,  éîoient  remboursés  avec  \h 
dernière  exactitude.  D'un  autre  côté,  la  plu- 
part présentant  a  la  chambre  du  trésor  des 
billets  suspects  et  de  fausses  ordonnances ,  et 
les  questeurs  qui  avoient  été  avant  lui,  ayant 
coutume  de  les  recevoir  par  faveur,  ît  eut  si 
lien  l^œil  sur  toutes  ces  malversations ,  qu'il 
ne  lui  en  échappa  aucune^  jusque-lk  qu^m 
jour  étant  en'  doute  si  unje  ordonnance  qu'on 
lui  préseatoit  étoit  bonne,  quo^îque^ beaucoup 
de  témoins  en  assurassent  la  vérité,  il  ne  vo!i^ 
lut  jamlafs  les.  croire  ni  en  ordonner  le  paie- 
ment, qu^après  que  les  consuls  furent  venus 
affirmer  que  cette  ordonnance  -étoit  d'eux. 

11  j  avoit  plusieurs  assassins  dont  SylU 
s'ëtoit  servi  poiir  égorger  -ses  victiitiès ,  et  k 
;ui  il  avoit  d^iiné  poiu*  réepjaape^se  dla^  sa 


X. 


dbyifcogl 


c 


Il3  CATON  n'UTIQUK. 

seconde  proscription^  jusqu'à  douze  millti 
drachmes  (a),  pour  chaque  tête  qu'ils  lui' 
avoient  apportée.  Tout  le  monde  les  regar- 
doit  avec  horreur  commis  <des  scélérats,  et  des 
gens  maudits^  mais  personne  n'osi^k  les  pour- 
suivre.Caton  les  appela  tous  en  justice,  leur  fit 
rendre  ce  qu'ils  avoieût  reçu,  et  leur  re- 
procha publiquement,  avec  autant  de  colère 
que  de  raison ,  l'injustice ,  Thorreur  et  l'im- 
piété de  tous  ces  meurtres.  Ceirx  qui  avoieBt 
essuyé  cette  ignominie  étoiént  ensuite  accuses 
d'homicide  ;  et  comme  déjà  convaincus  et  con- 
damnés  par  ce  premier  jugement,  ils  étoieni 
conduits  aux  juges  qui  dévoient  les  faire  exé- 
cuter ,  et  ils  reccvoient  sur-le-champ  la  punii 
tion  que  méritoient  leurs  crimes,  k la  grande 
satisfaction  de  tous  les  Romains;»  qui  oroyoieiil 
voir  par  ce  moy^n  la  tyrannie  entièremen} 
déracmée,  et  Sylla  lui-même  pimi  de  se^ 
caiauté3. 

Mais  ce  qui  chaiijnoit  encore  extrènkemeni 
le  peuple ,  c'étoit  son  activité  et  son  assiduité 
infatigable  dans  les  fonctions  de  son  ministère^ 
car  tous  les  joiurs  il  arrivoit  avant  tous  sel 
collègues  dans  la  chambre  du  trésor  ,  et  e^ 
sort  oit  le  dernier,  et  ne  mancp^ioitk  aucune 
assemblée  du  peuple,  ni  a  aucune  eonvoca- 
tion  du  sénat  ;  car  ii  craignoit ,  et  avoil  cou^ 

(a)  Eaviroir  iù,Wj  fr .  d«  kiotn  atomabic.  w^v  L.  U 

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CATON  d'UTIQUE.  11^ 

f/nnellcmcnt  Fœil  li  empêcher  qu'il  n'y  eût 
des  gens  qnî ,  par  faveur,  remissent  les  impo- 
sitions et  les  sommes  dues  à  la  t''^publiqùe , 
ou  qui  ordonnassent  des  gratifîca lions  peu 
méritées.  Ainsi  ayant  nettoyé  et  purgé  le  tré- 
sor public  des  calomniateurs  et  delà  vermine 
des  sycophadtes,  et  l'ayant  rempli  d'argent, 
il  fit  voir  qu'une  ville  peut  devenir  riche  sans 
faire  la  moindre  injuslice ,  et  que  la  règle  et 
l'ordre  suflSsentpour  Tcnrichir.  A^u  commen- 
cement 5  cette  conduite  le  rendît  fâcheux  et 
iflsupportable  k  ses  collègues;  maïs  dans  la 
suite  ils  en  furent  très-contents  :  car  ils  virent 
qu'en  refusant  ainsi  de  faire  des  largesses  des 
deniers  publics,  et  de  juger  par  feveur,  il 
s'exposoit  seiîl  pour  eux  tous  aux  criailleries  et 
a  la  haine  des  me'contents ,  et  qu'il  leur  four- 
lïissoit  une  excuse  très-valable  envers  ceux 
qui  les  prioient  et  qui  lés^solljcitoient,  qui 
étoit  de  dire  qtfils  ne  pouvoient  rien  sans  le 
consentement  de  Caton.  ^       .    •» 

Le  dernier  jour  de  sa  magistrature ,  domme 
il  étoit  reconduit  chez  lui  par  la  plus  grande 
partie  des  citoyens,  il  fut  averti  que*Marcellus, 
l'un  des  questeurs,  étoit  dans  la'charnbre  du 
trésor ,  et  que  plusieurs  de  ses  amis  et  dps 
principaux  de  Rome  l'assîégeoient  et  l'envi- 
ronnoicnt,  le  pressant  d'ordonner  te  paiement 
<ie  quelques  sommes  qu'ils  prétendoient  leur 

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3Î20  CATON  d'utIQUE. 

êlre  dues  par  la  république.  Ce  M.nrcelliis 
♦îtoit  ami  de  Caton  des  Tenfance  :  et  quand  il 
étoit  avec  lui,  il  s'acquittait  pamrtenirnt  des 
devoirs,  de  saçharge;  mais  quand  il  ëlcit  seul  y 
il  avoit  honte  de  refuser  ceux  qui  le  prioient , 
et  se  laissoit  aller  facilement  a  accorder  les  ; 
grâces  qu'on  lui  demandoit.  Caton  retourne 
promptenaent  s»r  ses  pas ,  et  trouve  qu'on 
avoit  déjk  forcé  Marcel  Ins  a  ordonner  ce  paie- 
ment. Il  demande  sur  l'heure  le  registre,  et 
efface  cet  article  en  présence  même  de  Mar- 
cellus.,  qui  ne  dit  pas  une  seule  parole.  Non 
content  de  cela.,   il   l'emmena  hors  de   la 
chambre ,  et  ne-  le  quitta  point  qu'il  ne  l'eiit 
remis: dans  sa  maison;  et  jamais  Marcellus , 
ni  alors,  ni  depuis ,  ne  fit  la  moindre  plainte 
de  ce  procédé  de  son  collègue  :  au  contraire, 
il  persévéra  constamment  dans  sa  familiarité 
et  dans  son  aroîtié  jusqu'à  la  mort.  ! 

Caton^,  sorti  de  la  questure,  n^abandoxina 
|>ourtant  pas  la  chambre  du  Irésor,  et  ne  la 
laissa  pas  sans  surveiUants  et  sans  gardes  ;  car 
il  y  faisoit  tenit*  pendant  tout  le  jour  quelques- 
uns  de  ses  domestiques  qui  avoient  soin  d'é- 
crire toutes  les  dispositions  qui  s'y  fRisoient  ; 
et  lui-même  il  avoit  aisheté,  cinq  talents  (a), 
des  registres  où  étoient  contenus  tous?  les  re- 
venus de  là  républicfué.,  et  les  emplois  qu'on 

(a)  EoTiroQ  24>6ot  Ip.  de  noire  moanoie.  ^^  Z*  R 

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CATON  D'tTIQUE.  121 

en  avoît  faits  depuis  le  temps  de  Syl^a  jusqu'à 
celui  de  sa  questure,  et  il  les  a  voit  toujours 
eotre  les  mains.  Et  comme  il  entroit  toujours 
au  sénat  le  premier,  et  qu'il  sortoit  le  dernier,  il 
arrivoit  souvent  qu'en  attendant  que  les  autre» 
scnatetirs  fussent  arrive's,  ei  que  rassemblée 
fut  çonfiplète ,  il  se  retiroît  a  Pécart  pour  lire, 
en  mettant  sa  robe  devant  son  livre.  Jamais  il 
n'alla  k  la  campagne  les  jours  que  le  sénat 
de  voit  s'assembler. 

Depuis  ce  temps-lb ,  Pompée  et  ceux  de 
son  parti,  voyant  qu'il  étoit  impossible  de 
porter  Caton ,  ni  par  la  douceur ,  ni  par  la 
force ,  a  les  favoriser  dans  ce  qu'ils  poursui-? 
voient  injustement,  imaginèrent  des  moyens 
de  le  distraire  et  de  l'empêcher  d'entrer  au' 
sénat,  en  l'occupant,  ou  h  aller  sur  la  place 
publique  déÇwidre  ses  amis ,  ou  a  faire  quel- 
ques arbitrages,  ou  k  terminer  d'autres  af- 
faires. Mais  Galon ,  qui  s'aperçut  proraptement 
de  ces  pièges ,  se  refusa  a  tout  ce  qu'on  lui 
pioposoit ,  et  déclara  formellement  que  les 
jours  de  sénat ,  il  ne  vaqueroît  k  aucune  antre 
affaire  de  quelque  nature  qu'elle  ftit  ;  car  ce 
n'étoît  ni  par  l'amour  de  la^ réputation ,  ni  par 
le  désir  des  richesses,  ni  par  un  effet  du  ha- 
sard ,  qu^il  s^Ôoît  jeté  dans  l'administration 
des  affaires  publiques;  mais  il  avoit  embrassé 
cet  état  après  une  mure  délibération ,  patce 

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T2ÎI  CATON  d'UTIQUE. 

qifil  le  rcgardoit  comme  la  profession  d'un 
nomme  de  bien.  C'est  pourquoi  il  se  croyoit 
eoeore  plus  obligé  de  vaquer  aux  affaires  de 
la  république  y  et  d'en  avoir  plus  de  soin  , 
que  1  abeille  n'en  a  de  sa  ruche  et  de  sqa  miel. 
Dans  cette  vue ,  il  eut  grand  soin  de  se  faire 
euvoyer  par  ses  hôtes  et  par  ses  amis  qu'il 
avoit  dans  le3  provinces ,  toutes  les  affaires , 
les  ordonjoances.,  les  jugements,  en  un  mot 
tt)ut  le  détail  de  la  conduite  et  des  prinoij^ales 
acîions  des  gouverneurs. 

Un  jour  il  entreprit  Publius  Clodius ,  sé- 
ditieux haçangueur,  qui,  par  ses  discours  et 
par  ses  actions,  jetoitdes  semen<3esde  grandes 
nouveautés,  et  calomnioit  devant  Iç  peuple 
les  prêtres  et  les  vestales ,  parmi  lesquelles 
Fabia  Térenîia ,  sœur  de  la  femme  de  Gicéron, 
fut  en  très-grand  danger.  Caton  prit  leur  den 
fense ,  et  parla  avec  tant  de  force,  qu'il  <5oii-i 
vrît  Clodius  de  copfusion ,  et  l'obligea  k  sortiii 
de  la  ville.  Et  comme  Cicéron  youUit  Ten 
remercier,  il  lui  dl|:  «  qu'il  devoit  remercier 
«  Rome,  parce  que  c'étoit  pour  l'amour  d'elle 
«  seule  qu'il  faisoit  tout  ce  qu'il  faisoit  dans 
«  le  gou  vernementret  dans  les  fonctions  de  son 
«  ministère».  Cela  lui  acquit  une  si  graudd 
réputation ,  qu'un  jour  un  orateur,  dans  une 
affaire  où  l'on  ne  prodiiisoit  qu'un  témoia  j 
dij;  aux  juges  dans  son  plaidoyer,  «  «jii'U  ne 

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CATON  d'uTIQUE.  123 

ta  falloît  point  avoir  égard  ^  iia  seul  témoin  ^ 
<(  quand  ce  témoin  seroit  Cat^n  lui-même  ». 
C'étoit  même  déjà  comme  une  espèce  de  pro* 
verbe  ;  quand  on  parloit  de  choses  étranges 
et  incroyables,  la  plupart  des  gens  disoienl  : 
a  Gela  ne  seroit  pas  croyable ,  ^quand  même 
a  ce  «eroit  Caton  <jui  le  diroit  »•  Un  homme 
fort  débauché  et  très-déréglé  dans  sa  dépense, 
ayant  fait  dans  le  sénat  un  long  diseours  snr 
la  simplicité  et  sur  la  teppéranc^,  un  des  sé^ 
Dateurs,  nommé  Amnéus,  se  Içva  et  lui  dit  : 
«  Mon  ami ,  qui  penseMn  qui  pourra  sUppor^ 
ik  ter  que  Vtt  parles  CQixime  Caton ,  toi  qui 
d  tiens  table  comme  Cra^sus ,  et  bâtis  comme 
tt  Luculliift  (a)  »?  Au^i  tous  ceux  qui 
étoient  dissolus  et  intempérants  dans  leur 
conduite,  et  graves  et  austères  dans  leurs  dis- 
cours ,  on  les  appelait ,  par  ironie  ^  des  Gâtons. 
Ses  amis  le  pressoient  de  penser  a  la  charge 
de  tribun;  mais  il  ne  crut  pas  qu'il  fût  encore 
temps,  et  dit  qu'il  en  étoit  d^  U  puissance  et 
de  l'autorité  de  cette  charge,  coimw  d'imc 
médecine  tiès-fovfe,  et  qp'il  ne  i^Uoit  y  avoir 
recours  quedaas  une  griande  népe$sité.  Comme 
les  afiaires  piibliqiti.es  lui  ]ais$oiei|t  alors  un 
grand  loisir,  il  fit  provision  de  livrés,  emmena 
avec  liii  qudq|i|es  philpâophg$,  Qt  partitpour  ses 

(a)  Dans  la  vie  de  I^nca]ias,c^st  CatOQ  lui-même 
gui  tient  C9  propos^  ^«  Z«  D,^ 

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12 4  C?ATON   d'uTIQUE. 

terres  de  la  Lwcafiîe,  où  il  a  voit  des  mafsoDSl 
dont  le  sëjonr-ëtoit  fort  agi*e'able.  En  chemîii, 
il  rencontra  quantité  desonnuiers,  beaiiconp) 
de  bagages ^et  lUi  grand  nombre  d'èselàves.  Il 
demanda  h  qui  appartenoient  ces  équipages, 
on  lui  dit  «  qu^iW  e'toient  b  Métellns  Népos 
4C  qui  s'en  retournoît  b  Rome  pour  demander 
«  le  tribunat  ».  A  ces  mots,  Caton  s'arrêta 
sans  dire  une  seule  parole;  et  après  avoir  ré- 
fléchi qudqtie  temps,  il  commandai  ses  gens 
de  rebrousser  ebeoiio.  Ses  amis  pîrroissanC 
étomiés  de  ce  changement  si  prompt ,  il  leur 
dit  :  <t  Ne  savez-vons  pas  que  M  été I  lus  est 
«  déjk  très-redoutable  par  sa  folie? Et  aii- 
a  jourd^iruî  qiiMl  va  »  Rome  y.  attiré  par  Pom- 
«  poe,  il  tombera  sur  le  gouvernement  comme 
«  la  foudre,  et  écrasera  et  embrasera  tout.  Il 
<(  ii'est  donc  pltistempd^aller  a  la  campagne 
«  se  divertir  5  iHbjiit  aller  traverser  cet  homme 
«  et  le  faire  échouer  ^  ou  périr  glorieusement 
«'  en  combattant  pour  la  liberté)) .  Cependant^ 
sur  les  remontrances  de  ses  amis,  qui  hii  re- 
présentèrent  qnc  Paffaire  de  Mélellus  n'iroît 
pas  si  vite,  il  alla  dans  ses  terres,  où  il-ne  fit 
pas  im  long  séiouk*,  et  retourna  j^omptemeut 
k  Rome. 

11  y  arriva  le  soir,  et  dès  Iç  lende- 
main matin  il  se  rendit  sur  la  place  publique, 
et  brigua  le  tribunatpours-oppos^ii  Mételius, 

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CATON  d'UTIQTJE.  125 

et  pour  rendre  nulles  toutes  ses  entreprises:  car 
la  force  et  l'autorité  de  cette  charge  de  tribun 
consistent  plus  k  eimpècher  qu'k  faire;  de  sorte 
que ,  quand  tous  les  autres  tribuns  auroieût 
arrêté  et  conclu  use  chose,  s'il  y  en  a  un  seul 
qui  n'en  soit  pas  d'avis  et  ne  veuille  pas  la 
permettre ,  ce  seul-lk  remporte  sur  tons  ses 
collègues.  Catoh  n'eut  pas  d'abord  un  grand 
nombre  d'amis  autour  de  lui  ;  mais  dès  qu'on 
Sfit  k  quel  dessein  il  demandoit  cette  charge  ^ 
tous  les  gens  de  bien,  étions  ceui^dont  il  étoit. 
connu,  accoururent  dans  le  moment,  rohor— 
tèrent  et  l'encouragèrent  k  poursuivre  sa  de«> 
mande,  lui  disant  :  «Que  cène  seroit  pas  utte> 
«  grâce  qu'il  recevroit,  mais;qu'il  en  feroit 
((  une  très -grande  k  sa  patrie  et  a  tous  les 
«  honnêtes  gens ,  en  ce  qu'ayant  pu  souvent 
«  obtenir  cette  charge  sans  aucune  peine ,  et. 
«  dans  des  temps  qui  ne  présentoient  aucune* 
«  difficulté,  il  ne  l'avoit  jamais  voulu;  et  que* 
«  pëscfntementil'venoit  lar  demander,  lors-, 
«cpi'il'étoit  question  de  combattre  pour  la 
((  liberté  et  pour  le  gouvernement,  non  sans» 
«  un  très-grand  danger  de  sa  personne.^).  Ou 
dit  ffième  que  la  seule  foule  de  ses  amis  et  de 
tous  oeux  qui s'empressoient  autour.de  lui, 
pour  lui  marquer  leur  affeetion  ,  h  mit  eu, 
très-grand  péril  :.car  il  pensa  être  étouffé  j  et 

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ynSi         '       C4T0N  BOUTIQUE, 

ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup  de  peine  qu'il 
arriva  jusqu'k  la  place. 

Ayant  donc  été  nommé  tribun  ayec  Mé- 
tellus  et  d?autres  collègues^  et  voyant  qu'on 
achetoit  tes  voix  pour  HélectioD  des  consuls , 
il  prononça  un  beau  discours  dans  lequel  il 
fit  de  ^ifs  reproches  au  peuple ,  «t  finit ,  en 
protestant  avec  serment,  qu'il  accuseroit  et 
poursui  vroît  en  justice  quiconque  auroit  donné 
de  l'aident,  pour  acheter  les  suffrages  j  il  ex- 
cepta seuleiïjent  Silanus  qui  étoit  son  allié  5 
car  Silamis  avoit  épousé  Servilia,  sœur  de 
Caton,  Voîlk  pourquoi  il  ne  fit  contre  lui  au- 
cune poursuite,-  lorsqu'il  s'attacha  a  pouf- 
snivre  Lucins  Mûréna ,  ;qai ,  k  force  d'argent, 
s'étoît  •  fait  nommer  coUègu©  de  Silanus  au 
consulat  *^  Il  y  avoit  nne  loi  qui  permettoit 
â  l'accusé  de  donner  k  Paecusateur  un  garde 
et  un  surveillant,  afin  qu'il  pût  être  averti  de 
toutes  les  pièces  et  de  toutes  les  preuves  qu'il 
rassembleroit  potir-formîei?  s6n  aecusatioD ,  et 
qu'il  eut  le  terops^de  préparer  ses  réponses. 
Celui  que  Mwréna  donna  k  Caton ,  pour  le 
suivre,  et  potir  l'observer ,  voyant  qu'il  n'u- 
soit  ni  de  fraude  ni  d'injustice ,  mais  qu'il 
agissoit  de  bonne  foi ,  avec  humanité  et  frao- 
diîse,  en  suivant  sans  détour  la  voie  droite 
et  simple  de  Paccusation  ,  fut  si  charmé  de 
celle  générosiié  et  de  ces^mœurs  pleines  de 

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CATON  ty^UTIQUE.  1^7 

droiture  ^  qiie  tous  les  matins  il  alloit  le  trou- 
Ter  ou  k  la  place ,  ou  chez  lui ,  et  lui  demau- 
doit  si  ce  joUr4k  il  fcroit  quelque  acte  relatif 
k  la  procédure  :  si  Caton  lui  disoit  qu'il  n*ea 
ferait  point ,  il  lé  croyoit  sur  sa  parole ,  et 
s'en  reiournoit.  Quand  cette  cause  fut  plaî- 
dée  ,  Cioéron  ,  qui  étoît  alors  éonsul ,  et  qui 
pai lolt  pour  Muréna ,  railla  beaucoup  les  pni- 
losophes  stoïciens ,  dont  Caton  avoit  em- 
brassé la  secte  ;  il  se  moqua  surtout  fort  plai- 
samment de  leurs  dogmes  qu'ils  appellent  ;7a- 
radoxes ,  de  sorte  qu'il  fit  extrêmement  rire 
les  juges  ;  et  Foii  arapporle  que  Caton  en  sou- 
riant dit  k  ceux  qui  étbient  près  de  hii  :  «  Mes 
((  ainis ,  que  nous  avoûs  IH  un  consul  qui  est 
K  plaisant»  !  Muréna ,  ayant  été  absous ,  n'en 
'  usa  point  avec  Gaton  en-  bomme  méchant  y 
vindicatif  9  ou  insensé  ;  car  ayant  été  fait  con- 
sul ,  il  se  servit  suilout  de  ses  conseils  dans 
les  affaires  les  plus  importantes,  et  persévéra 
jusqu^a  la  fin.  à  Ite  respecter  ,  a  l'honorer  et  k 
lui  accorder  sa  cosfiancb.  Et  c'étoît  Catoo 
lui-même  qui  s'attiroil  ce  respect  et  cette  con- 
fiance ;  car  il  à'étoit  terrible  et  redoutable 
^ue.  dans  les  assemblées  du  peuple  et  dans  le 
sénat ,  et  toujours  pour  le  maintien  de  la  jus- 
tice; partout  ailleurs  il  étoit  plein  de  bonté^ 
de  douceur  et  d'humanité. 
Avant  qu'il  Bit  iiominé  tribun  >  il  Iservil 

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l*Jl8  CATON   d'uTIQIJE. 

beaucoup  Cicéron  dan»  toutes  les  affaires  les 
plus  importantes  qn^il  eut  k  soutenir  pendant 
son  consulat; 'surtout  il  l'aida  infiniment  a 
couronner  d'une  fin  glorieuse  ces  actions  très- 
grandes  et  très-belles  qu^il  avoit  faîtes  contre 
Calilina  :  car  ce  Gatilina  avoit  machiné  dans 
le  gouvernement  un  changement  lotaU  qui 
nienaçoit  Rome  d'une  entière  ruine,  et  ex- 
cite' partout  des  guerres  et  des  sëdilions;  mais 
se  voyant  découvert  et  poursuivi  par  Cicé- 
ron, il  fut  contraint  de  sortir  delà  ville  et  de 
s'enfuir.  IjCntulus,  Gélhe'gcrs ,  et^avec   euxj 
plusieurs  autres ,  tous  con^pltces  de  la  conju- 
ration ,  reprochant  k  CatiJina  sa  timidité  et 
sa  foiblesse  dans  Pexécution  de  ses  audacieux 
projets,  voulurent  se  signaler  pair  une  entre- 
prise plus  grande;  ils  conspirèrent  de  dé-i 
tniire  Rome  de  fond  en  comble  par  le  feu ,  et 
de  renverser  l'empire  par  les  révoltes  des  na^ 
tions  et  par  des  guerres  étrangères.  Leur  comj 
plot  aj^ant  été  découvert ,  Cicéron ,  comme 
nous  Tavons  écrit  dans  sa  vie, porta  PaflFaîr^ 
au  sénat.  Silanus,  qui  opina  le  premier  ,  dil 
«  qu'il  éloit  d'avis  qu'on  devbit  leur  faire 
«  souffrir  la  dernière  peine  »•  Ceux  qui  opî^ 
nèrent  ensuijte  furent  dtimerae  avis,  jusqii'ài 
Cçsar.  Mais  César  ,  homme  très-éloquent ,  el 
qui  regardoît  tous  les  mouveiftenfs  et   lovi^ 
les  changements  qui  potirîroient  arriver  daiij 

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CATON   D'uTIQUE.  I29 

Rome ,  comme  la  matière  de  ce  qu'jQ  tramoit 
contre  elle  dans  son  esprit,  et  qui ,  dans  cette 
Tiie ,  vouloit  plutôt  entretenir  et  augmenter 
l'embrasemtnt ,  que  de  l'éteindre ,  se  leva  ; 
et  par  lua  discours  plein  d'insinuation  et  d'hu- 
iDanité ,  il  représenta  qu'il  y  aurait  de  l'in- 
justice b  faire  mourir  les  accusés  sans  aucune 
forme  de  justice ,  et  conclut  qu'on  devoit  les 
tenir  resserrés  dansune  prison  étroite ,  jusqu'k 
ce  qu^on  en  eût  plus  amplement  informé.  Ce 
discours  fit  changer  d'avis  tous  les  sénateurs^ 
par  la  crainte  qu'ils  eurent  du  peuple.  Silanus 
Itii-mème  réforma  ou  expliqua  son  opinion  , 
eu   disaut  qu'il  n'avoit  pas  opiné  h  la  mort, 
msLis  k  la  prison  ;  parce  que  pour  un  Romain  y 
la  prison  est  la  dernière  de  tontes  les  peiues. 
Ce  changement  de  ceux  qui  ayoient  opiné 
les  premiers  y  fit  que  ceux  qui  opinèrent  en- 
suite embrassèrent  tous  le  parti  de  la  dou- 
ceur^ mais  Caton,  s'élevant  contre  cet  avis, 
le  foudroya  par  uu  discours  plein  d'une  élo- 
quence véhémente ,  qui  étoit  encore  aiguisé 
par  la  colère  et  par  la  passion.  Il  reprocha  k 
Silanus  la  lâcheté  d^  son  changement  y  et  at- 
taqua même  César ,  en  faisant  entendre  : 
«  Qu'avec  ces  manières  populaires  et  ces  dîs- 
u  cours  pleins  d'humanité ,  il  tendoit  a  ren- 
«  verser  la  ville  et  à  épouvanter  le  sénat  ;  au 
«  lieu  qu'il  devroit  craijadre  Uu-mêjoie  ,  e^ 

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l5o  CÀTON  D'UTIQÙÊ. 

«  s'estimer  fort  heureux ,  s'il  pouvoît  paraître 
«  innocent  de  tout  ce  qtù  avoit  été  fait,  et  se 
«  mettre  a  couvert  de  tout  sobpçon,  lui  qui 
«  vouloit  ainsi  ouvertement  et  liudàcîeuse- 
^<  ment  enlever  k  la  justice  dés  traî tirés ,  en- 
^<  nemis  déclarés  de  Rome  ;  et  qiii^  avouant 
♦  qu'il  n'avoit  au^cliûe  compassion  dé  celte 
«  ville  ,  qiii  lui  avoit  dônttéla  naissance ,  de 
«  cette  ville  sî  grandte  ,  sî  noble  ,  qui  s'étoit 
4c  vue  sur  le  J^oînt  d'être  éat&rèment  exter- 
«  minée ,  ré^rvôît  Idùtè  éa  pî^ié  et  toutes  ses 
«  larmes  pour  des  scélérats  'qui  ri'auroîent  ia- 
i^màis  du  nahfe,  et  part)issoit  lûconsolatle 
«  de  ce  que  par  leur  mort  on  attoit  délivreE" 
«  Rome  de  toits  les  meurtres  j  et  dfe  tous  les 
«  autres  dang'ers  dont  ils  la  menaçoient  » .  Oa 
dit  que  de  toutes  les  Oraisons  de  Caton ,  ou 
n'a  conservé  que  celte-fe  èenle ,  parce  que 
Cicéroii ,  l'année  de  son  consulat ,  avoit  chois^ 
les  copistes  les  plus  habiles  ^  les  plus  renoms 
mes  pour  là  promptitude  ^t  là  fégèreté  de  la 
main  ,  et  leur  avoit  ensèigtié  à  écrire  par  deîi 
jîotes  et  des  abréviations  qui,  dans  de  petîri 
traits ,  renfermoîent  la  vâleiit  dé  plusieurs 
lettres ,  et  alors  il  lés  avoit  placés  dans  plu- 
sieurs endroits  de  la  salle  où  le  sénat  ëtoit  as 
semblé  :  car  jusqu'à  lui ,  on  n'avoit  point  en- 
core dé  ces  écrivains  qu'on  èppelôît  écrivains 
par  note^;  et  ce  ûe  fut  qite  sous  «on  consu* 

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ÇATON  DUTIQUEv  l5l 

lat  qne  l'on  jeta  les  premiers  fondemests  de 
Fart  de  cette  écriture  abrégée  **.CatOD  l'em- 
porta donc,  et  fit  changer  tous  les  avis;  de 
sorte  que  les  coupables  furent  condamnes  k 
la  mort.  S'il  faut  relever  jusqu'aux  moindres 
traits  des. mœurs,  parce  qne  notre  principal 
dessein  est  de  &îi-e  le  portrait  de  l'âme,  on  dit 
c|Qe  ,  pendant  que  le  débat  de  César  et  de 
Caton  étoit  dans  sa  plos  grande  force ,  et  aue 
tous  les  sénateurs  avoient  les  yeux  altachéi 
sur  eux,  on  apporta  un  billet  )k  César.  Cette 
circonstance  pana  suspecte  a  Caton,  qui  ne 
manqua  pas  de  lui  en  fetreun  crime;  de  sorte 

Sue  plusieurs  des  sénateurs  déjà  émus,  or« 
onnèrent  que  ce  biUet  fût  lu  devant  tout  lé 
monde.  Càar  le  donna  sur  l'beure  k  Caton 
qui  étoit  près  de  lui;  et  Caton  n'y  eut  pa$ 

i)lutôt  jeté  les  yeux, qu'il  vit  quec^étoit  une 
ettre  amoureuse  que  sa.saiir  Servilie  écri-^ 
voit  a  César ,  qui  Payant  séduite ,  lui  avoit 
inspiré  la  passion  la  plus  violeiite  ;  il  la  rejeta 
a  César,  en  kii  disant  :  7'iem  y  ivrogne  ;  et 
il  coiitinua  son  discours. 

On  peut  dire  en  général  que  iespltus  grande 
manieurs  de  Caton  vinrent  du  côté  des  fem* 
mes  ;  car  cet^e  Servilie  fut  fort  décriée  par  le 
commerce  qu'elle  eut  avec  César.  Et  son  au-» 
tre  sœur  qui  portoit  le  même  nom ,  fîit  encore 
plus  diffîmiée  ;  car  ayant  été  mariée  a  Luçulir 

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l52  CATOîO^  d'UTIQUE. 

lus ,  qiiî  étoit  le  premier  personnage  de  Rome 
en  réputation,  et  en  ayant  un  fils,  elle  se  fit 
répudier  par  son  intempérance  et  par  ses  in> 
famés  débauches.  Et  ce  qu'il  y  eut  pour  lui 
de  plus  malheureux  et  de  plus  indigne ,  c^est 
que  sa  femme  Attilia  ne  fut  pas  exempte  de 
cette  corruption  ;  et  qu'après  en  avoir  eu  deux 
enfants ,  il  fut  obligé  de  la  chasser  pour  sa 
mauvaise  conduite.  Après  ce  divorce  ,  il 
épousa  Martia ,  fille  de  Martius  Philippus , 

3ui  paroit  avoir  été  une  femme  vertueuse,  et 
oiit  on  a  parlé  très -honorablement;  mais 
cette  partie  de  la  vie  de  Caton  est  comme  le 
nœud  d'une  tragédie ,  qui  paroit  toujoiu^  em^ 
barrasse  et  indissoluble.  Voici  ce  qu'en  ra- 
conte rbistorien  Thraséas  ,  qui  cite  pour  son 
garant  Munatius ,  ami  particulier  de  Caton  y 
et  qui  pàssoit  sa  vie  avec  lui.  Il  dit  que» 
parmi  ceux  qui  aimoient  et  qui  admiroient 
Caton ,  il  y  en:  avoit  qui  marquoient  et  qui 
découvroient  plus  que  les  autres  les  sentiments 
qu'iU  avoiént  pour  lui.  De  ce  ikombre  étoit 
Quintus  Hortensius,  personnage  d'une  grande 
dignité  et  d'une.plus  grande  vertu  ,  qui ,  dé- 
sirant de  n'être  pas  seulement  l'ami  et  le 
ioompagnon  de  Caton  ,  mais  de  devenir  en- 
core son  allié ,  et  de  mêler ,  de  quelque  ma- 
l^ièreque  ce  fût ,  sa  maisou  et  sa  race  avec  la 
sienne  y  tâcha  de  le  porter  k  lui  donner  sa 

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CATON   D^UTrQUK.  l33 

fiUe  Porcie,  qui  étoit  alors  maric'e  li  Bi'bulus  j 
et  qui  en  avoit  eu  dëja  deux  enfants,  aBu 
qu'il  s'en  servit  comme  d'une  terre  feiiilc.  H 
ajouta  que  sa  proposition  proissoit  d'al^ord 
extraordinaire  dans  loplnion  des  hommes, 
mais  que,  par  rapport  a  la  nature,  il  ëtoû 
beau ,   honnête  et   utile  a  la  rëpuUique  y 
aucune  belle  et  ?ertneuse  femme ,  à  la  fletii; 
de  son  âge ,  ne  demeurât  pas  inutile ,  en  lais- 
sant passer  le  temps  d'avoir  des  enfants,  et 
qu'elle  n'appauvrit  pas  non  plus  son  mari , 
en  lui  en  donnant  plus  ^u'il  n'en  voulnit  et 
qu'il  n'en  ])Ouvoit  nourrir  ^  qu'en  communi-* 
quautainsi  lesfemmesaux  plus  honnêtes  gens, 
on  feroit  en  sorte  que  la  vertu  se  mulliplicroit 
et  deviendroit  commune  dans  les  familles ,.  et 
que  toute  la  ville  se  mèleroit  et  se  fondroit 
pour  ainsi  dire  en  un  seul  et  même  corps  par 
ces  alliances  y  que ,  si  Bibulus  étoit  si  attaché 
k  sa  femme  qiril  ne  put  pas  s'en  passer  ,  il 
promettoit  de  la  lui  rendre  dès  qu'elle  seroit 
deveoue  mère,  et  que  par  cette  communauté, 
îi  se  seioit  plus  étroitement  uni  et  a  Galon  et 
a  Bibulus.  Caton  répondit  qu'il  aimoît  et  es- 
timoit  Horteusius  ,etc[u'il  faisoit  grand  cas  de 
son  alliance^  mais  qu'il  trouvoit  étrange  qu'il 
voulût  épouser  sa  fille ,  déjîi  mariée  a  un  au- 
tre *^.  Alors  Hortensius  ,  changeant  de  lan- 
gage 9  ne  craignit  point  de  lui  découvrir  sa 

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3 Si  CATON   d'uTIQUE. 

passion ,  et  lui  demanda  sa  femme  Màrtia  , 
qui  étoil  encore  assez  jeune  pour  avoir  des 
enfants ,  et  en  avoit  donné  snflfîsamnient  a 
Caton.  On  ne  peut  pas  dire  qu'Hortensius  lui 
fit  cette  demande,  parce  qu^il  savoit  qu'il 
n'aimoit  pas  Martîa;  car  une  preuve  du  con- 
traire, c^est  qu'elle  étoit  encore  alors  en- 
cdnte.  Caton ,  voyant  le  violent  désir  et  la 

t)assion  qu'Hortensius  avoit  pour  Martia  ,  ne 
a  lui  refusa  point  ^^  ;  mais  il  lui  dit  qu'il  faU 
loît  avoir  le  consentement  de  Philippe  son 
père.  Philippe ,  quand  on  lui  en  parla,  et  qu'il 
vit  que  Caton  s  y  prctoit  volontiers ,  y  con-r 
sentit  aussi  de  soncôté^  mais  il  ne  voulut  ja- 
mais fiancer  sa  fille ,  que  Caton  ne  f^t  présent 
au  contrat ,  et  ne  le  signât  avec  lui.  Cette 
aventure  est  fort  postérieure  a  ce  dont  je 
viens  de  parler;  mais  comme  j'ai  fait  mention 
des  femmes  de  Caton ,  j'ai  cru  que  je  pouvoîs 
me  hâter  de  l'insérer  ici  contre  l'ordre  des 
temps  ,  en  faveur  de  la  matière, 

Après  que  Lentulus  et  ses  complices  eu- 
rent été  punis  du  dernier  supplice  ,  César  , 
pour  se  mettre  k  couvert  des  accusations 
qu'on  avoit  formées  contre  lui  en  plein  sénat, 
se  retira  vers  le  peuple ,  continuant  k  trou- 
bler tout  et  a  attirer  h  lui  les  gens  les  plus 
corrompus  et  tous  ceux  qui  ne  demandoient 
qu'a  renverser  la  république.  Alors  Caton , 

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CATGK   0'ïTTIQUJi.  iSS 

qui  crajgBoit  l'effet  de-  ces  pernicieux  Ae&^ 
scias ,  persuada  au  sénat  de  gagner  la  popur- 
lace  indigente  et  toujours  ameulee  pour  les 
séditions  ,  en  la  faisant  comprendre  dans  la 
distribution  de  blé  qu^pd  jQsiisoit  au  peuple  , 
cette  dépense  ne  montant  par  an  qu'à  douze 
cent  cinquante  talents  '^^.  Cette  largesse  et 
celte  humanité  la  sauvèr^e^t  alors  manifeste- 
ment des  troubles. et  des  i^alheurs  dont  elle 
étoit  menacée.  Mais  d'un  autre  côté ,  Me* 
tellus ,  qui  étqit  entré  daj»$  Texercice  de  so|i 
tribunat,  fonnoit  des  a^eoiblées  séditieuses  i^ 
et  proposa  ua  décret  qui  porto.it  que  Pompoe 
seroit  rappelé  sur-le-champ  en  Italie^  cl 
qu'il  Yiendipitavec  son  ai^niée  garder  ejt,  dé- 
fendre Hoipe:»  iqûi  étoit  en  grand  danger  par 
les  attenlats-4^  Caliliûa.  Ce  discours  n' étoit 
qu'une  couveiture  ^écieuse  et  honnête  ;  Pe»- 
prit  et  le  but  de  ce  décret  étoient  de  naettrc 
toutes  les  affaires  09tre  }es  mains  de  Pompée  ^ 
et  de  le  iiendre'l0€)ieffitlemliitre  de  t'empim. 
Le  sénul:  $'éUat  assemblé  9  Caton  ne  tomb«| 
pas  sur  Métellus  avec  sa  violence  ordinaire  ; 
mais  il  lui  fit  de^  r^PKmtranees  pleines  d'hon- 
nêteté et  de  niodëratjon.  Jl  alla  même  k  la  fin 
jusqu'à  lui  faire  des  (M-ières  ;  etil  loua  extrè^ 
memept  U  maison  des  Métellus,  comme  une 
de  celles  qui  fiv oient  toy jours  tenu  le  pa^m 
de  l'aristDcrati^..  Metellus,  plus  enflé  encort 

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i36  CATÔN  d'utique. 

par  cette  modération  de  Caton ,  et  le  regar- 
dant déjà  avec  mépris ,  comme  un  homme  qui 
cédoit  etauicraignolt,  s'emporta  jusqu'à  faire 
les  plus  nères  menaces ,  et  k  tenir  les  dis- 
cours les  plus  hautains,  déclarant  «  qu'il  fe- 
«  roit  malgré  le  sénat  tout  ce  qu'il  avoit  en- 
«  treprîs».  Alors  Caton ,  changeant  tout-a- 
coup  de  visage  et  de  ton ,  is'emporta  k  son 
tour  contre  lui  kvec  beaucoup  de  véhéinende; 
et  après  lui  avoir  parlé  avec  beaucoup  d'ai- 
greur, il  ajouta,  en  haussant  la  voix,  «  que 
«tant  qu'il- scrott  vivant,  jamais  Pompée 
<(  n'entreroit -en  armes  dans  RoÉie  »^.  Ces  em- 
j^rtements  des  deiix  côtés  firent  juger  au 
séiiat  que  ni  l'un  ni  Tairtre  ne  se  possédbîent , 
et  qu^ils  ne  se  servoienl  point  dé  leur  raison  ; 
car  d^in  côté,  là  conduiie-^e  M'étdlus  étoit 
une  fureur  aveugle  ,qui,paniu  excès  de  mé- 
chanceté, se  portoît  k  tout  perdire  et  k  mettre 
tout  en  combustion  ;  et  de  l'autre  côté ,  la 
vertu  de  Caton  étoit  un  enthousiasme  qui  le 
portoit  toujours  k  combattre  pour  fhoniiêteté 
et  pour  la  justice. 

Le  jour  que  lepeupîe  avoîlpiis  pour  don- 
ner ses  suffrages  sur  ce  décret ,  M^téHus  pa- 
rut k  la  place,  accompagné  de  tous  ses  gens 
et  de  «grand  nombre-  d'éti*angers^  de  gladia- 
teurs et  d'esclaves ,  qui  tous  armés  ôe  mirent 
comme  eu  c^drç  de  bataille.  Il  étoit  suivi 

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CA.TON  d'UTIQUE.  \5j 

d'une  grande  partie  du  peuple  qui  desîroit 
Pompée  ,  dans  l'espérance  de  quelque  chan- 
geTuent;  et  son  parti  étoit  fortifié  par  tout  le 
crédit  de  Cfsar,  qui  étoît  àloi-s  préteur.  Au 
lieu  que  CatonaToit  bien  desoncôlé  lespiin- 
cîpaux  des  citoyens  qui  entroient  dans  son 
ressentiment;  niais  ils  prenoieut  plutôt  part  k 
l'offense,  qu'ils  ne  l'aidoient  h  la  repousser  ; 
de  sorte  que  le  danger  auquel  il  alloit  s'ex-* 
poser,  tenoit  toute  sa  maison  dans  rabatte- 
ment et  dans  la  crainte.  La  plupart  de  ses 
amis  et  de  ses  parents  se  rendirent  la  veille 
chez  lui  ,  et  passèrent  tout  le  soir,  et  toute  la 
nuit  sans  prendre  de  noMrriture  et  sans  se 
coucher  5  s^  femm*  et  ses  soeurs  fondoi?înt  en 
larmes ,  et  déploroient  leur  malheur  ;  mafe 
pour  lui,  il  leur  parloit  a  tous  avec  beaucoup 
de  fermeté  et  de  courage,  les  consolant  et  les 
fortifiant.  Ilsoupa  k  son  ordiniaire  ,  se  coucha 
et  dormit  tranquillement  jusqu'au  matin  qu« 
Munatiuâ  Tbermns,  l'un  dç  ses  collègues  aii 
tribunal ,  l'éveilla.  Ih  allèrent  donc  ensemble 
a  la  place  ,  accompagnés  de  peu  de  gens  5 
mais  a  mesure  qu'ils  avançoient ,  ils  en  trouf 
voient  beaucoup  qui  venoient  au  -devant 
d'eux,  pour  les  avertir  de  se  tenir  sur  leurs 
gardes»  •    • 

Quand  ils  furent  arrivéisk  l'entrée  de  la 
place ,  Catoû  s'étant  airèté ,  et  voyant  le  teuv 

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l38  CATON   D^aXIQUE. 

pie  de  Castor  et  de  PoHux  environné  d'houi- 
mes  armés ,  et  Pescalier  occupé  par  des  gla- 
diateurs ,  et  tout  au  haut  Métellus  assis   a 
côté  de  César,  il  se  tourna  vers  ses  amis  ,  et| 
leur  dit  :  a  O  la  grande  audace  de  ce  lâche, 
«  qui ,  contreuto  homme  nu  et  sans  armes  ,  a 
«  assemblé  tant  de  gens  armés»  !  En  finissant 
ces  mots,  il  s'avança  vere  Therraus.   Ceux 
qui  gardoient  l'escalier  s'ouvrirent  pour  le 
laisser  passer ,  et  ne  voulurent  donner  passage 
k  aucun  autre  ;  ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup 
de  peine  que  Caton ,  ayant  pris  Munatius  par 
la  main  ,  lui  fit  fendre  la  presse  ,  et  le  tira 
après  lui.  Quand  il  eut  monté  l'escalier ,  il  j 
alla  s'asseoir  entre  Méiellus  et  César ,  pour  \ 
les  empêcher  de  se  parler  bas:  ce  qui  les  era- 1 
barrassa  tous  deux ,  car  ils  ne  savaient  quel 
parti  prendre.  Mais  tous  les  honnêtes  gens  , 
voyant  et  admîfant  ce  visage  ferme  de  Caton,  j 
son  intrépidité  et  son  audace ,  s'approchèrent,  i 
lui  criant  de  n'avoir  aucune  crainte ,  et  de  i 
demeurer  dans  sa  place,  et  s'encourageant  i 
et  s^exhortant  les  uns  les  autres  k  rester  bien 
unis  ,  et  h  ne  pas  abandonner  laiiberté  et  ce- 
In?  qui  combattoît  pour  elle*  Alors  un  des 
greffiers  ayant  pris  le  décret ,  pour  en  faire  la 
lectiftre  a  l'assemblée ,  et  Caton  ne  voulant 
pas  le  souffnV,  M^'têllus  le  prît  et  commença 
k  le  lirej  mais  Caton  le  lui  arrachât  Mételhis, 

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CATON   d'uTÎQUE.  lÔiJ 

qnî  le  savoît  par  cœur ,  se  mit  k  le  réciter  ; 
Tfaermus  lui  mit  la  main  sur  la  bouche,  et 
lui  étoufiala'voix.Métellus,  voyant  donc  ces 
deux  hommçs  obstinés  k  s^opposer  k  lui ,  et  k 
le  combattre  sans  en  venir  aux  mains ,  et 
s'aperce vant  que  le  peuple  se  rangeoit  de 
leur  côté  ,  eut  enfin  recours  k  ce  qui  pouvoit 
assurer  le  succès  de  son  entreprise ,  et  or- 
donna que  le§  gens  armés  qu^il  avoit  dans  sa 
maison ,  accourussent  avec  de  grands  cris  y 
en  semant  partout  la  terreur.  Cet  ordre  étant 
exécuté  ,  le  peuple  plein  d'effroi  se  disperse  , 
et  Caton  demeure  seul,  exposé  k  une  grèle 
de  pierres  et  de  biitons  qu'on  lui*  jeloit  d'en 
haut.  Muréna,  le  même  qu'il  avoit  accusé 
d'avoir  acheté  le  consulat,  ne  l'abandonna 
point  dans  ce  danger  ;  mais  le  couvrant  de  sa 
robe ,  il  cria  a  ceux  qui  lui  jetoient  des  pier- 
res ,  de  s'arrêter  ;  et  enfin ,  il  fit  tant  par  ses 
prières  et  par  ses  reùiontrances ,  qu'il  l'obli- 
gea a  quitter  la  place  ,  et  que  le  tenant  tou- 
jours entre  ses  bras ,  il  le  mena  dans  le  temple 
de  Castor  et  de  Pôllux. 

Métellos  ,  voyant  le  tribunal  abandonné , 
ses  ennemis  en  fuite,  et  la  place  déserte, 
crut  qu'il  avoit  tout  gàgûé,  commanda  a  ses 
gens  armés  de  se  retirer ,  et  s'avancant  d'un 
air  modeste,  il  tâcJia  de  faire  passer  son  dé- 
qrcf.  Mais  ceux  qui  lui  (étoient  oppcsés,  re- 

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l4o  CATON  D'UTIQUE. 

yenus  promptement  de  leur  effroi ,  retournè- 
rent aussitôt  8nr  la  place, en  jetant  de  grands 
cris  qui  inarquoieut  leur  resoliition  et  leur 
courage.  î  .e  trouWe  et  la  frayeur  s'emparè- 
rent d'abord  de  Me'tellus  et  de  ses  partisans , 
qui  crurent  qu'ils  avoient  recouvré  des  ar- 
mes ,  et  que  c'étoir  ce  qui  les  faisoit  revenir 
contre  eux  avec  tant  de  fierté  et  d'audace. 
Ils  prennent  donc  la  fuite  à  leur  tourj  il  n'y 
en  eut  pas  un  seul  qui  demeuiât  sur  la  place. 
S'étant  donc  tous  dispersés  ,  Caton  revient  ; 
et  louant  et  encourageant  le  peuple  ,  il  fait 
tant  qu'il  se  range  de  son  côté,  pour  opprimer 
Mérellus  par  toutes  sortes  de  voies.  Le  sénat 
s'assemble  en  même  temps,  et  ordonne  de 
nouveau  de  secourir  Caton,  et  de  combattre 
contre  une  loi  qui  excitoit  dans  Rome  une  fu- 
rieuse sédition  ,  et  une  guerre  civile.  Mé- 
tellus  persistoit  dans  son  opiniâtreté  et  dans 
son  audnce  ;  mais  voyant  ses  partisans  éton- 
nés et  effrayés  de  la  fermeté  de  Caton  ,  et 
persuadés  qu'il  n'étoit  pas  possible  de  le  vain- 
cre ,  ni  d'en  venir  a  bout  en  aucune  ma- 
nière ,  tout  d  un  coup ,  lorsqii'on  s^,  at- 
tendoit  le  moins  ,.il  vint  a  la  place,  assem- 
b!a  le  peuple,  dit  beaucoup  de  choses  contre 
Caton,  pour  attirer  sur  lui  la  haine  publique, 
et  cria  qu'il  vouloio^fiûr  la  tyrannie  de  cet 
homme  ^  et  ne  point  trejjîpev  d^-jus  U  coi:?p;- 

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CATON  d'uTIQUE.  i4i 

raiion  qu'il  avoît  faîte  contre  Pompée,  et 
dont  la  ville  auroit  bientôt  sujet  de  se  repen- 
tir ,  après  avoir  rejeté  un  si  grand  personna- 
ge. PJn  roême  temps  ,  il  partit  pour  aller  en 
Asie  informer  Pompée  de  tout  ce  qui  s'étoit 
passé.  Caton  é'attira  la  plus  grande  estime  y 
pour  avoir"  ainsi  soulagé  Rome  du  pesant  far- 
deau du  tribunat,  et  détruit  en  quelque  sorte 
d^ns  Métellus  seul  toute  la  puissance  de  Pom- 
pée. Mais  ce  qui  le  fit  encore  plus  estimer  , 
c'est  que  le  sénat  voulant  noter  d'infamie  Mé- 
tellus *,  et  le  déposer  de  sa  charge ,  il  ne  vou- 
lut pas  le  permettre  ,  s'y  opposa  de  toute  sa 
force  ,  et  pria  le  sénat  qu'en  sa  faveur  il  lui 
épargnât  cet  affront*  Le  peuple  prit  pour  une 
grande  marque  de  sa  modération  et  de  son 
humanité,  de  n'avoir  pas  voulu  fouler  aux 
pieds  son  ennemi,  et  luiinsutter  après  l'avoir 
îbattu  par  la  force.  Et  les  gens  sages  trouvè- 
rent que  c'étoit  une  action  pleine  de  pru- 
fence  et  très*utile  a  la  république ,  de  n'a- 
vok  pas  irrité  Pompée  ,  en  se  portant  k  cette 
extrémité  contre  Métellus. 

Ce  fut  vers  ce  temps-lk,  queLucuîlus,  de 
retour  de  la  guerre,  dont  il  paroissoît  que  Pora- 

f'e  lui  avoit  ravi  la  couronne  en  lui  enlevant 
-  gloire  de  l'avoir  terminée ,  se  vit  en  danger 
J'ètre  privé  de  l'honneur  du  triomphe,  par 
l'opposition  que  lui  fit  Gaïus.Memmius,  en 

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l4'J  CATON   D'UTIQUE, 

le  chargeant  de  plusieurs  chefs  d'accusatloir 
devant  le  peuple ,  moins  par  un  sentiment 
de  haine  personnelle,  que  pour  faire  sa  cour 
a  Pompée.  Mais  Caton ,  tant  k  cause  de 
l'alliance  qu'il  ^voit  contractée  avec   Lu- 
culhis,  en  lui  donnant  en  mariage  sa  sœur 
Servilie,  que  parce  qu'il  trowvoit  cette  action  | 
ÎDJuste  et  indigne,  s^.opposa  k  Memmius,  et 
soutint  pour  l'amour  de  LuciiUus  une  infi- 
nité d'accusations  et  de  calomnies ,  qui  ie 
firent  enfin  déposer  de  sa  charge ,  comme 
d'une  violente  tyrannie  qu'il  exerçoit  contre 
le  peuple*^;  mais,  tout  chassé  qu'il  étoit,  il 
eut  encore  assez  de  force  pour  contraindre 
Memmius  k  se  retirer  des  assemblées ,  et  a 
éviter  la  lice.  Luculkis,  apnt  obtenu  Phon- 
netir  du  triomphe ,  s'attacha  phis  fortement 
a  Caton ,  qu'il  regardoit  comme  le  plus  fort 
rempart,  et  le  boulevard  le  plus  assuré  con- 
tre la  puissance  de  Pompée.  Alors  Pompée , 
revenant  de  ses  expéditions  tout  brillant  de 
gloire,  et  dans  la  ocufiance  que  la  réception 
éclatante  et  toute  pleine  de  marques  d'afiFec- 
tion  qu^on  lui  avoit  faite  par 'toute  l'Italie, 
étoit  im  gage  qu'il  ne  seroitrefiisé  de  rien  de 
tout  ce  qu'il  demanderoit  k  ses  concitoyens , 
envoya  devant  lui  quelques  personnes  pour 
prier  le  sénat  de  diflférer  l'élection  des  consuls 
jnsqu'k  son  arrivée^  afin  qu'étant  présent  il 

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CATON  d'utique.  î43 

pôt  favoriser  la  poursuite  de  Pîson ,  et  solli- 
citer pour  lui.  La  plupart  des  sénateurs  y 
cossentoieBt  déjà ,  mais  Caton  s'y  opposa 
vivement ,  non  qu'il  comptât  ce  délai  pour 
quelque  chose,  mais  c'est  qu'il  vouloir  ar- 
rêter cette  tentative  de  Pompée  ,  et  ruiner 
ses  espérances ,  pour  le  désabuser  d'entre- 
prendre  de  ces  sortes  de  n($uveautés;  et  dans 
un  inoment,  il  fit  tellement  changer  le  séoat^ 
que  sa  demande  lui  fut  refusée,  et  que  Pavis 
contraire  passa.    . 

Ce  refns  aficcta  extrêmement  Pompée,  qui, 
voyant  bien  que,  s'il  n'avoit  Caton  pour  ami^ 
il  trouveroit  en  lui  un  puissant  obstacle  b  tout 
ce  gi^il  entreprendroit,  envoya  chercher  Mu* 
natius  ,  Pinttme  ami  de  Caton ,  et  le  pria 
de  lui  aller  demander  de  sa  part  deux  nièces 
qu'il  avoit,  et  qui  étoîent  en  âge  d'être  ma- 
riées, Talnée  poiu-  lui ,  et  la  cadette  pour  soft 
iils  aine.  D'autres  disent  que  ce  n'étoient  pas 
SCS  nièces,  mais  ses  propres  filles  qu'il  fit  de- 
mander. Munatius  ayant  fait  la  proposition 
h  Caton ,  h  sa  femme  et  a  ses  sœurs,  toutes  ces 
femmes  parurent  très -satisfaites  de  cette  al- 
liance, a  cause  de  la  grandeur  et  de  la  dignité 
du  personnage  qui  s'ofiioit  ;  mais  Caton ,  sans 
différer  im  moment,  sans  autre  réflexion,  et 
frappé  tout  d'un  coup  des  vues  de  Pompée, 
repondît;  «Retournez-vous-en,  Munaiius, 

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ï44  CATON  D'UTIQtJE. 

«  retournez-vous-en  ^bien  vite ,  et  dites  k 
«  Pompe'e,  que  Caton  n'est  point  prenable 
a  par  le  côté  des  femmes  *7  •  qu'il  fait  réri- 
«  tablement  grand  cas  de  son  amitié  ;  et  que 
«  tant  qu'il  ne  poursuivra  que  des  choses 
u  justes,  il  trouvera  en  lui  une  amitié  plus 
a  solide  et  plus  ferme  que  toutes  les  alliances 
«.  les  plus  étroites  ;  mais  que  jamais  Caton 
4^  ne  donnera  k  Pompée  des  otages  contre  sa 
«  patrie  ».  Les  femmes  furent  mécontentes 
de  ce  refus  de  Caton  ;  ses  amis  mêmes  blâmè- 
rent fort  sa  réponse  qu'ils  trouvèreni  iucivi'e 
et  trop  fière.  Quelque  temps  après,  il  arriva 

Sue  Pompée,  ménageant  le  consulat  pour  un 
e  ses  amis  (a),  envoya  distribuer  de  l'argent 
dans  les  iribus.  Cette  corruption  fut  d'abord 
divulguée  ;  car  on  sut  que  cet  argent  avoit 
^té  compté  dans  les  jardins  mêmes  de  Pompée. 
Caton  ne  manqua  pas  de  dire  d'abord  k  sa 
femme  et  h  ses  sœurs  :  «  Hé  bien ,  si  nous 
«  avions  accepté  l'alliance  de  Pompée,  nous 
«  aurions  nécessairement  notre  part  a  l'înfa- 
«  mie  de  ces  actions  »  ;  et  elles  avouèrent 
qu'il  avoit  été  plus  sage  qu'elles,  en  la  refu- 
sant. Cependant,  s'il  faut  juger  par  l'événe- 
meut,  il  semble  que  Caton  fit  une  faute  grave 
de  rejeter  cette  alliance,  et  de  souftVir  que 

(/?)  Luciiis  Afraniuç,  comme  oq  l'a  vu  dans  la  vie 
cl«  Pompée.  ^.  L*  D. 

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*  CATON   D^UTIQUE.  l4S 

Pompée  s'adressât  k  G^sar,  et  qu'il  fit  un 
mariage  j  quî ,  en  unissant  la  puissance  de 
Pompée  à  celle  de  César  pensa  renverser  de 
fond  en  comble  l'empire  romain,  et  ruina  ait 
moins  la  republique  :  ce  cpiî  ne  seroit  peut-» 
être  jamais  arrivé,  si  Caton ,  craignant  ces  lé- 
gères fautes  de  Pompée,  ne  lut  en  eût  laissé 
iaire  de  beaucoup  plus  grandes,  en  souffrant 
qu^il  cherchât  a  se  fortifier  des  forces  d'un 
autre.  Mais  toutes  ces  choses  ne  dévoient  arri- 
ver que  plusieurs  années  après  les  temps  dont 
nous  partons. 

Lucullus  et  Pompée  étant  entrés  en  grand 
différent  sur  les  ordonnances  qu'ils  avoient 
faites  dans  le  royaume  de  Pont,  (  car  chacun 
d'eux  prétendoit  que  les  siennes  fussent  con- 
servées et  eussent  heu  au  préjudice  des  autres)^ 
Caton  parut  ouvertement  pour  Lucullus,  k 
qui  on  faisoit  une  grande  iu justice.  Pompée  ^ 
aj'^ant  eu  du  dessous  dans  le  sénat,  eut  recours 
au  peuple  ;  et  pour  le  gagner,  il  proposa  de 
fnire  aux  soldats  le  partage  des  terres.  Mais 
Caton  s'y  étant  encore  opposé,  et  ayant  fait 
rejeter  cette  loi ,  le  désespoir  porta  Pompée 
k  s'unir  avec  Clodius ,  le  plus  insolent  et  le 
plus  séditieux  de  tous  ceux  qui  se  mêloient 
de  haranguer  le  peuple.  En  même  temps  il 
s'unit  en  quelque  sorte  avec  César ,  Caton 
liii-raêrne  lui  en  ayant  foumi  le  prétexte  ;  et 

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i46  CATON  d'utiqub. 

Toici  comment  :  César,  de  retour  de  son  gou- 
vernement d'Espagne  ,  brigiioit  le  consulat 
dans  le  mème^  temps  qu'il  demandoit  Phoii- 
neur  du  triomphe.  MaLs  comme  il  y  avoît  une 
loi  qui  ordonnoit  que  ceux  qui  poursuivoient 
les  diarges  fussent  présents  dans  Rome ,  et 
que  ceux  qui  demandoient  le  tripmphe  de- 
meurassent dehors,  il  pria  le  sonal  de  lui  ac« 
corder  le  privilège  de  briguer  le  consulat  par 
des  personne^  interposées.  La  plupart  des 
sénateurs  y  consentoient,  Caton  seul  sV  op- 
posa ;  et  comme  il  vit  que,  malgré  son  oppo- 
sition, tout  le  sénat,  pour  faire  plaisir  h  César, 
alloit  accorder  ce  privilège,  il  p»ria  tout  le 
reste  du  jpur,  et  consun^a  ainsi  tout  le  temps 
4e  rassemblée,  de  pianière  qu'elle  ne  put  rieu 
résoudre.  César  donc ,  abandonnant  le  triom- 
phe,  entre  dans  la  ville,  et  s'attache  d'abord 
a  se  concilier  l'amitié  de  Pompée,  et  k briguer 
]e  consulat.  Il  fut  élu  consul ,  et  aussitôt  il 
flouna  en  raariagç  a  Pompée  sa  fille  Julie. 
Ayant  fa(t  ensemble  une  ligue  contre  la  ville , 
l'un  proposoit  des  lois  pour  faire  distribuer 
des  terres  aux  pauvres  citoyens ,  et  Pauti-e 
paroissoit  pour  appuyer  ces  lois  et  poiur  les 
défendre  contre  ceux  qui  Qseroient  les  com- 
battre. LucuUus  et  CicéroQ  se  joignirent  k 
Bibulus,  qui  étoit  Tautre  çqnsïd,  pour  s'y  op- 
poser. JVlais  çe?*iï  ^ui  piontra^  le  plus  de  rcsiî- 

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CATON  d'uTIQUE.  lij 

iincp,  c<»  fut  CatOD  k  qui  Talliance  de  Pompée 
et  de  César  étoit  déjà  suspecte,  et  qui  vovoit 
bien  qu-e  la  ligue  qu'ils  avoient  faîte  ensenible 
n'avoît  pas  un  motif  louable  ;  aussi  dit-il  en 
plein  sf^oat,  <(  qn'il  ne  craignoit  point  cette 
K  distribution  de  terres,  mais  qu'il  redontoit 
ki  la  récompense  que  demanderoient  infailli-^ 
a  blement  ceux  qui  par  de  telles  largesses  al- 
H  ioîent  flattant  et  amorçant  le  peuple  ».  Le 
séoat  fut  de  son  avis,  et  plusieurs  autres  ci- 
toyens honnêtes  se  joignirent  h  lui,  témoigna  ni 
kuteinent  leur  douleur  et  leur  indignation  de 
l'étrange  conduite  de  César,  Car  tout  ce  que 
les  tribuns  les  plus  insolents  et  les  phis  séai^ 
tieux  mettoient  en  avant  pour  plaire  an  peu- 
ple, il  l'appuyoit  de  toute  l'autorité  consulaire 
dont  il  étoit  revêtu,  s'insinuant  ainsi  honteu* 
sèment  et  bassoment  dans  les  bannes  grâces 
de  la  multitude.  C'est  pourquoi  César  et  Pom- 
pée, craignant  d'échouer  dans  leurs  desseins 
par  les  voies  ordinaires,  curent  recours  b  la 
ibrce.  D'abord,  comme  le  consul  Bibulus  des- 
cendoit  k  la  place,  on  lui  jeta  sur  la  tète  un 
panier  plein  de  fiunier;  ensuite  on  se  jeta  sur 
les  licteurs  qui  marchoient  devant  lui ,  et  on 
mit  leurs  faisceaux  en  pièces  ;  et  enfin,  on  en 
vint  aux  pierres  et  aux  traits  ;  de  sorte  qu'il 
y  eut  beaucoup  de  gens  blessés ,  et  que  tous 
Îç5  autres  prirent  la  fuite.  Çaton  se  retira  le 

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i48  CATON  d'utiquk. 

dernier,  mardiant  lentement,  tournant  sou- 
vent la  tête,  et  maudissant  de  tels  cîtayens. 

Non  seulement  les  séditieux  firent  passer 
la  loi  du  partage  des  terres,  mais  ils  y  firent 
ajouter  encore  que  le  sénat  jureroit  de  la 
maintenir  et  de  la  défendre  si  quelqu'un  vou- 
loit  s'y  opposer ,  et  ordonnèrent  de  grandes 
peines  contre  ceux  qui  refuseroient  de  prêter 
ce  serment.  Ils  jurèrent  donc  tous  par  néces- 
sité, se  ressouvenant  de  ce  qui  étoit  autrefois 
arrivé  k  l'ancien  Mételliis  (a)," qui,  ayant 
refusé  de  jurer  pour  une  loi  semblable ,  fut 
banni  de  rltalie,  sans  que  le  peuple  se  mit 
en  peine  de  l'empêcher.  Toutes  les  femmes 
de  la  maison  de  Caton,  fondant  en  larmes,  le 
conjuroîent  de  céder  et  de  prêter  le  serment 
comme  les  autres;  ses  parents  et  ses  amis  les 
plus  intimes  l'en  pressoient  aussi.  Mais  celui 
qui  le  persuada  le  plus  et  qui  le  porta  k  y  ' 
consentir ,  ce  fut  Cicéron  qui  lui  représenta 
et  lui  insinua,  {*  Qu'il  n'y  avoit  peut-être  pas 
«  tant  de  justice  qu'il  croyoit  a  vouloir  s'op- 
te poser  seul  a  ce  qui  avoit  été  résolu  et  arrêté 
«  par  tous  les  autres  ;  que  de  se  jeter  dans  un 
«  péril  évident,  pour  vouloir  changer  quelque 
«  chose  dans  ce  qui  est  déjk  faît^  et  où  Pon 
«  voit  qu'il  est  impossible  de  réussir,  c'est 
«  agir  en  insensé  et  en  furieux;  et  cnfia  que 

(a)  Métcllus  ^'amidicu5.  Voye^  la  vie  de  Marius^ 

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CATON  D*ITTIQUE.  lig 

«  le  dernier  des  maux,  c'est  qu'en  abandon- 
«  nant  et  en  livrant  ainsi  a  la  discrétion  des 
«  séditieux  et  des  mal-intentionnés,  la  ville 
«  pour  laquelle  il  faisoit  toutes  ces  choses,  il 
«  donnoit  lieu  de  penser  qu'il  se  retiroit  avec 
a  grand  plaisir  des  combats  qu'il  avoit  k  sou** 
«  tenir  pour  elle.  Car,  ajouta-r-t-il,  si  Caton 
«  n'a  pas  besoin  de  Rome,  Rome  a  besoin  de 
<(  Caton  ;  tous  ses  amis  en  ont  besoin.  Et  je 
<i  suis,  continua-t-il,  le  premier  de  ses  amis 
«  qui  en  ai  encore  plus  besoin  que  les  autres, 
«  poursuivi  et  persécuté  par  Clodius ,  qui , 
n  armé  du  tribuuat ,  marche  ouvertement 
<(  contre  moi,  pour  me  faire  bannir  )).  On  dit 
que  Caton ,  amolli  par  tous  ces  discours  et 
par  toutes  ces  prières  qu'il  entendoit  soit  dan» 
sa  maison  soit  dans  la  place  publique ,  fut 
enfin  forcé  quoiqu'avec  beaucoup  de  peine, 
h  aller  prêter  ce  serment,  et  qu'il  se  présenta 
le  dernier,  k  l'exception  d'un  seul  qui  étoit 
Favonius,  un  de  ses  amis  particuliers* 

César,  enflé  de  oe  succès,  proposa  une 
autre  loi  pour  faire  partager  aux  plus,  pauvres 
et  aux  plus  indigents  des  citoyens  ,  presque 
toutes  les  terres  de  la  Campanie  (  a  ).  Per-r 
sonne  ne  s'y  opposant  que  Caton  seul ,  César 
le  fit  saisir  par  ses  licteurs,  le  traiu^  de  la 

(/t)  Atijourd'hui  laTerr^  de  Labour ,.  an.  rojraujiie 

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l5o  CATON  d'uTIQUB* 

tribune^  et  le  mena  en  prison ,  sans  qiie  poin^ 
cette  violence  il  rabattît  rien  de  sa  liDerté;  awi 
contraire,  en  marchant  il  contiouoit  de  par- 
ler contre  cette  loi,  et  exhortoit  le  peuple  k 
imposer  silence  a  ceux  qui  avoient  Taudace 
d'avancer  des  propositions  si  pernicieuses.  Le 
sénat  le  suivoit  dans  uo  grand  abattement  ^ 
avec  la  plus  saine  partie  du  peuple,  qui,  paij 
son  morue  silence,  tëmoignoit  assez  qu'il  ëloi< 
très-fàche'  de  l'in^ligne  traitement  que  l'on 
Jaisoit  a  Caton,  et  qu'il  ne  le  supportoit  qu  a-i 
vec  peine.  César  s  aperçut  bien  que  le  peu-i 
pie  ctoit  mécontent  5  mais  il  s'opiniàtra  à  le 
conduire  ,  dans  l'espérance  que  Caton  lui-^ 
môme  en  appelleroit  an  peuple,  et  qu'il  s'a-| 
baisseroit  jusqu'aux  prières.  Mais  voyant  a  sa 
contenance  fière  et  assurée  qu^il  n'en  feroil 
rien,  enfin  vaincu  par  la  honte  et  par  l'infan 
mie  de  sou  action ,  il  envoya  secrètement  uo 
des  tribuns ,  pour^nlever  Caton  h  seslicteursj 
Ce  que  les  séditieux  gagnèrent  par  toutes  ces 
lois  et  par  toutes  ces  largesses,  c'est  qu'ils  firent 
décerner  a  César  le  gouvernement  des  deux| 
maries  et  de  toute  la  Gaule,  avec  une  ar- 
mée de  quatre  légions  pour  cinq  ans,  quoique 
Caton  leur  prédît  et  leur  annonçât  qu'eux- 
mêmes,  par  leurs  propres  suflVages,  ils  éta- 
Wissoient  dans  la  forteresse  le  tyran  qui  ne 
manqueroit  pas  de  les  assujétir.  Us  fiicur 

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CATON  dVttQUE.  l5l 

aTissî  passer  PubliiisClodius  de  la  famflle  pa- 
u  icieDûc  dont  il  ëtoît ,  dans  une  famille  plé- 
Wïenne,  pour  pouvoir,  selon  la  loi,  le  faire 
élire  tribun.  Clodius  obtint  en  effet  celte 
charge,  sur  la  promesse  qu^il  leur  fit  d'exécuter 
tout  ce  qu'ils  vou<lroient,  pourvu  qu'en  ré- 
conipenseilslni  accordassent  le  bannissement 
de  Cicéron.  Ils  firent  encore  de'signer  con- 
suls, pour  l'année  suivante,  Pison,  père  de 
la  fcnime  de  César  ^  et  Aulas  Gabinius,  un 
ies  mignons^'  de  Pompée,  comme  l'assurent 
eeim  qui  ont  connu  sa  vie  et  ses  ra<purs. 

Mais  quoiqu'ils  fussent  par  Ih  maîtres  des 
affaires,  et  qu'ils  eussent  obtenu  la  domina- 
ûoa  dans  la  ville,  par  l'affection  des  uns  et 
pair  la  crainte  des  autres,  ils  ne  laissoient pas 
encore  de  redouter  Catqp^car  dans  les  cno- 
<^es  mêmes  onJls  a  voient  eu  le  dessus  contre 
lui ,  ib  voyoient  bien  qu'ils  n'en  étoient  venus 
b  bout  qu^avec  de  grafudes  difficultés  et  avec 
des  .peines  infinies,  et  non  !sans  une  grande 
honte  de  leur  part.  Or  ils  ne  trou  voient  rien 
de  plus  triste ,  de  plus  fâcheux  et  de  plus 
imsu^)ortable,  que  le  reproche  de  ne  Pa-voir 
remporté  que  jjar  la  force ,  et  encore  bien 
difficilement.  Clodius  même  n'osoit  espérer 
de  chasser  Cieéron ,  tant  que  Gaton  seroit 
présent.  Cherchant  donc  les  moyens  de  l'é- 
îoijuer-j  la  première  chose  qu'il  fit,  des  qu'il 

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l52  CATON  D'UTIQUE. 

eut  pris  possession  de  son  tribnnat,  ce  fui 
d'envoyer  chercher  Caton.  Quand  il  fut  venu, 
Clodius  commença  k  lui» dire:  «  Qu'il  le 
«  croyoit  le  plus  homme  de  bien  de  tous  les 
((  Romains,  et  celui  dont  la  conduite  étoit  la 
«  plus  pure  ;  et  que  telle  e'tant  Topiuion  qu'il 
«  avoit  de  lui ,  il  étoit  prêt  de  la  lui  confirmer 
«  par  des  effets  ;  car  quoiqu'il  y  eut  plusieurs 
«  personnages  considérables  qui  lui  deman- 
«  doient  le  commandement  de  Cypre,  et  qui 
«  prioient  instamment  d'y  être  envoyés,  il  le 
«  jugeoît  seul  digne  de  ce  gouvernement;  et 
«  que,  par  l'affection  qu'il  lui  portoit,  îi  étoit 
«  ravi  de  lui  faire  ce  plaisir  en  lui  donnant! 
<v  la  préférence  ».  A  ces  paroles,  Caton  se 
récria,  «  que  c'étoît  un  piège  et  une  injure, 
«  et  non  pas  un  plaisir  ».  Eh  bien,  lui  ré- 
partit Clodius  avec  un  regard  fier  et  mépri- 
sant, «  puisque  tu  n'y  veux  pas  aller  de  gré, 
a  je  t'y  ferai  aller  par  force  ».  Clodius  se 
rendit  aussitôt  h  l'assemblée  du  peuple ,  fit 
passer  le  décret  qui  décernoit  h  Caton  cette 
mission;  et  quand  il  partit,  il  ne  lui  donna 
ni  vaisseaux,  ni  troupes,  ni  officiers  publics. 
Il  envoya  seulement  avec  lui  deux  greffiers, 
dont  l'un  étoit  un  voleur  et  un  scélérat ,  et 
l'autre  un  des  clients  de  Clodius.  £t  comme  si 
la  commission  d'aller  conquérir  Cypre,  et 
d'en  chasser  le  roi  Ptolêmée,  étoit  trop  légère 

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CATON  d'utiquk.  ^55 

«t  tr(^  aîséc  pour  l>û  ,  il  y  en  fit  ajouter  imer 
autre,  qui  etoit  d'aller  ramener  daïî3  Byzance 
lesbaquis^etles  rétablir  dans  leurs  bien^,  vou-* 
lant,  b  quelque  {>ri}C  que  te  |ul,  le  tenir  e'ipi-» 
goé  de  R^me^le  plus  long-temps  au,'!!  sçroil; 
possible  ^  et  l'eâipèciiefr  au  moins  a  y  reveuiç 
pendant  sc^n.  trîbaija^,  Calon,  se  voyant  ré- 
duit a  cette  dure  neof^s^il^v^'^l^^^i''^  '^  C^^^'* 
roB,  que  Q^dius  poursuivoit  à  o^itrance  pour 
le  faire  banni^^  àft.ne  çoit^t  ejtciicr  de  séJi-r 
tioQ,  en  ^''qp^IM  ^'  sfQn.eni^eini  ^^  de  ué 
pas  jeter  sa  :ville'  dans^  «Ije.  g^ierre  ci  y  île  j  da 
ne  pQim  lajrem|)lir.dQ'flieurti:jî&;  n\ais  de  ^e% 
der  au  t^mps ,  pour  pouvqfr,  etjce  encore  unç 
fois  les«*.rçi(r  ae  s^patriq»  ^ .  ^. 

Cafoiif^ai[o^a  def^^int  lui  ëa  Cypreun  dç 
ses  Hmhji^omfn'4  CanidiiiiLS,,  pofir  conseiller 
à  Pto|éu)fé0 décoder  son  Ue'i^aDS  comba;,  l'asr 
siirant  qij^'il  ne  inanqûcroîj  )ainiais  x^i  de  bien^ 
ni  d'kooiM^u)r^9  et  que  :ie  peuple  romain  liu 
doâfierQÎt  1^1  grande  prêtrise  deV^'nus  dans 
la  vimi>d^,PftpîîOp*?:>cepeiidai|t  ,il  séjonnm 
k  RWd^Sv  ponr  y  foii*é  ses  préparatifs ,  et  pou v 
y  atlead^j^la  réponse  de  Ptolémée.  Dans  ce 
même  tempsy  Ptolémée  (a),  roi.  d'Egyte ,  ir- 
rité de  quelque  différent  qn'il  ;>voii  eu  avec 
ses  sujets,  al>aiHlonna  Alexandrie  pour  aller 

(a)   Plolémëe  Aulélés,  suroomciié  aussi  JYoiJuts* 

'■'^'  D,g,t,zedbyL.0Îgle 


/S4  CÀTON  D'UTïQtTE. 

\k  Rome,  se  flattant  dé  Fesperance  que  Potnpee 
et  César  le  ramcneroient  dans  son  ifoyaunie 
avec  une  grosse  année.  Chemin  faisant ,  il 
voulut  voir  Caton.  Etant  donc  abordé  k  Rho- 
des ,  il  cnvoj'â  chez  luî ,  ne  doutant  point 
que,  dès  qu'il  sauroît  son  tttrivée,  il  ne  vînt 
le  visiter.  Quand  son  eUvOyé  arfîra,  Caton 
étoit  par  hasard  dans  sa  garderobe;  il  dit  à 
renvoyé,  «  que  Ptolémée  irtnt  leftrouTer  s'il 
<(  avoît  afFaireàluî  ».Quaî*d  le  roi  entra,  Ca- 
ton n'alla  point  au-devant  de  hiî;  3  ne  daigna 
f»as  même  se  lever  de  soïi'sîége:  maïs  après 
'avoir  salué  comme  im  simple  particulier ,  il 
lui  dit  de  s^asseoîr.  Cette  l^ceptîon  si  sèche 
déconcerta  un  peu  le  roi,  qui  lut'feit  étonné 
de  trouver,  avec  des  dehors  si  populaires  et 
si  simples,  des  manières  A  fières  et  si  baiitaî^ 
nes.  Mais  quand  il  eut  commencé')!  lui  parier 
de  ses  affaires,  H  entendit  de  lui  des  discours 
d'une  sagesse  profonde ,  et  tout  fitim  de  fran- 
chise et  de  libei  té^  carCaton  blâma  ibiteequ^ii 
faîsoit,etlui  remontra  quelle  grande  f(Aicîté  et 
quelle  vie  royale  il  abandokknoi(".^pioilr  arller  se 
Inrer  a  une  dure  servitude ,  îi  des  travaux  in- 
finis, et  k  toute  la  conuption  et  ))  toute  Ta  varice 
des  puissants  de  Rome,  que  l'Egypte  même, 
quand  elle  seroit  toute  convertie  en  or,  poitr- 
roit  «.peine  rassasier.  Il  lui  conseiUoit  donc 
4e  5'^  retourucr  et  de  se  reconcilier  avec  ses 

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CATON  d'uttquk.  l65 

sujets;  11  lui  offroit  même  de  l'accompagner^ 

Four  ménager  cet  accommodement*  Alors 
tolëmëe,  comme  un  homme  qui,  d'un  grand 
accès  de  frénésie  ou  d'un  long  délire,  auroit 
été  rappelé  k  son  bon  sens  par  la  vertu  de 

3uelques  pardes,  fut  frappé  de  la  vérité  et 
e  la  grande  sagesse  de  ces  remontrances  de 
CatoB,  et  se  mit  en  état  de  les  suivreJMais 
en  ayant  été  détourné  par  ses  apis,  il  ne  fut 
pas  plutôt  arrivé  à  Rome ,  et  n'eut  pas  plutôt 
fait  pour  la  première  fois  la  cour  i  la  porte 
d'un  des  premiers  madstrats,  qu'il  se  repentit 
de  sa  foli^,  et  gémit  d  avoir  suivi  un  si  mau-> 
vais  conseil,  sentant  bien  qu^il  a  voit  méprisé, 
non  l'avertissement  d'un  homme  sage^  mais 
véritablement  l'oracle  d'un  Dieu. 

Cependant  Ptolémée  ,  roi  dfe  Cypre ,  par 
un  coup  inespéré  de  la  bonne  fortune  de 
Caton ,  se  fit  mourir  lui-même  par  un  breu- 
vage empdsonné.  Comme  il  avoit  laissé  des 
ridhesses  immenses ,  Caton ,  résolu  d'aller 
lui-même  h  Byzance ,  envoya  en  Cypre  soa. 
neveu  Brutiis ,  parce  qu'il  ne  se  fioit  pas  trop 
aCanidius.  Après  avoir  remis  les  bannis  dans 
Ips  bonnes  grâces  dès  Byzantins ,  et  rétabli  la 
concorde  et  l'union  dans  la  ville,  il  suivit 
son  neveu ,  et  revint  en  Cypre,  Il  y  trouva 
des  richesses  immenses  ,  et  véritablement 
royales  f  en  meubles  précieuz  ,  en  vaisselle 

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•î56  tîATON  d'utiqûe. 

'd'or  et  d^argent ,  en  tables ,  en  pîerrerîes  ,  en 
•tapisseries  et  en  étoffes  de  pourpre ,  qu'il  fal- 
Joit  vendre  pûiir  eh  retirer  Fargent.  Comme 
il  vonloit  toui  faire  avec  la  jjernière  exacti- 
tnd'e,  et  por'ei:^toutes  choses  ^  leur  plus  haut 
^rîx ,  il  assista  lui  même  h  la  vente  ,  pour 
tenir  ctNnqpte'du  prodiiit  jusqu'au  dernier  de- 
'  nier,  ne  se  fiant  point  aux  usages  des  encans, 
er  ay?iiiit  pour  également  suspects  les  officiers, 
Ifs  crietïTs ,  les  mjjrcliands  et  ses  amis  mêmes. 
^Oest  pourquoi  il  prt  H  oit  en  piarticulier  sux 
'  acheteurs ,  et  les  oWigt'oit  a  faire  des  enchères 
phîs  hautes.' Atusî  la  plupart  de  tous  ces  meu- 
blas îfurent  vendus  leur  juste  valeur. 
*"     Tous  les  amis  de  Caf  on  furent  très-offensés 
de  sa  défiance.  Munatius  surtout  entra  daes 
'  ime'  côlèfre  qui  pensa  êti;e  implacable  ;    de 
sorte  que  César'  é(5rivant  ensuite  un  livre 
coritrè  Çatôn  ,  Muniatius  lui  fournit  stir  cela 
des  mémoires  qui  font  l'endroit  le  plus  pi— 
Cfuant   de   sa   satire.    Cependant  Munatius 
écrit  lui-même  que  sa  colère  ne  venoit  pas 
'  tant  de  la  défiance  de  Caton ,  que  du  peu 

•  de  cas  que  Caton  faisoit  de  lui ,  et  de  la  ja- 

•  lousî^  qu'il  avoit  Inî-mênie  contre  Canidius  ; 
car  il  publia  un  pcrit  contre  Caton ,  et  c'est 
celui  que  Thraséa  ^**  a  principalement  suivi 
dans  son  hîstoive.  11  dit  qu'il  arriva  le  dernier 

^  a  Cyyre ,  qu'on  lui  donna  un  logement  dont 

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CATON  d'ittTQUE.  1^7 

les  antres  n'avoîoBt  point  voulu  ;  qiic  s'rtairt 
présenté  pour  entrer  chez  Caton  ,  on  lui  re- 
fusa la  porte  ,  parce  que  Caton  e'toit  alors 
occupé  a  faire  embf^ller  quelques  meublos 
avec  Canidius  ;  qu'il  s'en  plaignît  niodesîe- 
ment ,  et  qu'il  reçut  une  re'pouse  qui  n'éloit 
DuUement  modérée.  Cal  on  lui  dit  eu  pmpres 
termes ,  «  que  de  la  f;rande  amitié ,  comme 
«  dit  Théophraste ,  vient  souvent  la  grande 
<(  haine  ;  car  tu  vois  toi-même  ,  ajouta-l-îl , 
«  que  parce  que  tu  ni^aimes  beaucoup ,  tu  es 
«  aussi  très-faché  de  ce  qtie  tu  crois  que  je 
«  ne  fais  pas  de  toi  tout  le  cas  que  tu  rac'rites. 
a  Mais  j'emploie  Canidius  préférablement  à 
«  ton»  les  autres,  a  cause  de  sa  grande  expe- 
m  rience  et  de  sa  fidélité ,  et  parce  qu'il  est 
«  venu  des  le  commencement ,  et  qu'il  a  sur- 
«  to«t  les  mains  pures  3"  ».  Caton  ne  dit  cela 
qu'^  Munatius  seul  sans  aucun  témoin  ;  mais 
ensuite  il  en  fit  confidence  a  Canidius.  Mu« 
oatÎBs,  l'ayant  su ,  ne  voulut  plus  aller  souper 
chez  Claton ,  ni  assister  au  conseil  quand  il  y 
étoit  appelé  ;  et  Caton  Payant  menacé  qu'il 
le  traiteroit  conmie  oâ  traitoft  ceux  qui  dé- 
sobëiasoient ,  et  ferait  prendre  chez  lui  dès 
gages^^*,  il  ne  s^en  mit  point  en  peine ,  et 
s'en  retourna  a  Rome ,  oà  il  conserva  encore 
long- tçmps  sott  ressentiment.  Mais  après  une 

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l58  GATON  D'UTiQUfi. 

conversation  que  Martia ,  qui  étoîl  encore 
dans  la  maison  de  Caton  y  eut  avec  lui  ,  il 
arriva  qu'il  fut  prié  avec  elle,  k  souper  chez 
uu  de  leurs  amis  communs ,  nommé  Barca. 
Caton  arriva  comme  ils  étoient  k  table  ,  et 
demanda  où  il  pourroit  se  placer.  Barca  Itii 
répondit  que  ce  seroit  où  il  voudroit ,  et  qu'il 
pou  voit  choisir  la  place  qu'il  aimeroit  le  mieux. 
Caton ,  aya*it  bien  regardé,  dit  qu'il  se  mct- 
troit  auprès  de  Munatitis  ;  et  ayant  fait  Je 
tour  de  la  table ,  il  alla  se  placer  auprès  de 
lui ,  et  ne  lui  donna  aucune  marque  d'amitié 
pendant  tout  le  souper.  Mais  quelques  jours 
après ,  a  la  prière  de  Martia ,  (Jaton  lai  écri- 
vit qu'il  nvoit  k  lui  parler.  Munatius  ne  nian< 
ijua^pas  de  se  rendre  chez  lui  dès  le  matin ,  et 
Martia  le  retint  jusqu'à  ce  que  tous  ceux  qui 
étoient  allés  faire  leur  cour  a  Caton ,  fussent 
sortis.  Après  quoi,  Caton  entra  dans  la  cham 
bre  de  Martia ,  se  jeta  au  cou  de  Munatius, 
Tembrassa  tendrement  ^  et  lui  fit  toutes  sortes 
de  caresses.  Nous  nous  somities  attachés  a  ra- 
contpivçesparùcularités  un  peu  en  détail,  per- 
suadés que  ces  petites  choses ,  qui  se  passent 
flans  la  vie  privée,  ne  servent  pas  moins k 
faire  connoitre  le  natiu^  et  les  iitteurs  des 
hommes ,  que  les  actions  ks.  plus  grandes , 
et  qui  se  sont  passées  dans  le*  public* 

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CA.TON  d'utIQVE.  l5g 

Cat(m  rapporta  de  Cypre  près  de  sept  mille 
talents  (a);  et  comme  il  craignoit  les  dangers 
d'une  longue  navigation ,  il  fit  faire  plusieurs 
coffres ,  dont  chacun  tenoit  deux  talents  cinq 
cents  drachmes  (&),  et  attacha  k  chacun  une 
lougiie  corde ,  au  bout  de  laquelle  il  mit  une 
grande  pièce  de  b'cge ,  afin  que  9  si  le  vaisseau 
venoit  a  se  briser ,  les  pièces  de  liège  qui  na- 
gf^roîent  surl'eau  indiquassent  Pendi^oit  ou  les 
eoffi-es  seroient  tombe's^  «et  qu'on  put  |e«  reti- 
rer. Tout  cet  argent  arriva  a  bon  port  ^  saqs 
qii'tt  s'y  trouvât  aucu0  mécompte  considéra- 
ble. Caton  portoit  avec  lui  dans  ce  voyage 
deux  registres ,  ou  il  avoît  écrit  avec  grand 
soin  tou^  ce  qu'il  avoit  fait  dans  cette  expé- 
dition V  ^<^ut  ce  qu'il  avoii  içq^  y  et  tout  ce 
qu'il  avoit.dépen^  ;  mais  il  ne  put  conserver 
ni  l'un  ni  l'autre.  L'un  étdit  entre  les  mains. 
de  son  affranchi ,  nommé  Philargyrus  ,  qui  , 
s'étant  embarqué  au  port  de  Cenchrées  (c)  ^ 
fit  naufrage ,  et  perdit  le  registre  avec  tous 
les  ballots.  L'autre  étoit  entre  les  mains  de 
Caton ,  qui  le  porta  )i«squ'k  Corcyre  ^djj  oh 
il  Ic^ea  y  et  fit  tendre  ses  tentes  au  milieu  de 
la  place  qui  étoit  sûr  le  rivage.  La  nuit,  les 

(a)  Fias  dé  34  mOlioiDS  de  notre  moimoie.  A*  L.  Ë^ 

{b)  Environ  tT>,3ai  fr.  A.  i.i). 

(c)  Port  oriAntftl  de  Corinthe.  ui,  L.iJt^ 

(<0  Aajonrdlini  Corfau.  A^L^fi^ 

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1 6o  éAtON  D'iTTiQUE. 

niatelôts  atatit  §frand  froid  aHtiiitïèrent  beau- 
coup de  feiw  5  de  sorte  que  le  feu  prit  maï- 
heiireuseiiieDt 'aii^c  itti^ts  qtïi  ftirent  toutes 
brûléesy  avec  le  rfeglstpe  que  Càfon  avait 
conserve  jns<j[ué-ra.  Maïs,  par  bonheur  pour 
\m  j  les  officiers  Au  feu  roi-Ptolémëe  ,  qui 
étoîent  préscntg',  qui  «voient  eu  soin  de  ses 
WeuWés ,  'et  qui  avoient  ^assisté  V  la  vente , 
sNtfts6ïéiii  JjOur  fértaer  k  bouehe^  ses  eime- 
infeyfet'S  iJOlis'fcèîtx  qtû  aiiroiènt  vonlti  le 
'(^loinWrèr.  l(  i!^  laissa  ipas  d'être  affligé  de 
cette  jîëilé;  G»til  ti'iftVôit  parfait» ces  i-egis- 
tre'iS'f)6uV  'dï>ntiéi*î(îeâ  '^rétives  *^e  sa  ^fidélité, 

*  mais  pour  avoir^rhonneur  de'doiiner.aux 
auti^es  un  eiëuiiple et u»  toodfiedel^exactir- 
tuBe  Ijitë  ydti*«3ft*avoJr  djaiîs  cbsocca^îons, 
honneur  qtfèlSllbrtutte  lui  envia.'    r^  ■• 

Bès  qit^oii  st\l'  a'  'Ro^ne  qu'il  approcboit 

•  Avec  seà  vëfeseadx  'y  '  tôtis<  «les  magistrats  ,  les 
prêtres,  te  sénrit  et' la  plus  grattée |>»rtîe  du 
peuple,  aCcounitem  au-d©vaint  de  lirf  k  long 
du  Tib]^e;'*dfe  sone'qite  lès  deux  iîves  du 

'  fleiive  étoiei/t  <îo^iVéM:e$  d^one  foule  iiîiniçnse. 

'  A' voir  ces  vaisBeaox  retn^iet^  \ik  civière  au 
milieu  dé  cette  mitllittiide  iaiiWmbrabie  ,  on 

v^ùt  cru.qucc'étoi^.  i^n  trioii^^hç  superbe  et 
éclatant.  On  trouna  cependant  qu]il.y  eut  de 
sa  part  tii)^  sorte:: d'impolitesse  et  .de  fierté 
mal-en  tendue  ^  en  ce  ^ue>  Jq&  :  <soa&i js  et  les 

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ckTos  d'utique.  l6l' 

prêteurs  étant  sortis  au-devant  de  Un ,  il  ne 
descendit  p»s  où  ils  étoient ,  et  ne  fit  pas 
seulement  arrêter  son  vaisseau  ;  mais  conti- 
nua de  vo«^ier  sur  sa  galère  royale ,  qui  éroît 
a  six  rangs  de  rames  ,  laissant  derrière  li]i  la 
rive  ou  ëioîeut  ces  magistrats ,  et  ne  s'arrêta 
([ne  lorsqci'il  fnt  arrivé  dans  le  port  avec  toute 
sa  flotte.  Mais  quand  on  vit  tout  cet  or  et  cet 
argent  qu'on  pottoit  au  travers  de  la  place  , 
pour  le  déposer  dans  le  trésor  publie  ,  le 
çeiiple  ne  put  revenir  de  sa  sui'prise  ;  ^t  le 
sp'nat  s'éiant  assemblé  décerna  a  Caton,  avec 
de  grands  éloges ,  une  prérure  extraordi- 
naire 33 ,  et  le  privilège  d'assister  aux  jeux  et 
aux  spectacles  avec  la  robe  bordée  de  pour- 
pre. Mais  Caton  refusa  tous  ces  honneurs  , 
er  demanda  seulement  au  sénat  la  liberté  de 
Nicias,  intendant  du  feu  roi  Ptolémée  ,  aux 
6f)ins ,  exactitude  et  fidélité  duquel  il  rendit 
des  ténioîgn âges  très- avantageux.  Philippe, 
père  de  Martia  ,  éîoit  alors  consul.  Mais  on 
peut  dire  que  toute  la  dignité  et  l'autorité 
entière  du  consulat  re'sîdoient  dans  Calon  ; 
Paulre  cbnsul,  qui  étoit  Lentulus  Marcelli- 
Diis ,  ne  faisant  pas  moins  d'honneur  a  Calon 
a  cause  de  sa  vertu,  que  son  beau -père 
PLiKppe  lui  eji  faisoil  ^  cause  de  ralliance. 

Cependant  Cice'rnn ,  qui  éîoît  revenu  de- 
puis peu  de  l'exil  auquel  Clqdius  Tavoit  fait 

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l62  CATON  D'UTIQUE. 

condamner ,  et  qui  avoît  plus  de  crédit  i 

d'autorité  que  jamais,  profatant  de  Fabsenfj 

de  Clodius,  alla  au  Cfapitole  arracher  p 

force  les  tables  que  Clodîusy  avoît  consacre^ 

lui-même ,  et  dans  lesquelles  il  avojt  ëc« 

tout  ce  qui  s'e'toit  passé  pendant  son  tribuDsj 

Le  sénat  s' étant  assemblé  sur  cette  affaire ,  I 

Clodius  y  accusant  Cîcéron  de  violences  j 

de  voies  de  fait ,  Cicéron  répondit  que  CU 

dius  ayant  été  créé  tribun  contre  les  lois 

tout  ce  qu'il  avoit  fait  et  écrit  pendaut  sq 

fribnnat  cfevoit  être  nul ,  et  qtril  falloir  | 

casser.  Mais  Caton  l'inteiTompit,  et  se  leva 

prit  la  parole ,  et  dit  :  n  Qu'il  étoit  ira 

«  persuadé  que  dans  toute  Fadminîstratio 

«  de  Clodius ,  il  a^y  avoit  rien  de  saia  ni  i 

<(  bon  ;  mais  que ,  si  l'on  cassoit  tout  ce  quj 

«  avoit  faitdans  son  tribunat,on  casseroit  au^ 

«  tout  ce  qu'il  avoit  fait  lui-même  a  Cypre,  j 

^(  que  sa  commission  ne  seroit  pas  légitime 

«  si  elle  lui  avoit  été  donnée  par  le  décn 

«  d'un  tribun  créé  contre  les  lois  ;  que  CW 

<(  dius,  pour  être  d'une  maison  patncieune 

«  n'avoit  pourtant  pas  été  nommé  tribu 

«  contre  les  lois ,  puisqu'il  étoît  passé  dafl 

<<  une  famille  plébéifenne  ,  en  vertu  de  la  le 

\  qui  le  permettoit  ;  et  que  ^  s^il  avoit  éti 

a  mf'cbaiit  et  scélérat  comme  plusieurs  aui 

«  très,  il  étoit  jubte  de  le  punir  personnelles 

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CATON  dVtique.  i65 

«  ment ,  et  non  pas  de  s^en  prendre  'a  ]a 
«  charge  ,  qui  avoi't  assez  souffert  de  son  fii« 
«  justice  ».  Cicëron  fut  si  irrite  de  ce  dis- 
cours, qu'il  cessa  long -^  temps  de  regarder 
Caton  comme  sou  anii  ;  mais  ils  se  réconci- 
lièrent ensuite. 

Pompée  et  Crassos  étant  allés  s^aboucber 
ivec  César ,  qui ,  pour  cet  effet ,  avoit  repassé 
les  Alpes,  ils  résomrent  qti'ils  demaoderoient 
tous  deux  un  second  consulat ,  pour  Tannée 
suivante,  et  que  dès  quMls seroîent  en  char- 
ge,  ils  feroient  ordonner  que  César  seroft 
continué  dans  son  goiiyemement ,  pour  cinq 
autre»  années ,  et  se  feroient  décerner  k  eux 
ks  pins  grandes  <ît  Jeà  roeilletires  prorînces, 
avec  de  puissantes  armées ,  et  les  fonds  né- 
cessaires  pour  les  entretenir.  Ce  traité  étoît 
proprement  une  confurAtion  pour  ruiner  ]h 
république ,  et"  pour  partager  Pèmpîre  entre  ^ 
sux*  11  y  avoit  alors  beaucoup  de  gens  de 
Wen  qui  se  préparoient  k  demander  le  consn- 
at  ;  mais  quand  ils  virent  Pompée  et  Crassns 
u}T  les  rangs ,  ils  se  retirèrent  tous,  excepté 
r.ucios  Domitius  ,  mari  de  Porcîe  ,  a  qui  , 
[laton ,  son  bean-frère ,  persuada  de  ne  pas 
(e  désister,  et  de  ne  pas  atrândoniier  nne  lice 
>à  on  ne  combattoit  pas'  f  ant  pour  le  consulat 
}<ie  poor  la  liberté  de  Rome.  On  commen<- 
^it  même  k  djre,  parmi  ceux  du  pquple  qui 

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ï64:  CATON  d'utiquet. 

cqnservoîent  encore  du  sens  et  de  la  raison  , 
«  qu'il  ne  falloit  pas  souffrir  <jue  la  puissance 
«  de  Pompée  et  celle  :  de  Crassus  s'unissent 
«par  le  consulat  ;  que  cela  rendroit   leur 
«  charge  trop  forte  et  trop  insupportable  ;  et 
«  qu'il  falloit  les  séparer ,  et  ne  faire  consul 
a  que  l'un  des  deux  ».  En  v^^aa^  temps  ,  ils 
se  rangèreqjt  autour  jie  Doi^itius^  l'exhortant 
^  Tencourageant  à  opaûpuèr  sa  lirigue^  parce 
que  la  plupart  ^e  ceivx  k  qui  la  crainte  fer- 
moit  alors  jl^  bouche,  lel  fa  vomeroient  le 
jour  de{r.^QCtion.  PompéQ)eiJGra§s\is,  craî- 
guaçlq]!^  cela  n'arrivât  effectivement ,  dres- 
seront uiie  embuscade. k;  Qpmitius ,  oomme  ii 
descendoit  av,^^t;)e  )ou^*^  jL$i  x*.lai!^é  des  flam- 
t>eaux  ^u  champ  deMafs  pii;,^;  Revoit  tenii 
rassemblée  dtipeupl^.  ,Le,pre)iiiQr  qui  portoii 
le  flambeau  devant  Dloai^tuis  fyt  blessé  mor- 
tellx^meiTt  ^.^  tomb^  a  sea  pjeds  ,  toiis  la 
anli^i^s  ftuîçm  blessés  et  pi'irqût  la  fuite.  Il 
n'y  eii|  ^ue:Qomititis  et  Galon  qui  isestèrcnt 
seuls ^  Giir  Catou  y  q(U>iqive  blessé  au  bras,  prit 
Domitius, Je. retint  çt^\e  pri^;  de  .demeurer: 
n  Pepdant  qu'il  no up^i?e&tera  un. buffle  de  \ie 
M  lui  dit-ii',  n'abandonnons  poiïit  ce  combat 
a  pour  la  liberté  cootrei  des-  tyrans  qui  foui 
44  assez  çoam^ltre  l'usage  qu'ila  feront  d^une 
«  charge  k  laquelle  ils  veuleiît  s'élever  pat 
«  des  injustices  si  énormes  et.{liir4e  si  çrandj 

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CATON  d'utiqub.  i65 

«attentats  ».  Mais  Domitius  ^  De  pouvant, 
soutenir  plus  long -temps  €e  danger,  prit  la 
fiute,  et  se  retira  dans  sa  maison. 

Alors  Pompée  et  Crassus  fure^  nomm^ 
consuls.  Caton.ne  permit  pas  courage  et  se 
présenta  pour  la  préture,  afin  que  n^étant 
plus  simple  particulier ,  il  eut  dan^  cette 
charge^^  comme  une  forteresse  d'où  il  pourroit 
encore  faire  des^orties  et  combattre  contre  les 
consuls.  Crassus  et  Pompée  y  alannës  de  cette 
démarche ,  parce  qu'ils  sentoient  bien  que  la 
prêt  lire  entre  }es  mains  de  Caton  dcyiendroit, 
par  sa  vertu,  d'une  autorité  si  g^nde  qu'elle 

Eourroit  tenir  tète  au  consulat ,  firent  assem-^i 
1er  le  sénat  li  la  hâte ,  saps  q|ue  la  plupart . 
des  sénateurs^  en  fiissent  avertis^, jL^  iU  firent 
ordonner  que  les  préteurs  qui  si;proî^pt.4uSj 
entrerpient  d'abord  jbn  exercice.,  saji?  attein- 
dre les  déla^  prescrits  ^^j  pendant  lesquels  on 
pou  voit  appeler  en  Justice  .cpiv5q«,iî,i|\:oi€.nt 
acheté  les  sufiiiragès  du  peuple.  Et^aprç^ 'avoir,. 
3ar  ee  de'cret ,  as^iju:^  l'iu^punil^à  c^^^  qui. 
jeroîent  coupables  de  cette  corr¥.pt^6u  ,  ils. 
moussèrent  en  avant  quelquesi-  uns  de  leurs 
unis  et  de  l^'urs  ofiiciers ,  et  les  obligèrent  k 
;e  présenter  pcjiir  demander  la  préture,  four-» 
lissant  Pargent  poiu:  corrompre  le3  jnges ,  et 
)rësidant  eux-mêmes  k  l'élection.  Mais  mal- 
ré  toutes  ces  intrigues ,  oii  voyoit  que  la 

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l66      '  CATON   D^DTrQlTE^ 

vertu  et  la  réputation  de  Catbn  alloîent  le 
feîre  triompher  saïis  peine  de  tons  ses  con- 
currents ,  le  Deuple  ayant  pour  lui  tant  de 
respect,  mi'il  regardoit  comme  uae  très- 
grande  înaignîté  de  le  vendre  par  ses  suffra- 
ges ,  lui  que  la  ville  même  airroit  du  acheter 
pour  préteur.  La  première  dés  tribus  qui  fut 
appelée  lui  ayant  donné  sa  voix ,  Pompée 
supposa  faussement  qu'il  a  voit  entendu  ton- 
ner ,  et  rompit  l'assemblée  d'une  manière 
honteuse  ,  les  Romains  ayant  coutume  de 
regarder  le  tonnerr^ç  comme  \\û  malheureux 
présage,  et  de  «e  rien  ratifier  quand  il  arrive 
de  ces  signes  célestes.  Darjs  la  suite ,  Pompée 
et  Crassus,  ayant  fait  dîstribijer  encore  de  pins 
grandes  sommes  au  peuple ,  et  chasser  diij 
champ  de  Mars  tous  les  plus  honnêtes  gensJ 
ils  l'emportèrent  enfin,  et  firent  élire  prêteur 
un  Vatinius  ,  au  lîeu  de  Caton.  On  dit  que 
ceux  qui  aWent  donné  leur  voix  avec  tant 
d'injmlice  et  contre  la  loîy  touchés  de  honte 
et  de  repentfr,  prirent  d'abord,  la  fuite ,  et  se 
reiir^rent  chez  eux.  Tous  ceux  qui  rcsioieDt 
g' étant  rassemblés ,  «et  témoignant  la  douleur 
et  le  ressentiment  qu'ils  avoient  de  ce  q:ii 
venoît  de  se  passer,  M  se  trouva  Ik  uafribiio, 
qui  tînt  dans  ce  même  endroit  l'assemblée  du 
peuple.  Caton  s'avança  «lors  au  milieu  ;  et , 
comme  s'il  eût  été  inspiré  par  quelque  dieu; 

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CATON   D'uTIQUE,  ^       167 

il  prédit  tous  les  maux  qui  dévoient  arriver  a 
la  ville  ,  et  excita  contre  Crassiis  et  Pompée 
tous  les  citoyens,  en  leur  faisant  voir  qu'ils 
se  sentoient  tons  deux  coupables  de  tant  de 
crimes ,  et  qu'ils  pre'paroicnt  un  gouverne- 
ment si  injuste  ,  qirils  avoient  craint  d'avoir 
Caton  pour  préteur ,  parce  que  les  éclairant 
de  près,  il  auroit  éventé  toutes  leurs  iutri- 
giies  et  renversé  tous  leurs  desseins.  Quand 
il  eut  fini  et  qu'il  s'en  retourna  daos  sa  mai- 
son y  il  fut  suivi  lui  seul  d'ime  plus  grande 
foule  de  peuple ,  que  n'en  avoient  eu  tous 
ensemble  ceux  qui  avoient  été  élus  préteurs. 
Caïus  ïrébouius  ,  tribun  du  peuple ,  pro- 
posa alors  un  décret ,  pour  faire  aux  consuls 
la  distribution  des  provinces.  Ce  décret  por- 
îoit  que  l'un  d'eux  auroit  sous  lui  toute  1  Es- 

[)ague  et  l'Afrique  ,  et  l'autre  la  Syrie  et 
'Egypte  ,  avec  un  plein-pouvoir  de  faire  la 
guerre  k  qui  bon  leur  sembleroit  et  par  mer 
et  parterre.  Tons  les  autres  citoyens,  déses- 
pérant de  pouvoir  rempècher  et  le  faire  cas- 
ser ,  renoncèrent  k  ie  combattre.  Caton  seul, 
avant  que  l'on  commençât  k  donner  les  suf- 
frages ,  monta  a  la  tribune ,  et  demanda  a 
parler.  Le  peuple  ne  lui  accorda  qu'a  peine 
deux  heures  ;  et  quand  il  eut  employé  tout 
ce  temps  a  haranguer  les  citoyens ,  k  leur 
faire  des  remonuaiices ,  et  kpt'edire  tout  qq 

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xQ8  .  CATON  d'utkjue. 
qui  leiirarriveroit,  on  ne  voulut  pas  lui 
pennettre  de  continiierj  et  comme  il  s^opi- 
niâtroit  a  parler  encore ,  un  des  licteurs  vint 
l'arracher  par  force  de  la  tribune.  Quand  il 
ftit  en  bas,  il  ne  laissa  pas  de  crier  encore 
plus,  fort  ;  et  il  y  a  voit  beaucoup  de  gens  qui 
lui  pi  êtoîent  Foreille  et  qui  çDtroîent  dans  ses 
seniinients.  Le  licteur  1  alla  prendre  pour  la 
seconde  fois,  et  l'emmena  hors  de  la  place* 
Maïs  il  ne  l'eut  pas  plutôt  relâché ,  qu'il  re- 
prit aussitôt  le  chemin  de  la  tribune ,  criant 
avec  plus  de  force,  et  exhortant  ses  conci- 
toyens k  le  secourir ,  et  à  venir  de'fendre  la 
liberté  publique.  Ayant  répété  ces  mots  plu- 
sieurs fois ,  Trébonius ,  fort  embarrassé  et  fort 
alarmé,  commanda  au  licteur  de  le  saisir  et 
dé  le  traîner  en  prison.  Maïs  le  peuple  le  sui- 
vit, très-attentif  d  tout  ce  qu'il  disoît;  car, 
en  marchant ,  il  continuoit  toujours  de  leur 
parler  ;  et  Trébonius ,  craignant  les  suites  ,| 
commanda  au  IJcteur  de  le  relâcher,  Caton 
fut  cause  que  l'on  consuma  tout  ce  jour-lk 
inutilement  et  sans  rien  conclure.  Le  lende- 
main ,  ceux  du  parti  contraire  ayant  intimidé 
une  partie  du  peuple  par  leurs  menaces  ;  ga* 
gné  l'autre  par  de  belles  paroles  et  par  des 
largesses  ;  empêché,  par  la  force  des  armes, 
l'un  des  tribuns ,  nommé  Aquilius ,  de  sortir 
du  sénat  pour  venir  k  l'assemblée  j  chassé  de 

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CATôN  d'utiqtte.  i6g 

la  place  Caton  qui  crîoit  de  toute  sa  force 
qu'il  avoit  entendu  le  tounerre  ,  et  blesse'  un 
grand  nombre  de  citoyens  ,  dont  plusieurs 
restèrent  morts  sur  la  place,  ils  firent  passer 
par  la  violence  le  décret  ;  de  sorte  que  plu- 
sieurs s'étant  attroupés  pleins  de  fureur  al- 
loient  renverser  les  statues  de  Pompée  ;  maïs 
Caton  qui  survint  les  en  empêcha. 

Quand  on  proposa  ensuite  le  décret  pour 
le»  provinces  et  pour  les  troupes  que  Pon 
donneroit  k  César ,  Caton  ne  s'adressa  plus 
au  peuple ,  mais  se  tournant  vers  Pompée  , 
il  l'avertit  et  lui  protesta  devant  tout  le  mon- 
de ,  qu'il  se  metfoit  lui-même  sous  le  joug  de 
César;  qu'il  ne  s'en  apercevoit  pas  alors, 
mais  que,  quand' il  commènceroît  k  le  trou-^ 
ver  trop  pesant  et'k  en  ètrfe  accablé ,  et  qu'il  ^ 
ne  pourroit  ni  le  rejeter,  ni  trouver  en  lui 
les  forces  nécessaires  pour  le  porter,  il  tom- 
beroit  avec  lui  surla  ville  ;  et  qu'alors  il  se 
souviendroit  des  avertissements  deÇaton ,  et 
reconsiihron  qu'ils  "étoient  aussi  utiles  pour 
Pompée  en  particulier ,  qu'honnêtes  et  justes, 
en  eux-mêmes.  Caton  fit  t)lusiears  fois  les 
mêmes  remontrances  k  Pompée,  qui  n'eti 
tint  auctm  co^ipte  ;>  car  il  ne  pouvoit  croire 
que  César  dût  jamais  changer ,  et  il  se  con- 
fioit  \m  peu  trop  en  sa  piroôpérité  et  en  sa 
grande  puissance, 

.         '  -  DigitizedbyCjOOgle 


Ï70  CATON    d'uTIQUB. 

Caton  ,  ëiu  prêteur  pour  FaDoee  suivante, 

{mrut  n'avoir  pas  tant  relevé  et  rehaussé 
'honneur  et  rëclat  de  cette  charge  eu  s^ac*^ 
quittant  parfaitement  de  ses  devoii's  ,  que 
Tavoir  ternie  et  ravalée  en  allant  nu -^ pieds 
et  sans  robe  k  son  tribunal ,  et  assîstaut  sou- 
vent en  cet  état  au  jugement  de  procès  cri-^ 
minels,  contre  des  gens  très -considérables 
Il  y  eu  a  même  qui  disent  qii'ii  donnoit  sou- 
vent ses  audiences  après  dîner  et  chargé  de 
vin  :  mais  cela  n'est  pas  véritable.  Comme  le 
peuple  étoit  entièrement  corrompu  par  lea 
distributions  et  par  les  largesses  de  oeux  qui 
aspi  voient  aux  cnarges,  et  que  la  plupart  re- 
gardoient  cette  corruption  comme  un  métier 

Kur  gagner  leur  vie  ,  et  qu'ils  comptoient 
-dessus comme  sur  un  revenu  certain,  Ca- 
'  ton,  pour  déraciner  de  la  ville  cette  maladie, 
persuada  au  séuat  d'ordonner  par  un  décret^ 
qixe  ceux  qui  seroient  nommés  aux  charges , 
s'ils  n'avoient  personne  qui  les  accusât ,  ser 
roient  obligés  de  se  présenter  eux-mêmes  eu 
jugement;  et,  après  avoir  juré  devant  les 
juges  de  dire  U  vérité,  reqdroient  compte  des 
moyens  qu'ils  avotent  pris  pour  y  parvenir. 
Ceux  qui  briguoi^t  lesu  obaiîges  furent  fbrti 
irrités  de  cette  ordoonaiice ,  et  le  peuple  en , 
fut  encore  jAxis  mécontent  ^  ^  Qfiuse  du  profil  i 
cju'eile  lui  ôtoit,  I 

"  _XoogIe 


CATON   BOUTIQUE,  l^i 

Un  matiû  Caton  s'étant  rendu  k  son  trl-* 
buDal,  tous  ces  séditieux  y  accoururent  en 
foule ,  et  se  mirent  k  crier  contre  lui ,  a  lui 
dire  mille  injures,  et  k  lui  jeter  des  pierres  ; 
de  soite  que  tout  le  monde  sortit  de  Tau- 
dience  et  s'enfuit ,  et  aue  lui-même  y  poussé 
et  emporté  par  la  foule ,  eut  beaucoup  de 
peine  a  gagner  la  tribune.  LU  il  apaisa  d'abord 
te  tum^die ,  et  calma  le  bruit  par  la  fermeté 
et  par  Taudace  qui  parurent  sur  son. visage» , 
l:insiiite  par  les  remontrances  qu'il  fit ,  telles 
que  les  circonstances  Texigeoieut  ^  et  qid  fu-^ 
lent  écoutées  avec  le  plus  gran.d  silence  ,  il 
«'cheva  de  dissiper  la  sédition. .  Le  sénat  le 
loua  beaucoup  de  sa  fc^rmcté  :  <(  Mais  moi  ^ 
«  leur  dit-41,  je  ne  vous  loue  point,  vous  qui 
u  avez  abandonné  votre  prêteur  dans  le  dan* 
K  ger,  et  qui  n'êtes  point  venus  le  secourir  et 
«le  défendre  )>.  Cnacun  des  candidats  se 
ttouva  dans  un  embarras  extrême;  car  dam 
côté  il  n'oscil  donner  de  l'argent  au  peuple  ^ 
a  cause  du  décret  du  sénat  j  et  de  l^autre  il 
.craignent  que  son  concurrent;  n^en  donnât 
et  ne  fut  préféré.  Epiin  y  s'étant  assemblés  ^ 
iis  convinrent  qu'ils  d^seroient  diacun  la 
£omme  de  cent  vingt-fcinq  mille  drachmes  ^^  } 
qu'ensuite  ils  fbroient  cnacuQ  leurs  biiguei^ 
^vec  toute  la  droiture  pessible,  et  que  celui 
gui  çQntirçyiendroit  |i  la  loi  ea  donnant  dft 

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172  CAtON  d'uTIQUE. 

Targent  pour  gagner  les  voix ,  perdroit  1^ 
somme  qu'il  auroit  déposée  ^^.  Cela  érantri 
convenu,  ils  choisirent  un  dépositaire  quil 
seroit  en  même  temps  témoin  et  arbitre ,  et 
ce  fut  Caton.  Ils  porièrent  tous  chez  lui  leur 
argent ,  et  mirent  entre  ses  mains  leur  traité  ; 
mais  il  ne  voulut  pas  se  charger  de  l'argent , 
et  se  contenta  d'avoir  des  cautions.  Le  jour 
de  l'élection ,  Caton  se  tint  toujours  auprès 
du  tribun  qui  y  présidoit;  et  en  observant  avec 
beaucoup  de  soin  tout  ce  qui  se  passoit,  et  la 
manière  dont  on  dpnnoit  les  suffrages ,  il  s'aper-' 
eut  qu'un  de  ceux  qui  avoient  déposé  l'argent 
prévariquoit.  En  même  temps  il  lui  ordonna 
devant  tout  lé  monde  de  payer  aux  autres  la 
somme  dont  on  étoit  convenu.  Mai»  les  au-* 
très  concurrents,  louant  et  admirant  la  jus- 
tice et  la  droiture  de  Caton ,  refusèrent  Va- 
mende ,  disant  «  que  le  prévaricateur  étoit 
a  assez  puni  y  et  eux  assez  vengés ,  puisqu'il 
<(  avoit  la  honte  d'être  condamné  par  Ca- 
«  ton  ». 

Cette  action  déplut  k  tous  les  autres  ma- 
gistrats y  et  suscita  l'envie  contre  Caton  , 
comme  s'il  eût  voulu  fe^arroger  k  lui  seul 
toute  l'autorité  du  sénat  et  de  tous  les  autres 
juçes.  Car  de  toiites  les  vertus,  il  n'y  en  a 
point  dont  la  réputation  et  la  fidélité  attirent 
plu:>  d'envie  k  ceux  qui  les  possèdent,  que  la 

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CATON  B'UTIQÛfi.   ^  I7S 

JHStîce; parce  que  le  peuple,  se  confiant  en 
elle,  1qi  donne  par  conséquent  une  grande 
puissance  et  une  grande  autorité.  Car  îl  n'ho- 
nore pas  seulement  les  justes  comme  îl  ho-» 
nore  eeux  qiri  sont  vaillants,  ni  ne  les  admire 
pas  comme  il  admire  ceux  qui  se  distinguent 
par  teur  prudence  et  par  leur  sagesse  ;  mais  il 
fait  plus  encore,  îl  les  aime ,  îl  s'assure  en  eux , 
et  il  leur  donne  tonte  sa  confiance.  Au  lieu 
qu'à  Pégard  des  autres,  îl  craint  ceiix-lb ,  et 
se  défie  de  ceux-ci.  De  plus ,  il  croit  que  leur 
valeur  ou  leur,  pnidence  viennent  plutôt  de 
la  force  de  la  nature  que  de  leur  volonté,  es- 
timant que  la  prudence  est  Peffet  d'une  con^ 
oeption  vive  et  prompte,  et  la  valeur  celui 
d'une  force  et  d^ine  fermeté  naturelle  de 
J^âme  qui  ne  s'étonne  de  rien.  Il  n'en  est  pas 
de  même  de  la  justîée;  pour  être  juste ,  il  faut 
le  vouloir.  C'est  pourquoi  on.  a  surtout  honte 
de  l'injustice  ,  comme  d'un  vice  volontaire 

Îue  rien  ne  peut  excuser.  Et  voila  la  raison 
e  la  haine  que  les  plus  grands  de  Rome  con- 
çurent contre  Caton  :  ils  regardoient  la  grande 
idée  qu'on  àvoit  de  sa  justice  comme  un  re- 
proche fSit  h  eux-mêmes.  Pompée  surtout^ 
prévenu  que  la  réputation  de  Caton  étoît  la 
ruine  certaine  de  sa  puissance,  lui  suscîtoit 
continuellement  des  genôpourle  harceler  et 
pour  lui  dire  dçs  injures.  De  ce  nombre  étdît 

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tyi  CATON   d'uTIQCK. 

Clodais  quls'ëtoit  raccommodé  avec  Pompée  ^ 
et  qui,  déclamant  coatiouellement  coutre  Ca- 
ton  j  l'accusoit  d^avoir  détourné  beaucoup 
d'argent  en  Cypre ,  et  de  ne  faire  la  guerre  a 
Pompée  que  parce  que  celui  -ci  a  voit  refusé 
dVpouser  sa  fille. 

Caton  répondoît  :  «  Qu'il  avoît  rapporté 
«  de  Cypre  plus  d'or  et  plus  d'argent  k  la 
«(république,  sans  avoir  tiré  d'elle  ni  uu 
«  cheval  ni  un  soldat,  que  Pompée  n'en  avoit 
«  rapporté  de  toits  ses  triomphes  et  de  toutes 
«  ses  guerres  où  il  avoît  boulev^sé  la  terre 
i(  entière.  Que  jamais  il  n'a  voit  pensé  k  faire 
a  son  gendre  de  Pompée ,  non  qu'il  le  jugeât 
«  indigne  de  son  alliance,  mais  parce  qu'il 
<(  le  voyoit  suivre  dans  le  gouvernement  des 
«  vues  et  des  maximes  fort  contraires  aux 
«  siennes.  Car  pour  moi,  ajouta-t-il,  lorsqu'au 
«  sortir  de  ma  préture ,  on  m'a  décerné  une 
«  province,  je  t'ai  refusée;  au  lieu  que  Pom-J 
a  pée  prend  les  unes  de  force,  et  donne  les! 
<(  autres  k  ses  amis.  Et  encore  tout  récem- 
«  meut,  il  a  prêté  k  César  ime  armée  de  six 
«  mille  hommes  pour  la  guerre  des  Gaules, 
K  s»ns  que  César  vous  l'ait  demandée,  ni  que 
«  Pompée  l'ait  donnée  de  votre  conâentemeutt 
#(  Mais  désormais  nos  armées,  nos  armes,. nos 
<(  hommes,  nos  chevaux,  en  un  mot  les  for- 
«(  pes  d^  Tempiie ,  deviennf!|it  des  plaisirs  que 

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C\TON  dVtIQITE.  175 

tK  (les  particuliers  se  font  les  uns  aux  autres  ^ 
«  et  qn^ils  fe  rendent  réciproquement ,  et 
«  Pompée  en  est  si  libéral ,  que  retenant  seu* 
«  lemént  le  titre  d'empereur  et  dégénérai ,  fl 
«  donne  volontiers  ses  armées  et  ses  provinces  , 
«  aux  autres^  et  reste  ici  dans  la  TÎfle  pour  j 
i(  exciter  des  séditions  dans  les  comices ,  com- 
«  me  sMI  proposoit  des  jeux ,  et  pour  y  suscî- 
u  ter  de  nouveaux  troubles.  D^oii  il  rat  aisé 
«  de  vofir  que,  par  le  moyen  de  cette  anar- 
«  chfe  qu'il  introduit,  il  se  prépare  et  se  mé- 
«  nage  ]à  monarchie».  C'est  ainsi  qu'il  re- 
poussa \e^  instiltes  de  Pompée. 

Citton  avoit  un  ami  particulier,  nommé 
Marcus  Faronius  j  qui  éioit  son  grand  parti- 
san et  son  grand  admirateur,  tel  qu'on  dit 
qu'étoît  Appollodore  de  Phalère  pour  So- 
crate  ^K  Cet  homme  ne' fut  pas  médiocre- 
ment frappé  dfe  son  discours  5  fl  éri  fut  si  ému^ 
qu'il  en  sortit  hors  de  lui-même,  comme  s'il 
eût  été  véritablement  ivre  ou  fiijîeux.  Il  bri- 
gua quelques  années  après  l'oflBce  d'édîlej 
mais  ït  fut  refusé.  Caton,  qui  éloît  pr&ent, 
et  qui  le  faVorisoit,  s'apeicnt  que  les  ta- 
blettes des 'suffrages  étoient  toutes  écrites  de 
la  même  maîn  ;  et  ayant  fait  voir  clairement 
<jettc  fraude,  il  en  appela  aiix  tribuns,  et  par 
cet  rppel,  il  rendît  Fautre  élection  nulle.  De- 
puis, Favonius  ayant  été  nommé  édile,  Caton 

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J76  CATON  D'UTIQUE. 

lui  aida  k  se  bien  acquitter  des  fonctions  de 
sa  charge 9  et  régla  toute  ia  dépense  des  jeux 
qu'il  de  voit  donner  au  peuple ,  selon  ia  cou— 
tume  des  édiles.  Car  au  lieu  des  couronnes 
d'or  que  les  autres  donnoient  4Ux  agteurs, 
musiciens,  joueurs  d'instrun^ents  et  autres 
qui  servoieujt  aux  jeux,  il  leiur  donna  des 
couronnes  debranaies  d'olivier,  comme  ou 
faisoil  aux  (eux  olympiques;  el  pour  JT^m^pla' 
cec  les  riches. jdons  que iesau^rcs distrihuoient 
au  peuple,  il.$t  distribuer  aux  Grecs  quan- 
tité de  poireaux,,  dé  laltutBs^  de  jpayes.-.et  de 
céleri ,  et  aux  Romaiiis  de§  pot^^^^  vin,  de 
la  chair  deporc,  desfigu^,  ^^s  .cpo^ombres 
et  des  brassées,  de  bois.  Les  uns  sç.moquçieiit 
de  ces  présents  si  vils  et  s|  méprisables,  et 
lesiiu^r^'s  eo^  etojevt  ohatmâi.a  f(;af  iïs  vçyoient 
avec  giand^jlaisîr; cm/ç  l'austéric^/^  V.  sévé- 
rité de  Catpç'jse  rjeîàchojenl:  et.qu'iLçe  .prê- 
toit  volontiers,  k  ces  jeux»  En^^^Fâvpnius 
lui-môme  se  jetant  ^u.  milieu  du  peppl^^,  alla 
s'asseo^  panpi .les  spectateurs,. pù^l  b,^ttit  le 
premier  desinains  en  applaudissant  a  Caton, 
et  en  lui  criant  qu^il  donnât  aux  acteurs  qui 
s^acquittoient  bien  de . leur  rôle, , qu'il  tc$'  ré- 
compensât honorablement,  et  demandant  en 
même  temps  pour  les  spectateurs,  comme 
ayant  donné  k. Caton  un  pouvoir  sans  réserve 
€t  l'ayant  fait  maître  de  .tout.  Pendast  que 

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CATON   D'UTIQÛE.  I77 

cela  se  passoh,  Cnrion,  Tautre  édile,  donna 
dans  un  autre  théâtre  des  jeux  magnifiques; 
mais  le  peuple  le  quitta  pour  venir  k  ceux  de 
Favonîus  où  il  se  divertissoit  beaucoup  a 
voir.  Favonîus,  qui  donnoit  la  fête,  jouer  le 
rôle  d'ua  simple  spectateur ^  et  Caton  celui 
de  présideut  des  jeux*  Caton  agissojt  ainsi 
pour  se  n()oquer  de  la  folle  dépense  qu'on  fai^ 
soit  dans  ces  occasions ,  et  pour  montrer  que^ 
quand  on  d<mne  des  jeux ,  il  faut  les  dopner 
eu  jouâjit,  et  les  accompagner  plutôt  d!un^ 
grâce  |sîmple  et  sans  osten^tioa^  que  delou^ 
ces  préparatifs  et  id^ito^t^  ceft  mii^g^ifiçences 
qui  coqtejQt»bea<icoup9>  et  qui  demandât  que, 
pour  de^  choses  de  néant,  on  se  consume  ea 
soins  y  en  peines  et  en  fatigues. 

Quelque  temps  apr,ès,,  Scîpîoq,  Hypséus 
et  Milon  brigujerept  Je.co»6tdat,^i^>n  seiile-»- 
ment  par  ces  çorruptipns  ordinaires  et  invété- 
rées dans  l'état,  je  veuy  dire  par  .les  présents 
et  par  les  distributions  de  deniçr^ ,  poui:  rga^ 
gnei^  les  suffrages,, n^ais  k  force  quverte,  par 
la  voicj  d^'arn^es  et  des  meuriçes,  par  lou? 
CCS  moyens,  d'une  audace  et  d^une  ytéiuériié 
effrénées  qui  tendpient  k  exciter  une  guerre 
civile.  Quelques-uns  Cirent  alofô, d'avis  «qu^il 
«  falloil  préposer  Pompée,  sur  .les  comices, 
«afin  quil  présidât  aux  élections,,  et  que 
<(  tout  s'y  passât  avçc.  plus.de  sûreté  et  d'or-  • 

X.  Digilizedby^Ogle 


178  CATON  dVtIQUÊ. 

«  dre  ».  Caton  s'y  opposa  d'abord,  et  dit^ 
«  oiie  les  lois  ne  dévoient  pas  tirer  leur  sûreté 
«  de  Pompée ,  mais  que  Pompée  devoit  tirer 
«  la  sîenoe  des  lois».  Mais  voyant  que  celte 
anarchie  dnroît  trop  long-temps,  qu'il  y  avoit 
tous  les  jours  sur  la  place  trois  aimées,  et 
qu'il  s'en  falloit  bien  peu  que  le  mal  ne  fut 
devenu  incurable,  enfin,  il  fut  d'avis  qu'a- 
vant que  d'attendre  la  dernière  nécessité,  on 
devoit,  avec  Tagrément  du  sénat ,  remettre 
toutes  les  affaires  entre  les  mains  de  Pompée, 
choisissant  un  mal  médiocre  pour  en  préve* 
nir  et  pour  en  guérir  de  très-grands;  et  ai- 
mant «mieux  établir  volontairement  une  es- 
pèce de  monarchie,  que  de  laisser  sans  re- 
mède une  sédition  qui  produiioît  immanqua- 
blement ia  plus  ïtedoutable  des  t3rrannies. 
Diaprés  cela,  Bibullis,  quiHétoit  allié  de  C»- 
ton ,  opinant  dans  le  àto«t ,  ait ,  «  qit'il  fitUoit 
<(  élire  Pompée  seul  consul;  car,  dit-il,  ott 
«  les  affaires  en  iront  mieux  par  le  bon  ordj€ 
«  qu'il  y  mettra,  ou  la  ville  sera  soumise  a 
«  celui  qui  est  le  plus  digne  d*en  être  le  mal- 
«  tre  ».  Caton  s'étant  levé  approuva  cet  avis 
contre  l'attente  de  tout  le  monde,  et  ajouta, 
<(  qu'il  n'y  avoit  point  de  domination  qui  ne 
«  valût  mieux  que  l'anarchie;  qu'il  cspéroit 
«  que  Pompée  useroit  bien  de  son  autoriié; 
«  qu'il  remédieroit  h  tous  les  désordres,  e( 

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CATON  d'UTIQUE.  I79 

ft  qu'il  se  piqueroit  de  conserver  une  ville 
«  qu'oB  avoit  commise  à  sa  foi  ». 

Fompëe  fut  donc  nomme  seul  consuL  D'a- 
bord il  envoya  prier  Caton  de  le  venir- voir 
^aos  les  jardins  qu'il  avoit  dans  un  des  fau- 
bourgs de  Rome.  Caton  ne  manqua  pas  d'y 
aller,  et  Pompée  Tayapt  reçu  avec  de  grandes 
caresses  et  les  plus  tendres  démonstrations 
diamitié,  lui  témoigna  d'abord  combien  il 
^toit  sensible  k  l'obligation  qu'il  lui  avoit ,  e| 
ioit  en  le  priant  «  de  vouloir  l'aider  de  ses 
«conseils- dans  l'administration  de  sa  charge^ 
«  et  de  faire  comme  s'il  étoit  le  premier  con-^ 
«sul»,  Caton  lui  répondit,  a  que  jusque-lk 
M.  il  n'avoit  poi^t  agi  par  aucun  sentiment  de 
«haine  contre  lui;  et  que  ce  .qu'il  faisoit 
«  alors,  il  ne  le  faisoit  pas  non  plus  par  aucune 
a  bienveillance  qu'il  lui  portât ,  mais  qu'en 
«  tout  il  avoit  eu  en  vue  l'utilité  de  la  repu- 
«blique.  Que,  lorsqu'il  lui  demanderoit  ses 
«conseils  pour  ses  affaires  particulières,  il 
«les  lui  dooneroit  volontiers;  mais  que, 
«pour  ce  qui  regardoit  le  public,  quand 
«  même  il  ne  les  demanderoit  pas,  il  ne  lais- 
«  seroit  pas  de  dire  ce  qui  lui  paroîtrpit  juste 
«  et  raisonnable  » .  £t  il  le  fit  comme  il  l'a  voit 
promis;  car  comme  Pompée  proposoit  de 
faire  une  loi  pour  établir  de  grandes  peines 
et  des  amendes  nouvelles  contre  ceux  qui^ 

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l8o  CATON  d'uTTQUK. 

par  leurs  largesses,  a  voient  acbeté  les  voik 
pour  parvenir  aux  charges,  il  lui  conseilla 
d'oublier  le  passé,  et  de  ne  penser  qu'à  Pave- 
nîr,  parce  qu'il  seroit  difficile  de  fixer  un 
terme  pour  la  recherche  des  prévarications 
passées,  et  que  d'établir  des  peines  nouvelles 
pour  d^anciennes  fautes,  ce  seroit  faire  une 
trop  grande  injustice  aux  coupables,  que  de 
les  punir  en  vertu  d'une  loi  qu'ils  n'auroîcat 
pas  transgressée.  Depuis  ce  moment ,  pliH 
sieurs  des  principaux  de  Rome  ,  des  amis 
mêmes  et  des  parents  de  Pompée,  étant  appe-j 
lés  en  justice  pour  de  pareilles  prévarications,! 
Caton  qui  vît  qu^il  mollissoit  et  qu'il  se  relâ- 
choit  en  plusieurs  choses,  pour  leur  faire  plai- 
sir, lui  fit  des  réprimandes  très  sévères,  et  le 
remît'  dans  l'ordre.  Pompée  avoit  aboli  par 
un  édit  la  coutume  établie  depuis  long-tepips , 
de  louer  en  pleine  audience  les  criminels  aux- 
quels on  faîsoit  le  procès.  Cependant  il  viola 
lui-même  sa  loi,  il  fit  l'éloge  de  Munatiiis 
Plancus  ^*^,  et  l'envoya  au  tribunal  le  jour  du 
jugement;  quand  on  voulut  le  lire  ^9,  Cafon, 
qui  étoit  un  des  juges,  se  boucha  les  oreilles, 
et  défendit  qu'on  entendît  ce  témoignage. 
Munatius,  après  la  plaidoirie,  récusa  Caton, 
mais  il  ne  laissa  pas  d'être  condamné.  En  im 
mot ,  Caton  tenoit  tous  les  accusés  dans  im 
£rand  embarras  et  leiu^causoit  beaucoup d'in- 

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quiétude,  car  ils  ne  voirioient  pâfiParroîrpottt 
juge,  et  ils  n'osoient  le  i*ëcl)ser.  H  y  eivett^ 
plusieurs  qui  furent  ernidamaés ,  pfliH^e  qn^en 
récusant  Catoa^  ils  a  voient  paru  se  défier  de 
leur  innocence  j  et  il  y  en  avoit  d'autres  k  qifi 
on  reprochoit,  comme  un  grand  opprobrcT^ 
de  n^avoir  pas  voulu  Caton  pour  juge. 

Pehdamt  que  ces  choses  se  passoieni  k 
Rome,  Cisar,  k  la  tète  de  ses  aîmées,  fat- 
soit  la  guerre  dans  les  Gaules^  mais  auoiquHl 
parût  entièrement  occupé  de  ce  côte'-la,  il  ne 
lâissoît  pas  de  se  servir  utilement  de  ses  rl^ 
chesses  et  de  ses  amis,  pour  acquérir  du  cré*- 
dit  dans  la  ville ,  et  pour  «Y  ipénager  une 
grande  puissance.  Déik  les^vertissiements^què 
CatoQ  avok  donnés  de  longue  main  a  Pom-*- 
pée^.commencoient  a  le  tirer  de  l'assoupisse-^ 
raént  où  il  étoiti,  et  a  lui  faire  voir,  comtme 
en  songe,  le  gvand  péril  quil  couroit,  et 

3n^iln'avoit  jamais  voulu  croire.  Mais  comme 
étoit  encore  plongé  dans  la  paresse  et  dans 
le  doute,  dîflféraiit  toiqourset  n'osant  mettre 
la  main  k  l'œuvre  pour  empêcher  César 
d  exécuter  ses  desseins^  Catofi  se  mk  sur  lot. 
rangs  p<>ur  briguer  lèjçoDsutlat^  se  faisant  fort 
ou  d^^rrachet  les  armcfe  dés  mains  de  César^ 
ou  de  découvrir,  le»  embiîwAes.  ou'îl  dressoït  k 
lairépul>liqu^..Il  fivoà po^iinxsdi^pëistdars  de^ 
gesô  trèweçîQmmandablcs;^>4ont  Tua  éioU 

D,g,t,zedbyCj^g^le 


ï8a  eATQN  D*UTIQtrB. 

Sulpieîos^**,  k  mii  la  grande  i^épufation  et  le 
graa4  crédit  de  Caton  aroieot  été  d*un  grantij 
^eoours  pour  l'avancement  de  sa  fortune  |  de 
sorte  qu'il  parut  à  tout  le  monde  qu'il  f^îsoit 
une  action  très^nalhonnète,  et  se  niontrojt 
très-ingrat  de  disputer  le  consulat  ^  Caton, 
après  des  obligations  si  marquées.  £aton  ne 
6*en  plaignoit  pourtant  point  :  u  Car ,  disoti- 
«  il,  faut  il  s'étonner  qu'un  hoipnie  ne  cède 
«  pas  a  tu  autpe  cç^ii'il  regarde  çonime  un 
a  très-grand  bien  n  ?  Mais  il  persuada  au  sé- 
nat d^ordonner  que  ceux  qui  Lrigueroieiit  les 
charges ,  feroient  eux-rmemes  les  sollichations 
auprès  du  peuple^  et  ne  les  feroient  point 
faire  par  d'autres,  et  ne  prieroient  p^sonne 
de  paroitre  pouf  eux.  Çle  décret  irrita  encore 
davantage  U  peuple  de  ce  que  Caton ,  non 
content  de  lui  avoir  pté  legi|in  qu'il  faisoiten 
vendaxit  s^es  suffrages  9  le  privoit  encore  du 
seul  avantage  qui  lui  restoit  de  faire  plaisir  a 
JbeaucQup  de  geps,  et  le  réduisoit  ainsi  k  la 
pauvreté  et  au  mépris.  Il  arriya  fiussi  de  la 
que,  comme  i|  étoit  peu  propre  k  gagner  les 
suffrages  par  ses  ^iticiutions,  et  qu'il  aima 
mieux  conserver  la  dignité  de  scai  caractère, 

![fie  d'acquérir  edle  dtt  consulat,  il  sollicita 
ui-mème  eu  personne,  e^  ne  voulut  jamais 
Mrmettre  qn^  ses  amis  osselet  aifcime  des  dé* 
fmçhç^  ^  iajjcnt  le  peu^e  t\  gagiienl 

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CATON  d'UTIQUE.  lÔS 

les  copurSy  et  il  fut  refusé.  Cetic  disgrâce  avoît 
coutume  de  jeter  iioo  spiiléinent  ceux  qui 
avoient  été  refu^,  mais  encore  leurs  parents 
et  leims  amis,  daû$  un  abattement  et  dans  un 
deuil  qui  daroient  plusieurs  jours,  et  qui 
étoient  accompagnés  d^une  sorte  de  boute  ; 
mais  Gaton  la  reçut  avec  si  peu  de  chagrin , 
et  en  fit  si  peu  de  compte,  que  le  jour  mèrae 
il  se  fit  frotter  d'huik,  alla  jouera  la  paume 
dans  le  cbamp  de  IVIars  ;  et  après  son  dîner  se 
Tendit ,  selon  ^  cotitume  ^  k  la  place  publique 
•'^ns  souliei!^  et  sans  tunimie ,  et  ae  promena 
avec  ses  amis.  Clcéron  le  blâma  extrêmement, 
tf  de  ce  que  les  affaires  demandant  un  consul 
«  comme  lui ,  il  n'avoit  pas  employé  tous  ses 
a  soins  ^  et  ne  s'ëtoit  pa^  étudié  a  gagner ,  par 
«  des  caresses  et  par  des  manières  insinuantes, 
«la  faveur  du  peuple ^  mais  s^étoit  d'abord 
«  rebuté  et  y  avoit  renoncé  peur  le  reste  de 
usa  vie,  quoiqu'il  eût  demandé  encore  la 
«prétiireapi^s  avoir  étéreiVisë  une  première 
«  fois.  Gatoo  répondit  a  cela  j  que ,  quant  k 
«  la  {Nréture,  le  p^ple  ne  la  lui  avoit  pasre-. 
«fusée  dejon  pur  mouyement)  mais  parce 
«  qu'on  l'avoit  corrompu  par  argent,  et  qu'on 
((  lui  avoit  iSlit  yiolence)  au  Heu  que  dans  la 
M  brigue  4u  consulat  il  avoît  été  refusé  sans 
K  qu'il  en  prit' accuser  la  comiptibn;  ce  qui 
%m  WfÇP'  ^ît  connoitre  qu'il  n'étoit   pas 

■         '     "  .*    D,g,t,zedbyL.60glê^ 


184  CATON  d'utique. 

«  agréable  au  peuple  a  cause  de  ses  mœurs, 
«  et  que  de  les  changer  au  gré  des  autres  y  ou 
((  en  les  conservant ,  de  s'exposer  encore  k  de 
«  pareils  refus,  cela  n'éloit  pas  d'un  homme 
«  sensé  » . 

Cependant  César  ayant  attaqué  des  nations 
très-belliqueuses,  et  les  ayant  subjuguées  en 
hasardant  beaucoup,  et  en  s'exposant  k  de 
grands  périls,  marcha  ensuite  contre  les  Ger- 
mains malgré  un  traité  de  paix  que  les  Ro- 
mains avoient  fait  avec  eux,  et  leur  tua  trois 
cents  mille  hommes.  Sur  le  premier  bruit  qui 
s'en  répandit  k  Rome ,  ses  amis  demandoient 
que  le  peuple  fît  des  sacrifices  pour  remercier 
les  Dieux  de  cette  heureuse  noûvielle.  Mais 
Caton  étoit  d'avis  qu'on  livrât  César  entre 
les  mains  de  ceux  k  qui  il  avoit  fait  une  si 
grande  injustice ,  et  qu  on  ne  fit  pas  retomber 
sur  la  ville  la  punition  due  k  l'infraction  du 
traité.  «Je  sms  pourtant  d'avis,  ajouta-t-il, 
«  que  nous  fassions  des  sacrifices  aux  Dieux; 
«  mais  c'est  pour  les  remercier  de  ce  qu'ils  ne 
«  pum'ssent  pas  l'armée  de  la.  folie  et  de  h 
«témérité  du  général,  et  iqu'ils  épargnent 
.«  notre  ville.  César ,  informe  de  tout ,  écrivit 
ail  sénat  ime  lettre  pleine  d'injures  et  à^accvr 
sations  contre  Caton.. Quand. on  L^éut  lue  ea 
plpine.  assemblée  ^  Catbn  seieva,  nomeahoBir 
me  possédé  par  la  colère  et  parl'eiivie.de  dSsf 

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CATOK  PÎUTIQUE.  ï85 

pnter,  mais  en  homme  qui  etort  de  sens  froid 
et  de  sens  rassis ,  et  comme  s'il  avoit  préparé 
ce  qu'il  alloit  dire  ^  il  fit  voir  que  toutes  ces 
accusations  ëtoient  semblables  k  ses  injures  « 
et  qiie  c'étoient  de  pures  plaisauteries  que  Cë-r  ' 
sar  avoit  inventées  pour  s'amuser.  Mais  ejK 
revanche ,  il  s'attacha  si  bien  ii  développe? 
tous  ses  desseins  dès  leur  jccmm^ncen^ent,  et 
k  exposer  le  but  qu'il  s'étoît  proposé ,  qu'il  le 
fit  voir  très-clairement,  non  en  ennemi,  mais 
comme  s'il  eut  été  le  complice  de  la  conjura- 
tion ;  et  montra  que  ce  n'étoient  ni  les  peu-« 
pies  de  la  Bretagne  ** ,  ni  ceux  des  Gaules, 
qu'ils  dévoient  craindre  y  mais  César  seiil^ 
s'ils  avoient  du  sens.  Ces  réflexions  frappè- 
rent si  vivement  les  sénateurs  et  les  irritèrent 
an  point,  que  les  amis  de  César  se  repentirent 
d'avoir  fait  lire  ces  lettre^,  et  d'avoir  donn^ 
par^lk  occasion  k  Caton  de  dire  une  infinité 
de  choses  très- justes,  et  de  charger  César  d^? 
beaucoup  d'accusations  véritables  et  qu'on 
ne  pouvoit  nier.  Il  n'y  eut  donc  rien  de  ré  - 
solu  ce  jour-lk;  on  dit  seulement  qu'il  étolt 
nécessaire  d'envoyer  un  successeur  k  César  j 
mais  ses  aniis  demandoient  que  Pompée  dé-* 
sarmât  aussi  de  son  côlé,  et  qu'il  rendit  le» 
provinces  qu'il  bccupoit  j  ou  que ,  s'il  n'e» 
iaisoît  rien,  Ci'sar  ne  fût  pas  non  plus  tenu 
de  le  faire.  Alors  Catoa  se  récriai,  u  que  Ciér 

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bl86  CATOW  D'UTÎQtTB. 

<'  toit  Ik  ce  qu'il  leur  ayoit  toajoars  prélfï  9 
«  que  César  venoit  opprimer  la  république  et 
H  se  servir  ouvertemeot  contre  elle  des  troupes 
«  qu'il  eu  avoit  obtenues,  en  la  trompant  et 
u  en  l'abusant  par  ses  artifices.  Mais  il  eut 
lieaa  crier ,  il  ne  gagna  rien  ;  car  le  peuple 
ç'opiniâtra  k  Touloir  que  César  (ut  le  plus 
grand.  Le  sénat  étoit  véritablement  de  l'avis 
de  Caton  y  mais  il  craignoit  le  peuple. 

Les  rlioses  restèrent  en  cet  état  jusqu'k  ce 
que  les  nouvelles  vinrent  que  la  ville  d'Ari- 
mium  étoit  prise,  et  que  César  s'avancoit  k 
grandes  journées  vers  Rome  avec  son  armée. 
Alors  tous  les  Romains  tournèrent  les  yeux 
sur  Caton ,  et  le  peuple  et  Pompée  lui-mèine 
avouèrent  qu'il  étoit  le  seul  qui  eut  presseolî 
dès  le  commencement ,  et  qui  e&t  prédit  le 
but  de  César  :  «  Si  vous  aviez  cru,  leur  dit 
«  alors  Caton ,  ce  que  je  vous  ai  si  souvent 
«  prédit,  et  que  vous  eussiez  suivi  mes  con- 
«  seils ,  vous  ne  seriez  pas  maintenant  réduits 
«  k  craindre  un  homme  seul,  ni  k  mettre  non 
«  plus  en  un  seul  toutes  vos  espérances.  Pom- 
«pée  répondit,  qu'il  étoit  vrai  que  Caton 
«avoit  prophétisé  plus  véritablement,  mais 
«que  lui  en  avoit  agi  plus  amiablement». 
Caton  conseilla  au  sénat  de  remettre  toutes 
les  affaires  entre  les  mains  de  Pompée,  disant 
que  ceux  qui  savoient  &ire  les  plus  grands 

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maux^  sarcieat  ausri  7    apporter  les  re«» 
laèdes. 

Mais  Pompée ,  n'ayant  point  d'armée  prête 
pour  potiToir  attendre  C»ar^  et  voyant  que 
le  peu  de  soldats  au'il  avoit  levés  étoient 
d'assez  mauvaise  volonté  ^  quitta  Rome.  Can- 
ton, r^lu  de  le  suivre  \et  de  s'enfuir  avec 
hif  envoya  d'abord  le  plus  jeune  de  ses  en- 
faots  k  Munatius  dans  le  pays  des  Bruttiens^ 
ttprît  l'ainé.avec  lui.  G<»nine  sa  maison  et 
m  filles  avoient  besoin  de  quelque  personne 
k  confiance  qui  les  gouvernât  et  qui  en  prit 
soin ,  il  reprit  Martia  qui  étoit  demeurée  veuve 
avec  de  grandes  richesses;  car  Hortendius,  k 
vjfA  il  Pavoit  cédée ,  l'a  Voit  ifistîtuée  son  heri- 
tià*e  par.  son  testainent.  £t  c'est  sur  cela  que 
portent  |ifineipalemeBt  les  reproches  que  Cé^ 
sar  fait  k'Caton  dans  le  livre  qu'il  composa 
coDti«  lui,  lorsqu'il  l'aocitse  d'aimer  les  ri-* 
chesses,  et  de  trafiquer  de  ses  i^ariages  par  un 
sordide  intérêt  :  «  Car,  dit-il,  s'il  a  voit  her 
u  soin  de  femme,  .pourqiioi  la  cédoit^il  ?  et 
<(  s'il  n'en  avoit  pas  besoin ,  pourquoi  la  re*' 
«  prenoit-^il?  A  moins  qu'il  n  ait  donné  cette 
«femme  k  Hortensius  comme  une  amorce  e^ 
«un  appât,  et  qu'il  ne  V lût  prêtée  feune 
«  que  pour  la  retirer  riçbe  ».  Mais  sur  ces 
reproches  il  faut  imiter  la  modération  d'Eu*- 
ripide,  et  dise  Q91{»ne  jifui  i  «  Ce  sont  de  vain^ 

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i8S  cïTON  t)*UTi(itmi 

«  reproches;  car  quels  reproches  plus  vaîns, 
H  ô  grand  Hercule ,  que  de  vous  accu&er  de 
«  lâcheté  4*  »?  En  effet ,  c'test  la  même  chose 
d^accuser  Hercule  de  Im^hetë^  et  de  reprocber 
a  Caton  1- avarice  et  la  convoitise  é'un  gain 
honteux.  Mais  si  b  ({uelque  autre-  égard  il  a 
fait  une  faute  eu  'c^dîmt  sa  femme  à  Hortein 
siiis ,  c'est  une  qnèsticm  h  eiaminer.  Apr^ 
.^u'il  eut  repris  Mania ,  et  qu'il  lui  èutic^ofié 
fea  niaison  et  sesfilfes ,  il  suivit  Ponipeè ,  et  Toa 
dit  que  depuis  ce  jdur-lhjil  ne  serasani  les  che-i 
veux  ni  la  barhe ,  qu'il  ne  se  mit  pas  une  seule; 
foiede«ouronne  sur  la  tête,  et  qu'il* persévérai 
]u£qti'kia  mort  dans  Ici  deuil ,  dans  Fabatte-| 
ment  et  la  tristessé^'çémissant  surles  calamités 
de  sa  patrie  )  él  nû  changeant  rien-^  s^n  ex-* 
lérlewt.,  soit  que  soa  prti  Eut  vain^eur  oi 
yaiïkîti.' 

Lk  Sidle  hiî  éîstm  ^écEue  par  le  sort,  il 
classai  Syracuse.  Lb  il  eut  a  vis  que.  PollioR 
ijid  étoit  du  parti  de  X^ésar  venoit-  d'arriver  k 
^lessine  avec  'ime«î|rmé0.  Il  enroya  d'abord 
^ui  demander  la  cause  de  sqn>  passage.  Pollion 
'û  son  tour  lui  deioai^a  compte  du  changer- 
aient qui  ét>oit  amvéd^ns  lès  a&ire^Gajon) 
ayant  appriâ  en  inème  temps  que  Pompée 
a  voit  abandonné  entièrement  Fltalie  ,  et 
qu^'l  étoît  campé  sousies  murs  dé  Dyrradiium, 
«îPécria  ;  u  Qwe  ies  voiei^  de^la  Providence  sont 

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CATON  d'uTîQXTE.  189 

i obscures  et  înap'nétrables l  Lorsqne  Porn- 
ïpëe  n^a  suivi  ni  raison  ni  justice,  il  a  tou- 
(jours  été  heureux;  et  aujourd'hui  qu'il  ne 
ï  travaille  qu'a  sauver  sa  patrie ,  et  qu'il  ne 
(  combat  que  pour  l'a  lil)erté,  tout  son  bonheur 
(  l'abandonne  ». Il  ajouta  qu'il  étoît  assez  fort 
>our  chasser  Pollion  de  la  Sicile;  mais  que, sa- 
vant qu'il  arrivoitk  ce  général  une  armée  plus 
brte  que  celle  qu'il  avoit  déjb ,  il  ne  vouloit 
^s  exposer  cette  île  a  une  entière  ruine,  ea 
a  rendant  le  théâtre  de  la  guerre.  Et  après 
iroîr  conseillé  aux  Syracusains  de  se  ranger 
k  parti  le  plus  fort  pour  se  conserver ,  il 
^embarqua.  Quand  il  fut  arrivé  auprès  de 
*ompée,  il  persista  toujours  dans  le  même 
emiinent  de  traîner  la  guerre  en  longueur, 
lansPespérance  qu^on  pourroit  trouver  quel- 
pie  voie  d'accommodement  ;  et  ne  voulant 
mit  que  Rome  donnât  contre  elle-même 
me  bataille  oi!i  le  parti  le  plus  foible  éprou- 
^eroit  les  derniers  malheurs,  et  seroit  passé 
m  fil  de  Pépée.  Dans  cette  vue ,  il  persuada 
i  Pompée  et  ^  son  conseil  d'ordonper  qu'où 
le  saccageroit  aucune  des  villes  qui  étoient 
oiiraises  aux  Romains,  et  qu'on  ne  tueroit 
mcnn  Romain  hors  du  champ  de  bataille»  Cet 
ivis  fit  beaucoup  d'honneur  a  Caton ,  et  attî- 
a  dans  le  parti  de  Pompée  une  infinité  d« 

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jgO  CATON  D'tlTIQtTE. 

gens  qui  fureot  charmés  de  sa  bonté  et  de  soil 
Imiiiaûitë. 

De  la  Caton ,  envoyé  en  Asîe ,  pour  aider 
ceux  qui  avoient  ordre  d'assembler  des  vais- 
seaux et  des  troupes,  mena  avec  lui  sa  sœur 
Servilie  et  un  petit  enfant  qu'elle  avoit  eu  de 
Lucullus;  car  elle  le  suivoit.  toujours  depuis 
son  veuvage;  ce  qui  diminua  beaucoup  les 
bruits  qui  couroient  de  sa  mauvaise  conduite^ 
quand  on  vit  qu'elle  se  soùmettoit  volonlai- 
l  ement  k  la  garde  de  Calon  y  a  toutes  les  fa-^ 
tigues  de  ses  voyages  et  k  son  étroite  manière 
4e  vivre.  Cependant  César  ne  laissa  pas  de 
reprocher  encore  h  Caton  les  débauches  de 
cette  sœur ,  et  de  lui  en  faire  un  crime.  Les 
lieutenants  de  Pompée  n'eurent  besoin  du  se 
cours  de  Caton  que  dans  une  seule  occasioD, 
et  ce  fut  k  Rhodes;  car  par  ses  remontrances 
il  gagna  les  p.hodiens;  et  ayant  laissé  che2 
eux  sa  soeur  Setvilie  et  son  enfant ,  il  s'en  re- 
tourna vers  Pompée  qui  avoit  déjk  assemblé 
une  grosse  armée  de  terre  et  de  mer.  Ce  fut 
1^  que  Pompée  donna  manifestement  k  con- 
noître  ses  vues  et  ses  desseins.  D'abord  il  avoit 
eu  intention  de  donner  k  Calon  le  com- 
mandement de  son  armée  navale ,  qui  étoit 
composée  de  cinq  cents  vaisse^^  'de  guerre, 
sans  les  frégates,  les  flûtes. et  autres  petits 
\aisseaux  découvert3  dont  lé  nombre  étoit  in 

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CATON  d'UTIQUB.  I9I' 

ini  ;  mais  ayant  promptement  fait  réflexion  ou 
le  lui-même,  ou  sur  les  remontrances  de  sea 
mis,  que  Tunique  but  de  toute  la  politique 
le  Caton  étoit  de  rendre  la  liberté  k  sa  patri^j 
:t  que,  s'il  venoit  a  être  le  maître  d'une  si 
prande  puissance,  le  jour  qu'ils  auroienl  vain- 
;u  César,  ce  jour-la  même  Caton  voudroîc 
obliger  Pompée  a  poser  les  armes,  et  k  nbéir 
mx  lois,  il  changea  de  résolution,  quoiqu'il 
l'en  fut  déjk  ouvert  k  lui,  et  donna  le  com- 
mandement k  Bibulus. 

Malgré  tout,  il  ne  s'aperçut  point  que 
Caton  lui  fut  moins  affectionné,  ni  qu'il  mon-» 
[rât  moins  de  zèle  pour  le  service  du  paitî ^ 
m  contraire,  on  dit  que,  dnns  un  combat  qui 
Tut  donné  devant  les  murailles  deDyrrachiiim 
comme  Pompée  haranguoît  son  armée  pour 
la  porter  k  bien  faire  son  devoir,  et  qu'il 
îiit  commande  k  tous  ses  capitaines  d'en  faire 
lutant  aux  troupes  qu'ils  avoient  a  lei^rs  or- 
1res ,  les  soldats  les  écoulèrent  très  froidement 
ît  dans  un  silence  qui  marquoît  leur  courage 
ibaltu.  Mais  quand  âpres  tons  les  autres ,  Ca- 
ton vint  k  leur  parler ,  et  qu'il  leur  expliqua 
autant  que  le  temps  le  permet  toit,  ce  que  la 
philosophie  enseigne  sur  la  liberté,  sur  la  va- 
leur, sur  la  mort  et  sur  la  gloire  ^^ ,  m  ac- 
(^ompagnant  ses  paroles  d'une  véhi^monce 
pleine  de  passion,  qui  marquoit  combien  ik 

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jgî  CATON  d'utique. 

étoil  pénétré  de  ces  maximes;  et  qn'îl  finit 
sou  discours  en  invoquant  les  Dieux  comme 
pre'sents k  ce  combat,  et  témoins  de  la  valeur 
que  chacun  marqueroit  pour  la  défense  de  la 
patrie,  il  s'éleva  tout-d'un-coup  un  si  grand 
cri  de  joie,  et  il  se  fit  un  si  grand  mouvemeBt 
dans  cette  armée  ranimée  j)ar  ces  paroles,  que 
tous  les  capitaines  pleins  d'espérance  marchè- 
rent tête  baissée,  et  chargèrent  l'ennemi  avec 
tant  de  fureur,  qu'ils  le  renversèrent  et  le  dé- 
firent. La  bonne  fortune  de  Céfear  ravît  ce 
jour-lk  k  Pompée  Phonneur  d'une  victoire 
complet  te,  en  se  servant  pour  cet  effet  delà 
précaution  et  delà  défiance  de  Pompée  même, 
quiTempêchèront  de  profiter  de  sou  bonheur, 
comme  nous  l'avons  plus  amplement  écrit 
dans  sa  vie.  Tous  les  officiers  se  réjouissoieut 
de  ce  grand  avantage ,  et  le  rclevoient  conme 
un  exploit  trës-signslé  ;  mais  Caton  seul  ver- 
soît  dos  larmes  sur  sa  patrie ,  et  déploroît  cette 
pernicieuse;  et  maudite  ambition  de  régner, 
en  voyant  étendus  sur  le  champ  de  bataille 
les  corps  de  jtant  de  bons  et  braves  cîtojei'S 
qui  a  voient  péri  les  uns  par  la  main  des 
autres. 

Après  cette  défaite,  César  prît  le  chemin 
de  la  Thessalie,  et  Pompée  leva  son  camp 
pour  le  suivre,  laissant  h  Dyrrachium  quan- 
tité d'armes  et  d'argent,  et  un  grand  nombre 
• 

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CATON  D^UTIQUB,  Ij^S 

Ae  ses  parents  et  de  ses  allies,  a  qu!  il  donna 
Caton  pour  capitaine,  avec  quinze  cohortes 
seulement,  b  cause  de  la  crainte  et  de  la  dé-«- 
fiance  où  il  étoit  de  lui.  Car  il  étoit  très- per- 
suadé que,  s'il  venoit  b  perdre  la  bataille 
qu'il  alloit  donner  en  Thessalie,  il  ne  pou  voit 
laisser  Dyrrachium  entre  les  mains  d'un  hom- 
me qui  lui  fut  plus  fidèle  que  Caton  ^  mai» 
a'il  venoit  a  la  gagner,  il  savoit  bien  aussi 
que,  tant  que  Caton  seroit  présent,  jamais  il 
se  le  laisseroit  maître  des  affaires,  comme 
nous  l'avons  expliqué  plus  haut.  Il  y  eut  en- 
core beaucoup  d'autres  personnes  d'un  rang 
distingué,  qui  furent  comme  rejetés  et  laissés 
ï  Dyrrachium  avec  Caton. 

La  nouvelle  de  la  défaite  de  Pharsale  étant 
arrivée  avant  qu^on  en  sût  encore  le  détail^ 
Caton  forma  la  résolution ,  si  Pompée  étoit 
mort,  de. ramener  en  Italiç  les  troupes  qu'il 
coramandoit,  de  prendre  la  fuite ,  et  d'aller 
vivre  quelque  part  Jeplus  loin  qu'il  pourroit 
delà  tyrannie j  et  s'il  étoit  encore  vivant,  de 
lui  conserver  fidèlement  ses  troupes.  Ayant 
pris  ce  parti ,  il  passa  dans  Tîle  de  Corcyre 
où  étoit  l'armée  navale.  La  il  trouva  Cicéron, 
pt  voulut  lui  céder  le  commandement  comuie 
k  un  homme  déplus  grande  dignité  que  lui; 
car  Cicéron  avoit  été  consul ,  et  il  n'avoit 
été  que  préteur,  liïajs  Ciçérojp  ^le  voulut  pas 

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194  CATON  D*UTIQUB. 

f  aceepter,  et  s'embarqua  ppur  l'Italie.  Caton 
voyant  que  Pompée  le  iils^&ar  une  arrogan- 
ce et  par  ime  fierté  hors  ae  saison ,  vouloit 
punir  tous  ceux  qui  se  retiroient ,  et  qu'il  alloit 
conunencer  par  taire  arrêter  Cicéron ,  lui  fit 
«n  particulier  de  si  fortes  remontrances ,  qu'ilj 
le  ramena  k  des  sentiments  plus  modérés  y  de 
sorte  qu'il  sauva  évidemment  la  vie  k  Cicé- 
ron, et  procura  aux  autres  une  entière  sûre- 
té. Comme  il  conjectura  que  le  g^rand  Pom- 
pée se  seroit  sauvé  en  Egypte  ou  en  Afri- 
Îue  44,  et  qu'il  avoit  une  extrême  impatience' 
e  l'aller  joindre ,  il  s'embarqua  avec  tous  sesi 
gens;  mais  avant  que  de  mettre  a  la  voile ,  il 
donna  a  tous  ceux  qui  ne  montroient  pas  beau-| 
coup  d^empressement  k  le  suivre ,  la  liberté 
de  demeurer  ou  de  s'en  aller  oiiîls  voudroient. 
Etant  arrîvé^n  Afrique  et  rangeant  la  côtc^ 
îl  rencontra  Sextus,  le  plus  jeune  des  fils  de 
Pompée,  qui  lui  apprit  la  mort  de  son  père 
qu'on  avoit  assassiné  en  Egypte.  Ils  en  furent 
tous  très-afBigés;  et  il  n'y  en  eut  pas  un  qui, 
après  la  mort  de  Pompée ,  voulût  seulement 
entendre  parler  d'obéir  a  aucun  autre  capi- 
taine qu*k  Caton.  C*est  pourquoi ,  touché  de- 
compassion  pour  tous  ces  braves  gens  qui 
avoient  donné  tant  de  preuves  de  leur  fidélité, 
et  ayant  honte  de  les  laisser  dans  une  terre 
étrangère,  seuls.,  saps  secours  et  sops.chef 

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GATON  I>'UTIQUE.  igS 

pour les€onduIre,il  accepta  le  commanderaent^ 
et  passa  à  Cyrène.  Les  Cyréniens,  qui,  peu 
âe  jours  auparavant,  avoîent  fermé  leurs  por- 
tes a  Labiébus,  le  reçurent  avec  plaî^^^i- .  î  h  il 
apprit  que  Scîpion,  be^u-pèrc^  de  Por.p^^e, 
fi^e'toît  retiré  vers  leroîJiiba  qniravoitrf:  ji: 
et qu'Accius  Varus,  à  qui  Poipp*''e  avo.'î  doiv  f  : 
le  gouvernement  de  l'Afrique ,  étoiî  r.  vrr, .      , 
et  avoit  une  année  considérable.  Il  j  (  s  ' 
les  aller  joindre;  et  comme  on  étoit  »  n  U 
2  prît  U  route  par  terre,  après  avoir  asseî: 
grand  nombre  de  mulets  pour  porter  de  IV 
beaucoup  de  vivres  et  de  bétnil  pour  sa  pi 
vision,  et  quantité  de  chariots;  et  me:iî'   i 
avec  lui  plusieurs  de  ces  homm<*s,  aipc' 
dans  le  pays  Psylles ,  qui  gnélissent  b?s  niT- 
siires  des  serpents  en  suçant  le  venin,  et  q»  > 
par  leurs  charmes  et  par  leur?  etïchantemeut^ 
émoussent  toute  la  fureur  de  ces  animaux ,  et 
les  adoucissent  de  manière  qu'ils  ne  font  ai»-, 
cun  mal  4^.  La  marche  fut  de  sept  jours  en-  . 
tiers,  pendant  lesquels  il   étoit  tOTijours    a 
la  tète  des  troupes,  sans  jamais  se  ser\  ir  ni.^ 
de  cheval,  ni  de  chÉrîot  pour  se  dél;»sser,  il 
Be  mangea  plus  qu'assis  degm's  le  jour  qu'il 
eut  appris  la  défaite  de  Pharsale  4^^  ajoutant  ku 
son  deuîï  ordinaire,  de  n'être  jamais  couché^ 
que  la  nuit  pour  dormir.  Ayaot  passé  l'hivt  »î- 
%  Afçiquej  il  aç.  remit  eniimrche  avec  soil% 

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19b  CATON  d'UTIQUE. 

armée,  qni  étoît  d'environ  dix  mille  hommes* 
Il  trouva  les  affaires  de  Scipion  etde  Varwsep 
très -mauvais  état,  par  suite  de  la  division  et 
de  la  mésialelligence  qui  étoient  survenues 
entre  eux ,  et  qui  les  obligeoiept  k  ramper  de^ 
vaut  Juha,  et  k  faire  la  cour  k  oe  prince  in— 
supportable  par  la  fierté  et  par  l'orgueil  que 
lui  inspiroient  ses  richesses  et  sa  grande  puis- 
sance. Cette  fierté  et  cet  orgueil  parurent  dès 
le  premier  jour  qu'il  donna  audience  k  CatoD; 
car  il  fit  placer  son  siège  entre  C.^ton  et  Sci— 
pîon.  M  lis  Catoii ,  sans  balancer ,  prit  sou 
$ie'ge  et  le  mit  k  côté  de  Scipion  qu  il  plaça 
par  la  au  milieu,  quoique  Scipion  fut  ç(hi  en- 
pemi ,  et  qu'il  ei!it  écrit  contre  lui  un  libelle 
lempli  d'injures.  Cependant  les  ennemis  doi 
Caton  n'ont  point  vouhi  hii  tenir  compte  de 
celte  action  pleine  de  vertu  et  de  courage ^  et 
pîirce  qu'étant  en  Sicile,  il  lui  est  arrivé  de  se 
pioiuener  avec  Philostrate  47 ,  et  de  mettre  ce 
philosophe  au  milieu  par  honneur  pour  la 
philosophie,  on  lui  en  fait  un  i^proche  qu'on 
ue  lui  pardonne  point.  Caton  réprima  donc 
eu  celte  occasion  la  folleiarrogancc  de  ce  roi, 
qui  faisoit  de  Scipion  et  de  Varus  ses  satrapes, 
el  il  réconcilia  ces  deux  généraux. 

Comme  tous  les  oiliciers  le  pressoient  de 
prendre  le  commandement ,  et  que  Scipion 
et  Yai'us  lid  çédoienf  eux-paèmesi  cet  hon^ 

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CATON   n'UTIQUE.  jgyr, 

Bfiir ,  îl  protesta  «  qu'il  ne  violeroît  point 
«  les  lois ,  puisque  ce  nVtoit  que  pour  les 
«  maiotenir  qu'ils  faîsoient  la  guerre  k  celui 
«  qui  les  avoît  violées ,  et  qu'ainsi ,  n'étant 
«  que  propréteur  ,  il  ne  coniraanderoit  point 
fc  en  préâ»ence  d'un  proconsul  » .  En  effet , 
Scipion  avoît  été'  fait  prooonsul  ;  et  sur  son 
Dom  le  peuple  avoit  cette  confiance  que  leurs 
affaires  iroient  bien  en  Afrique  pendant  qu'un 
Scipion  y  commanderoit  ^^  Scipion  ,  ayant 
donc  pris  la  conduite  de  l'armée ,  vouloit 
d'abord ,  pour  faii  e  sa  cour  k  Juha ,  que  l'on 
passât  au  fil  de  Tépée  tous  Içs  habitants  d'Uti-,.  . 
que  (a),  sans  aucune  distinction  d'âge  ni  de 
sexe  ,  et  que  l'on  rasât  la  ville  ,  parce  qu'elle 
tenoit  le  parti  de  César.  Caton  ne  voulut  pas 
le  souffrir  ,  protestant  en  plein  conseil ,  et 
appelant  les  Dieux  a  témoins  contre  une  in- 
humanité si  inouïe ,  dont  il  eut  bien  de  la 
peine  h  garantir  les  habitants  d'Utîque.  Mais» 
en  partie  k  leur  prière ,  et  en  partie  aussi  a 
Wustante  sollicitation  de  Scîpîon ,  il  se  char- 
gea de  garder  la  ville,  et  d'empêcher  que  de 
gré  ou  de  force  elle  ne  tombât  entre  les  mains 
de  César;  car  c'éloît  une  place  très-forte, 
très- bien  approvisionnée  ,  et  d'une  grand© 
utilité  pour  ceux  qui  en  étoient  les  maîtres. 

(a)  Sur  la  côiA-#Afr(annw>sjjrès  au  promontoiir« 
d'ApoUoo,  viU^^UJ^^m^-  L.  a. 


igS  CATONT  D*UTIQUE. 

Câton  la  fortifia  encore  considérablement  ;  car\ 
il  y  fit  de  grands  amas  de  blé,  répara  les 
muraiîlles ,  haussa  les  tours  ,1a  revêtit  en  de- 
hors d'un  fossé  profond,  défendu  d'espace 
en  espace  par  de  hons  forts ,  mit  dans  ces 
forts  tous  les  jeunes  gens  d'Utîque ,  après  les 
nvoir  désarmés ,  et  retint  les  autres  dans  la 
ville  ,  apportant  un  très-grand  soin  k  empê- 
cher qu'ils  ne  reçussent  aucune  injure ,  ni  le 
moindre  tort  de  la  garnison  romaine^  Il  en- 
voya aussi  quantité  d'armes ,  d'argent  et  de 
blé  k  ceux  qui  étoîent  dans  le  camp  ;  et  fit 
en  un  mot  de  cette  vîlle  le  magasin  de  l'armée. 
Le  conseil  qu'il  avoît  donné  auparavant  à 
Pompée  ,  îl  le  donna  k  Scipîon  :  c'étoit  de  ne 
pas  livrer  bataille  à  un  capitaine  aguerri  et 
très-redoutable ,  et  de  gagner  du  temps  ;  car 
le  temps  affoiblit  et  émousse  toujours  la  pointe 
et  la  force  de  la  tyrannie.  Mais  Scipîon  ,  en- 
flé d'une  vaine  pr&omptîon ,  se  moqua  de 
ses  remontrances  ;  et  dans  une  lettre  qu'il  lui 
^rivit  pour  lui  reprocher  sa  timidité ,  il  lui 
disoit  en  propres  termes  :  «  Ne  vous  suffit-il 
«  pas  d'être  bien  k  votre  aise  dans  une  bonne 
HL  ville  et  derrière  de  fortes  murailles,  sans 
<(  venir  encore  intimider  mes  gens  dans  l'oc- 
«  casion  ,  et  les  empêcher  d'exécuter  coura- 
«  geusement  ce  qu'ils  ont  résolu  »  ?  Caton  lui 
Ç^  réponse  qu'il  étoit  tout  prêt  de.  reprendro 

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CATON  D'UTIQUÉ.  I99 

les  troupes  qu'il  avoit  amenées  en  Afrique  ^ 
de  se'  mettre  k  leur  tête ,  de  repasser  en  Ita- 
lie ,  et  d'attirer  après  lui  César  en  les  dëli^ 
Trant  eux-mêmes.  Mais  Scipion  ne  fit  que  se 
moquer  de  pes  offres  ;  et  alors  Gaton  fit  bien 
connoître  qu'il  étoit  très-faché,  et  qu'il  se 
repentoit  de  lui  avoir  cédé  (e  commanaisment^ 
voyant  bien  que  Scipion  conduiroit  mal  cette 
guerre  ;  ou  que ,  quand  même  par  un  coup 
de  hasard  et  contre  toute  apparence^  il  vien— 
droit  k  remporter  la  victoire ,  il  ne  se  com-*- 
porteroît  pas  envers  sçs  concitoyens  avec 
beaucoup  de  modération.  Il  se  cOnfiri\ia  dona 
dans  son  opinion  ;  et  il  avoua  a  ses  amis  ^ 
u  qu'il  n'a  voit  point  du  tout  bonne  espérancd 
«de  cette  guerre k  cause  de  l'ignorance  et  de 
<(  Tinsensée  présomption  des  chefs;  maisqucsi^ 
«  par  un  bonheur  inespéré^César -étoit  déifait,  il 
«  ne  dçmeureiîoit  point  k  Rome,  et  qu'il  fui- 
«  roîtla  cruauté. et  l'inhumanité  de  Scipion^ 
a  qui  faisoît  déjk  des  menaces  très-vives  et 
((  tvès-insolentes  contre  plusieurs  Romains  »é 
Le  malheur  qu'il  avoit  prévu  arriva'encore 
plutôt  qu'il  ne  l'attendoit  ;  car  le  jour  même 
qu'il  parloit  ainsi ,  il  arriva  le  soir  fort  tard 
un  courrier  qui  vint  de  l'aîmée  en  trois  joure^ 
«t  qui  apporta  la  nouvelle  que  tout  étoit  perdu, 
et  qu'il  y  avoit  eu  une  grande  bataille  près, 

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20Ô  gXton  d'utïqué. 

de  la  ville  de  Thapse  (a)  ;  qne  César  avoit 
remporte  la  victoire  ^  et  forcé  les  deux  camps 
dont  il  étoit  demeuré  maître  ;  que  Scipioii  et 
Jttba  s'étoîent  enfuis  avec  peu  de  gens ,  et  que 
tout  le  reste  avoîi  été  passé  au  fil  de  Pépée. , 
Cette  nouvelle,  apportée  dans  un  temps  de 
guerre  et  dans  les  ténèbres  de  la  nuit,  devoit, 
comme  on  peut  le  penser ,  jeter  le  trouble 
dans  la  ville  ;  les  habitants  f(M*ent  si  effrayés , 
qu'ils  pou  voient  k  peine  se  contenir  dans 
leurs  murailles.  Maïs  Caton ,  courant  partout, 
arrêtoîttous  ceux  qu'il  rencontroit,  et  qui 
fuyant ,  crioient  comme  des  gens  éperdus  ; 
l^s  cousoloit  le  mieux  qu'il  lui  étoit  possible , 
ôtoît  au  moins  de  leur  frayeur  Pétonnement 
et  le  trouble  ,  leur  disant  qné  la  p^rte  n'étoit 
peut-être  pas  si  grande  qu'on  la  disoit ,  que 
c'étoit  la  coutume  de  faire  toïijours  le  mal 
plus  grand  ;  il  parvînt  iaînsi  k  apaiser  le 
tumulte.  Le  lendemain ,  dès  la  pointe  du  jour, 
il  fit  publier  a  son  de  trompe  que  les  trois 
cents  qu'il  avoit  choisis  pour  son  conseil ,  et 
qui  étoient  tons  des  Romains  qnele  négoce  ou 
la  banque  avoit  attiras  en  Afrique  ,  s  assem- 
blassent sur  l'heure  dans  le  temple  de  Jupiter, 
avec  tous  les  sénateurs  qui  étoient  k  Utique, 

(n)  Sur  la  côte  d'Afrique,  à  droite  en  descendant 
de  Carthage;  elle  regarde  presque  l'tle   de  Malte. 

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ÇATON   D  L TIQUE.  20l 

ît  fous  leurs  enfants.  Pendant  qu'ils  s'assem- 
Joient^il  vint  de  son  côté  sans  iàiie  paroi  ire 
i  moindre  émotion ,  et  av.ec  une  contenance 
ussi  ferme  que  s'il  n^étoit  rien  an ivé^  tenant 
ans  sa  main  un  petit  livre  qifil  lisoitenniai- 
bntj  c'étoit  un  état  des  armes,  des  machines, 
Q  un  mot,  de  toutes  les  munitions  de  guerre 
t  de  bouche  ,  et  de  toutes  les  troupes  qu'il 
voit  en  son  pouvoir.  Quand  ils  furent  tous 
ssemblés,  il  s'adressa  d'abord  aux  trois  cents  , 
\  un  grand  éloge  de  la  bonne  volonté  et  de 
a  fidélité  dont  ils  avoient  donné  des  preuves 
Q  servant  de  leurs  biens,  de  leurs  personnes 
t  de  leurs  conseils,  la  bonne  cause.  Il  les 
xhorta  k  ne. pas  se  décourager ,  et  k  ne  pas 
e  séparer ,  en  perdant  l'espérance ,  et  en  cherr 
bantk  se  retirer  et  k  prendre  la  fuite  chacun 
eleur  côté.  11  ajouta  que  s'ils  restoient  unis, 
lésar  les  mépriseroit  moins  pendant  qu'ils 
uroient>  les  armes  a  la  main  ,  et  leur  léroit 
leilleuré  composition  si  la  fortune  les  rédui- 
)it  k  être  ses  suppliants.  11  les  pressa  de  pen- 
îrk  ce  qu'ils  avoient  k  faire ,  et  ne  blâma 
ucun  de  ces  deux  partis.  Au  contraire,  il 
iur  dit  :  (v  Que  si  c'étoit  leur  sentiment  de 
changer  avec  la  fortune ,  il  regarderoit  ce 
changement  comme  l'ouvrage  de  la  néces- 
(  site  ;  mais  que  s'ils  prenoîent  le  parti  de 
(résister  au  malheur,  et  de  s'exposer  aux 

?^«  '  D,g,t,zedbyl300gle 


îfcOÎÎ  eATON  D'tnfiQTTE» 

M  dernkrs  périls  pour  défendre  leur  liberté^ 

<(  non  seulement  il  les  loueroit ,  mais  il  ad- 

«  mîreroit  leur  venu,  et  se  mettroît  k  leur 

«  tête  pour  combattre  avec  eux ,  jusqu'à  ce 

«  au'ils  eussent  éprouve'  la  dernière  fortune 

«  de  leur  patrie.   Que  leur  patrie   a'étoit 

«  ni  Utîqiie,  ni  Adrumette  (a),  mais  Rome, 

«  qui  souvent  s'étoit  relevée  de  plus  gran 

«  des  chutes  par  ses  propres  forces  et  J)ar  sa 

K<  seule  grandeiu\  Qu'il  leur  restoît  encore 

«  plusieurs  ressources  pour  le  salut  et  la  sûreté 

«  de  lefurs  personnes ,  dont  une  des  pluî 

«  grandes  étoit  qu'ils  faisoient  la  guerre  contre 

\(  un  homme  que  la  nécessité  de  ses  affaire* 

^  appeloit  en  plusieurs  lieui  en  même  temps; 

x<  que   l'Espagne  s'étoit  révoltée-  et    jetée 

«  entre  les  bras  du  jeune  Pompée,  que  Roin< 

a  même  n'avoît  pas  encore  subi  un  jôAg  au- 

x<  quel  elle  n'étoit  pas  accoutumée  ,  mai 

«  qu'elle  se  soulévoit  et  se  cabroit  contre  Iî 

«  servitude  ;  qu'il  nefalloit  point  fuir  le  dan- 

«  ger ,  mais  suivre  l'exemple  de  leur  ennem 

((  même  ,  qui  ne  ménageoit  nullement  sa  ru 

K<  pour  parvenir  k  commettre  les  plus  grande! 

«  iniquités,  au  lieu  que  pour  eux  ,  toiiK 

«  l'incertitude  de  cette  guerre  ne  pouvol 

«  jamais  aboutir  qu'k  leur  faire  mener  une 

{à)  Sur  la  même  côte  que  Thapse ,  mais  ao  peu  auj 
dessQS ,  à  GQté  de  la  petite  Leptis.  ^.  L,  D, 

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CATON  D^UTIQUB.  »o5 

<t  vie  trës-heureiise ,  s'ils  réussîssoien  t  ;  ou  qii'h 
«  leur  procurer  une  raort  très-gloiîeuse  s'ils 
«  vendent  a  siiccon>ber.  Qiie  cependant  il 
«  falloit  qu'ils  en  délibérassent  entre  eux  J  en 
«  priant  les  Dieux,  qu'en  récompense  de  leur 
«  vertu ,  et  delà  bonne  volonté  qu'ils  a  voient 
((  toujours  fait  paroiti  e ,  ilsleur  fissent  la  gi  ace 
<(  de  prendre  le  parti  qui  leur  seroit  le  nieiU 
«leur». 

Gaton  ayant  ainsi  parlé ,  il  y  en  eut  plu- 
sieurs que  ces  paroles  vives  et  pleines  de  feu 
ranimèrent  et  rassurèrent  ;  mais  le  plus  grand 
jDorabre  voyant  son  intrépidité,  sa  générosité, 
Sâ  constance  et  son  humanité ,  oublièrent 
presque  le  danger  cxtrêmeoù  ils  se  trouvoientj 
et  le  regardant  seul  comme  un  capitaine  în-n 
vincible  et  supérieur  k  tous  les  accidentis  de 
la  fortune,  ils  le  prièrent  de  se  servir  de  leurs 
biens  et  de  leurs  armes  comme  il  le  jugeroit 
\i  propos;  car  ils  étoient  persuadés  qu'il  leur 
etoit  meilleur  de  mourir  en  lui  obéissant ,  que 
de  sauver  leur  vie  en  abandonnant  et  en  tra-» 
bissant  une  vertu  si  parfaite.  Sur  cela  quel- 
qu'un ayant  proposé  qu'on  fît  un  décret  pour 
donner  la  liberté  aux  esclaves ,  et  la  plupart 
approuvant  cet  avis ,  Caton  s'y  opposa ,  en 
disant  que  cela  n'étoît  ni  juste  ni  raisonnable  ; 
raaîs  que  si  les  maîtres  qui  avoient  des  esclaves 
en  âge  de  porter  le^  armes ,  vQuloient  les  af:* 

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2o4  CATON  d'uTIQUE. 

franchir ,  il  les  recevroit  volontiers  dans  ses 
troupes.  Il  y  en  eut  beaucoup  qui  promireDt 
de  le  faire  ;  et  Caton ,  après  avoir  ordonne 
qu'on  enregistrât  les  noms  de  ceux  qui  fai- 
soient  ces  oflfres,  sortit  du  conseil  et  se  retira. 
Bientôt  après  ,  il  reçut  des  lettres  de  Jubt 
et  de  Scipion.  Juba ,  qui  ëtoit  caché  avec 

S  eu  de  gens  dans  une  montagne,  lui  deman- 
oit  «  quelle  etoitsa  résolution;  ajoutant  que 
«  s'il  prenoit  le  parti  d'abandonner  Utique, 
«  il  l'attend] oit;  et  que  s^il  prenoit  celui  de 
i<  soutenir  le  siège  ,  il  marcheroit  avec  une 
«  armée  )).  Et  Scipion,  étant  a  l'ancre  au- 
dessons  d'un  cap ,  assez  près  d'Utique,  atten- 
doit  aussi  qu'il  eût  pris  une  résolution.  Catoa 
jugea  k  propos  de  retenir  les  courriers  qui  lui 
avoient  apporté  ces  leltres  jusqu'à  ce  qu'il 
fût  assuré  de  ce  que  les  trois  cents  au- 
roîent  résolu.  Car  tous  ceux  qui  étoient  du 
co^-ps  du  sénat  avoient  témoigné  leur  bonne 
volonté  ;  et  après  avoir  mis  en  liberté  leurs 
esclaves ,  ils  les  avoient  enrôlés.  Mais  les  trois, 
cents  qui  faisoient  le  commerce  maritime,  iwi 
la  banque  ,  et  qui  avoient  la  plus  grande! 
pàrlie  de  leur  bien  en  esclaves,  ne  conser-j 
vèrent  pas  long-temps  l'impression  des  dis- 
cours de  Caton ,  et  les  laissèrent  s'écouler  Irè^ 
vite  de  leur  esprit.  Car ,  comme  il  y  a  vs 
corps  qui  reçoivent  très-promptement  la  cha* 

Digit^edbyCjOOgle 


CATON  d'UTIQUE.  UoS 

ienr ,  et  qui  la  perdent  trës^-promptement 
aussi,  se  refroidissant  dès  que  le  feu  s'éloigae^ 
il  en  étoit  de  même  de  ces  marchands  ;  la 
présence  de  Caton  les  echauffoit ,  les  enflam- 
moit  ;  mais  sitôt  qu'éloignés  de  ses  yeux  ,  ils 
faisoîent  réfles^on.  en  eux-mêmes ,  alors  la 
crainte  de  César  chassoit  toute  sorte  de  con- 
sidération et  de  respect  pour  Caton  et  pour 
tout  ce  qui  étoit  Honnête.  «  Qui  sommes- 
^  nous,  disoient-ils,  et  k  qui  refusons-nous  de 
«  prêter  obéissance  ?  N'est-ce  pas  k  ce  César 
«  qui  a  présentement  entre  ses  mains  toute  la 
«  puissance  romaine  ?  £t  quelqu'un  de  nous 
<t  est-il  un  Scipion ,  un  Pompée  y  un  Caton  7 
«  Cependant ,  dans  le  temps  que  tous  les 
«  hommes  plient ,  et  que  la  terreur  les  j^orte 
«  à  se  rabaisser  encore  plus  qu'ils  ne  devroie,nty 
«  nous  voulons  combattre  pour  la  liberté  de 
«  Rome  ;  et  renfermés  dans  Utique ,  nous 
<<  prétendons  faire  la  guerre  k  celui  k  qui 
«Caton  lui-même,  fuyant  avec  le  grand 
<(  Pompée  ,  a  abandonné  toute  l'Italie,  et 
^nous  affranchissons  nos  esclaves  contre 
^ésar ,  nous  k  qui  il  ne  reste  qu'autant  de 
'  î  liberté  q-u'il  lui  plaît  de  nous  en  laisser, 
le  venons  donc  k  nous,  insensés  que  nous 
ttnmes  ,  cessons  de  nous  méoonnokre  ;  et 
pendant  qu'il  est  encore  temps  ,  implorons 
clémence  du  vainqueur ,  et  envoyona-le 

D,g,t,zedbyA%Ogle 


206  CATON  dVtIQVE» 

«prier  àe  nous  recevoîr  ».  Tels  étoîentles 
conseils  que  donnoîenl  les  plus  modérés  des 
trois  cents  ;  mais  la  plupart  pcnsoîent  à  se 
saisir  des  sénateurs,  ne  doutant  point  qiie, 
s'ils  les  avoient  en  leur  puissance  ,  ils  ne  fis- 
sent plus  facilement  leur  paix  avec  César. 

Gaton  eut  d'abord  de  grands  soupçons  de 
ce  changement ,  mais  il  ne  voulut  pas  Pap- 
profondir  ;  il  se  contenta  d'écrire  k  Scipîonet 
k  Juba  ,  de  ne  pas  venir  a  Utique  li  cause  du 
peu  de  confiance  que  ces  trois  cents  pou  voient 
inspirer ,  et  renvoya  les  courriers.  Les  gens 
de  cheval  qui  s'étoient  sauvés  dé  la  batailk 
en  assez  grand  nombre ,  s' étant  approchés 
d'tjtique  ,  envoyèrent  k  Caton  trois  d'entre 
eux ,  qui  ne  lui  rapportèrent  pas  une  résolu- 
tion unanime  de  toute  lair  troupe ,  mais  trois 
différents  sentiments  qui  les  part ageoîent;  car 
les  uns  vouloient  aller  trouver  Juba ,  les  autres 
aimoieUt  mieux  se  rendre  auprès  de  Caton, 
et  il  y  en  avoit  qui  crai^noient  de  s'enfermer, 
dans  Utique.  Caton ,  informé  de  cette  divi- 
sion d'opinions ,  chargea  Marcus  Rubrius  ds, 
veiller  sur  les  trois  cents ,  de  recevoir  avec 
douceur  les  signatures  de  ceux  qui  affranclii 
Toient  leurs  esclaves,  et  de  ne  les  point  forcer; 
et  prenant  avec  lui  tous  ceux  qui  étoient 
membres  du  sénat,  il  sortit  d'Utique ,  et  a/la 
sfabpiicher  avec  les  officiers  de  cette  cara- 

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•  CATON  B'uTIQUE*  ÛOf 

lerîe.  Il  les  conjura  «  de  ne  pas  abandonner 
«  tant  de  sénateurs  romains  qui  étoient  des 
<(  premiers  personnages  de  Rome,  de  ne  pas 
«prendre  Jiiba  pourgënéralau  lieu  deCaton, 
«  et  de  pourvoit*  en  commun  au  salut  de  tout 
«  le  parti ,  et  chacun  a  leur  propre  salut ,  ea 
«  entrant  tous  dans  Utique  ,  ville  qui  n'étoît 
«  pas  facile  à  prendre  d^emblée  y  maïs  qui* 
«  avoit  assez  de  mimitions  de  guerre  et  de 
«  bouche  pour  plusieurs  années  ».  Les  séna- 
teurs leur  faîsoîent  les  mêmes  prières  les  lar- 
Bies  aux  yeux.  Ces  officiers  vont  pai*ler  à  leurft. 
troupes ,  et  Calon  s'assied  sur  un  petit  tertre 
avec  ces  sénateurs  ea  attendant  la  réponse. 
Dans  ce  moment  arrive  Rubrius ,  transporté 
de  colère ,  et  se  plaignant  du  désordre  et  du 
tumulte  de  ces  trois  cents  qui  s'étoient  muti- 
lés et  qui  vouloient  faire  soulever  la  ville.  Les, 
sénateurs  désespèrent  alors  de  leurs  affaires^ 
€t  se  mettent  a  verser  des  larmes  et  k  déplorer 
kiir  malheur.  MaîsCaton  n'oublioitrien  pour 
l<îs  rassurer,  et  envoya  dire  aux  trois  cents 
^WvQÎr  encore  un  peu  de  patience.  Cependant 
îçs  officier?  reviennent  avec  des  propositions- 
^îh-dures;  carilsdéelarent  :  «  Qu'ils  n'avoient 
♦ipas  besoin  d'être  k  la  solde  de  Jnba  ,  et 
^^  qu'ils  ne  craîgnoient  point  César  tant  qu'ils. 
«  aiiroient  Caton  a  leur  tête  ;   mais  qu'il». 
«  Irouvoient  qu'il  étoit  très- dangereux  à^ 

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:io8  CATON  D'utiQtriî.  • 

T«  s'enfermer  dans  une  ville  dont  les  habitan fs 
a  ëtoîent  Phéniciens  ,  nation  la  plus  chaa— I 
«  géante  et  la  plus  déloyale  du  monde.  Cai^ 
((  ils  ne  remueront  point  maintenant ,  mais 
«  dès  que  César  viendra  k  paroître ,  ils  pren- 
«  dront  son  parti  et  nous  livreront.  Si  Catonj 
«  veut  donc  que  nous  nous  joignions  k  lui 
a  pour  faire  la  guerre  de  concert ,  il  faut  qu^il 
«  chasse  tous  les  habitants  d^Utique  ^  ou  qu'il 
«  les  fasse  tous  passer  au  fil  de  Tépée  jusqu'au 
«  dernier ,  et  qu'il  nous  appelle  ensuite  dans 
«  sa  ville  ,  lorsqu'elle  sera  pure  et  nette  d^ 
«  Barbares  et  d'ennemis  ».  Caton  trouva  ced 
conditions  trcs-cnieiles  et  d'une  barbarie  af- 
freuse. Il  leur  répondit  pourtant  avec  dou- 
ceur qu'il  en  délibéreroit  avec  les  trois  cents; 
et  étant  rentré  dans  la  ville  ,  il  alla  conférer 
avec  eux.  Tout  le  respect  que  ces  gens-Ik 
portoient  k  Caton  ne  les  obligea  point  k  cher-! 
cher  des  adoucissements  et  des  défaites  ;  mais 
ils  lui  déclarèrent  ouvertement  qu'ils  ne  souf- 
fiiroient  pas  qu'on  voulût  les  forcer  à  faire 
la  guerre  k  César  ;  qu'ils  ne  le  pouvoient  ni 
ne  le  vouloîent.  Il  y  en  eut  même  quelques- 1 
uns  qui  disoient  tout  bas  ,  qu'il  falloit  rete- 
nir les  sénateurs  dans  la  ville  jusqu'à  ce  que 
César  fût  arrivé.  Mais  Caton  ne  fit  pas  sem-  ! 
blaut  de  l'entendre  ,  d'autant  qu'il  avoit 
l'oreille  un  peu  dive. 

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CA.TON   DUTIQUB.  2109 

Dans  ce  moment  quelqu'un  vint  l'avertir 
lie  toute  la  cavalerie  se  retiroit  ;  Caton,  qui 
raigoit  que  les  trois  cents  ne  se  portassent  k 
juelque  extrémité  contre  les  sénateurs^se  leva 
t  counit  avec  ses  amis  vers  ces  cavaliers  ; 
^mme  ils  étoient  déjà  assez  loin ,  il  monta 

cheval  et  se  mit  k  les  suivre.  Quand  ils  le 
irent  ils  en  furent  charmés^  le  reçurent  aveo 
3ie,  et  Fexhortèrent  k  se  sauver  avec  eux* 
)d  dit  qu'alors  Caton  se  mit  k  pleurer  k  chau- 
les larmes ,  en  les  conjurant  de  sauver  les  se- 
uteurs^il  leur  tendoit  les  mains,  faisait  tour- 
ter  bride  k  quelques-uns  y  et  saIsi.ssoit  leurs 
rmes  j  enfin  il  ootint  d'eux  qu'ils  demeure- 
oient  encore  ce  jour-lk^pour  faciliter  aux  sé,- 
latcurs  le  moyen  de  se  retirer  en  sûreté.  Etant 
lonc  retourné  avec  eux  dans  la  ville^il  pi  aça  les 
lus  aux  portes,  et  mit  les  autres  dans  le  châ* 
eau  pour  le  garder.  Alors  les  trois  cents  crair 
;oânt  qu'on  ne  les  punit  de  leur  changement^ 
nvoyèrent  supplier  Caton  de  venir  les  trou- 
er;mais  les  sénateurs,  l'environnant  en  foule^ 
le  voulurent  pas  le  permettre  ;  et  dirent 
[u'ils  n'abandonneroient  jamais  leur  protec-r 
eur  et  leur  sauveur  k  des  perfides  et  k  des 
raîtres  ;  car  la  vertu  de  Caton  étoit  alors 
éaéralement  reconnue ,  respectée  et  admirée 
le  tous  ceux  qui  étoient  dans  Utique  ;  et  l'on 
r'oyoit  clairement  que  dans  toutes  ses  actions^ 

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21 6  CÂTON  d'UTIQUE^ 

il  n'y  avoît  ni  Fausseté  ni  le  moindre  artifice. 
Quoiqu'il  y  eût  déjà  long-tenues  qu'il  avoii 
résolu  de  se  tuer  lui-même  ,  il  ne  s^épargiioii 
pourtant  ni  travaux,  nî  inquiétudes, ni  pcinei 
pour  les  autres ,  afin  qu'après  lés  avoir  tous  rei 
en  sûreté,  il  pût  s^ôter  la  vie  ;  car  cette  impa- 
tience qu'il  avèît  de  mourir  n'étoit  point  ca- 
chée ,  quoiqu'il  n'en  laissât  paroître  aucun 
signe.  11  se  rendit  donc  aux  prières  des  troii 
cents  ;  et  après  avoir  consolé  et  rassuré  fa 
sénateurs ,  il  alla  seul  les  trouver.  Us  le  remer- 
cièrent d'abord  de  ce  qu'il  étoit  venu ,  et  k 
prièrent  «  de  les  employer  et  d'avoir  en  euî 
«  une  entière  confiance ,  et  de  leur  pardonnd 
«  leur  foiblesse ,  s'ils  n'étoient  pas  tous  da 
<(  Gâtons  ,  et  s'ik  n'avoîent  pas  sa  fermeté  de 
«  courage  et  sa  magnanimité  ;  ils  ajoutèrent 
,¥.  qu'ils  étoient  résoins  de  députer  vers  César, 
\i(  pour  lui  demander  grâce  ;  qu'il  seroit  le 
jK  premier  poiir  lequel  ils  la  solliciteroîent;  et 
I«  que  s'ils  ne  pouvoîent  l'obtenir ,  ils  ne  rece- 
;«  vroient  point  celle  qu'il  voudroit  leur  ac- 
!«  corder  *a  eux-mêmes  ;  et  que,  pour  l'amonr 
t(  de  hn  seul  ,  ils  feroient  la  guerre  jusqu'au 
«  dernier  soupir  ».  Caton  ,  après  les  avoir 
Remerciés  de  l'aflection  qu'ils  lui  téinol- 
gnoient ,  leur  dît  «  que  sans  perdre  un  nio- 
«  ment  ,  ils  dévoient  envoyer  travailler  à 
a  leur  propre  salut,  mais  qu'il  ne  falloit  point 

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;  parler  pour  lui;. car,  ajouta-t-îl,  c*est  aux 
1  vaincus  a  prier ,  et  a  ceux  qui  ont  mal  fait 
I  k  demander  pardou  ;  mais  pour  moi ,  non 
seulement  je  me  suis  maintenu  invincible 
toute  ma  vie;  mais  j'ai  toujours  vaincu 
autant  que  je  l'ai  voulu  ;  et  j'ai  encore  cet 
avantage  sur  César  ^  que  rhonnèteié  et  la 
justice  sont  de  mon  côté.  G^est  lui-^mème 
qui  est  vaincu  et  pris  dans  ses  propres  pa- 
1  rôles;  car  ses  projets- criininels  contre  sa 
t patrie^  qu'ils  toujours  nie's.,  sont  aùjour- 
(d'hui  pleinement  découverts  et  reconnus»» 
Âpres  avoir  ainsi  parlé  aux  trois  cents ,  il 
e&  quitta  j  et  ayant  «iu  avis  que  Gésar  étoit 
léja  en:  marche  avec  toute  son  armée  pour 
renir  k  Utique*:  «  Eh.quôi'j  dit-il ,  il  vient 
k  donc  contre  nous  comme  contre  des  liom^» 
K  mes  »  !  Et  se  tournant  vers  les. sénateurs,  il 
leur  conseilla  de  ne  pas  différer,  etde&esau-« 
^er  pendant  que  la  cavalerie  étoit  encore 
dansla  ville.  II  ferma  ensuite  toutes  les  portes^ 
excepté  une  seule  qui  menoit  au  port ,  distri- 
Wa  des  vaisseaux  k  tous  ses  gens ,  eut  soia 
qiie  tout  se  passât  avec  ordre ,  empêcha  le  tu- 
multe et  la  confusion,  ne  souffrit  point  qu^on 
Ht  la  moindre  injustice  ni  le  moindre  tort  k 
personne,  et  fit  donner  k  ceux  qui  étoient 
Pauvres  toutes  les  provisions  dont  ils  avoient 
besoin  pour  $e  sauver*  Sur  ces  entrefaites  ^ 

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dtaviui5(a)  arrive  avec  jdeux  lég 
assez  près  d'Utiqiie  ,  il  envo 
Caton  un  officier  pour  n%ler  ai 
dmaiidénient  qu'ils  dévoient  aY« 
utre;  Caton  ne  r^mndit  rien  k  < 
aisse  tournant  vers  ses  amis  :  ce  No 
3ns  nous^  leur  dit-il,  que  ipos  < 
iftial,  lorsque  nous  voyos^  que  < 
reuse  ambition  de  commanaer  i 
)us  jusque  dans  les  bras  de  la  xntort»  i 
oit  k  peine  ces  mots  y  qu'on  ^û 
e  les  cavaliers  en  seretirantpilloia 
)ient  les  biens  des  habitants,  < 
lilles  ennemies.  Il  courut  d'à 
»yant  joint  les  premiers ,  il  leur  s 
butin.  A  cette  vue ,  xhacûn  < 
ka  d'abandoBBeretde  jeter  sapr 
e  confusion  et  de  hcHite ,  ils  se  ] 
s  les  yeux  baissés  et  sans  dire  ui 
le.  Caton  ayant  fait  assembler  t 
3ts,  il  leur  parla  en  faveur  des 
ss  conjura  de  ne  point  irriter  CésH 
s:  ;  mais  au  contraire  de  travaittfli 
n  k  leur  salut.  De  la  il  retourna  sne 
embarquer  tous  ceux  quipartoienl; 
;s  derniers  adieux  k  seç  amis  et  k 
[ui  il  avoit  conseillé  de  se  sauver^ 

te  mâne  qui  avoit  oommnndé  la  flotte  (}« 


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CATON  d'uTIQUEv  21 5 

il  leâ  embrassa  et  les  conduisît  jusqu'à  leur 
vaisseau.  Quaut  à  son  fils  ^  il  ne  lui  proposa 
point  de  partir  ;  car  il  vit  bien  cfu'il  n'étoit 
pas  juste  de  le  presser  d'abandonner  son  père 
auqiiel  il  étoit  fort  attaché. 

Parmi  tous  ses  amis  ,  il  y  avoît  un  jeune 
homme  nommé  Statyllius ,  qui  se  piquoit  de 
fermeté  de  courage ,  et  qui  imitoit  la  cons- 
tance de  Gaton  et  son  impassibilité.  Caton  le 
pressoit  de  s'embarquer  comme  Jes  autres  y 
car'  il  étoit  connu  pour  grand  ennemi  de 
César.  Comme  il  refusoit  de  lé  faire ,  Caton 
se  retournant  vers  Apollonidës ,  philosophe 
stoïcien ,  çt  vers  Démétrius  le  péripatétiden  : 
«  C^est  a  vous  y  leur  dii-il,  k  amollir  et  k 
«  dissiper  l'enflure  de  ce  jeune  homme  48,  et 
<(  k  le  pOkTter  k  ce  qui  lui  est  utile  ».  Ensuite 
conduisant  tous  les  autres ,  écoutant  les  prières 
de  ceux  qui  a  voient,  quelque  chose  k  lui  de- 
mander^ il  passa  k  cette  occupation  la  nuit  en- 
tière et  une  grande  partie  du  lendemain.Luchis 
César  fut  député  vers  César,  de  qui  il  étoit 
proche  parent ,  afin  qu'il  intercédât  pour  les 
trois  cents.  Avant  que  de  partir,  il  pria  Caton 
de  lui  composer  un  discours  le  fAus  touchant 
qu'il  seroit  possible  :  «Car,  ajouta-t*il, 
tt  en  parlant  pour  vous  ^  je  ne  rougirai  point 
«  de  baiser  les  mains  de  (Jésaret  d'embrasser 
«  ses  genoux  » .  Mais  Caton  ne  voulut  jamais 

^»  DigitizedbyCi^Ogle 


2l4  CAirON  BVtKÎUÈi 

permettre  qu'il  parlât  pour  !uî  :  <(  6âr  y  dît- 
«  il ,  si  je  vouloîs  tenir  la  vie  de  la  grâce 
«de  C;»sar,  je  n'auro's  qu'k  l'aller  trouver  | 
«(  moi  même  sans  autre  intercesseur  ;  mais  je 
«  né  veux  pas  avoir  k  un  tyran  l'obligation  i 
\i  d'une  chose  qu'il  usurpe ,  et  sur  laquelle  il  | 
«  n'a  aucun  droit»  Car  de  quel  droit  donne- 
ii  t-il  la  vie  comme  maître  k  ceux  qui  ne  dé-  | 
Xi  pendent  point  de  lui  et  qui  sont  aussi  libres 
M  que  lui  ?  Mais ,  si  vous  voulez  ^  venons   i 
«  ensemble  ce  que  vous  pourrez  dire  pour 
«  obtenir  le  pirdon  des  trois  cents  »•  Il  fut 
doncqnelque  tempsà  en  conférer  avecLucîus.  1 
Et  quand  il  fut  sur  le  point  de  partir ,  il  lui  ! 
recommanda  son  fils  et  ses  amis ,  et  après  < 
l'avoir  accompagne,  il  l'embrassa  et  se  retira  | 
dans  sa  maison ,  où  ayant  assemblé  sou  iils 
et  ses  amis  particuliers^  il  les  entretint  de 
beaucoup  de  choses  ,  et  défendit  surtout  k 
son  £ls  de  se  mêler  jamais  dit  gouvernement: 
((  Car  y  dit-il ,  de  s'en  mêler  d'une  manière 
a  digne  de  Caton ,  c'est  ce  que  les  affaire» 
<(  ne  permetteilt  plus;  et  de  le  faire  autrement 
<(  ce  seroit  une  honte  et  une  indignité  ».  Sur 
le  soir  il  alla  se  préparer  pour  le  bain.  Conune 
il  se  baignoit,  tout  d'un  coup  il  se  souvint  de 
Statyllius  ,  et  s'écria  :  a  H»^  bien ,  ApoUo- 
c(  nidès ,  tu  as  donc  enfin  fait  partir  btatyl- 
M  lius^  en  rabattant  cette  fierté  et  «ette  graor 

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CATON  B'UTÏQUE.  3H  5 

((  deur  de  courage  dont  il  se  pîqiioît ,  et  il 
((  s'est  embarqué  sans  nous  dire  adieu  ». 
Comment  embarque,  rf^partit  ApoIIonidès  ? 
((  Nous  avons  disputé  long-temps  ensemble; 
«  mairîl  est  plus  fier ,  plus  ferme  et  plus  in— 
((  flexible  que  jamais  ;  et  il  proteste  qn'il  veut 
«  rester ,  et  faire  ce  que  vous  ferez  ».  A  cela 
on  dit  que  Caton  répondît  en  souriant  :  «  C'est 
«  de  quoi  l'on  sera  éclairci  bientôt  )»• 

Après  le  bain  il  soupa  avec  beaucoup  de 
personnes ,  mais  assis ,  comme  il  avoit  cou-<- 
tume  depuis  la  bataille  de  Pharsale  ;  car  de- 
puis ce  jour-lk  il  ne  se  coucha  plus  que  pour 
dormir.  Il  avoit  chez  lui  ses  amis  particuliers 
et  les  principaux  d'Utique.  Après  le  souper^ 
on  se  mit  à  noire  et  a*  entamer  une  conver- 
sation aussi  agréable  que  savantt  ;  l'on  pro-i 
posa  tour-}i-tour  des  questions  de  la  plus 
profonde  philosophie ,  et  on  finit  par  dispu- 
ter sur  ces  dogmes  fondamentaux,que  l'on  ap- 
pelle les  paradoxes  des  stoïciens;  par  exemple^ 
«  que  l'homme  de  bien  est  seul  libre ,  et  que 
«  tous  les  méchants  sont  esclaves  ''**  ».  Dès 
que  ce  paradoxe  fut  proposé,  le  pérîpatétî- 
cien,  comme  on  peut  penser,  voulut  le  com- 
battre ^*  ;  mais  Caton  lui  ayant  répliqué  avec 
beaucoup  de  force  ,  et  avec  un  ton  de  voix 

Elus  rude ,  continua  la  dispute  encore  très— 
»ng--tefflp8,  €t  avçc  ime  telle  véhémence 

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2l6  CATON  D'tTTIQTJE. 

cpi'îl  n'y  eut  personne  qui  ne  vît  clairement 

3u'il  avoit  résolu  de  se  tuer ,  pour  se  délivrer 
e  Pétat  pénible  où  il  se  trouvoit.  C'est  pour- 
quoi, quand  il  eut  cessé  de  parler,  et  qu^il 
vit  qije  tous  les  assistants  étoient  plongés  dans 
le  silence  et  dans  Jia  tristesse ,  il  voulut  les 
rassurer  et  leur  faire  perdre  le  soupçon  qu^ils 
a  voient  conçu.  Il  recommença  donc  k  parler 
des  affaires  présentes ,  témoigna  de  l'inquié- 
tude pour  ceux  qui  s'étoient  embarqués ,  et 
ne  parut  pas  moins  en  peine  pour  ceux  qui 
se  sauvoient  par  terre  et  qui  avoient  k  passer 
par  des  déserts  sauvages  et  sans  eau. 

Ayant  alors  congédié  ses  convives  ,  il  se 
promena  encore  quelque  temps  avec  ses  amis 
particuliers ,  comme  c'étoit  sa  coutume  après 
souper  ;  donna  aux  capitaines  des  corps-de- 
gardes  les  ordres  que  les  circonstances  exi- 
geoieht  ;  et  quand  J  voulut  se  retirer  dans  sa 
chambre ,  il  embrassa  son  fils  et  tous  ses  amis 
l'un  après  Fautre ,  et  leur  fit  plus  de  caresses 
qu^h  l'ordinaire  ;  ce  qui  renouvela  leurs  soup- 
çons ,  et  leur  fit  appréhender  ce  qui  arriva. 
Quand  il  fut  couché ,  il  prit  le  dialogue  de 
Platon ,  sur  l'immortalité  de  Pâme  ;  et  après 
en  avoir  lu  la  plus  grande  partie ,  il  regarda 
au-dessus  de  son  chevet  ;  et  voyant  que  son 
épée  n'y  étoit  pas  suspendue  (  car  son  fils  l'en 
avoit  ôtée  pendant  qu'il  soupoit  ),  il*  appela 

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CATON  d'uTIQUE.  217 

fDD  esclave,  et  lui  demanda  qui  lui  avoît  pris 
on  épée.  Uesclave  ne  répondant  point ,  il 
»e  remit  k  lirerj  et  ayant  laissé  passer  encore 
iD  peu  de  temps,  comme  ne  montrant  aucun 
empressement  ni  aucune  impatience  d'avoir 
*0û  épée  ,  mais  voulant  seulement  savoir  ce 
{libelle  étoit  devenue ,  il  lui  commanda  de  la 
tti  apporter.  Cela  traîna  quelque  temps ,  et 
)ersonne  ne  lui  apportoit  cette  épée  ;  de  sorte 
[ti'il  acheva  de  lire  le  livre  entier.  Après 
jiioî  il  recommença  K  appeler  ses  domestiques 
l'un  après  Pautre,  haussant  extrêmement  la 
roix ,  et  demandant  toujours  son  épée  ;  il 
lonna  même  un  si  grand  coup  de  poing  dans 
e  visage  du  premier  esclave  qui  entra ,  que 
iamain  en  fût  toute  ensanglantée  ;  s'emper- 
ant  et  criant  de  toute  sa  force ,  «  que  son 
(  fils  et  ses  domestiques  le  livroient  aéja  na 
(  et  sans  armes  k  son  ennemi  ». 

Dans  ce  moment,  son  fils  fondant  en  larmes, 
mtra  dans  sa  chambre  avec  ses  amis  ;  et  se 
eiant  k  son  cou ,  il  se  mit  h  déplorer  ses  mal- 
leurs,  et  k  le  conjurer,  par  les  prières  le»^ 
)Ius  tendres  ,  de  renoncer  k  ce  désespoir^ 
Hors  Caton  se  levan^siir  son  séant ,  et  jetant- 
ur  lui  un  regard  t^rible  :  Quand  et  en  quel 
(  lieu ,  lui  dit-il/m'a-t-on  vu  l'esprit  trou- 
i  blé  sans  que  j»  m'en  sois  aperçu  ?  Personne 
(  ne  chercneirme  détromper  et  a  me  désa- 

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221 8  CATON  dVtIQUB. 

«  biiser  si  le  parti  que  j'aî  pris  est  si  mauvais;! 
n  mais  on  m  empêche  d'exécuter  ma  rësolu- 
i(  tioD ,  et  on  me  désarme.  Que  ne  fais-tu 
c(  aussi  attacher  ton  père ,  et  que  ne  lui  lies- 
se tu  les  mains  derrière  le  dos  jusqu'à  ce  que 
«  César  arrive  ,  et  me  trouve  nors  d'état  de 
«  me  défendre  ?  Mais  crois-tu  qiie  j'aie  bc- 
«  soin  d'épée  pour  m'ôt^rla  vierEn retenaot 
«  mon  haleine  un  peu  de  temps ,  ou  en  me 
«  frappant  la  tète  contre  cette  muraille, 
«cela  ne  suffît  il  pas  pour  me  donner  la 
«  mort  »?  A  ces  paroles  le  jeune  homme 
sortit  de  la  chambre  en  versant  des  torrents 
de  larmes ,  et  tous  ses  amis  le  suivirent.  Alors 
Calon  adressant  la  parole  k  ApoUonidès  et 
k  Béniétiius ,  restés  seuls  auprès  de  lui ,  et 
leur  parlant  avec  plus  de  douceur  :  a  El  vous 
<(  autres,  leur  dit-ïl,  voulez-vous  aussi  rete- 
«  nîr  par  force  d^îus  la  vie  un  homme  de 
<(  mon  âge ,  et  u,'ètes-vous  la  que  pour  me 
«  gaider  en  vous  .tenant  dans  le  silence?  On 
<(  m'apportez  -  voik'^  quelque  belle  et  forte 
«  démonstrafion,  pot  r  me  prouver  qii^il  n'est 
<c  ni  terrible  ni  hontetiij  pour  Caton,  lorsqu'il 
«  n'a  p^s  d'autre  moye-,.  pour  sauver  sa  vici 
!«  d'atteadre  à  la  recevoir  de  son  ennemi? 
<(  Que  ne  travaillez- vous  dont"  kme  persuader 
«  cette  belle  maxime  et  à  me  détromper ,  ato 
fii  querejetanttoutesIesautresrah^^A&s  et  toute! 

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CATON  d'uTIQUE.  Si 9 

«  lesaiftresopiniomque noitsavons tenues jus«^ 
«  qu'ici)  et  dans  lesquelles  nous  avons  vécu,  et 
n  devenus  plus  sages  par  le  moyen  de  César  ^ 
«  nous  lui  eu  rendions  des  actions  de  grâces 
«  d'autant  plus  grandes  ?  Je  ne  dis  pourtant 
M  pas  que  j  aie  encore  rien  déterminé  relati- 
((  vement  k  moi ,  mais  quand  ma  résoluliou 
«  sera  uue  fois  prise  y  il  faut  que  je  sois  le 
«  in^aitre  de  l'exécuter.  J^en  délibérerai  en 
«  quelque  «orte  avec  vous,  puisque  je  ne  ferai 
«  rien  sans  avoir  examiné  les  raisons  dont  vou& 
«  vous  servez,  vous  autres  philosophes.  Allez-^  ' 
«  vous  en  donc  hardiment  ;  et  dites  bien  a 
<(  mon  fils ,  que  ne  pouvant  parvenir  a  per- 
«  suader  son  père  y  il  ne  cherche  pas  k  le 
«forcer  »• 

Démétrius  et  Apollonidès  ne  répondirent 
rien  a  ces  paroles  ^*  :  mais  après  avoir  versé^^ 
beaucoup  de  larmes,  ils  sortirent  de  la  charn- 
ière ,  et  OB  lui  renvoya  son  épée  par  un 
enfant.  Caton  la  prenant  la  tira  du  fourreau,, 
regarda  si  elle  étoit  en  bon  état  5  et  voysme 
que  la  pointe  en  étoit  bien  acérée  et  le  tran- 
chant bien  aiguisé,  /^  suis  maintenant  mon. 
maître  «  s'écria*t-il  ;  et  mettant  son  épée  au-» 
près  de  lui ,  il  reprit  son  dialogue  de  Platon 
qu'il  relut ,  dit-on  ,  par  deux  fois  5^.  Il  s'en- 
dormit ensuite  d'un  sommeil  si  profond,  que. 
ceux  mii  é^ieat  hox^  de  la  chambre  l'eoten^^ 

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320  CATOW  d'UTIQUE. 

doieDt  ronfler.  Vers  le  minuit ,  il  se  rëveîlla 
et  appela  deux  de  ses  affranchis,  l'un  appelé 
Cléanthe,  qui étoit médecin^ et  l'autre  nommé 
Butas ,  dont  il  se  servoit  le  plu»  ordinaire- 
ment pour  les  affaires  qui  regardoient  la  répu- 
blique. Il  envoya  ce  dernier  sur  le  port  , 
afin  qu'il  vît  si  tout  le  monde  étoit  embarqué 
et  avoît  fait  voile ,  et  qu'il  vînt  lui  en  dEîre 
des  nouvelles.  Âpres  quoi ,  tirant  sa  main  qui 
étoit  enflée  du  coup  qu'il  avoît  donné 
k  son  esclave,  il  la  donna  .k  son  médecin , 
afin  qu^il  y  mît  un*  bandage.  Cela  causa 
beaucoup  de  joie  dans  toute  sa  maison  y  cac 
on  crut  qu'il  étoit  encore  attaché  k  la  \^îe. 
Peu  de  temps  après ,  Butas  revint ,  et  lui 
rapporta  que  tous  ceux  qui  de  voient  s'en  aller 
avoient  mis  k  la  voile ,  excepté  Crassus ,  qui 
étoit  demeuré  pour  quelque  affaire ,  et  qui 
alloit  bientôt  s^erabarquer  ;  il  ajouta  que  le 
vent  étoit  très -grand ,  et  que  la  mer  étoit 
agitée  d'une  violente  tempête.  A  ce  rapport 
Caton  soupira ,  car  il  craignoit  pour  cçux  qui 
s'étoient  embarqués  par  un  temps  si  contraire» 
et  renvoya  Butas  sur  le  port ,  pour  voir  si 
quelques-uns,  obhgés  d'y  relâcher,  n'auroient 
pas  besoin  de  secours. 

Comme  les  oiseaux  commencoient  k  chan- 
ter ,  il  se  rendormit  encore  quelques  moments. 
Butas  étant  revenu,  et  lui  ayant  idit  que  tout 

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CATON  D'uTIQUK.  Ml 

étoit  f<Ht  tranquille  sur  le  port,  il  lui  ordomiA 
de  se  retirer  et  de  fermer  la  porte  après  lui , 
et  se  renfonça  dans  sou  lit  comme  pour  repo- 
ser jusqu'au  jour.  Butas  ne  fut  pas  plutôt  sorti 
qu'il  tira  son  épëe  et  s'en  frappa  au-dessous 
delà  poitrine;  mais  Pinflammation  qu'il  a  voit 
à  la  main  Tayant  empêcha  de  la  bien  enfoncer, 
il  ne  se  tua  pas  du  premier  coup  ;  et  se  debat«- 
tant  contre  la  mort  il  tomba  de  son  lit  et 
renversa  une  table  qu'il  avoit  auprès,  et  oui 
servoit  k  tracer  des  figures  de  gëomëtrie.  l,^ 
bruit.qu'il  fit  en  tombant  fut  entendu  de  ses 
dometiliques  qui  se  mirent  aussitôt  k  crier  ; 
en  même  temps  son  fils  et  ses  amis  entrent 
dans  la  chambre ,  ils  le  voient  e'tendu  k  terre,^ 
tout  couvert  de  sang,  et  la  pluà  grande  partie 
de  ses  entrailles  répandue  autour  de  lui.  It 
vivoit  pourtant  encore  et  les  regardoit.  A  ce 
spectacle,  ils  furent  tous  saisis  d'une  douleur 
très-vive  5  et  le  médecin  étant  accouru  ,  et 
ayant  trouvé  que  les  entrailles  n'étoient  pas 
oiTensées ,  il  tacha  de  les  remettre  et  de  cou'^ 
cire  la  plaie.  Mais  dès  que  Gaton  fut  revenu 
de  son  évanouissement,  et  qu'il  commença  k 
3e  rotîonnoltre ,  il  repoussa  le  médecin ,  et 
avec  SCS  propres  mains  rouvrit  la  plaie,  dé- 
chira ses  entrailles  ,  et  expka  sur  rheure 
nleme.  '  ;    i  ..       ,    i 

On  lie  croyoitpasque  tpus  ceintiîe  IskWai^ 

X.  DigitizedbyCjOOgle 


son  pussent  encore  être  avertis  de  ce  triste 
évëaemeat ,  lorsc[ii'on  vît  arriver  k  sa  porte 
les  trois  cents  y  et  un  moment  après  tout  le 
pe«iple  d'Utique  ,  qui  y  tous  d'iwe  commune 
voix ,  Ta^eloient  leur  bienfaiteur,  letir  sau- 
veur ,  le  seul  libre  et  le  seul  invincible  ;  et 
qui  lui  donnoient  ces  noms  dans  le  temps 
même  qu^ils  avoient  des  nouvelles  mie  César 
^rrivoit  ^^.  Mais  ni  la  crainte ,  ni  1  envie  de 
flatter  le  vainqueur  y  ni  les  différents  y  ni  les 
Cfuerelles  qui  les  divisoient,  ne  purent  affoi- 
blir  le  respect  qu'ils  portoîcnt  a  Caton.  Ils 
couvrirent  magnifiquement  son  corps,  lui 
filent  desfunépailles  très-hoaoraMes ,  et  Ten- 
Xerrèreiit  sur  le  rivage  de  la  mer ,  où  l'oo 
voit  encore  aujourd'hui  sa  statue  qui  tient 
«ne  épée.  Ils  s'occupèrent  ensuite  deleur  sa- 
lut et  de  celui  de  leur  ville.  Cependant  César 
ayant  appris  de  ceux  qui  alloient  se  rendre  k 
lui ,  que  Caton  restoit  dans  Utique  et  ne 
I  s'enfuyoit  point,  mais  qu*ilrenvoyoit  tous  les 
auties ,  et  que  son  fils  et  lui  et  ses  amis  par- 
ticuliers, s'y  tenoientsans  témoigner  la  moin- 
dre crainte,  il  jugea  que  le  dessein  d'un  tel 
homme  éloit  très -difficile  h  pénétra;  et  ^ 
comme  il  en  faisoitun  trèsHgranâ  cas,  il  mar- 
choit  avec  son  armée  le  plus  diligemtnent 
qu'il  lui  étoit  possible.  Mais  comme  on  lui 
ajppcit  sa  mort  en  chemin,  on  écrit  qu'il s'é- 

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CATON  D^UTIQUE.  225 

iria  :  «  Caton,  je  t'envie  ta  mort,  puisque 
tu  m'as  envié  la  gloire  de  tesaaver  ia  vie»* 
In  effet,  si  Caton  eût  souffert  que  César  l'eût 
luvé  5  il  n'auroît  pas  tant  terni  sa  propre 
loire  ,  qu'il  auroit  orné  et  relevé  celle  de 
«sar.  Mais  ce  que  César  auroit  fait,  s'il  avoit 
Li  C^ton  en  sa  puissance ,  est  fort  incertain. 
>n  conjecture  seulement  en  sa  faveur  qu'il  se 
îroit  porté  )>  ce  qui  étoit  le  plus  généreux  et 
plus  honnête.    * 

Caton  mourut  k  Page  de  quarante -huit 
Qs.  Son  fils  ne  reçut  aucun  mauvais  traite- 
ent  de  César.  Mais  on  dît  qu'il  fut  homme 
îpeu  de  vertu  ,  fei  fort  décrié  par  son  amouf 
iur  les  femmes.  Etant  enCappadoce,  il  étoit 
►gé  chez  un  prince  du  sang  royal ,  nommé 
faphradate ,  qui  avoît  une  fort  belle  femme  ^ 
il  y  'fit  wii  plus  long  séjour  qu'il  ne  falloit 
>ur  sa  réputation  ;  car  il  donna  lieu  h  des 
ocards  et  ^  des  railleries  que  l'on  faisoit 
)urir  contre  lui.  Tantôt  on  écrivoit  :  «  Ca-* 
ton  paît  demain  en  trente  jours  ;  tantôt , 
Porcios  ctMaphradôtesont  deux  boas  amis, 
ils  n'ont  qu'une  âme  »  ;  car  la  femme  de 
[aphradate  s'appeloit  Psyché  ^  qui  signifie 
ne.  Et  une  autre  fois  :  m  Cnton  est  noble  et 
généreux,  il  a  une  âme  royale».  Mais  il 
kuvrît  et  effaça  toute  cette  infamie  par  une 
or  t  généreuse  j  car  combattant  vaillamment 

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224  CATON   D'iTTIQUE. 

k  la  journée  de  Philippes,  contre  le  jeune  Césa 
et  Antoine,  pour  la  liberté ,  et  voyant  soj 
armée  en  déroute  ,  il  ne  chercha  ni  a  fuir  m 
k  se  cacher;  au  contraire,  défiant  lesenne- 
'  mis  y  se  jetant  au-devant  d'eux ,  et  encouiâ' 
géant  ceux  de  son  parti  qui  étoient  restés,! 
fut  enfin  accablé  par  le  nombre ,  et  toislx 
«ans  vie  sur  im  monceau  de  morts ,  laissant 
ses  ennemis  une  grande  admiration  pour  s 
vertu  et  pour  son  courageî  Sa  sœur  Porcie  s 
fit  encore  admirer  pat  ses  vertus;  car  ellcn 
céda  a  son  père  ni  en  sagesse ,  ni  en  magna 
uimité.  Ayant  été  marié  k  Brutus  qui  tu 
César ,  elle  participa  k  la  conjuration  ,  < 
s'ôta  la  vie  avec  un  courage  héroïque  et  digi 
de  sa  vertu ,, et  du  noble  sang  dont  elle  éio 
issue ,  comme  nous  l'avons  écrit  dans  la  v 
de  Brutus.  Statyllius,qui  avoit  promis d'imi 
ter  Caton  en  tout,  voulut  aussi  se  tuer;  ma 
il  en  fut  empêché  par  les  philosophes  Àpollc 
Xiidèset  Démétrius;  et  enfin  après  s^êtremoi 
tré  très-fidèle  et  ti*ès-utile  k  Brutus  ,  il  moi 
rut  glorieusement  avec  lui  k  la  bataille  < 
Philippes. 

FIN  DE  LA  VIE  DE  CATON  D'uTIQUE. 

! 

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COMPARAISON* 

DE  PHOCION  ET^DE  CATON. 


JjiN  lisant  les  vies  de  ces  deux  grands  per- 
sonnages, on  y  trouve  des  confbrmite's  si 
grandes  et  si  sensibles ,  qu'on  voit  d'abord 
les  raisons  qui  nous  ont  portes  à  les  comparer. 
Car  ils  n'ont  point  entre  eux  seulement  ces 
ressemblances  communes  et  générales  qui  se 
trouveôt  souvent  entre  des  hommes,  d'ail- 
leurs très-différents;  mais  leurs  vertus ,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit ,  jusqu'à  leui-s  plus  pe- 
tites et  plus  imperceptibles  différences  ,  por- 
tent toutes  le  mêmjs  caractère,  la  même 
forme  et  1^  .memq  couleur  de  mœurs  et  de 
icntînaenis.  Ç'es^  çie  qui  éclatera  davantage 
3ar  la  cojtiparaison  qqe  nous  en  allons  faire  , 
it  où  lîoûs  alîpQs  exppser  aux  yeux  du  lec- 
eur  totït  çe,q}i;îl$  ont  dé  sen^Hlable  et  de  dif- 
erent  ,  aé'n  que  ^  cpnnpîssant  leurs  vertus  et 
eurs/yîçès,  il  juge  l}U-roèrae  lequel  a  l'a  van- 
âge  ,  et  mérite  a  êlr«  préféré. 
La  pïtt$  graj^de  diiTérence  qui  soit  entre 

*  Cetléyoinparàiie^  iî'fte  stjppUée  par  le  tradac- 
teur.  ,:'.  -..,..: 

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^26  COMPARAISON 

eux ,  c^esl  celle  de  la  naissance.  Gaton  avoit 
des  ancêtres  illustres^  il  éloit  arrière  •petit- 
fils  de  Caton  le  censeur  ;  et  Forigine  de  Pho-J 
CLOU  est  incoaime  :  on  conjectiu^e  seulemeu^ 
de  la  bonne  éducation  qu'il  avoit  eue^  qu^il 
n'étoitpas  de  bas  lieu.  Mais  cette  conjecture 
est  peu  sûi^e;  on  voyoit  tous  les  jours  des  gens 
très-obscurs  aussi  bien  élevés  qtie  les  premieis 
de  là  réjiublique. 

Les  mêmes  principes  que  Phocion  aroit 
puisés  dans  Pécole  de  Platon  et  de  Xéno- 
crate  ^  Caton  les  puisa  dans  celle  d'An tipa ter  ^ 
célèbre  philosophe  stoïcien.  Ainsi  ils  formè- 
rent Puu  et  l'autre  leurs  mœurs  et  leur  vie 
sur  le  modèle  de  la  plus  parfaite  vertu.  C'est 
delk  qu'ils  tirèrent  cette  austérité  et  cette  sé^ 
vérité  qui  les  caractérisent. 

L'éloquence  est  un  instniment  nécessaire 
k  un  homme  d'état  y  pour  exécuter  heiureustH 
ment  les  grandes  choses  qu'il  entreprend  dad 
son  ministère.  Elle  suit  a  ordinaire  les  moeurs 
et  le  tempérament.  Voici  une  exception  a 
cette  règle  :  la  même  austérité  de  mœurs  pro- 
duit ici  deux  caractères  d'éloquence  très  dif- 
férents. Celle  de  Phocion  étoît  nourrie  de 
conceptions  nobles  et  heureuses,  conci-^e, 
pleine  de  force  et  de  sens ,  mais  elle  n'étoic 
mêlée  d'aucune  douceur.  .Et  celle  de  Catoo , 
avealâ  même  roideur,  la  même  solidité ,  et 

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DE  PHOCION  ET  DE  CATON.    227 

lâ  m^me  brièveté,  étoit  entremêlée  de  grâces 
qui  flattoient  l'oreille  des  auditeurs. 

C'étoit  tout  le  contraire  dans  les  maximes 
qu'ils  suivoient  Pun  et  Tautre  pour  le  gou** 
vernement.  Le  ton  de  la  politique  de  Catonr 
éloit  l'austéi'ité  9  la  sévérité  j  la  force  ;  et 
celui  de  la  politimiede  Phocion  étoît  un  mé- 
lange bien  entendu  de  douceur  et  de  gt  ace 
avec  la  sévérité  et  la  majesté.  De  ïk  vint  que 
Caton  n'eut  aucun  crédit  dans  sa  république, 
et  que  Phocion ,  au  contraire,  ouoiqu'il  n  eût 
pas  plus  d'égards  pour  le  peuple  que  Caton' , 
(t  Qu'il  ne  cherchât  pas  plus  que  lui  k  lui  com- 
plaire y  ^veooit  h  bout  de  oe  qu'il  entrepre- 
noit  j  et  qu'on  lui  donnoit  même  ce  qu'il  ne 
demandoit  pus.  On  vit  le  peuple  aller-  aeman- 
dcr  avec  larmes  qu'on  otât  le  commande- 
ment aux  autres  capitaines,  et  qu'on  remit 
la  ville  entre  ses  mains. 

Les  temps  où  ils  entrèrent  dans  le  gouver-* 
nement  purent  produire  cette  diflférence  ; 
Phocion  prit  la  conduite  des  affaires ,  loi'squQ 
sa  patrie  étoit  dqa  ruinée  ;  et  Caton  y  entra 
pendant  que  la  sienne  étoit  encore  battue 
d'une  affreuse  tempête.  D'ailleurs,  l'exces- 
sive vertu  deCaron  retrouvant  tropdispropor- 
tiounée  a  son  siècle ,  où  les  vies  et  les  mœurs' 
étoient  eniicrement  corrompues,  il  étoit  iïn- 
pQ8$ible  qu'il  n'éprouvât  la  contpadiotion  el 

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328  COMPAKAISON 

Penvie  ;  une  vertu  moins  voideauroît plus  ob- 
tenu ,  et  aiiroît  été  d'un  plus  grand  usage.  On 
en  jugera  par  ce  seul  trait  :  Phocion  fut  élu 
q.uarante-cîn(j  fois  capitaine  général  ;  et  ,  ce 
qui  est  remarquable,  toujours  absent.  Et  Ga- 
lon, après  avoir  été  déposé  de  sa  charge  de 
tribun  ,  et  eu  la  douleur  de  voir  un  Vatinius 
emporter  sur  lui  la  préture,  essuya  encore  un 
honteux  refns  dans  la  ftoursuîte  du  consulat 
cju'il  soliicîtolt  en  personne.  Il  est  vrai  que 
par  la  magnanimité  avec  laquelle  il  soutint 
ce  te  disgrâce  ,  il  en  effaça  la  honte  ,  et  fit 
voir  que  la  vertu  est  indépendante  des  suffra- 
ges des  hommes  ,  et  que  rien  d'étranger  n'en 
peut  jamais  ternir  l'éclat. 

Si  l'on  considère  leurs  exploits  militaires  , 
leurs  commencements  sont  assez  semblables; 
mais  enfin  l'avantage  se  trouve  tout  entier  du 
côté  de  Phocion.  Celui-ci  fit  ses  premières 
campagnes  sons  le  général  Chabrias  ,  et  a  la 
bataille  de  Naxe  il  commanda  l'aile  gauche 
qui  décida  de  la  victoire. 

Caton  commença  k  servir  en  qualité  de 
volontaire  sous  Gellius,  dans  la  guerre  contre 
les  esclaves,  et  il  s'y  distingua.au  point  qu'on 
le  comparait  déjk  a  son  bîsaïevil  Caton  le  cen- 
seur ,  et  que  son  général  voulut  honorer  sa 
valeur  des  prix  les  plus  considérables  ;  mais 
il  les  refusa  :  chose  bien  extraordinaire  et 

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DE  PHoaem  iït  de  caton.  2291* 
îen  rare  dans  un  jeune  giiemcr  :  t^irt  le 
londa  trouve  qu'il  mérite  les  plus  ^vaniê 
ouneurs,  et  il  est  le  seul  qui  s'en  juge  in— 
igné.  Nommé  tribtm  de  soldats  ,  îl  ftit  en— 
fiye  en  Macédoine  sous  le  préteur  llubriu» 
ni  lui  donna  une  légion  h  commander.  Il  ne 
;  passa  point  h  d'actio»  considérable  ^li 
ut  servir  a  relever  lé  mérite  deCaton;  mais , 
Dnirae  la  vertu  trouve  toujours  lieu  ^  se' 
joutrer,  il  y  rendit  im  service  plus  împor- 
int  que  n'auroit  été  l'action  de  çueite  la 
lus  heureuse;  iMkvoir  qu'itn  J^dmme  quî 
ommande  ne  dctit  pas  se  contenter  d*etre 
ertueux  lui-même  ,  mais  qu^il  doit  rendre  ' 
ertueux  tous  ceux  qu'il  a  sons  ses  ordres.  Il 
endit  se»  soldats  anssi  paisibles  que  belli-* 
lieux  ,  et  aussi  justes  que  braves. 

La  commission  qu'il  eut  malgré  lui  d'aller 
liasse  de  J^île  de  Cyprfe  le  roi  Ptolémée  ,  et 
e  rétablir  lesl>annis  dans  Byzancc ,  ne  donna 
ïiciine matière  a  sa  valeur;  sa bonnefortune 
B  délivra  de  Ptolémée  qui  s^empqîsoBna  ,  et 
2  rendit  par  Ik  maître  de  l'île ,  et  son  ^0-^ 
iience  seule  ramena  lés  bannis  dans  Byfcan- 
e,  et  rétablit^  dans  cette  ville  divisée  4  la 
oncorde  et  l'union.  Tout  ce  qu'il  fit  de  plus 
einarquabley  c'est  que,  datis  la  vente  des 
ichesses  immenses  qui  furent  trouvées  dans  = 
eUe  Ue^  îl  donna  lexempk  de  Texactitude 

D,g,t,zedy?lCfeOOgle 


23o  COMPAKAISOH 

la  plus  scrupuleuse ,  4c  l'ordre  le  plus  aârnî-- 
rable  y  et  du  désintéressement  le  plus  par- 
fait ;  et  qu'il  ne  souffrit  pas  que  lafaveur  en- 
richit aucun  de  s^  amis  aux  dépens  de  la 
justice.  Le  sénat  lui  décerna  sur  cela  de 
grands  honneurs  ;  mais  il  les  refusa  ,  et  de- 
manda  seulement  pour  toute  grâce  la  liberté 
de  l'intendant  du  roi  Ptolëmëe  qui  Favok 
servi  très-utilement. 

Tout  cela  ne  peut  être  mis  en  balance  avec 
les^  actions  de  guerre  de  Phocion  qui  rem- 
porta dans  l'Eubée  sur  les  Macédoniens  une 
victoire  signalée  uniqu^nent  due  k  sa  bonne 
conduite;  qui  repara  les  échecs  que  les  auti^ 
généraux  des  Athéniens  avoient  reçus  par 
leur  incapacité  et  par  leur  imprudence  ;  qui 
chassa  Philippe  de  i'Hellespont  ;  qui  ^  envove 
au  secours  de  M^are  j  mit  cette  ville  en  1a 
disposition  des  Athéniens;  et  qui^  âge  de 
plus  de  quatre-vingts  ans  9  gagna  une  grande 
Lataille  contre  le  général  Micioo ,  ravageant 
alors  l'Attique  k  la  tète  des  Macédoniens. 

II. est  vrai  que  la  fortune  servoit  mieni 
Phocion  qu'elle  ne  servît  Caton  :  car  Phocioft 
f )it  toujours  ala  tète  de  sa  pairie  ;  au  lieu  qiic 
Caton  ne  fut  presque  jamais  qu'en  second. 
Mais  cela  même  tourne  a  son  avantage ,  puis- 
que, bien  que  toujours  subalterne ,  il  soutint 
pourtant  y.  par  sa  seule  vertu ,,  sa  république 

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DE  FHOGIOK  ET  VE  CATON.        2?»t 

Rontre  la  fortune  résolue  de  la  rufticr,  et 
qu'il  s'cQ  fallut  bien  peu  m'il  ne  la  fit  triom*» 
pher  de  tous  les  efforts  de  cette  redouti^le 
eonfifinie. 

Si  Phocion  l'emporte  sur  Caton  par  ses 
exploits  de  guerre  y  Caton  parott ,  de  son  cô- 
té ,  l'emporter  sur  Phocion  du  côté  de  la  po- 
litique et  des  actions  d'homme  d'état. 

Ce  fut  Tëritablement  k  Phoeîon  un  ar.te- 
d'une  grande  prudence  y  d'aveu'  corrigé  l'u- 
sage moderne  de  son  pays ,  qui  faisoit  de  la 
fuerre  et  de  la  politique  deux  métiers  sépa- 
rés ,  et  d'avoir  repris  la  manière  de  gouver-  ' 
lier  de  Périclès  et  d^Aristide  y  en  réunissant 
ces  deux  talents. 

Caton  ne  pouvoit  pas  faire  k  Rome  un  pa- 
reil changement  y  puisque  Minerve  n'y  étott 
pas  moins  servie  comme  politiqueque  comme 
guerri^  y  et  que  les  capitaines  romains  n'^- 
toient  pas  moins  soigneux  d'étudier  l'art  de 
régir  les  villes ,  que  celuî  detes  conqiiérir. 

La  manière  dont  Phocion  y  avec  lin  seid 
vaisseau  y  s'acquitta  de  la  recette-  des  con- 
tributions desiles,  marque  sa  bounecoaduita^ 
eisa  force  dfos  l'art  de  persuader. 

Ce  qu'A  fit  en  Eubée  y  en  empêchant  les 
Athéniens  de  nrendre  les  Grecs  prisonniers  y 
de  peur  que  le  peuple ,  venant  k  se  portée 
coatce  eux  k  quelque  extrémité;  ne  dbnn&t 

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23^  ,     COBTPARATSON 

Hcu  k  des  divisions  et  a  des  gticrrcs  cruelles  , 
mai  qne  encore  sa  grande  sagesse.  Ce  fut  par 
lin  effet  de  cette  même  sagesse  qu'il  ennpocha 
les  Athéniens  de  faire  des  n^joviîssances  sur  les 
nouvelles  de  Ja  HK»rt  de  Pniiîppc,  non  seii- 
Jément  parce  qu'il  y  a  de  la  bafisesse  h  se  ré- 
jouir de  la  mort  d\m  ennemi  ^  mais  encore 
par  une  raison  pUis.proftHide:  il  craignoit  qne^ 
par  ces  démonstrations  de  joie,  ils  n'irritas- 
sent Alexandre  ,  et  qu'ils  ne  l'attirassent  sur 
eux. 

Lje  conseil  qu'il  donna  k  ces  mènDesr  Al he-^ 
niens  ,  de  livrer  ratre  les  mains  d'Alexandre 
les  principaux  des  Thiébaîns  qu'il  demandoit^ 
et  qui  s'éioient  retirés  dans  Atbènes^^  mérite 
encore  d'être  loué.  Rien:  n'est  plus  conti-aire 
k  la  }H)litique  que  de  s'attirer/a  soi— même  de 
^ran4s  malheurs  par  la  compassion  qu'on  a 
des  autres  y  et  encore  par  •  une  compassion 
impuissante  et  infructueuse.  Il  faut  être  le 

Î)lus  fort  par  les  armes ^  ou  Tami  de  ceux  qui' 
e  sont  :  c'étoit  son  principe. 

La  grande  habileté  dé  Phocion  dans  la  po- 
litique pnroît  avec  plus^dVclat  encore  dans  le 
service  qu'il  rendit  aux  Grecs, ^squ'il  re- 
présenta a  Alexandre  qu'il  devoii  renoncer  k 
la  guerre  s'il  vouloit  vivre  en  repos  ;  ou  que  , 
a'il  étoit  avide  de  glojre ,  et  qu'il  voulût  sa- 
wifiw  ^oft  repos  a  Bm  9Xobinm  j  il  devoît 

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BE  FIIOCION  £T  PE  CAT077.         253 

sser  la  les  Grecs,  et  porter  ses  aimes  con- 
?  les  Barbares.  II  lui  fit  des  images  si  vives 
t  rhonneiir  qu'il  acquerroit,  qu'il  diangea 
adoucit  l'esprit  de  ce  jeune  prince,'  et  pro* 
ira  a  la  Grèce  un  calme  dont  elle  n'auroit 
is  joui  sans  lui. 

La  confiance  qu'il  s'éloit  attirée  des  insn- 
ires  et  des  alliés  des  Athéniens,  fait  aussi 
rail  coup  d'honneur  )i  sa  sagesse.  La  saine 
^litique  enseigne  qu'il  vaut  mieux  gagner  les 
>nimes  par  la  bonne  foi ,  que  de  s'en  rendre 
s  raaiires  parles  armes. 

Un  des  grands  principes  encore  ^e  la  po- 
jqiie  de Pbocîon,  c'est  que  la  paix  doit  être 
!  but  de  tout  gouvernement  sage.  Dans  cette 
ne  ,  il  s'opposoit  k  toutes  les  guerres  ou  imp- 
rudentes ,  ou  sans  nécessité.  Les  grands  ^uc- 
hs  de  Léosthène  dans  une  guerre  qu'il  avoit 
oulu  empêcher ,  ne  l'obligèrent  point  k  chan- 
>r  de  sentiment  ;  il  continua  de  s'opposer  k 
ïtte  guerre  contre  les  Béotiens ,  et  iV'véne- 
leut  fit  honneur  k  sa  politique  en  justifiant 
js  craintes. 

Cette  prévoyance  ,  qui  est  une  partie  des 
lus  essentielles  de  la  politique ,  parut  en- 
ore  d'une  manière  bien  sensible ,  lorsqu'il 
opposa  k  ceux  qui  vouloient  qu'Athènes  fût 
omprise  dans  la  paix  que  Philippe  proposoît , 
t  qu'elle  entrât  dans  rassemblée  générale  de 

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334  coMFABAisoir 

la  Grèce,  Avant  d'y  consentir,  îl  voulait  sa- 
voirquelles  seroient  les  demandes  de  Philippe. 
L'avis  contraire  l'emporta  ;  mais  les  Athé- 
niens ne, furent  pas  long-temps  sans  s'en  re- 
pentir y  accablés. des  demandes  onéreii^sdc 
rhilîppe.  Le  conseil  qne  Phocion  leur  donna 
dans  cette  occasion  nemarquoit  pas  moins  d€ 
sagesse  que  l'avis  qu'il  leur  avoit  donne,  el 
qu'ils  avoient  refusé  de  suivre.  Il  leur  fit  en- 
tendre que  la  désobéissance  feroit  leur  perte , 
et  leur  proposa  l'exemple  de  leurs  ancêtres , 
qui,  tantôt  donnant  la  loi,  et  tantôt  la  re- 
cevant ,  et  faisant  leur  devoir  dans  ces  deux 
éiats,  avoient  sauvé  .leur  ville  et  toute  h 
Grèce.  '  ^ 

La  nouvelle  de  la  mort  d^ Alexandre  ayant 
été  portée  a  Athènes,  le  peuple ,  que  la  grandi 
réputaîion  de  ce  prinee  tenoit  en  respect ^ 
commença  aussitôt  k  lever  la  tète  et  k  penser 
k  des  nouveautés.  Phocion ,  qui  vit  le  aanger 
auquel  la  ville  s'exposoit  par  cette  impru- 
dente précipitation  y  si  la  nouvelle  se  trou- 
voit  fausse  9  les  retint ,  et  leur  dit  ce  mot  si 
célèbre  qui  marquoit  sa  grande  prudence  î 
«  Si  Alexandre  est  njiort ,  il  le  sera  encore 
«  demain ,  et  enisore  après  demain  ,  et  nous 
a  aurons  tout  le  temps  de  délibérer  en  repos 
a  et  avec  plus  de  sûreté  n, 

A  ce»  actions  de  la  politique  de  Phocion  > 

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DE  FHOCION  ET  DB  CATON.        !i5S 

li  sont  GertaÎDemejit  grandes,  Caton  en 
Hit  orooser  de  plus  grandes  encore,  et  par 
iir  utilité  et  parles  dangers  dont  elles  et oieut 
^compagnées.  11  brigua  le  tribunat  pours'op« 
oser  a  M<*telhis ,  homme  très- dangereux  ,  et 
EHit  la  puissance  auroit  éXé  funeste  £^ome  , 

elle  n'avoit  été  contre-balancée  par  Tauto* 
té  d^un  homme  sage  et  ami  de  son  pays;  il 
éleva  avec  courage  contre  César  dans  l'af- 
ire  de  Catilina;  il  s'exposa  au  plus  grand 
es  dangers  en  combattant  le  décret  de  Mé- 
dius qui  voulolt  rappeler  Pompée  ;  et  étant 
eau  a  boutide  chasser  Métellns  ,  et  de  dé- 
ruire  en  lui  toute  la  puissance  de  Pompée ,  il 
t  ime  action  d'une  plus  grande  prudence  en- 
nre  ^  en  em^yèchanl  le  sénat  de  noter  d'infa- 
Bie  le  même  Métellus ,  et  de  le  dt'poser  ;  ce 
[ui  n^auroit  pas  manqué  d^irriter  Pompée , 
[ui  se  seroit  porté  aux  dernières  extrémité Si 

II  brigua  de  même  la  préture,  pour  avoir 
ieo  de  s'opposer  aux  atH'iitats  de  Crassus  et 
le  Pompée  qui  venoieot  d'être  nommés  con- 
uls.  11  s'opposa  avec  le  même  courage  au  dé- 
cret de  Trébonins  ;  et  arraché  de  la  tribune 
^ar  un  licteur  ,  il  ne  se  rebuta  point,  il  eon* 
linua  de  parler  ccmtre  ce  décrdt  ;  et  ce  décret 
étant  passé  par  force  ,  et  1^  peuple  en  fureur 
s'éiant  altroiipé  pour  renverser  les  statues  de 
Pompée ,  il  1  emjpèoha  ^  et  ppdviut ,  par  sa 

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256     '  COMPARAISON" 

priuleoce ,  le  désordre  que  cela  alloîl  cause] 

Le  décret  qu'il-it  rendre  par  le  séoat ,  e 
qui  portoît  que  ceux  qui  seroient  noinoiés  au; 
cliarges  ,  viendroient ,  s'il  n'y  avoir  persoii» 
qui  les  accusât ,  se  présenter  eux-mêmes ,  «* 
l*endre  <^ompte  des  moyens  qu'ils  avoient  pri 
pour  y  parvenir,  fut  un  coup  très-hardi 
mais  très-nécessaire  pour  déraciner  celte  cor 
rgption  qui  gagnoit  les  sufFi^ages. 

On  ne  découvre  pas  moins  de  prudeocc 
dans  ce  qu'il  fit ,  lorsque  les  brigues  de  Sci 
pioii ,  d'Hypséus  et  de  Milon ,  alloient  ex- 
citer une  guerre  civile ,  et.qii'o»  voj-oit  ton 
les  jours  s^ur  la  place  publique  trois  armre 
prêtes  a  en  venir  aux  mains  f  il  choisit  d 
commettre  un  mal  médiocre  poiir>  en  guéri 
de  très-grands  ;  et  pour  en  prévenir  de  plu 
grands  eûc<>re,  il  to  d'avis^ que  l'on  remit  le 
affaire^  eno-e  les  radins  de  Pompée ,  et  qu  oi 
le  nommais  seul  cbnsuL  Le  couseilqu'il  donoi 
ensuite  k Pompée,  qui,  par  une  nouvelle  loi 
vouloit  étabUr  des  peines  contre  ceux  qui  ai» 
roient  acheté  ks  suffrages  pour  parve  aui 
dignités ,  ne  fut  pas.imDins  sage.  II  nt  voii 
qu'il  y  auroit|me  grandie  injustice  à  oidonnei 
des  peines  nou-veiles  ^otttr«  d'anciennes  fau- 
tes ,  et  a  leslpunir  papr^iue  loi  qui  n'auroit  pas 
^téviolée- 

On  pourroit-geut  être  traiter  de. faute  cou*! 

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DE  rKOCION  ET  DE  C\TON.    237 

<re  la  politique ,  le  refus  qu'il  fit  de  rallîance 
de  Pbmpée,  qu'il  obligea  par  Ta  de  s'adresser 
à  C^r  ,  et  d'épouser  sa  fille  Julie,  ce  qui 
fut  cause  enfin  de  la  ruine  de  la  république. 
Mais  ^  outre  que  Catôn  ne  ponvoit  pas  pré- 
Toir  ce  mariage,  il  suivoît  en  cela  sa  maxime, 
qu'un  bon  citoyen  ne  doit  jamais  recevoir 
oanssa  famille  un  ambitieux  qui  ne  recherche 
son  alliance  que  pour  abuser  de  son  autorilc, 
et  pour  en  abuser  contre  sa  patrie. 

Une  des  plus  sures  ressources  d'un  éfat  , 
c'est  la  sage  administration  des  finances.  Co- 
ton, dans  sa  questure,  rendit  de  ce  côte'-là 
trois  services  frès-iraportants. 

Le  premier  fut  qu'il  exigea  avec  la  der- 
nière rigueur  tont  ce  que  les  particuliers  dé- 
voient au  trésor  publié,  et  qu'il  fit  aussi 
eyer  sans  aucun  retranchement  tout  ce  que 
trésor  devoit  aux  particuliers,  en  détruî  - 
sant  uti  abuB  très- considérable  qui  s'étoît 
glissé  par  la"  connivence  ou  par  la  trop  grande 
facilité  des 'autres  questeurs.  11  y  avoît  une 
infinité  de  fausses  ordonnances  qu'on  allonoit 
parfiiv<»ur,  et  qu'on  |)ayoît  sans  les  exami-^^ 
nêr.  C^tôn  se  les  fit  représenter  toutes ,  Ici 
annuila ,  et  rèmpît  le  <3biir&  de  ceâ  waiversa-* 
lions  très-huïliehsés.  '•  '       "  •    . 

Le  second  fui  qu'il  appela  ëti  pfst?ce  lei 
satellites  dont  Sylla  s'éloit  servi  potir  exécWr 

X^  D,g,t,zedbyCat»Ogle 


2f!8  COMPAKATSON 

ter  ses  proscriptions  ;  qu'il  les  obligea  îi  res-^ 
tituer  te$  sommes  immenses  qii'iJs  avoient 
acquises  par  cet  horrible  minisière  ;  et  qu'a- 
près les  avoir  forces  k  rendre  gorge ,  il  les 
nt  condamnera  mort  tt  exécuter  comme  a:^{ 
»assins. 

.  Le  troisième  encore  plus  considérable  que 
les  deux  premiers ,  ce  fut  d*erapèclier  les  gra- 
tiiications  peu  ntéritëes.  Il  n'y  a  pas  de  plus 
grands  de'sordres  dans  un  e'tpt ,  que  de  rcaJre 
les  finances  la  proie  de  la  faveur  y  au  \\t\\ 
d*en  faire  la  récompense  des  services.  Il  ar- 
rive de  ïk  «deux  choses  également  pernicieu- 
ses :  l'état  s'épuise  en  vain  en  donnant  sans 
recevoir  j  et  le  mérite  qui  se  voit  négligé  s^ 
rebute ,  dépérit ,  et  s'éteint  enfin  faute  de 
nourriture  ,  personne  ne  s'érertuant  et  né 
cherchant  k  rendre  k  la  patrie  des  services 
qui  ne  sont  point  reconnus ,  et  auxquels  les 
gens  les  plus  inutiles  ravissent  les  récompenses 
qui  leur  sont  dues.  Les  abeilles  mêmes  don- 
nent  sur  cela  une  grande  leçon  afix  politiques 
et  aux  hommes  d'état  :  elles  chassent  de  leurs 
ruches  les  frelons  qui  ne  savent  que  se  nour- 
rir de  leur  miel  sans  rien  contribuer  de  lenr 
part.  Çajço^  tout  jeune  encore,  fit  voir  qu'une 
ville  peut  devenir  riche  sans  Taire  la  moindre 
injustice ,  et  que  la  règle  et  l'ordre  ^iti&ent 
pour  l'enrichir, 

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Dits  PHOdON  ET  BE  CATON.  2^9 

Phocion  ii*a  rien  en  ce  genre  qu^on  puiss<! 
lui  compai^r)  quoique  les  finances  ce  fussent 
pas  mieux  r^le'esk  Athènes  qu'elles  l'ëtoicnt 
a  Rome  y  et  qu'on  les  dissipât  en  des  choses 
aussi  inutiles  k  l'état. 

Caton  ne  se  contenta  pas  de  rëgler  les 
finances  de  la  république ,.  il  étendit  ses  soins 
jusque  sur  la  fortune  des  particuliers  ,  en 
modérant  les  dépenses  exorbitantes  qne  le  luxe 
et  une  mauvaise  émulation  avoient  introdui- 
tes dans  les  jeux  mie  les  édiles  donnoient  an 
ruple.  Il  y  rétablit  la  simplicité  des  jeux  de 
Grèce  y  et  fit  voir  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
ridicule  qne  de  se  consumer  en  frais  pour  des 
choses  de  néant ,  et  de^fatre  d'un  divertisse- 
ment  public  la  ruine  des  familles. 

On  peut  aussi  compter  y  parmi  les  actions 
politiques  de  Caton ,  ce  qu'il  fit  en  entrant 
presque  dans  le  monde ,  lorsque  n'étant  en-- 
care  que^ tribun  de  soldats^  il  profita  d'un 
congé  )  non  pour  aller  vaquer  k  ses  affaires, 
comme  c'étoit  la  coutume^  mais  pour  aller  en 
Asie  faire  tous  ses  efforts  pour  emmener  avec 
lui  le  philosophe  Athénoaore ,  célèbre  par  sa 
grande  sagesse,  et  qui  a  voit  résisté  aux  pro- 
positions les  phis  avantageuses ,  que  des  gé- 
néraux et  des  rois  mêmes  lui  a  voient  faites 
pour  l'aturer  auprès  d'eux.  Il  y  réussit  :  il 
«inrichit  sa  patrie  d'un  homme  sage  dont  elle 

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24o  COMPARAISON 

avoitgrand  besoin;  et  il  eut  tant  dejoîe  <le  ce 
succès ,  qu'il  le  regarda  comme  un  exploit 
plus  utile  que  ceux  de  Lucullus  etde  Pompée. 

Dans  ce  qu'il  fit  a  Rhodes  au  roi  PtoFéiuée 
en  l'obligeant  de  le  venir  voirie  premier  ,  et 
dans  la  manière  sèche  et  fière  dont  il  le  reçut, 
sans  se  lever  de  son  sie'gc,  et  en*  le  recevant 
pomme  im  simple  particulier  ^  il  soutint  bien 
ia  grandeur  romaine;  mais  en  même  temps  il 
lui  donna  de  grandes  marques  de  sa  bont^par 
les  remontrances  qu'il  lui  fit.  Les  dégoûts  que 
ce  prince  eut  a  essuyer  lui  en  firent  bientôt 
coirnoitre  la  vérité  et  la  sagesse. 

Caion  soutint  encore  avec  plus  d'éclat  la 
majesté  de  l'empire  dans  l'audience  que  le 
roi  Juba  lui  donna  en  Afi*ique.  Ce  roi  y  plein 
de  fierté  et  d'orgueil,  traitant  les  proconsuls 
romains  comme  ses  satrapes,  avoit  fait  pla- 
ctT  son  siège  entre  Caton  et  Scipion.  Caton 
ne  put  supporter  cette  arrogance*et<;e  mé- 
pris; il  prit  son  siège  et  le  plaça  k  cofé  de 
celui  de  Scipion  qu'il  mit  par  Ik  au  milieu  ', 
déféiant  ainsi  tout  l'honneur  aiu  proconsul  ^ 
quoique  son  ennemi  :  action  si  pleine  de 
grandeur,  de  verùi  et  de  courage ,  qu'on  ne 
la  peut  assez  louer. 

L'humanité  est  une  vertu  si  essentielle  1t 
l'homme,  que,  sans  elle,  il  cesse  d*èfre 
homme  ;    c'est  la  base  et  le  fondement  de 

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Ï)E  PHOCION  ET  DE  CATON.         24l 

tontes  les  autres  vertus.  PhocioD^  avec  toute 
sa  se'véritc  cjiïî  le  rendoit  inflexible  quand  il 
s'âgissoit  de  k  république  ,  ëtoit  si  doux  et  â 
humain ,  que  ses  ennemis  tuèmesle  trouvoient 
toujours  disposé  a  les  secourir.  Gaton  ne  l'é- 
toit  pas  moins  ;  il  a  même  donné  de  *plus 
grandes  marques  de  celte  vertaque  Hiocion; 
et  comme  lui  il  a  fait  voir  qu'il  n^^toil  ter*- 
rible  et  intraitable  que  dans  les  assemblées  du 
peuple  et  darf^  le  «énat ,  lorsqu^il  sVgîssoît  du 
tien  public.  Cet  homme  ,  qui  étoit  lasévc^rité 
et  l'austérité  même  ^  cet  homme ,  élevé  dans 
nne  école  qui  condamnoit  la  compassion  , 
s'est  montre  l^omme  du  mondé  le  plus  com- 
patissant. C'est  par  un  effet  de  cette  compas,^ 
sion  qu'il  abandonne  la  Sicile  ^  pour  ne  pas 
l'exposer  îi  son  entière  ruine  en  la  rendant  le 
théâtre  de  la  guerre  ;  il  fait  ordonner  par  Pom- 
pée qu'on  ne  saccagera  aucune  ville  de  l'ti- 
héissance  des  Romains,  et  qu'on  ne  tuera  au- 
cun Romain  hors  do  champ  de  bataille  ;  après 
que  César  a  été  battu  k  Dyrracfaium  ^  il  s^a£- 
flige  mi  milieu  de  la  victoire ,  et  pleure  en 
voyant  les  corps  de  tant  de  braves  Romains 
qui  ont  été  tués  dans  le  combat  ;  après  la  ba- 
tfiille  de  Fharsate ,  le  fils  de  Pompée  veutar- 
rêter  et  punir  tous  ceux  qui  se  retiroîent,  et 
commencer  par  Cicéron  même;  Caton  l'a- 
doucit, et  sauve  la  vie  a  Cicéron  et  a  tous  les 

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aiî  COMPARAISON 

autres.  Scîpion ,  pour  faire  sa  cour  au  roî 
Juba ,  veut  qu'on  passe  au  fil  de  l'cp<fe  tous 
les  habitauts  d'Utique ,  sans  distiuctioa  d*àge 
Bide  sexe ,  et  qu'on  rase  la  ville  ;  il  s'oppose 
à  cette  cruauté  et  l'empêché.  La  veille  de  sa 
mort  y  il  confère  avec  Lucius  César  y  et  lui 
enseigne  la  maaière  dont  il  doit  parler  pour 
fléchir  César }  celui  qui  a  r&olu  de  se  tuer 
s'intéresse  encore  pour  les  autres ,  et  leur  ins- 
pire ce  qu'ilë  doivent  dire  et  fah*e  pour  aJour 
cir  leur  ennemi  Qt  pour  obtenir  leur  grâce. 

Caton  l'emporte  encore  sur  Phocion  dn 
c6ré  de  la  prévoyance.  On  diroit  que  ce  n'est 
pas  un  homme  qui,  par  seslumières,  pënëtre 
dans  l'avenir  ,  mais  que  c'est  un  Dieu  «joi  le 
développe  et  qui  l'annonce*  Il  jàédit  auxRo- 
mains  tous  les  maux  qu^  l'amitié  de  César  et 
de  Pompée  versera  sur  eux.  Crassuset  Pom- 
pée n'ont  pas  plutôt  fait  élire  Vatinius  préteur^ 
«pi'il  les  avertit  de  tous  les  malheurs  qui  ao 
câbleront  la  ville.  Sur  le  décret  qui  décerne 
}k  César  des  {Nrovinces  et  des  troupes  ^  il  an« 
nonce  k  Pompée  les  maux  qu'il  se  prépare 
par  Ik,  et  qui  retomberont  sur  Rome.  Il  dé- 
veloppe aux  Romains  tous  les  desseins  et 
toutes  les  vues  de  César,  comme  s'il  avoit  été 
son  confident;  il  leur  expose  le  but  où  il  tend, 
et  leur  fait  yoîrau'ils  n'ont  que  César  k  crain- 
dre. U  prévoit  le  malheiu:  de  Scîpion,  et  la 

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DK  PHOCÏON  ET  DE  ÇATON.         ^43 

fia  malheureuse  qu'aura  la  guerre  d'Afrique  y 
et.  il  les  pëdit.     \ 

Caton  faifloit  profeBsioQ  d'une  justice  së- 
yère,  qui  ne  mollit  ui  par  grâce ,  01  par  ft- 
Teur,  et  Phocionensuivoit  uue  plus  douce  et 
plas  humaine,  qui  sait  quelquefois  se  relâcher 
de  se»  droits.  Mais  cet  homme  si  dur  et  si  in- 
flexible, en  s'élevjmt  contre  ceux  qui  avoient 
acheté  les  suflBrages  pour  parvenir  aux  char- 
ges y  s'aikttache.  \k  poursuivre  Miiréoa  ,  qui ,  h 
force  d'ai^ent,  s'étoit  fait  nommer  collègue 
de  Silanus  au  consulat;  et  ce  même  Silanus  y 
coupable  de  la  même  corruption ,  il  le  laisse 
la  ,  parce  qu'il  est  son  beau  -frère.  L'alliance 
fléchit  cette  justice  inflexible  en  toute  autre 
occasion.  Phocion  ,  quoique  moins  sévère  ^ 
fut  pourtant  plus  juste  lorsqu'il  refusa  de  se- 
courir songendie  Chariclès,  appelé  en  justice 
pour  rendre  compte  des  sommes  qu'il  avoit 
reçues  d'flarpalus  ;  et  qu'il  lui  dit  ce  beau 
mot  :  «  Je  t'aifait  mon  gendre,  mais  c'est  pour 
«  toutes  choses  bonnes  et  honnêtes  ».  Cepeu^ 
dant,  ce  même  Catan  qui  avoît  épargné  son 
beau-frère  par  une  exception  si  injuste  et  &t 
marquée,  voyant  Pompée  se  relâcher  en  plu- 
sieurs choses ,  pour  favoriser  ses  amis  et  se& 
fkirents  accusés  de  pareilles  prévarications  % 
ui  fit  de  sévères  réprimandes.  Il  ne  p  inionne 
pas  ^  Pompée^  ce  qu  il  se  pardonne  k  lui*^ 

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nVt  COMPARAISON 

même.  Dans  ces  vertus  outrées,  c'est  souvent 
rhnmeur  mû  gouverne  et  i^ii  se  glisse  sous 
le  masque  ae  ta  raison  et  de  la  vertu. 

Le  désintéressement  est  une  qualité  sî  né- 
cessaire dans  un  homme  d'état  surtout ,  que, 
sans  elle  ,  toutes  les  autres  sont  souvent  inu- 
tiles ,  et  quelquefois  même  pertiîcîcu5cs.  De 
ce  côté-la,  Ptecîon  et  GatQp  paroissent  d^a- 
bord  assez  égaux.  Phocion  reftisa  cent  talents 
que  lui  envoyoit  Alexandre,  et  une  viHe  cra'il 
vouloit  lui  donner.  Il  rejeta  avec  la  même 
grandeur  d'âme  les  sept  cents  talents  que  lui 
envoyoit  Hai^lus,  et  une  grosse  somme  de 
Ményllus.  Caton  vendit  une  riche  succession 
qui  lui  étoit  échue,  en  prêta  Fargent  h  ses 
amis  sans  intérêt  ;  souvent  même  il  engagea 
pour  eux  ses  terres  et  ses  esclaves,  et  il  ren- 
voya les  riches  présents  que  le  roi  Déjotarua 
lui  envoyoit  pour  gagner  sa  faveur. 

On  dira  que  la  différent  infinie  des  offre» 
en  met  une  très -grande  dans  leur  vertu ,  et 
qne  de  cecAté-lî!,  Phocîon  atout  Pavantagej 
mais  il  semble  que  ce  n'est  pas  par  Ik  cpi'il  en 
faut  juger.  Gaton  auroit  résisté  de  même  a 
tout  l'or  du  monde;  d'ailleurs  ,  on  peut  dire 
que  celui  qui  donne  fait  plus  que  celui  qui 
refuse  de  recevoir.  C'est  la  différence  de  leur 
fortune  qui'  donne  seule  tout  l'avantage  a  la 
magnanimité  de  Phocion,  Le  riche  qui  se  rend 

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DE  PHOCION  ET  DE  CATON.    245 

«sclave  de  l'or  dont  il  n'a  pas  besoin  ,  est  iin 
moDsIre  f  et  le  pau^TC  qui  résiste  aux  ai^iil- 
Ions  de  la  nëcessVé  toujours  si  impérieuse , 
est  un  homme  divin.  L'extrènie  pauvreté  où 
uiourut  Phocion,  après  avoir  été  tant  de  lbî& 
capitaine-général,  donne  a  son  désintéresse- 
ment un  irès^-grand  lustre. 

La  simplicité  de  vie  étoit  é^ale  dans  l'un 
et  dans  1  autre.  Mais  celle  de  Phocion  n'étoît^ 
pas  si  admirable  dans  son  siècle  et  dans  sa 
ville  y  où  l'on  en  voyoit  de  grands  exemples^ 
que  celle  de  Caton  Tétoît  dans  le  sien,  où  ]« 
luxe  étoit  monté  b  son  Gom]|)le.  Il  faut  dire 
aussi  au  désavantage  de  ce  dernier ,  qu'en 
poussant  Taiistérité  jusqu'b  mépriser  les  usa- 
ges reçus,  jusqu'k  p^roître  sur  la  place  pu-^- 
Wique  nu-pieds  et  sans  robe ,  et  aller  en  cet 
éiat  k  son  tribunal^  il  s'attira  justement  le 
reproche  d'avoir  terni  et  ravalé  sa  pt  éture  par 
ses  manières  indécentes.  Son  principe  de  faire 
le  contraire  de  ce  que  Ton  feisoit ,  et  de  ne 
rougir  que  des  choses  véritablement  honteu- 
ses, en  se  mettant  au-dessus  de  celles  qui  ne 
le  sont  m}e  dans  l'opinion,  doit  avoir  des  bor- 
nes. Il  faut  faire  le  contraire  de  ce  que  font 
les  vicieux  ,  et  de  tout  ce  qui  est  véi^itable- 
inent  blânlable^*  mais  ce  qui  est  établi'  par  le 
consentement  général  et  par  la  pratîqtie  cons- 
tante des  houimes  y  ne  dok  pas  être  regardé 

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346  COMPARAISON 

comme  une  vaine  opinion  ;  car  il  fait  partift! 
de  la  décence  dont  il  n'est  jamais  permis  k 

Personne ,  et  moins  encore  k  un  homme  pu- 
lie  y  de  s'écarter.  Autrement  on  ouvrira  ia 
torte  h  Pimpudence  :  eh  !  <]u'j  a^t-il  de  plus 
onteux  ? 
Le  mariage  est  un  point  si  essentiel,  qu'il 
^  peut  seul  empoisonner  la  vie  la  plus  I)eureuse, 
et  adoucir  la  plus  infortunée.  Phocion  et  Ca- 
ton  furent  mariés  deux  fois,  mais  avec  un  sort 
bien  différent.  On  ne  sait  rien  de  la  première 
femme  de  Phocion ,  et  ce  n'est  pas  une  mau^ 
vaise  marque  pour  elle.  La  seconde  fut  ui^ 
modèle  de  vertu  et  de  modestie;  elle  s'attin 
en  plein  théâtre  les  éloges  et  les  applaudisse- 
^«ments  des  Athéniens  ;  au  lieu  que  ta  première 
femme  de  Caton  se  déshonora  par  ses  dé- 
bauches, et  qu'il  est  accusé  d'avoir  désho- 
noré lui-même  la  seconde,  en  la  donnant  ei 
mariage  k  Hortensius.  Il  est  certain  que  cetu 
complaisance  auroit  été  plus  pardonnable  \ 
Phocion  qui  vivoit  dans  ime  ville  oii  un  grave 
législateur  avoit  voulu  introduire  cesmariagei 
qui  paroissent  si  indécents,  et  les  autoriseï 
par  une  loi  formelle. 

Si  Caton  fut  plus  malheureux  en  femmes 

Îue  Phocion ,  il  tut  plus  heureux  en  enfants. 
le  fils  de  Phocion,  malgré  le  soin  que  son  père 
avoit  pris  de  le  faire  élever  k  Sparte  dans  toute 

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DE  PHOCION  ET  DE  CATON.         24; 

h  r%ueur  de  la  discipline  lacédémonienne^ 
pour  le  corriger  de  son  luxe  et  de  son  pen- 
chant aux  plaisirs  y  vécut  toujours  dans  la  dé- 
bauche ;  et  celui  de  Caton  fut  d'abord  extrê- 
mement décrié  par  son  amour  pour  lesfemmes, 
maïs  il  effaça  cette  tache  par  la  générosité  de 
sa  mort.  Il  fut  tiie  a  la  bataille  de  Philippes  y 
après  aToir  fait  des  prodige^  de  valeur  et  donné 
de  l'admiration  k  ses  ennemis  mêmes  ;  et  sa 
fille  Porcia  ne  céda  k  son  père  ni  en  sagesse 
ni  en  magnanimité. 

Pour  acjiever  la  comparaison  de  ces  deux 
grands  hommes,  il  ne  noua  reste  qu'a  parler 
de  leur  mort.  Phodon  mourut  par  i!in|ustice 
de  ses  .^concitoyens.  Il  est  vrai  <{u'il  y  donna 
lieu  par  la  faute  qu'il  fit  de  ne  pas  arrêter 
Nicanor.  Mais  cette  faute  n'est  pas  seulement 
pardonnable,  eUe  est  glorieuse.  On  ne  peut 
pas  douter  que,  s'il  avoit  connu  les  desseins 
de  NicaDor,  il  n'eût  préféré  le  salut  de  sa  pa- 
trie aux  intérêts  de  son  ami ,  mats  il  les  ignora  ; 
et  de  t?ahir  et  de  livrer  un  ami  eacpi  on  a  une 
entière  confiance,  et  dont  on  n'a  micub  sujefr 
de  se  défier,  c'est  une  extrén^ité  si  violente 
et  si  effrayante  pour  un  homme  généreux  ^ 
qu'il  aime  mieux  mourir  qu^  de  s'y  porter*. 
Caton  se  tua  lui-;miême  pour  ne  pas  survivre» 
k  salib^té  etk^isli^  Î^M^  pattie  j.  etpiur  cetift^ 

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ailî  COMPARAISON 

mort  généreuse  et  libre ,  il  triomphe  seul  de 
son  ennemi  qivi  trioniphoit  de  la  terre  entière. 
.  Les  suites  de  la  rtiort  de  Phocion  lurent  plus 
honorables  que  cellfes  de  la  mort  dteCaton.  On 
donna k  c«îlai-çi  de  très-grands  éloges,  tout  le 
peuple  d'Utîqiié  l'appela  d'une  commune  voix 
son  bienfaiteur ,  son  sauveur,  le  *ieiiî  libre,  le 
seul  invincible;  la  crainte  même  de  Ciënt  qtîî 
arrivait  ne  put  refroidir  en  eux  le  resj:>ect  et  la 
vénération  qu'ils atoieA t pour  kii.*  Ils  lui  ixent 
des  funérailles  honorables,  et  kïi  élevèrent  swr 
le  rivage  de  la  met  un  tdniubeaii ,  avec  ime 
statue  qui  lient  Une  épée.  Mais  tout  cela  n'aj^- 

Î roche  pas  d^  la  gloire  q\ii  suivit  la  mort  de 
hocion.  tJrte  fetttm^  de  M^gfirè  hii  éleva  un 
tombeau  v^de ,  et  eitiportf^  chez  elte  ses  osse- 
ments qu'elle  entjertra  dafiS  soa  fover.  Les 
Ath^nienâ,  accablés  de  ioâixt^  èeutîretft  bieu- 
tôt  la  laufequ'ikôvoientfalte,  et  recoiraurent 
qnei  vigilant  ifttfgisWat  Mt  quel  gardien  de  la 
t^utpëramce  et  dfe  la  jiWtîce  ils  avoiew  fait 
mourir  ;  d  touché»  de  repèntîr,  ils  firent  re- 
veriif  ses  o«Q«dffes"j  lès  ènfenr8^nt  honorable- 
ment aux:  défient  du  p^îic,  lui  élevèrent 
^ne'«a«ue  dè'bi^oriïeV^'t  (î<)ti<ïànaiièrent  k  ii 
mort  sf s  .accttisaté^rs^.  Phbtiôfai  ttpfès  avoir 
été  ibis  .k  mtjrt  îcè*tfÉlé  SéeVîÂe,  l^plui  sage 

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DE  PHOCTON  ET  DE  CATON.  24j) 

Le  soîn  qu^ils  eurent  l'un  et  l'autïre  de  leurs 
imis  jusque  dans  le  sein  de  la  mort,  mérite 
le  n'être  pas  oublie.  Phocion  se  condamne 
tti-raème  pour  adoucir  ses  juges ,  et  n'oublie 
ien  pour  sauver  ses  amis  accuse's  av'ec  lui.  11 
a'accorde  qu'avec  la  dernière  peine  k  Kicoclès 
a  grâce  qu  il  lui  demande  de  boire  le  premier 
!e  poison  ,  et  il  lui  fait  sentir  combien  lui 
coûte  celte  triste  complaisance.  Et  Caton  ne 
j'épargne  ni  travaux ,  ni  soubis,  ni  peifles  pour 
mettre  ses  aniis  en  suretë;  il  les  pressée  de  se 
sauver ,  il  leur  fournit  tout  ce  qui  leur  est  ne-», 
ressaire  ;  il  va  sur  le  port  pour  les  voir  em- 
barquer j  il  témoigne  pour  eux  la  dernière 
incjmetude  ;  il  envoie  plusieurs  fois  pour  sa- 
voir de  leurs  nouvelles;  et  sur  ce  qu'on  lui 
rapporte  que  I9  mer  est  fort  srosçe ,  il  «oiipir% 
pn  pensant  au  dai^gçr  ai^queflls  sont  exposés. 
Enfin,  dès  qu^îl  sait  qu'ils  sont  embarques, 
il  se  tue.  Les  véritables  gens  de  bien  poussent 
les  soins  de  l'amitié  au-delà  de  la  mort  même, 
et  ils  s^ublient  eux-mêmes  pour  ne  penser 
^y\\  sauver  leurs  amis. 

Les  ordres  qu'ils  donnèrent  l'un  et  l'autre 
a  leurs  fils  en  mourant ,  font  honneur  h  leur 
politique  et  a  la  philosophie  qu'ils  professoient. 
niocion  manda  b  son  fils  de  ne  «chercher  ja- 
mais a  se  venger  des  Athéniens,  et  d'oublier 
X.  aa 

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25o    COMPARAISON  DE  PITOCION ,  etc. 

leur  injustice  ;  et  Caton  défend  au  sien  de  se 
mêler  jamais  du  gouvernement. 

Enfin ,  pour  donner  en  un  mot  une  idée 
générale  de  l'un  et  de  l'autre,  il  suffit  de  flire 
que  Phocîon  périt ,  et  livra  sa  patrie  k  de 
grands  malheurs,  pour  avoir  suivi  ses  propres 
conseils,  et  pour  ne  s'être  pas  défié  d'un  ami 

Îu'il .  méo^geoit  pour  elle  ;  et  que  Scipio.n , 
^onipée  et  Rome,  périrent  pour  n'avoir  pas 
suivi  les  avis  de  Caton  :.difl^rence  bieo  glo- 
rieuse pour  ce  dernier,  et  qui  lui  donne  sur 
rhocîon  un  grand  avantage. 


FIN  DB  LA  COMPAKAISON  DE  PHOCION  ET 
PE  CATON  d'uTÏQUE, 


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\ 


NOTES. 


*  Voici  la  généalogie  de  Caton  d'Utic[u«  : 
CatoQ  te  renseur  eut  deux  femmes. 

De  sa  femme  Liciaia  il  eut , 

M.  Porcius  Cato  Lieinianns  ,  mort  désigné  prétevAP 

du  Ti?ant  de  son  pire.  Il  laissa 
j 
M.  Poroius  Cato  BJ.  F.  M,  N.  qui  fut  consul  avec 

Q   Marcius  Rez,  et  mourut  en  Afrique.  Il  eut  pour 

Sis  I 

M.  Porcius  Cato  M.  F.  M.N.  M.  P.N.  qui  mourut 

dans  tes  Gaules.  i 

De  sa  femme  SaloAÎa  il  eut 
M.  Porcius  Cato  Salonianus ,  M.  F.  crai  laissa  deux 

fils,  f 

M.  Porcins  Cato  ,  et  L.  Porcins  Cato,  M.F.M.N. 

Ce  M.  Porcius  Cato,  mort  daas  la  poursuite  de  la 

préture ,  laUssk  | 

M.  Porcius  Cato  ,  qui  fut  ce  Caton  d'Ulique. 

*  Caton  n'en  eut  pas  une  seule ,  il  en  eut  trois ,  maiiT 
ceiilement  soeurs  de  mère  L'une  fut  mère  de  Brutiis , 
<|ui  tua  César  ;  la  seconde  fut  mariée  à  LuculUis  ,  et 
la  troisième  à  Junins  Silanus.  Csepion  n^étoît  non 
plus  son  frère  que  de  mère. 

'  Il  manque  un  mot  au  texte  y  B-tly  fin  êvn 
ft1Tp9Ç  y  il  faut  suppléer  comme  dans  un  manuscrit , 
$««  fiif  ofTt  ^poç  w  jtcvjTpcç  5  car  Lirîus  Drusua 
n'étoit  pas  oncle  de  la  mère  de  Caton,  mais  soa 

frère. 

^  C'est  ce  qu'ils  appetoien  t^'dciieia  luden.  Les  j  ea« 

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25-2  ^  NOTES. 

des  enfants  sont  ordinairement  tires  de  ce  qo'iU  ont 
le  plus  devant  les  yeux.  CVst  pourquoi  les  enfants  à« 
Bomç  représeotoient  dWdinaire  dans  leurs  jeux  ,  '^n 
des  jatjemenLs ,  ou  des  commandements  d^armée  ,  on 
des  triom|)lies  ,  ou  des  empereurs.  Nous  lisons  dans 
Suétone  que  Néron  commanda  à  ses  gens  de  iet-^r 
dans  la  mer  son  beau-fils  Kufîniis  Crispinus,  fiJstle 
Poppée  ,  encore  enfant ,  qma  ferebatar  ducatus  et 
imperia  tudere.  Cet  empereur  prii  les  jeux  de  ceteo' 
'  £ant  pour  des  ma>rques  de  son  ambition. 

^  Cet  excès  est  vicieux;  car  la  justice  portée  à  Ii 
dernière  rigueur ,  devient  souvent  iojnstice.  Lajas- 
tice  la  plçs  4>6Q<i  ^Q  L^homme ,  c^est  une  justice  mo^ 
dérée  ,  qui  se  relâche  quelquefois  de  ses  droits. 
Cicéroa,  dans  son  oraison  pour  Muréna,  reproche  à 
Caton  cette  sévérité  outrée,  mais  en  même  temps  il 
tâche  de  Tescuser ,  en  disant  :  «  Que  tout  ee  qui 
«  l'on  admiroit  dans  ce  grand  p^^rsonnage  ,  vennit  M 
n  son  heureux  naturel ,  et  lui  appartenoit  en  pr'> 
<t  pre  ;  et  que  ce  qui  lui  manquoit  et  qu^on  auroil 
«  voulu  y  trouver  ,.  ne  venoit  que  des  maîtres  c^a'il 
ft  avoit  suivis ,  dont  le  savoir  et  Pautorité  Pavoiesl 
a  entraîné ,  et  qui  lui  ^voiept  enseigné  que  le  sageofl 
«  donnoit  rien  à  la  faveur  ;  qu'il  ne  pardonnoit  jamai 
M  iiucuae  faute  ;  qu'il  n'y  avoit  que  des  fous  et  dn 
«  hommes  légers  qui  fussent  touchés  de  pitic,  etqne 
«  ce  n'étoitpas  être  homme  que  de  se  laisser  apai^ 
«  et  fléchir.  Les  publicains  Tiennent  vous  demander 
a  quel((ue  grâce  ,  lui  disorenl^ils ,  prenez  bien  ganlf 
«  que  la  faveur  n'ait  quelque  pouvoir  sur  tous.  Drt 
te  gens  accablés  de  calamités  et  de  misère  viennenu 
a, vos  pieds,  vous  jserez  un  méchant  et  un  scélérat 
'tt  si  la  compassion  vous  fait  faire  la  moindre  cb'^se 
«  pour  les  soulager.,  Quçlqu*un  vous  avoue  qu'il  i 
<i  fait  une  faute,  et  il  vous  en  demande  pardon,  c><i 
«  un  crime  qae  de  pardonner.  Telle  est  la  diicirln* 
«  que  Catoa  a  suivie ,.  non  pas  pour  dispater,  mais 

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KOTE5.  255 

n  po^r  en  faire  la  règle  de  sa  y\e  »,  Cîo<^Qii  lui  oppose 
rnsuite  le  seo liment  des  autres  philosophes  ,  surtout 
d'Aristote  et  de  Platou  ,  qui  enseignent  «  que  )a  fa- 
«  venr  â  quelque  fois  du  pouroir  sur  Pespritdu  sage  5 
«  ffu'il  est  de  rhommie  de  bien  d'avoir  pilié  j  que 
a  toutes  les  fautes  pMiant  pas  égales  ,  les  peine» 
«  doivent  être  différentes;  que  Tho/Dine  constant  et 
«  forme  sait  pardonner  dans  Toecasion  ;  ot  que  s'il  s« 
«  hiet  quelquefois  en  colère,  il  se  laisse  aussi  queU 
«c  quefois  apaiser  et  ile'chir.  Et  il  ajoute  ,  que  si  la 
«  fortune  avoit  jeté  Calon  entre  les  mains  de  ces 
a  mattres  ,  il  ne  seruit  véritablement  ni  phis  homme 
H  de  bien,  ni  pins  vaillant,  ni  j>lus  tempe'rant,  ni 
«  plus  juste  ,  car  cela  est  impossible  ;  mais  il  auroit 
«  un  pen  plus  de  pench?mt  à  la  douceur  ».  Quel  art,, 
quelle  délicatesse  et  quel  éloge  dans  cette  censure  ! 

*  C'est  un  grand  avantage  pour  tin  homme  qui  a 
à  parler  à  des  assemblées  nombreuses  j  c'est  pourquoi- 
Homère  la  compte  parmi  les  qualités  des  héros. 

7  Caton  fait  allusion  au  coup  de  dés  qu'on  appelle- 
P'énus  ,  et  qui  étoii  le  pluf  favorable. 


•  Qnrm  VaiiQ*  arbitriim 


Dic«4  bibeudi  ? 

CV'toît  le  coup  de  trois  six ,  rajfle  de  six.  On  peut 
voir  les  remarques  sur  le  passage  d'Horace.  Od.  t^ij  , 
liVé  ij. 

^  Celte  maxime  est  fnrt  bonne  dans  un  état  entié- 
rement  corrompu,  et  q4Û  n'p  rien  de  sain.  Mais  elle 
doit  avoir  ses  bornes ,  aussi  bien  que  Ci^lle  qui  suit  : 
c<  Qu'il  faut  ne  rougir  que  des  choses  honteuses ,  et 
it  mépriser  celles  qui  ne  le  sont  que  dans  l'opinion  )>. 
(Jalon  les  poussoit  à  un  excès  trcs-vicicux ,  en  fou- 
lant aux  pieds  les  usages  de  sa  patrie.  Ces  usan;<»s  » 
âès  qu'Hs  sottt  géttéralement  reçus,  font.partie  de  la 

D,g,t,zedbyijO'§gJe 


254  k0T£S. 

-ûétsenet ,  et  ve  âoÎTent. pas  être  regardés  éommt  des 
caprices  de  l'opiaion. 

9  Je  voadrois  bien  savoir  quelle  action  la  jurlspro- 
dedce  de  ce  temps-là  lui  aqroit  donoée  contre  son 
riyal  j  car  aujourahui  un  tel  prucés  paraltroit  bien 
ridicule. 

.^^  Archiloqne  ,  piqaé  contre  Lycambe  ,  qui  lui 
avoil  refusé  sa  fille  en  mariage ,  fit  contre  lui  des 
vers  ïambes  sî  violents,  que 'Lycambe  .se  pendit  de 
«)ésespbir.  Ce  poète  fut  rinventeur  du  verstamb». 
Voyez  xiorace  dans  son  Art  poétique.  ^.  Ij.D. 

^^  Comme  c^ëtoit  alors  une  politesse  et  une  mar- 
que d'estime  de  nommer  les  gens  par  leur  nom  »  en 
les  saluant,  ceux  qui  briguoient  les  charges  ne  pou- 
vant par  eut-mémes  savo'rlcs  noms  de  tout  nn4;raDd 
peqple,  menoient  avec  eux  des  esclave»  qui,  nViyaot 
eu  d'autre  ocoipatîoa  toute  leur  vie  que  d'apprendre 
les  noms  des  citoyens  ,  les  savoient  parfaitemcnl ,  et 
ies  disoient  aux  candidats.  C'est  de  ces  gens-là  qu'Hoi- 
race  parle  dans  son  épîtrevj  du  livre  iw 

6i  fOrtuiiAlavi  apeci«i  et  gratis  pr»stàt , 
Mcrcemar  srrTam  qui  dictai  nomina. 

*"  Caton  obéit  seul  à  cette  loi.  Le  grec  dit  ftiftt 
hrtà'iT^lf  fôfut*  Xylander  a  cru  que  ce  verbe  t^tri' 
dvff'd'afi  y  avec  un  datif  ne  pouvoit  signiGer  suivre, prêt" 
tiefuer,  obéir ,  et  qu'il  sigoiGôit  au  contraire  Jcfo^^êf» 
résider.  Mais  outre  que  ce  deruier  seqs  ne  peut  con- 
venir en  aucune  manière  k  l'endroit  où  Flutarque 
•  l'applique ,  puisqu'il  ajoute  que  Caton  lui-m^me  ap- 
pela tons  les  citoyens  par  leur  nom ,  vnri^T^m  y 
avec  le  datif ,  signifie  fort  bien  pratiquer.  C'est  ainsi 
qn^Hcr  dote  a  dit  i^tri^to^ut  tautrfXltiTi  ^  suit're  y 
pratiquer  la  mannes  dans  un  manuscrit,  on  lit  îsrst* 
',  BiTê  î  ce  qui  peut  fort  bien  être  la  glose  de  »r6^rs' 

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NOTES.  aSJT 

â)« ,  dtt*<ni ,  ce  nassage  parott  entièrement  oon« 
aire  au  passage  célèbre  de  Cicéron  ,  qui ,  aur  cette 
éme  matière ,  dit  à  Catoa  ,  dans  Toraison  pour 
jiréoa, sect.  36.  Quid  quod  habeê nomenclatotem? 
avoue  que  ce  passage  parott  contraire  à  celui  de 
Itttarque  ,  et  )e  ne  saurois  les  concilier.  £t  s'il  fal- 
it  opter  entre  le  témoignage  de  Cicérùn  et  eelni  de 
lotarque ,  qui  doute  qu'il  ne  fallût  plutAt  se  rendre 
celui  de  Ciceron  ?  Mais  pcut-élre  qu'ils  parlent  de 
;ux  temps  différents.  Car  cette  loi  qui  dcfendoitauz 
indidats  d'avoir  des  nomenclatenrs  ,  ne  fut  guère 
livie.  ,     , 

'3  Car  en  ce  temps-là ,  les  gén^nx  d'armée  et  le» 
)is  éioient  curieux  d'aroir  auprès  d'eux  de  ces  phi- 
»sopbes  célèbres  par  leur  doctrine  et  par  leur  yertu , 
ont  le  commerce  ne  leur  étoit  pas  inutile. 

'^  C'e'toit  avec  raison  $  car  l'expérieiice  de  tons  lei 
ècles  nous  apprend  que  l'exploit  de  guerre  le  plus 
daUnt  n'est  pas  si  utue  »  i|n  étal  que  cet  exploit  de 
olltique»  d'j  amener  un  homnaesage ,  gomme  il  n'y 
rien  de  plus  pernicieax  ni  de  plu5  funeste  que  d'y 
ooaer  entrée  à  un  fou.  Le  sage  est  le  salut  des  états  p 
i  Je  fou  leur  perle  ^  Platon  cl  Aristote  l'ont  démontré. 

*^  L'tle  de  Thasos  étoit  près  la  côte  méridionale 
e  la  Tbrace.  Le  marl>re  ^ue  Caton  employa  pour  le 
'imbeau  de  son  frère'  étoil  de  plusieurs  couleurs  et 
^ri  estime.  Ce  tombeau  coûta  plus  de  39,000  ùf 

ï6  Plutarque  parle  ici  de  César,  et  fait  entendre 
lie  c'est  lui  qui  avoit  écrit  dans  son  Anti-Caton , 
ettc  particularité  des  cendres  du  bûcher  passées  par 
e  tamis  j  et  il  dit  fort  bien  que  César  ne  s'éloit  pas 
;ontentë  de  faire  la  guerre  à  Caton  ayec  l'épée  ^  maia 
m' il  la  Itsi  avoit  faite  encore  avec  la  plume  ,'  pour 
kcîiirer  la  répuUtioo  de  ce  giand  pecsoxmage  »  que 

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bsl  verf  u  nn^Udit  Au-dessus  des  reproches  et  des  calon 
nies.  iVIais  Plulaçque  ne  nomme  pas  César  par  respet 
pour  son  grand  nom.  L'expression  de  Plut^rquer* 
remarquable  et  singulière,,  hnf&iif  i  1»  |r«€i  fiw 
mhXa  tta)  yp«^6Mtf ,  H  abandonna  non  seulement 
son  epée,  mais  aussi  a  sa  plume. 

*7  Rien  n'est  pins  ordinaire  ;  le  peuple  juge  prcsqn 
toujours  mal  des  maîtp(*s  dont  les  miels  sont  modest»; 
et  ne  font  pas  beaucoup  de  bruit,  cl  il  croiiqiiec 
sont  dos  hommes  de  néant ,  des  misérable^.  C« 
ainsi  que  dans  Térence ,  Thrason  juge  de  PhéJrfa 
sur.  la  modestie  de  son  valet  Pacménoa  »  qui  pad 
poliment  et  civilement  à  Thaïs.: 

t  Appifet  serram  hanc  esM  domini  pauperis  mJserique» 

«  On  voit  bien  que  c'est  le  valet  d'au  gueux  et  êS 
«  misérable  ».  JBunuq,  iij.  x 

*^  Pltttarque  ajoute  ce  vÈiot ,  par  hasard ^  ponrf^ 
entendre  à  ^es  lecteurs  qu'il  ne  d'tnnnit  pas  dancl 
ridicule  superstiliou  de  ceux  qui  crojoieot  qn'ooi 
•poil voit  transporter  par  mer  un  mort ,  sans  r<»«i 
quelque  danger.  Car  c'était  dans  cette  idée  qH-  Il 
amis  de  Caton  lui  avoient  conseillé  de  mectmbi 
un  autre  vaisseau  les  cendres  de  son  frère.  Cetu^»*^ 
superstition  duce  encore  aujourd'hui  dans  qnd 
esprits. 

'9  Rien  n'est  pi  us  utile  dans  un  état  que  de  rcra"î*^ 
chaque  offiiciçr  dans  les  bornes  de  son  office  ;  ii 
tout  est  perdu  quand  l«s  premiers  ministres  lai^5fl 
entre  les  mains  de  leurs  subalternes  leurs  foncUîs 
et  leur  autorité. 

*®  ,D'aprps l'interprétation  proposée  par  M.  Duso»* 
îl  faudroit  lire  :  v  Vous  vous  exposiez  à  dire  chas 
«  d'ici  par  nos  licteurs  ».  ^,  L.  iX 

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ÎÎOTE».  '  257 

"  Voiià  une  exception  qui  ne  fait  pas  honneur  à 
Catoa ,  surtout  dans  une  ville  où  Ton  ayoit  vu  de» 
pt'res  condamieT  leurs  propres  enfants.  Silanus  et 
Muréna  t:< an t  consuls  ensemble,  et  ayant  tous  deux 
donné  de  rargeoi  par  parvenir  à  cette  aigntté ,  il  étoit 
lionteux  à  Caton  de  poursuivre  Mureoa ,  et  de  laisser 
en  repos  Siianus  ,  parce  au'il  e'toit  son  aliie' ,  quoiqu'il 
ne  fîit  pî^s  moins  coupable.  Je  ne  sais  si  je  me  trompe  « 
i\  auroit  encore  mitntx  valu,  que  la  considération  de 
Siianus  eàC  sauvé  Muréna  ,  que  d*aceuÀer  Tun  sans 
l'autre. 

''*  Ce  fut  Tannée  qui  précéda  le  consulat  de  Sila-r 
nus.  Je  crois  que  Cicerons'étoit  servi  Je  ces  écrivains 
par  notes  dans  la  cause  dé  Muréna ,  pour  avoir  Torai^ 
son  de  Caton  qui  l'accusoit. 

*5  Ce  passage  est  une  preuve  convainquante  de  U 
fausseté  du  reproche  que  des  savants  ont  fait  à  Plu- 
tar(|ue  ,  d'avoir  écrit  qu'il  étoit  permis  chez  les 
Bomains  de  donner  ou  de  prêter  sa  femme  à  un  au- 
tre ,  afin  qu'il  eût  des  enfants ,  et  de  la  reprendre 
ensuite.  Si  c'eût  été  un  usage  permis,  Calon  n'au-' 
Toit  jamais  dit  qu'il  Irouvoit  étrange  la  demande 
d'Horlensins.  Ilestvrai  que  Strabon  dit  que  Caton 
dr)nna,sa  femme  selon  P ancienne  coutume  des  Ro^ 
mains.  Je  ne  sais  pas  si  cette  coutume  étoit  autorisée 
dans  les  premiers  temps  de  la  République  ;  je  n'en, 
ai  vu  aucua  exemple  ;  mais  si  elle  l'avoit  été  autre«* 
fois,  cette  réponse  de  Caton  fait  voir  que  de  son 
temps  elle  étoit  entièrement  abolie  et  ouoliée. 

'^  Des  savants  ont  encore  reproché  à  Plutarque  de 
s^être  trompé  ,  en  disant  que  Caton  avoit  prêté  sa 
femme  a  Horténsius^  et  ils  ont  prétendu  que  cela 
éioiifai^^  en  quoi  ils  se  sont  trompés  eux  mèmfs, 
comme  nuauld  l'a  fort  bien  remarqué.  Première- 
nient ,  Plutarque  avoit  tiré  celte  particularité  df  » 
àiii  mémoires  de  TUraséa  j  et  Munalius  ,  Tami  par- 

■        DigitizedbyCjOÔgle 


258  NOTES. 

ticulier  de  Caton  ,  Pavoit  ainsi  ëcrît ,  lui  qui  en  aToit 
été  témoin.  En  second  îiéu ,  Strabon  ec^it  formelle-  i 
ïnent  dans  ronzîéme  livre  :  «  El  âm  notre  temps, 
«  Catoo  a  donné  sa  femme  Martia  à  Horlensius  }'.  Il  i 
dit  de  notre  temps  ,   parce  que' cette  aventure  ctoit 
»ir rivée  pendant  son  enfance.  Enfin  ,  cela  est  fonds  ; 
sur  le  consentement  unanime  de  tous  les  autcars  qui  i 
en  ont  parlé.  Voyez  Ruauld,  animadv,  zxv* 

*^  Cette  somme  sMleyoit  à  6,179,839  fr.  5o  cent.  { 
de  notre  monnoie.  U  fait  la  somme  moins  forte  dans  ! 
la  Tie  de  César  :  car  il  ne  la  porte  qu'à  4,888,88d  fr.  j 

ëg  cent.   A.  L,  1>. 

I 

*^  Des  savants  ont  pensé  qu'il  y  avoi  t  ici  une  allé- 
ration  dans  le  teste  j  car  Caton  o*a  été  ni  déposé  ni 
forcé  d*abdiquer  lu  trihunat.  Les  derniers  éditeurs 
d'Amyot  proposent  de  lire  :  «  Caton  bravant  les  im- 
«  pntalions  des  séditieux  qui  lui  reprochoient  d'abuser 
«  tyranniquement  du  pouvoir  de  sa  charge  ,  poussa 
<<  sa  pointe  avec  t>.ni  de  rigueur*,  qnu  lVm{)orU 
«  enfin ,  ei  réduisit  Memmius ,  etc.  »  jé,  X.  />. 

*7  U  y  a  à  la  lettre  ,  a  n!est  point  prenable  par 
«  Pappartement  des  femmes  » ,  et  cela  est  plaisam- 
ment dit.  Caton  parle  de  cette  proposition  de  Fompee 
comme  de  Fattaque  d'un  homme  qui  Passiégeoit ,  et 
<^ui  prétendoit  le  prendre  par  Pappartement  des 
iemmes,  comme  par  Pendroit  le  plus  foible. 

■^  Je  suif  forcé  de  me  servir  d'un  vieux  terme ,  la 
langue  ne  m'en  fournissant  pas  d^autre  pour  exprimer 
ee  que  Plutarque  dit  ici  ;  car  c'est  le  sens  de  ce  mot, 
■  «  7dfv  nof^TPyju  KùXjTtff  uf^^anr^v  -  qui  a  été  on  ne 
fpeutplus  mal  expliqué.  Cet  Aulus  Gabinius  e'toit  fort 
'  décrie  pour  ses  infâmes  débauches.  Voici  comma 
en  par!e  Cicéron  dans  son  f)raison  pour  Sextius,  Cian 
'sciât  duo-illa  reipub  pcûrtefatd  GahiniumetPisonemj 
mltarum  (  Gabiniian  )haurirc  ^uotiiiie  ex pacatissimi 

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Mtifue  cpulmtiissimis  Sfriœgazis  innumérahile  pondus 
auii  ;  bellu/n  inferre  quiescenUbus ,  ut  eorum  vêtons  ^ 
iliibal  usque  diyitias  in  profundissimum  libidinuim 
marumgurgitern  pro'undati  viUam  œhficars  inook^ 
Us  omniiun  tantam ,  tugurium  tU  jam  vldeatur  etse  ilùi 
villa  quàm  ip^e  tribunus  fUûbit  pUtam  olim  in  concio^ 
fùbus  tsxpUfiahat ,  quo  fot Ussimwn  ae  sunwmm  ciVent 
vt  inuidiam  «  hon^o  àastus  ae  non  cupidus ,  f^oeareU 
Ce  cjue  Piiitarqiie  ajoute,  «  comine  l'assurent  (S9n% 
«.qoi  ont  connu  ^  ▼!«  et  ses  mœurs  »,  àiarque  assev 
ce  (ju'îl  a  voulu  dire  par  ks  mots  qu'il  Tient  d*«m'*«. 
ployer. 

•9  11  falloîl  que  celle  grande-pretrise  fût  quelque 
chose  de  bien  consideVable  ,  puisqu'on  la  regardoit 
comcne  un  dédommagement  du  royaume  de  Cypra* 
fions  savons  pur  i'anti(juit(5,  et  surtout  par  le  temoi- 
snage.  d'Honièr»^  qu«  les  grands  prêtres  des  Dieux 
etoient  des  hommes,  non  seulement  d'une  grande 
lignite ,  mais  tréspuissants  et  très-riches. 

5"  Thr.isea  PœtnS ,  de  la  ville  de  Padoûe ,  ^toi^ 
BU  homme  «l'un  rare  mérite.  Tacite  l'appelle  dans  \m 
sfizicme  livre  de  ses  Annaleé,  la  vertu  même.  Néroi) 
le  fit  mourir  :  il  ayoit  écrit  la  vie  de  Caton  d'Utique. 

^'  Cependant  Plntarqne  noos  a  dit  plus  hfnt  qutf 
Caton  ne  se  fioit  pas  trop  à  lui.  Apparemment  depuit 
soQ  arrivée  à  Cypre ,  il  aroit  reoonmu  ces  benne«  qua^- 
lités  dans  Canidius  ,  cm  bien  Caton  parla  ainsi  A 
Munatius  pour  justifier  la  préférence  qu'il  doanoic 
s  Canidius  sor  hd. 

'"  C'est  ai^si  qu'on  doit  traduire  ce  passage ,  qui 
ae  peut  âtr^  entendu  que  par  ceux  qui,  sont  instruits 
des  coutume^  d^  Homains.  Quaua  ibq  envoyoit  uti 
liclenr  k  un  sénateur ,  ou  à.  un  magistrat ,  pour  hi^ 
todonnoi;  d«  w  i^(^fp^  a»,  séiiat  o^  au.  conseil ,  «%V 

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^O  KaXES. 

refu5oit ,  on  envoyoit  prendre  cliez  Ittî  quclqoe 
jneublc;  ,  qui  ctolt  comme  un  témoin  rie  sa  déso- 
béissance/et    on   appcioit  cela  ,  /7r^/}ora    capere , 

*2 .  C'cst*à  dire  une  |>rëturc  ayant  l'âge  porté  nar 
les  lois  pour  Ci^tle  magistrature.  Ceci  se  passa  lan 
^e  Rottie  69t.  CatdVi  mourut  dix  ans  après  ,  c'est-à- 
dire  l'ande  Rome  707  ,  à  l'à^e  de  quarcinle-huit  ans. 
It  n'en  àvoit  donc  qne  trentè-'lmil  lorsque  ce  décret 
du  sénat €ut  donné,  r.t  par  coriséqtiént  Sf  Ion  ce  passade 
de  Plntanpie  ,  confirmé  par  Dion  ,  irente-huit  ans 
n'éloient  pas  encore  l'âge  suffisant  pour  la  préuirc. 
èela  confirme  le  sentiment  de  ceux  qui  croient  qu'on 
ne  pou^oit  la  demander  qu'à  treule-neuf  aus  ,  tC 
l'exercer  qu'à  quarante. 

'  5*  Entre  la  nomination  et  la  prise  de  possession 
des  charges /les  Romains  laissolcnt  toujours  un  cer- 
tain temps  ,  afin  que  Ton  put  informer  contre  cens 
qui  se  S;eroient  servis  de  mauvaises  voies  pour  y  par- 
venir. 'Pompée  et  Crassus ,  en  faisant  ordonner  que 

Iss  préteurs  qu'on  éliroit  entreroientd'akord  en  exer- 
'.:_  ' :  *  1 li  A :_*-  1.:^ ;.. I- 


s; 


ie  tou4o  CQcli^;! dbe  ceux  qu'ils  auroient'  âiit  élire. 


^^  Il  y  a  dans- le  grec  dovke.  myriades  et  demie -^ 
C'est-à-dire  >  cent  Vingt^cmq  mille  drachmes,  qui 
ianl  enviFôot;  i:;r.i»jii  fr.  de  notre  monnoie, .  juste- 
ment la  moitié  de  ce  que  les  Romiains  appeloient 
deiies.  Cicéron  parle  de  cette  convention  dans  la 
qo^trième  lettre  An  quatrième  livre  â  Àtticus  ,  qui  fut 
,  écrite  dân*  ce  raâmêieihri^-là ,  t'<»st-à-dire  sons  le  con- 
l^ulat  dér  L\  Dbnrititts  AEnobarbus"  et  d'App.  Clau- 
JinsPiîUîbér.  Tribunitii  eanïiLdaiijurârurits&arhiuio 
CM^nis  pêUiUtoi:  Jpuâ  éum  H  S-^tf^dngena  éepo- 

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VOTES.  261 

itierunt  ;  ut  oui  h  Catone  damnatus  esset,  idp^rde- 
Tel  et  compeduoribus  trihueretur.^ 

^^  On  supposait  qu'il  n'y  auroit  point  de  candi- 
dat assez  fou  pour  s'exposer  à  perdre  Targént  qu'il 
doaneroit^  et  la  somme  qull  auroit  déposée.  Cepen- 
dant l'expérience  lit  voir  que  ce  îîen  .n'*ét'oit  pas  asïfx 
ifort ,  et  que  rambitioo  Pemporte  encore  sur  i'avii- 
rioc. 

57  Ap(4lodorc  de  Phalére  zk'admiroitrien  tant  que 
Socrate.  Cela  parott  surtout  par  la  fin  du  dialogue 
de  Piaton  d€.  ViwnipruUité  de  Vdme  j  et  par  le  commen- 
cement de  soti  Banquet  ,  où  l'on  Yoit  qu'il  ëtoit 
extrême  dans  ses  passions  j  c^est  pourquoi  il  étoit 
appelë  f€ttniç9Ç  y  un  possédé. 

58  C'estainsi  qu'il  faut 4ire  Munatins  Ptancus ,  «t 
bon  pas  Mwtatius  Fluccus.  Car  Plancus  est  lé  «ur- 
nom  de  la  famille  de  Murmtius,  T.  Munatius  Plan- 
cus  étoit  alors  tribun  du  peuple.  Ce  Plancus  fut  ac- 
cusé oar  Ctcéron ,  défendu  par  Pompée ,  et  condamna 
tout  d'une  Toiz.  ' 

*»  L''intelli^ence  de  ce  passage  dépend  d'un  pas- 
sade de  Dion ,  qui  écrit  que  Pompée  envoya  au  tri- 
bunal un  écrit  (  c't'toit  une  espèce  de  facinm  ou  de 
requête  )  ,  r*-«< w  7«  «^  àurn  *««i  %\  IfUTîUt  t)CPf  » 
qui  conlenoit  V éloge  et  les  supplications  de  Plancus, 

*o  Servilius  Sulpîcius  Rufus  et  M.  Claudius  Mar- 
cellus,  qui  furent  nommés  consuls,  dit  Dion ,  le  pre- 
mier à  cause  de  >a  grande  science  dans  les  lois,  et 
rauCre  à  cause  de  son  .éloquence. 

**  Pourquoi  Plutarqtie  parlerolt-il  ici  dei  penpléd 
de  la  Bretagne ,  auxquels  les  Romains  ne  pensoient 
nullement,  et  qu'ils  ne  pouvoieiit  craindre  ?  Au  lieu 
de  BptTTêtvm  ,  Plutarque  avoit  écrk  sans  doute  Ff ar 


a€2  NOTES. 

^Hff^  ni  les  peuples  de  la  Germanie.  Et  c*tslh»heii 
qu'Amjot  a  suivk  -avec  raison. 

**  Copassage  d^Euripide ,  que  PIntarque  rapport 
ici,  est  pris  du  premier  acte  de  son  Hercule  furieozj 
où  Lycos  ayant ^iazc  Hercule  de  peu  de  courage,  fl 
dit  en  propres  termes  quUl  avoit  une  réputation  (}ui 
#ie  me'ritoit  point,  Amphytrion  répond  :  «  CesTaioi 
«  reproches ,  7«p/>9r«e ,  (  car  c'est  ainsi  qu'il  faut  lire, 
«  et  non  pas  '}u  fiiTti  )  car  quels  reproches  plusTain^ 
«  grand  Hercule,  que  de  tous  accuser  de  lâcheté) 
«  il  faut  qu^avec  le  témoignage  des  Dieux,  je  leséloi- 
«  gne  de  tous  ».  V.  174. 

^^  Les  harangues  que  les  anciens  historiens  oo&s 
-rapportent  des  généraux  et  des  capitaines ,  et  cella 

3iMlomére  met  dans  la  ^uche  de  ses  héro» ,  ne  s<4) 
ODC  pas  hors  de  yraisemhlance  ,  poisqu'en  foifl 
«ne  de  Gaton  dont  on  ne  peut  douter.  , 

^^  Le  texte  porte  en  Lybie;  mais  ce  nom  désîgv 
ici,  non  une  province  particulière,  mais  l'Afriq«^ 
même,  ainsi  nommée  pai*  les  Grecs,  et  dont  r£gyi4f 
liaisoil  partie,  u^.  X.  jU- 

**  Il  y  avoit  en  Afrique  une  nation  entière  fA 
faisoit  métier  de  guérir  les  morsures  des  serpeoU  e^ 
suçant  la  plaie ,  et  cela  n'est  pas  bien  extraordinaii 
car  nous  lisons  dans  Homère  même  ,   que  dès  ( 
temps  anciens,  on  goérissoit  les  plaies  eu  les  suçai 
Hais  ces  mâmes  Psylles  se  vantoient  d'enchanter  I 
serpents  et  d'adoucir  leur  furie ,  ou  de  les  endono' 
£t  nous  voyons  dans  la  Bible  qu'il  y  avoit  de  t 
enchanteurs  qui  se  piquoient  défaire  de  ces  miracllj 
C'est  sur  cela  qu'est  iondé  ce  que  Jérémie ,  viij,  S' 
éitsMxJuiïs'.Ecceegomittam  vobis  serpentes  reguk 
€juibus  n/on  est  incanLaiio,  Ces  malheureux  eochai 
ttiurs  étoient  souTcat  punis  deleur  pr^mptton.  Ce 

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NOTES..  afiî 

ponrqaoî  Pautenr  de  PEcolesiaste  dit:  Quis  misertbitur 
incantatori  à  serpente  percusso  ? 

^^  Voilà  dose  une  marc^ne  de  deuil.  C'est  ce  que 
nous  ne  <K>niprenoDS  pas  aujourd'hui.  Cette  situation 
demauger  couché  sur  des  lits  nous  parott  au  contrairs 
très-incommode.  .Mais  ce  seul  exemple  de  Catoa 
prouve  incontestamemcnt  quUls  regardoient  comm* 
aoe  chose  délicieuse  de  maueer  couchés,  et  comme 
mie  incommodité  insupportable  de  manger  assis.  Si 
cela  ii'avoit  pas  été,  tant  de  nations  auroient- elles 
SQÏyi  cet  usage,  et  auroit-il  duré  si  long-temps? 

^7  Philostraie  est  le  même  philosophe  dont  Plu* 
tarque  parle  dans  la  vie  d'Antoin* ,  et  dont  il  donno 
une  idée  qui  s'accorde  peu  avec  T honneur  que  Caton 
lai  lait  ici.  Car  il-  parott  qu'il  fait  semblant  d'être 
de  la  secte  académique  lorsqu'il  démentoît  cette 
doctrine  par  la  vie  qu'il  menoit ,  et  qui  étoit  d'un 
Véritable  épicurien. 

^^  Les  Romains  croyoient  que  c'étoit  la  destiné» 
des  Scipionsf  de  vaincre  toujours  en  Afrique. 

^9  Par  ces  paroles ,  Caton  fait  entendre  que  la  dis- 
position d'âme  où  ce  Statyiliussecroyoit,  étoitpluiôt 
Qne  enflure  de  vaine  gloire ,  qu'une  véritable  fermeté, 
et  que  le  parti  qui  convenoit  à  Caton ,  qui  avoit  tou- 
jours fait  profession  d'une  yertu  austère ,  et  qui  étoit 
égal  à  Céfiar ,  ne  convenoit  pas  à  un  jeune  homme 
comme  lui.  Epictète  a  ^ort  bien  dit  que  «  pour  imi- 
«  ter  une  vertu  très-rare ,  il  faut  être  un  homme  très» 
«  rare  ». 

^°  Ce  paradoxe  est  d'une  vérité  incontestable.  C'est 
le  cinquième  paradoxe  de  Gicéron  qui  le  prouve  ad« 
mirablement.  Ce  n'est  pas  seulement  le  sentiment  des 
Stoïciens ,  c'est  celui  de  Socrate. 

'*  Les  Péripatéticieas  soutenoient  que  ni  la  Vert^ 

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364  NOTE5. 

ni  le  vice  ne  faisoieot  rien  ni  pour  la  serritnde  ni 
pour  la  liberté ,  prenant  trop  au  pied  de  la  lettre 
les  mots  de  Hherté^el  de  servitude, 

^^  Je  ne  m^étonne  pas  qu'Apollonîdés ,  philosophe 
stoïcien ,  ne  répondit  rien  pour  combattre  une  réso- 
lution q^ui  e'toil  conforme  a  ses  d<^me$.  M«is  pour 
Deïnéirius  ,  j'en  suis  surpris^  car  il  avoitbien  des 
raisons  à  opposer  y  et  Aiistote  même  lui  en  «uroit 
fourni  de  trés-fortes. 

^^  Ce  dialogue  est  pourtant  bien  îongponr  être  fa 
*\evix  fois  en  si  speu  a&  temps«  Mais  ce  qu^il  y  a  ici 
de.  plus  incompréhensible  ,  c'^est  qu^avam  que  de  se 
tuer^  Caton  lut  ce  dialogue,  qui  assure  cp&^il  nVst 
pas  permis  de  se  tuer.  «  Un  philosophe ,  dit-il ,  ne  se 
«  luera  Jamais  iui-méme  ;  car.  on  ait  que  cela  n'est 
ft  pas  permis  j  cela  n^est  pas  permis  même  a  ceux  à 
n  qui  fa  mort  seroit  meilleure  que  la  vie.  Ils  ne  peu- 
«  vent  se  procurer  cet  avantage  ,  qui  leur  seroit  si 
(f- nécessaire.  Car  Dieu  nous  a  mis  dans  cette  vie 
«  comme  dans  un  poste  que  nous  ne  d#?on5  jamais 
<(  quitter  sans  sa  permission.  Les  Dieux  ont  soin  des 
<(  nommes,  elles  hommes  sont  une  des  possessions 
«  des  Dieux.  Si  un  de  vos  esclaves  se  tuoit  sans  votre 
<c  ordre  ,  vous  seriez  en  colère  contre  lui ,  et  vous  le 
«  châtieriea  si  vous  pouviez  ».  Malgré  ces  raisons  i 
Caton  persista  dans  sa  résolution.  Apparemment  il 
se  fondoit  sur  ce  que  Socrate  ajoute  :  «  Il  faut  at- 
«  tendre  que  Dieu  vous  envoie  un  ordre  formel  de  j 
«  sortir  de  la  vie  ».  Et  il  prenoit  pour  un  ordre  Pétât 
où  il  se  trouvoit.  Et  c'est  ainsi  que  Cicéron  Ta  ex- 
pliqué dans  son  premier  livre  des  j  usculanes,  sec.  ^. 
Cato  autem  sic  abiit  è  uita ,  ut  causant  moriendinac* 
tum  se  ess^  gauderet.  foetal  enim  dominans  iUe  in 
nobis  Deus  ,  injussu  hinc  noi^suo  demigrare ;  cum 
vero  causant  justam  Deus  ipse  dederit  ,  ut  lune. 
SacraU,  nunc  Ca$oni,  sœpe  multis^  nt  ilU^  médius 

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NOTES.  265 

fidius  f  vir  sapiens  Icetus  ex  is  tenehris  in  lucem  illam 
€x cessent  j  nec  tamen  lUe  vincla  caiceris  mperit , 
le§es  enim  vêtant  ;  sed  tanquam  a  magittratu,  aut  ab 
aliqua  poteslale  légitima ,  sic  à  Deo  evocatus  atqum 
tmissus ,  exierit, 

^^  Cette  circonstance  de  temps  rel^-ve  infiniment 
ces  éloges  ;  car  quelle  impression  ne  failoit-il  pas  que 
Ja  vertu  de  Caton  eût  faite  sur  l'esprit  de  ces  hommes , 
pour  leur  inspirer  Taudace  de  le  louer  si  hautement 
ai^approche  de  son  «*nnemi,  et  d*un  ennemi  victo- 
rieux y  et  à  la  discre'iion  duquel  ils  alloient  dans  on 
moment  se  voir  eux-mêmes  f 


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»3» 


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CLEOiHEKE. 


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AGIS  ET  ÇLÉOMÈNE. 


Le  n^cst  BÎ  mal  a  propos  ni  sans  gi'ande 
ipparej^ce  de  raison  ,  que  la  plupart  de^ 
bommes  tiennent  que  Ja  fable  d^Ixion  est  faite 
mr  les  ambitieux.  Car  comme  Ixion ,  croyant 
imbn^sser  Junon  ,  n^mbrassa  qu'une  nuëe , 
et  que  de  cet  embrassement  na<|uirent  le& 
Centaures  y  moitié  hommes  et  moitié  chevaux  y 
les  ambitieux  de  mème^.elD  suivant  la  gloire^ 
n'embrassent  qu^une  yaine  image  de  la  vertu  ; 
et  emportes  par  les  divers  mouvements  de 
l'envie,  de  la  colère  et  de  toutes  les  autres 
passions,  ils  ne  produisent  rien  de  piur,  ni  qui 

f misse  être  reconnu  et  avoué  ;  mais,  toutes 
eurs  productions  sont  bâtardes  et  mixtes;  de 
manière  que  ce  que  des  bergers  disent  de 
leurs  troupeaux  dapa  une  pièce  de  Sophocle, 
a  malgré  que  nous  soyons  leurs  maîtres,  nous 
«  sommes  forcés  de  les  servir  et  de  les  eu-- 
<(  tendre ,  quoiqu'ils  ne  parlent  point  » ,  c'est 
ce  qui  arrive  véritablement  k  ceux  qui ,  dans 
le  gouvernement,  ne  suivent  que  les  vues  , 
les  caprices  et  les  mouvements  de  la  multi* 
tude  ;  ils  servent  et  obéiss^t  réellement,  pour 
avoir  le  vain  titre  de  gouverneurs  et  de  maer 

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268  AGIS  ET  CLÉOMÈNE. 

glstrats.  Car,  comme  les  matelots  qui  sontk 
la  proue  voient  mieux  ce  qui  est  devant  eux, 
que  les  pilotes  qui  tiennent  le  timon ,  et  ce- 
pendant se  tournent  souvent  de  leur  coté , 
et  font  ce  que  ces  pilotes  leur  ordonnent;  d« 
même  ceux  qui,  dans  Iç  gouvernement,  ne 
croient  que  la  gloire ,  ont  bien  le  nom  de  ma- 
gistrats, mais  sont  effectivement  les  esclaves 
du  peuple  pour  exécuter  ses  ordres.  Au  lieoi 
que  le  véritable  et  parfait  homme  de  bien  n'a 
aucun  besoin  de  gloire,  qu'autant  qu'elle  lui 
ouvre  la  route  k  de  grandes  actions  par  la  con-, 
fiance  qu'on  a  en  lui  *  .11  n'y  a  gueles  jeunes  gens 
ambitieux  d'honneur  à  qui  il  faille  permettra 
de  s'enorgueillir  en  quelque  sorte,  et  de  fait^ 
parade  de  la  gloire  qui  leur  revient  de  leurs 
telles  actions;  car  les  vertus  qui  germent  et 
qui  poussent  dans  cet  âge-lk ,  confirment  et 
fortifient,  comme  ditThéophraste,  ces  bonnes 
dispositions  par  les  louanges ,  et  croisseut 
elles-mêmes  k  mesure  que  croissent  la  fierté  et 
le  courage  qu'elles  inspirent. 

Si  l'excès  est  dangereux  en  tout,  le  trop 
d'amour  poiur  la  gloire  est  surtout  pernicieux 
dans  le  gouvernement  des  étais;  car  il  pré- 
cipite dans  une  folie  et  dans  une  fureur  dé- 
clarée ceux  qui  sont  revêtus  d'une  grande  au* 
torité ,  lorsque  prenant  mallieureus^ent  le 
fihan^e,  ils  veulent  que  ce  œ  $oit  pas  le  beau 

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AGIS  ET  CLÉOMÈNE.  tîSg 

l'honnête  quî  soit  glorieux ,  maïs  que  ce 
it  le  glorieux  qui  soit  le  beau  et  riionnète* 
ais  ce  que  dit  un  jour  Phocion  a  Antipater 
li  IiTÎ  demandoit  quelque  chose  qui  n'étoif 
is  honnête  :  «  Vous  ne  sauriez  avoir  en  même 
temps  Phocion  pour  ami  et  pour  flatteur  »  ; 
est  cela  même ,  ou  quelque  chose  d'appro- 
laut ,  qu'un'homme  a'ëtat  doit  dire  au  peu- 
e  :  «  Vous  ne  sauriez  avoir  le  mêmehomihe 
pour  esclave  et  pour  magistrat  ».  Car  il 
rrive  alors  ce  qui  arriva  au  serpent  dont 
arle  la  fable  :  la  queue  s'étant  re'volte'e  un 
►ur  contre  la  tête ,  voulut  commander  et 
Miduirè  k  son  tour ,  et  n^être  pas  réduite 
ontinuellement  a  la  suivre;  elle  prit  donc  le 
Dinmandement,  et  s^en  trouva  bientôt  très-- 
lal  elle-même ,  allant  comme  une  folle  ;  et  la 
>te  en  fut  toute  meuitrie  et  irbissëe  en  sui- 
ant  contre  sa  nature  cette  partie  sourde  et* 
veugle  qui  ne  savoit  où  elle  allait.  C'est  ce 
lie  nous  avons  vu  arriver  k  la  plupart  de 
eux  qui ,  dans  leur  manière  de  gouverner , 
l'ont  eu  en  vue  que  de  complaire  au  peuple; 
;ar  en  dépendant  toujours  de  cette  multitude 
[ui  marche  au  hasard  et  qui  n'a  point  de 
rues  sures  et  certaines ,  ils  se  sont  mis  en  état 
le  ne  pouvoir  dans  la  suite  ni  corriger  ni  ar-  - 
èterle  désordre  qu'ils  avoient  causé  par  Uur 
[:o0iplaisance» 

*  X  D,g,t,zedbyC>OOgle 


270  AGI»  ET  CLÉOMÈNE. 

Ce  oui  m'a  jeté  dans  ce  discours  contrt 
•  l'ambition  de  plaire  au  peuple  y  c'est  la  coo- 
sidération  de  la  grande  puissance  ({u'ellea,et 
des  terribles  effets  qu'elle  cause ,  comme  00 
le  voit  par  les  malheurs  qui  sont  arrivés  aur 
deux  Gracques,  Tibérius  et  Caïus.  Il  étoieor 
tous  deux  heureusement  nés;  ils  avoient  été 
tous  deux  parfaitement  bien  élevés,  etétoient 
entrés  dans  le  gouvernement  avec  de  grandes 
qualités  et  avec  tout  l'agrément  possible;  ce* 
pendant  ils  se  perdirent  tous  deux,  moins  par 
le  désir  immodéré  de  la  gloire ,  que  par  la 
crainte  excessive  de  la  honte ,  crainte  qui  nei 
procédoit  en  eux  que  d'un  fond  de  noblesse' 
et  de  générosité.  Car  ayant  reçu  de  grande 
marques  de  la  bienveillance  de  leurs  coDci- 
toyens ,  ils  eurent  honte  de  ne  pas  répondre  a 
ces  obligations  qu'ils  reçardoient  comme  une 
dette.  Tâchant  donc  todjours  de  surpasser 
par  des  décrets  favorables  au  peuple  les  hon- 
neurs qu'ils  en  rece voient,  et  étant  toujours 
d'autant  plus  honorés  qu'ils  témoignoient  da- 
vantage leur  reconnoissance,  en  lui  complai- 
.  sant  eo  tout  :  par  cette  ambition  qui  se  trouva 
égale  et  réciproque ,  ils  allumèrent  dans  leur 
cœur  un  si  violent  amour  pour  le  peuple ,  et 
dans  le  cœur  du  peuple  un  si  ardent  amour 
pour  eux,  qu'enfin,  sans  qu'ils  s'en  aper- 
çussent ,  ils  se  trouvèrent  tout  d'un  coup  dans 

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AGIS  ET  CLÉOMÈMË.  371 

es  affaires  où  Ds  ne  pouvoieut  plus  reculer^ 
î  dire  :  «  Puîsque  la  chose  n'est  pas  belle,  il 
est  temps  d'en  voir  la  turpitude  et  d'y  re- 
noncer » .  Et  c'est  ce  que  vous  verrez  vous* 
lème  (a)  en  lisant  leur  vie.  Nous  allons  leur 
omparer  deux  autres  hommes,  tous  deux 
ortës  pour  le  peuple  ,  et  tous  deux  rois  de 
iacédémone,  Agis  et  Cléomène,  qui,  ayant 
oulu  augmenter  comme  eux  la  puissance  du 
leuple ,  et  rétablir  le  gouvernement  si  beau 
t  si  juste  de  la  république  Lacédémonienne, 
[ui  étoit  aboli  depuis  long-temps ,  encoum- 
eut  la  haine  des  nobles  et  des  puissants ,  qui 
le  voulurent  rien  relâcher  de  leur  ambition 
t  de  leur  avarice.  Il  est  vrai  que  ces  deux 
^acédémoniens  n'ctoient  pas  frères  comme 
es  deux  Romains;  mais  ils  suivirent  tous  deux 
lans  le  gouvernement  la  même  route,  comme 
mroient  pu  faire  les  deux  frères  les  plus  unis; 
;t  voici  quel  en  fut  le  commencement. 

Dès  qu'une  fois  l'amour  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent se  fut  glissé  dans  la  ville  dé  Sparte  j  que 
la  possession  des  richesses  eut  attiré  k  sa  suite 
ime  sordideavarice,etqu'avecla  jouissance  se 
turent  introduits  le  luxe,  la  mollesse,  la  dé- 
pense et  la  volupté,  Sparte  se  vit  d'abord  dé- 
chue de  la  plupart  des  grandes  et  belles  préé- 
minences qui  la  dîstînguoient  ^,  et  se  trouva 

(fl)  Q  parU  à  Sénécion^  à  qui  U  a  dédié  ces  Vies. 

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27 2^        -      AGÏS  ET/CLéoMÈNE. 

indignement  ravalée  et  réduite  dans  un  é 
d^huiui.liation  et  de  bassesse,  aiii  dura  jusqu^ 
temps  du  règne  d'Agis  et  de  jLéonidaft. 

Agis  éioit  de  la  maison  des  Ëurytionidi 
fils  d'Ëudamidas ,  et  le  sixième  descendi 
d'Agésilas,  qui  passa  en  Asie,  et  qui  fut 
pemier  des  Grecs  en  puissance  et  en  aut^ 
rite}  car  Agésilas  eut  un  fils  nommé  Arcli 
damus  y  qui  fut  défait  et  tué  dans  un  co: 
par  les  Messapiens,  devant  une  ville  d'Iti 
appelée  Mandonium  [a).  D'Archldâi 
naquirent  Agis  et  Eud^Piiidas.  Agis  ,  quiéK 
Painé,  ayant  été  tué  |>ar  Antipater,  devail 
les  murailles  de  Mégalopolis,  ville  d' Arcadi^ 
et  n'ayant  point  laissé  d'enfants ,  son  frè^ 
Eudauiid^s  monta  sur  U^trône ,  et  eut  ud  & 
nommé  Archidamus,  du  nom  de  son  grand 
père  ;  a  cet  Archidamus  naquit  un  fils  qui  ti 
nommé  Eudamidas;  et  de  cet  Eudamidas  vit 
cet  Agis  dont  nous  écrivons  la  vie. 

Pour  Léoûidàs  ^  fils  de  Cléonyme ,  îl  élo 
de  l'autre  maison  royale,  de  celle  des  Agide: 
.  et  il  fut  le  huitième  qui  régna  a  Sparte  aprt 
Pausanias  qui  avoit  vaincu  Mardonius  a  I 
bataille  de  Platée.  Car  Pausanias  eut  un  fi 
appelé  Plistonax;  celui-ci  eut  Pausajuiasll 

{a)  Il  D^yapoiotdeYilledeoeTiom.Lesgéogrflpii 
tiennent  qu'H  faut  lïitA/andurium,  ville  de  la  J 

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Agis  et  cléomènk.  27 S 

qiùy  sVtaDt  enfui  de  Sparte  a  Te'gée ,  eut  pour 
MiccLSseur  son  fils  aîné,  appelé  Agésîpolis.  Ce 
dernier  étant  mort  sans  enfants,  son,fièie 
Cléonibrotns  régna  après  lui.  Ce  Cléombrotiis 
eut  deux  fils ,  Agésîpolis  II  et  Cléomène, 
Agésipolis  ne  régna  pas  long -temps,  et  ne 
laissa  pas  de  postérité.  Son  frère  Cléomène 
régna  ensuite,  et  eut  deux  fils,  Acrotatus  et 
Cléonyme.  Mais  de  son  vivant ,  il  perdit  son 
aîné  Acrotatus,  et  laissa  Cléonyme,  le  plus 
jeune ,  qui  ne  régna  point  ;  la  couronne  pa^^sa 
k  son  neveu  Aréus ,  fils  d' Acrotatus.  Cet 
Aréus  ayant  été  tué  près  de  Corinthe ,  son  fils 
Acrotatus  monta  sur  le  trône;  et  ayant  été 
défait  et  tué  k  ime  bataille  près  de  la  ville 
de  Mégalopolis,  par  Be  tyran  Aristoraède,  il 
laissa  sa  femme  enceinte  j  elle  eut  i^j;^  fils  dont 
ce  léonidas,  fUs  (Je  Cléonyme ,  eut  la  tutelle. 
Cet  enfant  étant  en  bas  Age',,  le  royaume 
tomba  a  ce  tuteur,  dont  les  nuEurs  ne  con\e- 
noient  pas  trop  9^  celles  dç  ses  concitoyens^ 
Car,  quoique  tous  les  Spartiates  fussent  déjk 
abâtardis  et  corrompus  par  la  corruption  ge% 
nérale  où  étoit  tombe  le  gouvernement,  il  y 
avôit  cependant  dans  Léonidas  une  déprava- 
tion plus  marquée  et  un  éloiguenient  plus  sen- 
sible des  mœurs  et  des  usages  de  son  pays , 
comme  dans  un  homme  qui  avoit  fait  un  long 
séjour  daiis  les  palais  des  satrapes,  qui  avoît 
i.     *  'ai 

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27^  AGIS   ET   CLÉOMÈNE. 

fait  plusieurs  années  la  cour  a  Séleucus ,  et 
qui ,  ensuite ,  sans  garder  ni  mesiu^es  ni  bornes, 
avoît  voulu  tr(ïnàportcr  tout  cet  orgueil  et 
tout  ce  faste  dans  les  affaires  des  Grecs  et 
dans  un  gouvernement  juste  et  légiiime. 

Agis,  par  son  hâireux  naturel  et  par  sa 
grandeur  d'âme,  se  montra  bien  supérieur  ^ 
non  seulement  ^  Léonidas,  mais  encore  î 
presque  tous  ceux  qui  avoient  régné  après 
Agésilas-le-Grand.  N'ayant  pas  encore  vingt 
ans  accomplis,  et  quoicju'il  eut  été  élevé  dans 
le  faste  et  dans  les  délices  par  sa  mère  Agé- 
sistratc  et  son  aïeule  Archidamie ,  qiiî  possé- 
doient  plus  de  richesses  que  tous  lés  autres 
Lacédémoniens  ensemble,  il  renonça  d^âbord 
k  toutes  les  voluptés ,  n'eut  plus  aucune  at- 
tention nî  la  moindre  compiàisance*pour  la 
beauté  de  sa  personne,  rejeta  tbutes  les  pa- 
rures et  les  ^ètihs  ornements  ,  dépouilla  et 
fuit  toute  sorte  de  Snperfluîié  et  de  magnifi- 
cence ,  et  fit  gloire  d'aller  vêtu  d'un  simple 
manteau  et  der^chercher  les  repaë ,  îe^  bams 
et  toute  Fanciennemaniîëredè  vivre  de  Sparte, 
et  dit  liauténient,  «  Quil  n'auroit  que  faire 
<(  d'être  roi,  si ,  par  le  moyen  de  la  royauté, 
<^  il  n'espéroît  de  faire  revivre  lesJbis  ,  et  de 
«  rétablir  dans  son  ancienne  vigueur  la  dis- 
n  cipliue  laconique  ». 

Cette  discipline  et  les  affaires  des  Lacéde^ 

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AGIS   £T  CLÊOMÈNE.  27  5 

monîens  avoîent  commencé  k  dégénérer  et  k 
se  corrompre  depuis  le  moment  où ,  après 
avoir  miné  le  gouvernement  d'Athènes,  ils 
eurent  commencé  k  se  remplir  d'or  et  d'ar- 
gent. Cependant  le  partage  des  terres  que 
Lycurgue  avoil  fait ,  et  le  nombre  des  hérî- 
lagcs  qu'il  avoit  établis,  s'étant  conservés  dans 
les  successions ,  cbaque  père  laissant  k  son  fils 
sa  part  telle  qu'il  l'avoit  reçue,  cet  ordre  et 
cette  égalité ,  qui  persévérèrent  sans  aucune 
atteinte,  relevèrent  en  quelque  sorte  la  ville 
de  toutes  les  autres  fautes  qu'elle  avoit  faites 
contre  son  ancien  gouvernement,  et  la  con- 
servèrent encore  entière  K  Mais  un  des  plus 
puissants  citoyens,  nommé  Epitadès,  homme 
fier  et  opiniâtre ,  ayant  été  nommé  éphore , 
et  ayant  eu  un  différent  avec  son  fils,  fit  une 
loi  par  laquelle  il  étoit  permis  k  tout  homme 
de  disposer  de  sa  maison  et  de  son  héritage  * , 
et  de  le  donner  de  son  vivant,  ou  de  le  lais- 
ser par  testament  après  sa  mort,  k  qui  il  vou- 
droit.  Cet  éphore  fit  cette  loi  pour  assouvir 
son  resseniiment  particidier,  et  Jes  autres  ci- 
toyens la  recevant  et  la  confirmant  par  des 
motift  d'intérêt  et  d'avarice ,  renversèrent  la 
plus  belle  de  leurs  institutions.  Car  les  puis- 
sants acquéroient  tous  les  joui*s  sans  garder 
aucunes  bornes ,  en  chassant  les  héritiers  des 
successions  qui  leurappartenoîentj  et  tous  les 

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276  AGIS  ET  CLÉOMÈNE. 

biens  se  trouvant  bient6t  entre  les  mains  d'un 
très-petit  nombre,  la  pauvreté  gagna  et  rem- 
plit toute  la  ville  ;  et  a  la  place  des  arts  hon- 
nêtes et  libéraux  qu'elle  en  chassa ,  elle  y 
introduisît  tous  les  arts  mercenaires  et  méca- 
niques y  et  avec  eux  la  haine  et  l'envie  contre 
cf*ux  qui  retenoient  injustement  ces  posses- 
sions. 

Il  ne  resta  dans  la  ville  qu'environ  sept 
cents  Spartiates  naturels,  et  de  ces  sept  cents 
il  n'y  en  avoit  k-peu-près  que  cent  qui  eussent 
conservé  leurs  héritages.  Tout  le  reste  n'etoît 
qu'une  multitude  accablée  de  pauvreté,  qui 
demeurait  dans  la  ville  sans  y  avoir  le  moin- 
dre degré  d^honneur  ,  soutenant  à  contre- 
cœur et  très-mollement  les  guerres  contre  les 
ennemis  du  dehors,  et  épiant  toujours  l'occa- 
sion de  changer  la  situation  présente  des  af- 
faires, et  de  se  tirer  d'un  état  si  violent.  CVst 
pourquoi  Agis,  persuadé  que  c'étoîtxme  très- 
telle  chose,  comme  ce  l'étoit  en  effet,  de  re- 
peupler la  ville  et  de  la  ramener  k  son  an- 
cienne égalité,  commença  k  sonder  les  senti- 
ments de  ses  concitoyens. 

Il  trouva  d'abord ,  contre  son  attente ,  les 
plus  jeunes  disposés  k  lui  obéir,  et  tout  prê's 
à  embrasser  la  vertu  ,  et  k  quitter  pour  la  H- 
btTto  leur  manière  de  vivre  ,  comme  on 
quitte  un  itiéchant  habit  pouf  un  meiileur- 

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AGIS  Et  CLÉOMÈNE.  ^'J'J 

Mais  les  plus  âges,  déjk  entièrement  pénétres 
par  la  corruptiou  ,  envisagèrent  d'abord 
comme  une  chose  très- redoutable ,  la  réforme 
de  Lycorgue,  et  tremblèrent  an  seid  nom  de 
ce  législateur,  comme  des  escla\es  fugitifs 
que  Ton  ramène  k  leurs  maîtres.  C*est  pour- 

3uoi  ils  blâmoient  extrêmement  Agis,  quand 
déploroit  l'état  présent  des  choses ,  et  que, 
regrettant  Pancienne  dignité  de  Sparte,  il 
chercboit  les  moyens  de  la  rétablir.  II  n'y  eut 

Îue  Lysandre ,  fils  de  Lybis,  Mandroclidas  , 
Is  d'Ëcphanes,  et  Agésilas,  qui  approu- 
vèrent ses  vues,  et  qui  l'excitèrent  fortement 
\  les  suivre  et  k  les  exécuter.  Lysandre  étoit 
éelui  des  Spartiates  qui  a  voit  le  plus  de  ré^ 
putation ,  et  qu'on  honoroit  le  plus;  Mandro- 
clidas étoit  le  plus  propre  k  conduire  des  pra- 
tiques secrètes;  car  sa  ruse  et  son  adresse 
étoient  accompagnées  d'audace  et  de  fermeté; 
et  Agésilas  étoit  oncle  du  roi  et  homme  très- 
éloquent,  d'ailleurs  foible  et  possédé  de  l'a- 
mour des  richesses  ;  mais  il  étoit  excité  et 
aiguillonné  par  son  fils  Hippomedon ,  qui 
s'ëtoit  acquis  beaucoup  de  gloire  dans  plu- 
sieurs guerres  et  dans  plusieurs  combats,  et 
qui  avoit  beaucoup  de  crédit  et  d'autorité  k 
cause  de  l'affection  que  lui  portoit  toute  la 
jeimesse.  Cependant ,  la  véritable  raison  qui 
l'obligea  d'entrer  dans  les  desseins  d'Agis,  ce 

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378  AGIS  ET   CLÉOMÈNB. 

fut  la  quastité  de  dettes  dont  il  étoit  accablé, 
et  dont  il  espéroit  de  se  décharger ,  en  chaD- 
géant  le  gouvernement.  Agis  ne  Peut  ps 
plutôt  gagné  ^  qu'il  travailla  avec  lui  a  gagner 
sa  mère ,  sœur  d' Agésilas ,  laquelle  avoit  beau- 
coup de  pouvoir  dans  la  ville ,  a  cause  du 
grand  nombre  de  ses  esclaves,  de  ses  amis  et 
de  ses  débiteurs,  et  qui  influoit  beaucoup  dans 
les  affaires  les  plus  importantes. 

Dès  qu'Agis  se  fut  ouvert  à  elle  de  son 
dessein ,  elle  en  fut  d'abord  étonnée,  et  vou- 
lut faire  changer  ce  jeune  homme ,  en  lui 
représentant  qu'il  entreprenoît  des  choses  qui 
n'étoient  ni  possibles  ni  utiles.  Mais  Agésiias 
lui  fit  voir  qiie  cette  entreprise  seroit  aussi 
utile  que  belle ,  et  qu'elle  réussiroît  infailli- 
blement ;  et  le  roi,  étant  revenu  a  la  charge, 
la  conjura  de  vouloir  sacrifier  son  or  et  son 
argent  k  l'honneur  et  a  la  gloire  de  son  fils. 
Il  lui  représenta  :  «  Que  par  ses  richesses,  il 
«  ne  pourroit  jamais  s'égaler  aux  autres  rois, 
«  puisque  même  les  domestiques  des  satrapes 
«  et  les  esclaves  des  tuteurs  de  Ptcdémée  et 
«  de  Séleucus,  possédoient  plus  de  biedsque 
K  n'en  a  voient  jamais  possédés  tous  les  rois 
«  de  Sparte  ensemble  *  ;  au  lieu  que  s;i ,  par 
«  la  tempérance ,  par  ime  vie  simple  et  fira- 
«  gale ,  et  par  la  magnanimité ,  il  pouvoit 
c(  effacer  le  luxe  de  tous  ces  rois,  et  rétablii 

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AGIS  ET  CLÊOMÈNE.  279 

K  panni  ses  concitoyens  réalité  et  la  com- 
u  munauté  des  biens ,  comme  elles  étoient  du 
«  terops  de  Lycurgne,  il  acquerroit  yérita- 
cf  blement  la  réputation  et  la  gloire  d^un  très- 
«  grand  roi  ». 

Alors  la  reine  et  toutes  les  femmes  qui  lui 
étoient  attachées  y  animées  et  excitées  par  la 
nobleambition  de  ce  jeune  prince ,  changèrent 
tout  d'un  coup  de  sentiment;  et^  comme  par 
une  inspiration  divine,  elles  furent  tellement 
frappées  de  la  beauté  de  ce  projet  y  qu'elles 
pressèrent  Agis  de  le  mettre  promptement  k 
exécution  y  et  qu'envoyant  chercher  leurs 
amis  y  elles  les  exhortèrent  k  se  joindre  au 
roi.  Elles  parlèrent  même  aux  autres  Lacédé- 
moniennes,  sachant  bien  que  les  Spartiates 
avoîent  de  tout  temps  beaucoup  de  déférence 
pour  leurs  femmes,  et  qu'ils  leur  laissoient 
plus  de  pouvoir  et  d'autorité  dans  les  affaires 
publiques,  qu'ils  n'en  prenoient  eux-mêmes 
dans  leurs  affaires  particulières  et  dans  l'in- 
térieur de  leurs  maisons.  La  plus  grande  partie 
des  richesses  de  Sparte  se  trouvant  alors  entre 
les  mains  des  femmes,  Agis  éprouva  par  Ik  les 
plusgrandesdifficultéspour  son  entreprise, car 
elles  s'y  opposèrent  d'abord,  voyant  bien 
qu'elles  alloient  perdre  non  seulement  leur 
luxe  et  leurs  délices ,  par  le  moyen  de  cette 
vie  rustique  et  grossière  qu'on  vouloit  réta- 

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2i50  AGIS  ET   CLEOMENE. 

blir,  et  k  laquelle  on  donnoit  tant  d'ëloges; 
mais  encore  tous  leurs  honneurs  et  toute  la 
puissance  qu'elles  avoient  k  cause  de  leurs 
richesses;  elles  recoururent  toutes  k  Léonidas, 
et  le  conjurèrent,  puisqu'il  etoit  le  plus  âgé, 
de  retenir  Agis,  et  de  r empêcher  d'exécuter 
son  projet. 

Léonidas  étoit  très -porte'  k  secourir  les 
riches;  mais  comme  ilcraignoit  le  peuple  qui 
souhaitoit  fort  ce  changement ,  il  n'osa  pas 
s'opposer  k  Agis  trop  ouvertement  ;  mais ,  sous 
main  ,  il  chcrchoit  k  le  traverser  et  a  faire 
ëtîhouer  son  dessein.  Il  parloit  enr  secret  aux 
magistrats,  et  caïomnioit  Agis  en  disant  :  «  Qu'il 
«  offroit  aux  pauvres  les  biens  des  riches,  le 
a  partage  des  terres  et  l'abolition  des  dettes, 
«  comme  le  prix  de  la  tyrannie  qu'il  vouloit 
((  usurper;  et  que  par  la  il  cherchoit  k  faire 
«  non  des  citoyenspour  Sparte,  mais  des  sa- 
«  tellites'et  des  gardes  pour  sa  personne. 

Cependant  Agis,  e'tant  venu  k  bout  de 
faire  nommer  éphore  Lysandre ,  porta  d'abord 
au  consçil  une  ordonnance  qu'il  avoit  dressée  ^ 
et  dont  les  principaux  articles  étoient  :  que 
tous  les  débiteurs  seroient  déchargés  de  leurs 
dettes  ;  que ,  de  toutes  les  terres  qui  étoient 
depuis  la  vallée  de  Pellèoe  ^  jusqu'au  inont 
Taygètc,  au  promontoire  de  Mallée  et  k  Sel- 
lasie,  on  en  feroit  quatre  imlle  cinq  cents 


AGIS  ET  CLéOMÈNB.  28 1 

>ls;  cpic  de  celles  qui  étoîent  au-delk  de  ces 
mites,  on  en  feroit  quinze  mille;  que  ces 
ernières  portions  seroient  distribuées  It  ceux 
m  voisinage  qui  étoient  en  état  de  porter  les 
rmes  ;  et  que  celles  (jui  étoîent  aiî*-dedan» 
eroieatpour  les  Spartiatesliaturels,  au  n(Hn- 
ne  desquels  on  compteroit  les  voisins  et  les 
itrangers  qui  auroient  eu  une  éducation  bon- 
lète  et  noble  y  et  qui  se  trouveroient  bien 
informé»  de  leur  personne ,  et  dans  la  fleur 
le  Page  :  qu'ils  seroient  tous  distribuais  eiï 
juinzc  tables ,  appelées  Pbidities ,  dont  la 
noiddre  seroit  de  deux  cents  r ,  et  qu'ils  ob- 
îcrveroîent  la  même  manière  de  vivre  et  la' 
nênae  discipline  que  leurs  ancêtres.  Cette  or- 
jo/inance  ayant  été  écrite ,  et  les  sénateurs 
d'étant  pas  tous  de  l'avis  de  l'accepter  ,  Ly- 
saudre  fit  assembler  le  peuple,  et  parla  avec 
beaucoup  de  force  a  ses  concitoyens,  pendant 
que  de  leur  côté ,  Mandroclidas  et  Agosilas 
les  conjuroient  que ,  pour  complaire  k  un 
petit  nombre  qui  même  les  insultoit  et  les 
fouloit  aux  pieds,  ils  ne  vissent  pas  d'un  œil 
indifférent  la  dignité  de  Sparte  entièrement 
avilie  et  perdue;  mais  qu'ils  se  souvinssent 
des  anciens  oracles   qui  leur   a  voient  été 
rendus  autrefois,  et  qui  tous  leur  ordonnoient 
de  se  donner  de  garde  de  l'amour  des  riches- 
ses, comme  d'une  passion  qui  seroit  certaine^ 

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advt  AGIS  ET  CLÉ09IÈKB. 

ment  pei^nicieiise  a  Sparte,  et  qui  càuseroitsa 
ruine  totale ,  et  encore  de  ceux  qa^ils  avoiait 
tout  récemment  reçus  de  la  déesse  Pasiphaé; 
car  dans  la  ville  de  Thalames,  il  y  avoit  un 
temple  et  un  oracle  de  cette  déesse ,  <juî  étoit 
en  grande  vénération  *.  Quelques-uns  pré- 
tendent que  cette  Pasiphaé  est  une  des  At- 
lantides  ,  fille  de  Jupiter  ,  et  qu'elle  eut 
pour  fils  Ammon  9.  D  autres  assurent  qu'elle 
n'est  autre  que  Cassandre ,  fille  de  Priam  , 
qui  mourut  dans  Thalames  ;  et  que ,  parce 
qu'elle  rendoit  ses  oracles  a  tout  le  monde  y 
elle  fut  appelée  Pasiphaé  »°.  Mais  Phyiar- 
chus  (a)  écrit  que  la  fille  d' Amyclas,  appelée 
Daphné ,  fuyant  les  vives  poursuites,  d'Apol- 
lon, fut  changée  en  laurier,  et  que  ce  Dieu 
l'honora  du  don  de  prophétie.  On  dit  donc 
que  ses  oracles  ordonnoî^nt  aux  Spartiates  de 
revenir  tous  k  l'égalité  prescrite  par  la  loi  que 
Lycurgue  avoit  établie. 

Par-dessus  tout  cela, le  roi  Agis,  sWan- 
çant  au  milieu  de  l'assemblée ,  après  un  dis- 
cours fort  court,  dit  qu^il  alloit  beaucoup  con- 
tribuer pour  sa  part  au  gouvernement  qu'il 
vouloit  établir,  et  qu'il  mettoit  d'abord  en 
commun  tous  ses  biens  qui  étoient  trës-con- 

(rt)  Phylarclius ,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  his- 
tnricjues  et  mythologiques,  ëtoitoontemporaind^Agts. 
Oq  igaore  sa  patrie.  A^L^D. 

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AGIS  ET  CLÉOMÈNB.  283 

. JéraWes ,  et  qui  consistoîent  en  terres  la- 
5  >iirables5  eh  pâturages  et  en  six  cents  talents 
l'argent  (a)  comptant;  que  sa  mère  et  son 
areule  alloient  suivre  son  exejnpie,  aussi  bien 
[^le  tous  ses  parents  et  tous  ses  amis  qui  tous 
etoient  les  plus  riches  des  Spartiates.  Tout  le 
peuple  fiit  e'tonné  de  la  magnanimité  de  ce 
jeune  prince ,  et  en  même  temps  ravi  de  joie 
de  ce  qu'après  trois  cents  ans  on  revoy  oit  enfin 
un  roi  digne  de  Sparte.  Mais  alors  Léonidas, 
levant  le  masque,  s'opposa  h  lui  de  tout  son 
pouvoir;  car  venant  a  penser  qu'il  seroit 
obligé  de  faire  la  même  chose,  et  que  ses  con- 
citoyens ne.  lui  en  auroient  pas  la  même  obli- 
gation, mais  que  tout  le  monde  mettant  éga- 
lement tous  ses  biens  en  commun ,  Phonneur 
en  reviendroit  toujours  a  celui -Ik  seivl  qui 
avoit  donné  l'exemple,  il  demanda  tout  haut 
à  Agis ,  «  s'il  ne  pensoit  pas  que  Lycurgue  fût 
«  un  habile  homme  et  un  homme  de  bien  ». 
Agis  ayant  répondu,  «qu^ille  tenoitjpout 
«  tel  :  Où  avez--vous  donc  vu ,  reprit  jCéo-^ 
<(  nidâfs ,  qi^e  Lycurgue  ait  jamais  ordonné 
«  une  abolition  des  dettes,  ou  qu'il  ait  donné 
«  droit  de  bourgeoisie  aux  étrangers,  lui  qui 
«  étoit  tièspersuadé  que  la  ville  ne  pourroit 
«  être  pure,  si  tous  les  étrangers  n'en  étoient 
((  chassés  »  ?  Agis  lui  rrpondit  :  «  Qu'il  ne 
[a)  Envirou  2,962,963  f.  d^ notre  monnoic.^.Zr.i?. 

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984  ACîS   ET   CL^.f)]VîhNE. 

«  s'étonnoit  point  que  luî  qui  avoît  été  élevé 

4t  dans  les  pays  étrangère ,  et  qui  s'ëtoît  marié 

«  k  la  fille  d'un  satrape  ,  ne  connût  pas  Ly- 

«  curgue ,  et  qu'il  ignorât  qu'en  chassant  de 

«  sa  ville  1  or  et  l'argent,  il  en  ayoit  baoïii 

M  toutes  dettes  actives  et  passives.  Que,  pour 

«  ce  qui  etoit  des  étrangers  qui  venoieot  dans 

«  sa  ville ,  il  n^en  vouloit  qu'a  ceux  qui  ne 

<i  pou  voient  s'accomnvoder  aux  mœurs  et  à  la 

«  discipline  qu'il  établissoit  ;  que  c'étoient  là 

«  les  seuls  qu'il  chassoit ,  non  qu'il  fît  la 

«  guerre  a  leurs  personnes,  mais  c'est  q»ril 

<(  craignoit  leur  manière  de  vivre  ex  la  cor- 

«  ruplion  de  leurs. mœurs;  il.  appre'hendoit 

«  que ,  mêlés  et  confondus  avec  ses  conci- 

<(  toyens ,  ils  ne  leur,  inspirassent  insensiblcJ 

«  ment  l'amour  du  luxe  et  de  la  mollesse, e^ 

«  une  envie  démesurée  de  s'enrichir.  Ignord 

«  t-on  que  Terpandre, Thaïes  et  Phéréçyde'^ 

«  étoient  tous  trois  étrangers?  cependaiit, 

«  parce  que,  daçs  leurs  poëmes  et  dans  leur 

«  philosophie,  ils  débitoient  les  mêmes  maxi- 

«  mes  que  Lycurgue  ,   ils  sont  honorés  à 

¥  Sparte  avec  distinction.  Et  vous-même, 

«  continua -t- il,  vous  louez  extrêmement 

«  Eçprepes  qui ,  étant   éphore  ,  coupa  les 

«  deux  cordes  que  le  musicien  Phrynis  avoil 

,  «  ajoutées  aux  sept  dont  la  lyre  étoit  garnie  '-; 

tt  vous  louez  de  même  ceux  qui  après  lui  firent 

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AGIS  ET   CLBQAIÈNE.  285 

«  la  même  chose  à  Timothée  *  ^  ;  et  cependant 
«  vous  me  blâmez,  moi  qui  veux  bannir  de 
«  Sparte  le  luxe,  les  délices >  la  de'pense  et 
u  toute  vaine  supei*fluité.  Ceux  que  vous  ap- 
«  prouvez  ponr  avoir  coupé  ces  cordes  de  la 
<«  lyre  avoient-îls  donc  un  autre  but  que 
«  (Tempêcher  que  tout  ce  fracas  et  cette  su- 
«  perfluité  de  musique  ne  se  glissassent  dans 
«  une  ville  dont  tous  les  excès  qui  s'étoient 
«  introduits  dans  la  vie  e(  d£|ns.les  mœurs , 
«  avoient  déjk  fuiné  Tbannonie  qui  régnok 
n  aupar4vaut  dans  toutes  ses  parties  »  ? 

Apçès  ce  discours  )  tout  le  peuple  se  déf 
clarapoùr  Agis,,  et  tous-  les  riches  se  rangè.- 
rent  au  côté  de  Léonidas,  en  le  priant  de  ne 
pas  le$  abandonner.  Ils  s'adressèrent  ausslaux 
sénateurs  qui  avoient  sur  cela  le  principal 
pouvoir ,  en  ce  qu'ils  avoient  seuls  le  droit 
d'examiner  lespropositions  avant  qu'ellespufr- 
sent  être  reçues  et  confirmées  par  le  peuple  ; 
et  ils  firent  tant  par  leurs  prières  et  parleurs 
instances,  que  ceux  qui  rejetoient  l'ordon- 
nance d'Agis,  l'emportèrent  enfin  d  une  voix. 
Mais  Lysandre ,  qui  étoit  encore  en  charge  , 
se  mit  aussitôt^  poursuivre  Léonidas  en  vertu 
d'une  ancienne  loi  qui  défendoit  :  «  Qu'au- 
«  cun  descendant  d'Hercule  eut  des  enfants 
«  d'une  femme  étrangère ,  et  qui  ordonnoit 
«  la  peine  de  mort  contre  celui  qui ,  sorti  de 

X.  D,g,t,zedbylj£&^gle 


286  AGIS   ET  CLÊOMÉNÉ. 

«  Sparte,  seroit  allé  s'établir  cliez  lesétran- 
«  gers  ».  Après  avoir  aposté  beaucoup  de 
gens  pour  teilîr  contré  Léonidas  le  raêmelan- 
gage ,  il  se  lùit  avec  les  autres  éphores  a  ob- 
server le  signe  du  ciel.  Et  vôîcî  comment  se 
fait  celte  observation.  Toiis  les  neuf  ans ,  les 
éphores  choisissent  une  nuit  où  le  ciel  est  le 
plus  pur  et  le  plus  serein ,  mais  sans  lune,  se 
tiennent  assis  en  rase  campagne  dans  un  pro- 
fond silence,  les  yeux  attachés  au  ciel  ^el  s'ils 
voient  une  étoile  traverser  dHm  côté  du  ciel 
k  Vautre,  ils  mettent  en  jugement  leurs  rois, 
les  accusent  d^avoir  commis  quelque  faute 
énorme  contre  la  Divinité',  et  les  déposent 

iûsqu'a  ce  qu'il  vienne  de  Delphes  ou  d'O- 
ympie  quelque  oracle  qliî  ordonne  de  lesré- 
tabhr  H.  Lysandre,  cKsant'donc  qu'il  avoii 
observé  ce  signe ,  appela  Léonidas  en  juge- 
ment, et  produisit  dés  témoins  qui  déposoient 
3u'il  avoit  épousé  une  femme  d'Asie  qn'im 
es  lieutenants  de  Seleucus ,  chez  lequel  il 
logeoit ,  lui  avoit  donnée  ;  qu'il  en  avoit  eu 
deux  enfants;  qu'ensuite  étant  devenuodieiu 
et  insupportable  k  cette  femme,  il  étoit  re- 
venu quoi  qu'k  regret  dans  sa  patrie  ;  et 
qu'ayant  trouvé  le  trône  sans  successeur  lé- 
gitime, il  s'en  étoit  emparé.  Ep  même  temps 
il  persuada  k  Cléombrotus  d'intervenir  aî« 
pjrocès,  et  de  demander  la  couronne,  comm* 

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r 
AGIS  ET  CLéoUÈNE.  387 

tant  de  la  race  royale^  et  gendre  de  Léo- 
ildas. 

Léonidas ,  effraye  de  cette  poursuite  dont 
I  craignoit  l'issue  ^  alla  se  réfugier  dans  le 
ample  de  Minerve,  appelée  Chalcioicoa  *^  ; 
ît  la  ferame  de  Cléombrotus ,  quittant  son 
oari  y  alla  solliciter  pour  son  përe  en  se  ren- 
iant suppliante  avec  lui.  Léonidas  fut  donc 
K)înnié  de  se  présenter  ;  et  comme  il  ne  com- 
>anit  point ,  on  lui  ôfa  le  royaume^  et  on  le 
lonna  k  son  gendre  Cléombrotus. 

Cependant  Lysandre  cessa  ses  fonctions  9 
le  temps  de  sa  charge  étant  expiré.  Les  épho- 
res  qui  lui  succédèrent  ^  rétablirent  Léonidas 
jui  s^étoit  jeté  entre  leurs  mains  ,  et  intentè- 
rent un  procès  k  Lysandre  et  k  Mandrocli- 
ias  ,  sur  ce  que  contre  la  loi  ils  avoient  dé- 
cerné l'abolition  des  dettes  et  le  nouveau 
partage  des  terres.  Lysandre  et  Mandroclidas^ 
ie  voyant  donc  en  danger  d'être  condamnés  , 
persuadent  aux  deux  roîs  qu'ils  n'ont  qu'k 
s^jnir ,  k  se  bien  entendre  ensemble ,  et  k  se 
moquer  de  toutes  les  ordonnances  et  de  tous 
les  décrets  des  éphores  :  «  Car ,  disoient-ils^ 
«  toute  la  force  de  ces  magistrats  ne  vient 
«  que  de  la  mésintelligence  des  rois  ,  parce 
u  qu'ils  appuient  par  leurs  suffrages  celui  des 
«  deux  qui  ptopose  le  meilleur  avis,  lorsque 
«  Tautre  le  combat  et  s'oppose  k  ce  qui  est 

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288  AGIS  ET  CLÉOMÈNK. 

«  expédient  et  utile  j  aulieu,  ajoutoîcnt-îls , 
«  que ,  quand  les  deux  rois  sont  d'accord  et 
a  ne  veulent  que  la  même  chose ,  rien  ne 
«  peut  s'opposer  k  leur  volonté  ni  a  leur 
«  puissance;  et  c'est  contrevenir  aux  lois  que 
«  de  leur  résister ,  les  éphores  n'ayant  qiie 
«  le  pouvoir  d'arbitrer  et  de  décider  entre  les 
«  deux  rois  quand  ils  sont  de  différent  avis  j 
«  et  nullement  le  droit  de  s'ingérer  dans  leurs 
«  affaires  quand  ils  sont  d'accord  »  •  Les  deux 
rois ,  persuadés  par  ces  discours ,  se  rendi- 
rent a  l'assemblée,  firent  sortir  les  éphores  de 
leurs  sièges ,  en  établirent  d'autres  en  leur 
place,  du  nombre  desquels  fut  Agésîlas  ;  et 
ayant  fait  prendre  les  armes  a  quantité  de 
jeunos  gens,  et  délivré  les  prisonniers  ,  ils  se 
rendirent  très- redoutables  k  leurs  ennemis, 
qui  crurent  qu'ils  alloient  faire  main- basse 
sur  eux.  Cependant  il  ne  périt  personne  ;  au 
contraîi  e ,  Âgésilas  ayant  voulu  faire  tuer 
Léofiîdas  comme  il  s'enfuyoit  a  Tégée  ,  et 
ayant  envoyé  après  lui  des  gens  pour  exé- 
'  enter  ce  meurtre,  Agis,  qui  en  fut  averti , 
dépêcha  en  même  temps  des  gens-fidèles  qui 
accompagnèrent  Léonîdas ,  et  le  conduisirent 
en  sûreté  jusqii'k  Tégée. 

Leur  entreprise  marchoit  donc  vere  so» 
exécution  sans  aucune  opposition  ni  la  moin- 
dre résistance^  lorsqu'un  seul  homme ^  Agé- 

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IGM  ET  CLÊOMÈNI?.  2?9 

lias ,  renversa  et  mina  tout ,  en  corrompant 
H  plus  belle  de  toutes  les  institutions  et  la 
>Ius  digne  de  Sparte,  par  la  maladie  la  plus 
lonteuse,  par  son  avarice  ;  car  ,  comme,  il 
possédoît  une  des  plus  grandes  et  des  mejl- 
leures  terres  du  pays ,  quMl  devoit  de  grosses 
>oinraes ,  et  qu'il  n'étoit  ni  en  état  de  payer 
ses  dettes ,  ni  en  volonté  d'abandonner  sa 
terre  pour  la  mettre  en  commun  ,  il  persuada 
k  Agis  que  le  changement  seroit  trop  grand  , 
trop  violent  et  même  trop  dangereux,  s'ils 
entreprenoient  de  faire  passer  en  même  temp^ 
l'aboutioQ  des  dettes  et  le  partage  de*  terres  ; 
mais  que,  si  on  commencoît  d'abord  )!  gagner 
les  possesseurs  des  terres  par  l'abolition  des 
dettes  ,  *îls  supporteroîent  ensuite  le  partage 
des  terres  avec  plus  de  douceur  et  de  facilite. 
Cet  expédient  fut  goûté  parLysandré'même  , 
trompé  par  Agésilas.  Prenant  donc  aux  créan- 
ciers tous  leurs  contrats  et  toutes  leurs  obli^ 
gâtions  ,  que  les  Lacédémoniens  appellent 
clana  ,  ils  les  portèrent  a  la  place  publîque  y 
les  assemblèrent  en  un  nfK)nceau  y  et  y  mirent 
le  feu.  Dès  que  la  flamme  s'éleva  en  l'air ,  les 
riches  et  les  banquiers^qui  avoient  prêté  leur 
argent,  s'en  retounièrent  très-désolés;  et 
Agésilas  leur  insultant  encore ,  dît  :  «  Que 
«  de  sa  vie  il  n'a  voit  vu  un  feu  si  beau  ni 
«  de  flamme  plus  claire  >^. 


SgO  AOIS  ET  CLÉOMEME. 

Aussitôt  après  le  peuple  demanda  qu'on 
fit  le  partage  des  terres ,  et  les  rois  ordon- 
noient  que  cela  s'exécutât;  maïs  Agésibs^ 
faisant  toujours  naître  de  nouvelles  difficul- 
tés pour  l'empêcher,  et  alléguant  prétestes 
sur  prétextes ,  gagna  du  temps  ,  jusqu'k  ce 
qu^Agis  fut  obligé  de  partir  h  la  tête  d'une 
armée  ;  car  les  Achéens  ,  alliés  de  Lacédé- 
mone,  leur  avoieut  envoyé  demander  du  se- 
cours contre  les  Etoliens  qui  meiiacoîeDt 
^'entrer  par  les  terres  des  Mégarîens  dans  le 
Péloponèse,  Ara  tus,  général  des  Achéens, 
avoit  déjà  assemblé  des  troupes  pour  s'op- 
poser a  leur  marche ,  et  il  avoit-  écrit  aux 
éphores.  Sur  ses  lettres,  les  éphores  firent| 
partir  Agis  ,  dont  le  courage  étoit  f<Jrt  élevé' 
par  son  ambition  naturelle,  et  encore  par  la 
bonne  volonté  que  ses  troupes  lui  marquoient; 
car  c'étoîent  pour  la  plupart  des  jeunes  gens 
pauvres ,  qui ,  se  voyant  déj^  déchargés  de 
toutes  dettes  et  libres ,  et  espérant  encore 
qu'ils  partageroicnt  les  terres  s  ils  revenoient 
de  cette  expédition,  se  montroient  merveil- 
leusement affectionnés  pour  Agis.  C'étoit  un 
spectacle  admirable  pour  les  villes ,  de  voir 
ces  troupes  traverser  le  Péloponcse ,  sans  faire 
le  moindre  dégât  ni  commettre  le  moindre 
désordre ,  et  sans  que  le  bruit  de  leur  marche 
ifut  presque  entendu.  Les  precs  se  deman- 

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AGIS  ET   CLÊOMÈNE.  29 1 

Soient  cntr'eux  avec  ëtoonemeqt^  miellé  de- 
voit  être  autrefois  la  discipline  de  1  armée  de 
Lacédémoiie ,  quand  elleavoitasa  tête  Agé- 
silas,  Lysandre,  ou  Pancien  Léonidas,  puis- 
que commandée  par  un  général ,  plus  jeune 
que  tous  ceux  de  son  camp,  elle  témotgnoit  , 
pour  lui  tant  de  respect  et  tant  de  crainte  ? 
Aussi  ce  jeune  prince  ne  faisoit  gloire  que  de 
vivre  da^s  une  grande  simplicité  y  d'aimer  le 
travail ,  et  de  n'être  jamais  ni  vêtu  ni  armé 
plus  magnifiquement  (|ue  le  moindre  soldat 
de  son  armée  ;  et  c'est  ce  qui  le  faisoit  admi- 
rer et  aimer  du  peuple;  mais  celte  nouveauté 
qu'il  introduisoit  déplaisoit  infiniment  aux 
riches ,  qui  craiguoient  que  son  exemple  ne 
fût  suivi  par  tous  les  peuples  des  environs. 

Agis  joignit  Aratus  près  de  Corinthe,  pen- 
dant qu'il  dclibéroitdansun  conseil  de  guerre 
s'il  hasarderoit  la  bataille,  et  quelle  disposi- 
tion il  donneroît  k  ses  troupes.  D'abord  Agis 
lui  marqua  beaucoup  de  re'solution  et  de 
bonne  volonté ,  et  fit  paroître  une  audace 
qui  n'étoit  ni  furieuse  ni  téméraire.  Il  lui  dit  : 
«  Qu'il  étoit  d'avis  de  combattre ,  et  de  ne 
a  pas  soufirir  que  la  guerre  forçat  les  porJes 
«  du  Péloponèse,  mais  qu'il  feroit  ce  qu'Ara- 
«  tus  jugeroit  a  propos;  car,  ajouta-t-il,  ou- 
«  tie  la  supériorité  de  l'âge  qu'il  ^a  sur  moi , 
«  il  est  encore  capitaine  général  desAchéens, 

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/ 


292  AGIS  ET   CLÉOMÈNE.  l 

«  et  je  ne  suis  pas  venu  a  la  tête  des  troupes 
«  auxiliaires  pour  les  commander  ,  maïs  seu- 
«  lement  pour  combattre  avec  eux  et  les  sé- 
«  courir  » .  Bâton  de  Sinope  (a)  écrit  pour- 
tant qu^Agis  ne  fut  pas  d'avis  de  combattre , 
quoîqii'Aratns  le  voulût  j  mais  cet  historien 
n'avoit  pas  lu  ce  qu'Aratus  lui-même  avoit 
écrit  sur  cela  pour  sa  justification  ;  car  ce  gé- 
néral dit  que  les  laboureurs  ayaut  déjk  ré- 
cueilli et  serré  tous  les  grains  et  tous  les  fruits 
de  la  terre ,  il  avoit  jiigé  plus  a  propos  de 
laisser  entrer  les  ennemis ,  que  de  hasarder 
une  bal  aille  où  11  s'agissoît  de  tout  '*».  Dès 
qu'Aratns.eut  pris  la  résolution  de  ne  pas 
combattre  ,  îl  congédia  ses  alliés  y  après  les 
avoir  comblés  de  louanges. 

Agis ,  étonné  de  cette  conduite ,  partît 
avec  ses  troupes,  et  reprit  le  chemin  de 
Sparte  où  les  affaires  étoîent  déjb  brouillées, 
et  où  îl  trouva  un  grand  changement.  Car 
Agésilas ,  qui  étoit  éphore ,  se  voyant  déli- 
vré de  la  crainte  qui  le  rendoit  auparavant 
bas  et  timide,  osa  tout,  et  ne  s'abstint  d'au- 
cune injustice  qui  pouvoit  lui  procurer  quel- 
que argent;  car  il  ajouta  k  l'année  un  trei- 
zième mois,  quoique  la  période  ne  le  de- 
mandât point ,  et  que  cela  fut  contre  l'ordre 

(a)  Historieu  qui  avoit  écril  Thisloire  de  PecseJl 
^loîi  plus  jeune  (jti'Aratus, 

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AGIS  ET  CLÉOMÈN8.  SgS 

es  temps,  pour  faire  payer  pour  treize  mois 
îs  impots  qu'on  ne  devoit  que  pour  douze, 
lais  craignant  ensuite  ceux  k  qui  il  a  voit 
lit  un  sî  grand  tort ,  et  se  voyant  haï  de  tout 
î  monde ,  il  prit  et  entretint  des  satellites 
uî  lui  servoient  de  gardes  lorsqu'il  alloît  au 
énat  ;  et  quant  aux  deux  rois  ,  il  témoignoit 
•oiir  l'un  (a)  beaucoup  de  mépris,  et  vouloit 
[u'on  crût  que  rhonueurqu'il  portoit  )i  l'au- 
re  (6)  ,  étoit  un  respect  quHl  rendoit  plutôt 
L  la  parenté  qui  les  unîssoit ,  qu'k  sa  dignité 
le  roî.  Comme  îl  fit  courir  le  bruit  qu'il  seroit 
ïncore  épborç  l'année  suivante ,  ses  ennemis 
e  lignèrent  promptement  ensemble,  et  s'ex- 
)osànt  au  dernier  péril,  pour  éviter  les  maux 
iont  ils  étoient  menacés ,  firent  venir  ouver- 
:ement  Léonidas  de  Têgée,  et  le  rétablirent 
5Ur  le  trône  ,  k  la  grande  satisfaction  du  peu- 
jde  même  ,  qui  étoit  très-irrilé  de  voir  qu'on 
l'avoit  abusé  par  l'espérance  d'un  partage  de 
ferres  qu'on  n'avoit  point  exécuté.  Agésilâs 
iut  son  salut  a  son  fils  Hippomedon,  qui 
étant  bien  vu  de  tout  le  monde  à  cause  de  sa 
valeur  ,  fit  tant  par  ses  prières ,  qu'il  parvint 
^  le  tirer  d  affaires.  Et  quant  a,ux  deux  rois  , 
Agis  se  réfugia  dans  le  temple  de  Minerve , 
appelé  Chalcioicos ,  et  Cléombrotus  alla  se 

{a)  Pour  CUombrotus. 
{b)  A  Agis.         ^      . 

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agi  AGIS  ET  CLÉOMfeî^lî, 

rendre  siippliant  dans  celui  de  Neptune*  Ce- 
toit  surtout  contre  ce  dernier  que  Léoaid» 
paioissoit  le  plus  irrité  ;  car  laissant  pour  le 
inoment  Agis  ,  il  alla  d^abord  à  Cléombrotos 
avec  une  troupe  de  soldats  ;  et  étant  entré 
dans  le  temple,  il  lui  reprocha  d'un  ton  pleia 
de  colère  qu'étant  son  gendre  ,  îï  s'étoitëlcve 
contre  lui ,  lui  avoit  oté  le  royaume ,  et  IV 
"voit  chassé  de  sa  patrie. 

Cléonibrotus  qui  n'a  voit  rien  ^  répondre  a 
ces  reproches,  se  tenoit  assis  dans  un  profond 
silence  et  avec  une  contenance  qui  marquoit 
son  embarras.  Sa  femme  Chélonide ,  fille  de 
Léonidas,  avoit  d'abord  embrassé  le  parti  de 
spn  père  si  injustement  traité  ;  et  après  qae 
son  mari  eut  usurpé  le  trône  j  elle  le  quitta 
sans  balancer,  et  se  rendit  la  compagne  à 
son  père  dans  ses  malheurs,  le  servant  et  ne 
l'abandonnant  point  pendant  qu'il  resta  dao$ 
i^arte ,  et  se  rendant  suppliante  avec  lui  ;  et 
depuis  qu'il  fut  sorti ,  elle  persévéra  dans  son 
df'uil,  toujours  pleine  de  ressentiments  contre 
Cléombrotus.  Mais  alors  changeant  comBie 
la  fortune,  on  la  vit  assise  auprès  de  son  niarit 
suppliante  comme  lui  ,  le  tenant  étroitement 
s,erré  contre  son  sein  ,  et  ayant  ses  deux  en- 
fants k  ses  pieds ,  l'un  d'un  côté ,  l'autre  de 
l'autre.  Tous  ceux  qui  étoîent  présents  fon- 
doient  en  larmes  et  admîroient  la  vertu  et  h 

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AGIS  ET   CLÉOMÈNÈ.  298 

liaritë  de  cette  femme  et  cet  amour  conjugal. 
Ihëlonide  moatraot  ses  habits  de  deuil  et  ses 
lie?eux  épàrs  et  négliges  :  «  Mon  père ,  s*é- 
cria-t-ellc  ,  ces  habits  si  lugubres  ,  ce  vi- 
sage abattu  ,  et  cette  grande  affliction  oti 
vous  me  voyez  ,  ne  viennent  point  de  la 
:  compassion  que  j'ai  pour  Cléombrotus  ;  de 
;  sont  les  restes  et  les  suites  du  deuil  que  j'ai 
:  pris  pour  tous  les  mauiL  qui  vous  sont  arri- 
:  vés ,  et  pour  votre  fuite  de  Sparte.  Que 
[  faut -il  ddiid  que  je  fasse  présentement? 
(  Faut-iil  que  ,  pendant  que  vous  rë^z  k 
(  Sparte ,  tet  que  'vaus  triomphez  de  vos  ert- 
r  nemis^. je  continue  de  vivre  dans  la  dësa- 
(  lotion  on  je  me  trouve?  Ou 'faut-il  que  je 
(  prenne  des  robes  magnifiques  et  royales*  ^ 
i  lorsque  le  rfiari  que  vous  m'avez  donné 
<  dans  ma  jeunesse  y  se  trouye  sur  le  poiilt 
ic  d'être  égorgé  par  vos  propres'mains?  S'il  nte 
(  peut  désarmer  votre  colèr«,:ni  vous  fléchir 
X  par  les  larmes  de  sa  femme  et  de  ses  enfants^ 
K  sachez  qu'il  sera  plus  puni  desmauv«iis  con- 
K  seils  qu'il  a  suivis ,  et  qu'il  souffrira  on  sup- 
K  plîce  plus  cruel  que  celui  que  vous  lui  pre- 
i(  parez,  lorsqu'il  verra  sa  femme  qui  lui  est 
(<  si  chëre ,  tiiourir  avant  lui.  Car,  comment 
«  pourrois-je  vivre,  comment  pourrois^jeme 
«  trouver  avec  les  autres  femmes  de  Sparte  , 
u  moi  qui  n'aurai  pu  par  mes  prières  toucher 

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S9^  AGIS  in:  clkomènb. 

.  «  de  compassion  ni  mon  mari  pour  mon  pen^ 

((  ni  mon  père  pour  mon  mari ,  et  qui ,  ti 

<(  femme  et  fille  y  me  serai  toujours'  vu  %i^ 

«  lemeut  malheureuse ,  et  toujours  un  objtt 

«de  mépiis  pour  les  miens  ?,  Quant  k  mot 

n  mari  y  s'il  a  pu  avoir  quelques  raisons  ap- 

«  parentes  pour  excuser  ce  qu'il  a  fait,  je  les 

«  lui  ai  ravies  en  le  quittant,  en  prenant  vorie 

«  parti  y  et  en  seiTant  presque  de  tëmoio 

iK  contre  lui-même.  El  vous  ^' vous  lui  foiir- 

<(  nissez  des  moyens  bien  plausil>les  de  justi- 

«  fier  sou  injustice  ,  en  faisant  voir  par  voue 

«  conduite  que  la  royauté  est.  un  si  grand 

«  bien  et  un  bien  si  désirable ,  que  y  poir 

«  l'obtenir  y  on  peut  avec  justice  égorger  s(^ 

,  4i  gendres  y  et  sacrifier  tout  le  bonheur  desfs 

«  enfants  ».  En  faisant  cçs  tristes  plaintes, 

.Cbélonide  appuya  son  visage  sur  la  tête  3e 

Cléombrotus:,  et  tourna  sur  les  assistants  da 

yeux  abattus  par  la  tristesse  y  et  dont  les  lâi* 

mes  avoient  terni  \tout  l'éclat. 

Léonidas  ,  après  s'être  entretenu  un  intv- 
ment  avec  ses  amis  y  ordonna  k  Clëombrotiis 
de  se  lever  et  de  sortir  promptemeot  A 
Sparte.  En  même  temps  il  pria  instamment  a 
fille  de  demeurer  et  de  ne  pas  TabandonDer , 
après  la  marque  de  tendresse  qu'il  venoîl  de 
lui  donner,  en  lui  accordant  cette  faveur  in^ 
signe  y  le  salut  de  sou  mari  ^  mais  il  ne  put  la 

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AGIS  IBSt  CjÀOVtkvt.  ^9^ 

îTsnader^  et  dès  que  son  mari  se  fut  lev^^. 
le  lui  remit  un  de  ses  enfants  entre  les  bràs^ 
il  l'autre  «ntre  les  siens  j  tt  aprè^  ftTDir  (kit  ' 
prière  k  la  Déesse  (a),  et  adoré  sonttutel  y 
le  alla  en  éxii  avec  uii^de  sorte  que >  $t 
léombrotuis  n'eût  eu  le  cœur  entièrement 
)rminpu  par  la  Vaine  gloire,  et  par  cette 
mbitioHxiémesuréeder^ner  ^  il  auroittroUVé 
lie  l'exil,  avec  une  compagne  si  vertuetiae^ 
toit  pom:  liii  un  bonheur  préférable  k  la 
>yautèw 

Après  que  Léonidas  eut  chassé  Cléombro*- 
us,  et  déposé  les  premiers  archontes^  et 
|U'il  en  eut  mis  d^antres  en  leur  place,  il  stt 
ait  a  tendre  des  embûches  k  Agis.  Il  tâcha 
l^abord  de  lui  persuader  de  quitter  son  asile 
!t  devenir  régaer  avec  lui ,  et  lui  faisoit  cn-^ 
endre  que  ses  concitoyens  lui  pardonnoient 
ont  le  passé ,  parce  qu'ils  voyo^nt  biea 
|ii'étant  encore  jeime,  ambiiieux  d'honneur 
!t  sans  expérience ,  il  s'étoit  laissé  tromper 
}ar  Agé^las.  Mais  comme  Agis  doutoitde  la 
»'mcérité  de  ses  paroles ,  et  qu'il  s'opiniatroit 
1  demeurer  dans  ce  temple ,  Léonid»  re^ 
lonça  au  dessem  de  l'abuser  par  de  fausses 

(a)  n  me  semble  qu^tl  féci  a^e  U9ÈB9  «t.qu^U 
Faut  mettre  :  «.•pr^axau^MMi^^pnère  au  dieu  »^ 
Platarque  a  difcnkfCîiif  M(ÛlSâN^2tllS  t'étoit  ré; 
fitgië  dut  k  Ulî^^  n^SU^ 


a  98  AGfô  £T  CLÉomENE. 

})romes$es.  Ampharès ,  Démocbarès  et  Arcé- 
silâs ,  qui  avoient  coiitume  de  lui  rendre  soq" 
veut  visite,  lui  continuèreut  leurs  soins,  H 
quelqyefois  ils  le  nienoient  du  temple  jusqu'aoi 
-étuvjes^  et  après  qu'il  s'étoit  baigné  ils  le  rs- 
menoient  en  sûreté  dpns  le  temple;  car  ils 
étoient  tous  trois  ses  amis  particuliers.  11  ar- 
riva un  jour  qu'Ampharès  avoit  empnmié 
d'Agésistrata ,  mère  d'Agis ,  de  riches  tapisse- 
lies  et  de  la  vaisselle  d'argent  très-magnii- 
<jue.  Ces  richesses  lui  firent  naître  Teii^Te 
de  trahir  le  roi  et  le3ieî(te$ ,  ds^m  Pespéraoce 
que  ces  meubles  précieux  lui  demeureroieut. 
L'on  dit  même  que  ce  fut  lui  qui,  plus  que 
les  deux  autres ,  prêta  l'oreille  poujr  ce  des- 
sein aux  suggestion^  de  Léonida&,  et  qui  ex- 
jpita  le  plus  contre  Agis ,  les  éphores,  du 
nombre  desquels  il  étoit*  Ce  prince  rtstà 
ordinairement  daqs  le  temple  ^.m^is  ccMumeS 
sortoit  quelquefois  pour  aller  au  bain ,  ils  ré- 
solurent de  profiter  d'un  de  ces  moments 
poiurlesurforeiidre.  L'ayant  donc  épié  un  jour 
comme  il  s'en  retournoit  après  s'être  baigné* 
ils  allèrent  au-devant  de  lui ,  l'embrassèreiit, 
et  se  mirent  k  l'accompagQer,  en  s'enttete- 
nant  et  en  badinant  avec  lui  comme  avec  oa 
|eun^  h(»nme  y  et  «n  homme  aveo  lequel  ils 
vîvoîent  avec  beaucoup  de  familiarité.  ^^ 
lout  de  la  rue,  il  y  av(Ht  vq  détour  qui  xb^ 

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AGIS  ET  CT.tOMi'NK.  Sgc^ 

Kt  k  !a  prison  ;  quand  ils  furent  k  ce  coin  ^ 

tapharës ,  en  yertn  de  sa  dignité ,  saisit  Agis^ 

:  lui  <lit  :  «  Agis,  je  vous  mène  aux  ëphoresy 

afin  que  vous  leur  rendiez  compte  de  votre 

'conduite  >».  En  même  temps,  Démochar  es  ^ 

li  étoir  grand  et  fort,  lui  jetant  son  manteau 

itour  du  cou ,  se  mit  k  le  traîner  ;  et  les  au- 

es,  comme  ils  enëtoient  convenus, le  pous- 

rent  par  derrière.  Personne  ne  paroissant 

ynv  le  secourir ,  et  la  rue  étant  d^rte ,  ils 

jetèrent  dans  la*prison. 

Lëonidas  arrive  aussitôt  avec  un  grand 

>Tnbrc  de  soldats  étrangers,  et  environne  la 

rison  ;  les  éphoi  es  s'y  rendent  également  et 

3rès  avoir  fait  venir  ceux  des  sénateurs  qui 

loient  dans  les  mêmes  sentiments  qu'eux,  ils 

iterrogèrent  Agis  comme  dans  un  jugemeqt 

iridicjue ,  et  lui  ordonnèrent  de  se  justifier 

ir  ce  qu'il  avoît  voulu  innover  dans  la  ré- 

iblîque.  I^  jeune  roi  ne  fit  que  rire  de  leur 

'ssimulation.  Ampharès,  prenant  la  parole  ^ 

i  dît  :  «  Qu'il  n'étoit  pas  temps  de  rire  , 

qu'il  pleureroit  tout-à-l'heure,  et  qu'il por- 

teroît  la  peine  de  sa, folle  témérité  ».  Vn 

itre  des  éphores,  faisant  semblant  de  le  fa-* 

>rîser,  et  de  lui  ouvrir  une  voie  pour  se  ti- 

;r  de  cette  affaire  criminelle ,  lui  demanda , 

s'il  n'avoît  pas  été  forcp  par  Lysandre  et 

pnr  Agésilas.  //  répondu  :  qu'il  n'a  voit 

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nOO  AGIS  ET  CLEOMENE. 

«  étë  contraint  par  personne  ^  mais  que,  pleio 
«d'admiration  pour  Lycurgue,  et  voulant 
«  Tiiniter,  il  a  voit  entrepris  de  remettre  la 
a  ville  dans  le  même  état  où  ce  législateur 
«  Pavoit  laissée  ».  Le  même  éphorè  lui  de-r 
manda,  «  s'il  ne  se  repentoit  point  de  ce 
«  qu'il  a  voit  fait  ».  Le  jeiine  prince  répondil  : 
n  qu'il  ne  se  repentiroit  jamais  d'une  enlre- 
<c  prise  si  l^elle,  si  noble  et  si  vertueuse, 
«  quand  même  il  verroit  la  mort  devant  les 
«  yeux  ».  Alors  ils  le  conèlimnèrent  k  mort, 
et  sur-le-champ  ik  ordonnèrent  aux  oi&ciers 
ptiblics  de  le  mener  dans  la  chambre  appeléôj 
Décade  *'  y  qui  est  l'endroit  de  la  [A-ison  ouj 
l'on  étrangle  ceux^quî  soi^t  condamnés. 

Démocharès,  voyant  que  ces  officiers  n(U 
soient  mettrelamain  sur  Agis  ,  et  que  lessoUj 
dats  étrangers  se  détournoient ,  et  ne  vou-j 
loient  point  prêter  leur  minis;tère  a  cette  exé^ 
cution  ,  comme  n'étant  ni  pieux  ni  juste  de 
porter  ses  mains  sur  la  personne  du  roi ,  les 
àqcabla  d'injures  et  de  menaces ,  et  traîna 
lui-même  Agis  dans  le  cachot  ;  car  déjà  le 
peuple  avoît  été  informé  qu'il  étoit  pris,  déjà 
pn  s'assembloit  ^devant  les  portes  de  la  pri- 
son où  il  y  avoit  un  grand  tumulte ,  déjà 
'  toute  la  rue  étoit  éclairée  d\in  nombre  infini 
de  flambeaux,  et  l^mëre  d'Agisetson  aïeule 
étoient  accourues  reniplis^ant  tout  de  levrs 

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AGIS  ET  CLÉOMÈNE.  3oi 

i  is  ,  *et  priant  que  le  roi  des  Spartiates  eût 
:U  moins  le'prîvilége  de  se  défendre  et  d'être 
iigé  devant  ses  concitoyens.  Cela  fut  cause 
|u'on  hâta  encore  son  exécution ,  de  peur 
[!i'on  ne  l'enlevât  celte  nuit-là  même  ,  si 
m  donnoit  le  temps  au  penple  de  s'assembler, 
domine  on  le  menoit  au  lieu  où  il  devoit  être 
itranglé,  jl  vit  un  des  exécuteurs  qui  pleu- 
oit  et  qui  étoit  touché  de  son  infortune  ^ 
«  Mon  ami,  lui  dit-il,  cesse  de  me  pleurer  ; 
((  car ,  périssant  ainsi  contre  les  loi^  et  la  jus--> 
«  tice,  je  suis  en  meilleur  état  et  plus  digne  - 
K  d^envie,  que  ceux  qui  m'ont  condamné  »•. 
Eu  finissant  ce  peu  de  paroles ,  il  présenta 
volontairement  son  oou  au  cordon. 

En  même  temps  Araphapès  sortit  a  la  porte 
de  la  prison  ;  et  Agésistrata  ,  s'étaut  d'abord 
jetée  a  ses  genoux  ,  comme  il  avoit  toujours 
^écu  avec  elle  d^ns  une  étroite  liaison  ,  il  ia 
releva  en  lui  disant  :,  «  qu'Agis  n'avoit  a 
((  craindre  aucune  violence  ni  anoun  mauvais 
<(  traitement  » ,  et  qu'elle  étoit  libre  d'entrer, 
si  elle  vouloit,  dans  la  prison  pour  Voir  son 
fils.  ^Ile  demanda  que  sa  mève  put  entrer 
aussi  avec  elle  :  Riea  n'empêche,  dît  Am- 
pbarès  ;  et  les  prenant  l'une  et  l'autre ,  il  les 
introduisit  dans  la  prison;  et  ayant  commandé 
qu'on  fermât  là  porte,  il  livra  d'abord  à 
Vçxéciilçur  Archiaauiiç  j  ffuî  étoit  très  avûa-% 


3o2  AGIS  ET  CLÉOMKNE. 

cée  en  âge  ,  et  qui  avoît  vieilli  parmi  ses  con- 
citoyens avec  autant  ou  plus  de  dignité  ,  de 
réputation  et  d'estime ,  qu'aucune  femme  de 
son  temps.  Quand  elle  eut  été  exécutée,  il 
ordonna  k  Âgésistrata  d'entrer  dans  le  cachot 
En  entrant  elle  vit  d'abord  son  fils  étendt 
mort  par  terre  ,  et  sa  mère  attachée  encore 
au  funeste  cordon.  Elle  aida  elle-même  aui 
exécuteurs  k  la  détacher  ,  et  l'ayant  étendue 
auprès  du  corps  de  son  fils,  elle  l'ensevelit 
et  la  couvrit  d'un  linge;  ce  pieux  office  ren- 
•du,  elle  se  jeta  sur  le  coips  de  son  fils,  et  le 
baisant  tenarement ,  elle  lui  dit  :  «  Mon  fils^ 
«  c'est  l'excès  de  ta  piété,  de  ta  douceur, 
«  de  ton  humanité ,  qui  t'a  perdu,  et  q'û 
<(  nous  a  perdues  avec  toi  ».  Ampharès,  qui 
de  la  porte  entendoit  et  voyoit  tout  ce  qui  se 
disoit  et  tout  ce  qui  se  passoit,  entra ,  et  adres- 
sant la  parole  k  Agésistrata ,  il  lui  dit  avec 
emportement  :  «  puiscfiie  vous  avez  su  et  ap- 
<(  prouvé  les  desseins  de  votre  fils ,  voussouf- 
<(  frirez  aussi  la  çiême  peine  ».  Â  cjes  mots, 
Agésistrata  se  levant  et  courant  au-devaut 
du  fatal  cordon  :  «  Au  moins ,'  dit-elle,  que 
«  ceci  puisse  être  utile  k  Sparte  »  ! 

Dès  que  le  bruit  de  ces  exécutions  se  fut 
r.»pandu  dans  la  ville ,  et  qu'on  vit  emporter 
les  trois  corps,  il  n'y  eut  point  de  crainte  as5?z 
grande  pour  empèclier  les  cî^^einjs  de  témoi- 


AGIS   ET   CLÉOMÈNli.  5o5 

gner  ouvertement  la  douleur  qu'ils  avoient 
de  tout  ce  qu^on  venoit  de  faire ,  et  la  haine 
dont  ils  étoient  remplis  contre  Lëonidas  et 
Ampharès,  bien  persuadés  que,  depuis  que 
les  Doriens  étoient  établis  dans  le  Pélopon- 
nèse ,  on  n'avoit  rien  fait  de  si  atroce  m  de 
si  impie  que  ces  horribles  exécutions.  Car  les 
ennemis  mêmes  dans  les  combats,  venant  k  se 
trouver  devant  les  rois  de  Sparte  ,  ne  met- 
toient  pas  facilement  les  mamssur  eux,. mais 
ils  se  détournoient ,  craignant  et  respectant 
ce  caractère.  Cest  nourquoi,  dans  toutes  lei 
batailles  des  Lacédémoniens  contre  les  Grécs^ 
il  n'y  a  eu  que  le  seul  Cléombrotus  (a),  qui  ^ 
avant  le  règne  de  Philippe ,  fut  tué  d'un  coup 
de  javeline  ,  k  la  bataille  de  Leuctres.  Il  est 
vrai  que  les  Messéniens  disent  que  Théo- 
pompe fut  tué  par  Aristodème  j  mais  les  La-» 
cédémoniens  le  nient  et  assurent  qu'il  ne  ftit 
que  blessé.  Quant  k  cela ,  il  y  a  grand  sujet 
de  doute  et  d'incertitude.  Il  est  toujours  cer-* 
tain  qu'k  Lacédémone  ,  Agis  fut  le  premier 
roi  qui  liiourut  par  l'ordre  dèfii  éjjipres ,  pour- 
avoir  entrepris  des  choses  très-belles  et  trè§-^ 
dignes  de  la  grandeur  de  Sparte,  et  qui  mou- 
rut dans  un  âge  oii  les  hommes  qui  font  dea. 
fautes  trouvent  ordinairement  de  l'indùîgen-*^ 
ce  ,  et  obtiennent  facilement  leur  pardou.  Gê 
(a)  C'e&t  Cléombrotus  premier.  ,d^  L^Ik. 


5o4  AOI8  ET   CLKOMÈNB. 

prince  Inè^le  mérita  plus  les  reproches  deseî^ 
garnis  ,  que  de  ses  ennemis ,  en  ce  qu'il  laissa 
vivre  Léonidas ,  et  qii  jl  se  confia  aux  autres 
magistrats  par  un  effet  de  cette  douceiir  et 
de  cette  bonté  qui  le  distinguoient  paroii  les 
hommes. 

Afifès  la  mort  d'Agis ,  Léonidas  ne  fit  pas 
assez  de  diligence  pour  se  rendre niaitred'Ar* 
chidamus  ,  frère  de  ce  priqce ,  qui  m^it  aussi- 
tôt la  fuite  'y  mais  il  fit  enlever  de  la  maison 
d'Agis  sa  femme  avec  un  enfant  qu'elle  avoit 
#u  de  lui ,  et  la  fit  épouser  par  force  h  son  fik 
Cléomène,  qui  n'étoit  pas  encore  en  âge  d'être 
marie.  D  ne  vouloît  pas  que  cette  veuve  toui- 
))ât  entre  les  mains  d'un  autre  ;  car  Agîatis  ^ 
c'est  ainsi  qu'elle  s'appeloit ,  avoit  hétité  de 
aon  père  Gylippe  detres-grands  tiens  j  d'ail- 
leurs, elle  surpassoit  par  sa  beauté  et  par  ses 
grâces  toutes  les  ^utres  femmes  grecques ,  et 
se  distinguoit  encore  davantage  par  sa  sa- 
gesse et  par  sa  vertu.  C'est  pourquoi  elle  fit 
tout  ce  qu'elle  put  pour  n'èîre  point  forcée  à 
ce  mariage;  elle  pria  et  conjura,  mais  tout 
fut  inutile.  Etant  donc  unie  k  Cléomène,elle 
eut  toujours  une  haine  mortelle  pour  Léo- 
nidas ,  mais  beaucoup  de  bonté ,  de  dou> 
çeur  et  de  complaisance  pour  sou  jeune  mari  ^ 

3  ni,  dès  le  premier  jour  de  leur  union,  Vsâma^ 
perdument,  et  partagepît,  eff  quelque  ^x^^t 


AGIS  ET  CLÉOMÈNE.  SdS 

I  tendre  amitié  qu'elle  conservoit  pour  Agis  y 
t  le  plaisir  qu'elle  prenoit  k  s'en  souvenir, 
cuvent  même  il  lui  faisoit  raconter  tout  ce 
uî  s'ëtoit  passé ,  et  l'écoutoît  avec  beaucoup 
"attention  quand  elle  lui  expliquoit  les  grands 
esseins  et  les  grandes  vues  qu'il  avoit  po%r 
i  gouvernements 

Cléoroène  étoit  ambitieux  d'bonneur  et 
rès-magnanime  ;  il  n'étoit  pas  moins  né  k  la 
erapërance  et  k  la  ^simplicité  qu'Agis  ^  mais 
I  lui  luanquoit  celle  grande  bonté  et  cette 
;rande  douceur  que  ce  prince  avoit  eues,  la 
ature  ayant  mêlé  dans  son  tempérament  un 
iguillon  de  colère  et  une  véhémence  qui  le 
^ussoit  avec  ardeur  k  toUt  ce  qui  lui  parois- 
oit  honnête.  Il  ne  trou  voit  rien  de  si  beau 
[ue  de  commander  k  ses  concitoyens  de  leur 
)on  gré  et  de  leur  propre  consentement  î  mais 
1  trouvcit  beau  aussi  de  les  réduire  malgré 
îux  et  de  le^  forcer  k  embrasser  <se  qui  leur 
îioît  le  meilleur  et  le  plus  utile.  11  étoit  mé- 
content de  voir  dans  Sparte,  tous  les  ci-^ 
toyens  amollis  par  l'oisiveté  et  parles  volup-r 
:és  ;  le  roi  montrer  la  plus  grande  insou-r 
fiance  pour  toutes  les  afiaites  ,  pourvu  que 
personne  ne  l'empêchât  de  vivre  dans  1  a- 
uondance  et  dans  les  délices  ;  l'intérêt  publie 
négligé,  et  chaque  particulier  tâcher  d'attirer 
a  lui  tout  le  profit  |  et  d'enrichir  sa  maison 

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5o6  AGIS  ET  CLÉOMÈNË. 

aux  dépens  de  la  ville  même.  Et  en  effet  si 
on  avoit  voulu  exercer  les  jeunes  gens  et  les 
ibnner  k  la  tempérance ,  k  la  patience  et  à 
l'égalité  ,  il  auroit  été  très -dangereux  seule- 
ment d'en  parler,  car  on  se  rappeloit  la  cause 
de  la  mort  d' Agis.  On  dit  aussi  que  Clporaené 
encore  jeune  avoit  eu  quelque  teinture  de 
philosophie  dans  le  temps  que  Sphérus,  qui 
venoît  des  bords  du  Borysthcne  *  •  ,  passa  \ 
Lacédcmone ,  et  s'appliqua  avec  assez  de  suc- 
cès k  instmire  les  jeunes  garçons  et  les  jeund 
hommes.  Ce  Sphérus  étoît  un  des  prîncîpaujj 
disciples  de  Zénon-le-Citicn  *9.  Il  parott  qu'i 
fut  d'abord  charmé  de  la  vigueur  ,  de  1^ 
force  et  de  la  générosité  qui  éclat  oient  dani 
le  naturel  de  Cléomëne,  et  qu'il  s'en  servii 
pour  allumer  davantages^n  ambition.  On  de 
mandoit  k  Pancien  Léonidas  ce  qu'il  pensoil 
du  poète  Tyrlée  :  «  Il  me  paroît  très-proprt 
«  répondit'il,  k  enflammer  les  âmesdes  jeunes 
(c  gens  ;  car  ses  poésies  les  remplissent  d'un 
a  tel  enthousiasme  et  d'une  telle  fureur,  crue 
«  dans  les  batailles  ils  se  jettent  dans  les  pm 
«  grands  périls  sans  ménager  leur  vie  ».  Là 
philosophie  stoïcienne  a  de  même  pour  les 
grandes  âmes ,  pour  les  âmes  vigoureuses  et 
fortes,  quelque  chose  de  daijgereux,  et  qui 
les  porte  au  dernier  excès  de  la  témérité  *'  ; 
mais  quand  elle  vient  k  se  mêler  avec  un  na- 

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AGIS  ET  CLEOJttÈNE.  So^ 

brel  grave ,  modéré,  donx  et  sage ,  alors  elle 
produit  les  fruits  qui  lui  sont  propres. 
Après  la  luort  de  Léooîdas,  son  fils  Cleo- 
ène  lui  sucèéda  au  trône ,  et  vit  t(»2s  les 
palliâtes  entièrement  relâchés  et  corrompus; 
s  riches  négligeant  les  affaires  publiques  pour 
abandonner  h  leurs  volupté ,  et  pour  rem^ 
ir  leurs  cupidités  insatiables^  et  le  peupks 
:caUé  de  misère ,  ne  se  portant  point  volon- 
ers  k  faire  la  guerre,  et  renonçant  h  Phon* 
hte  ambition  de  bien  élever  ses  enfants.  Il 
it  encore  qu'il  n'a  voit  lui-même  que  le  vain 
tre  de  roi ,  et  que  toute  l'autorité  étoit  entre 
s  mains  des  éphores.  Il  conçut  d'abord  le* 
rojet  de  changer  le  gouvernement.  Il  avoit 
Q  anai ,  nommé  Xénarès,  qui  Tavoit  tendre- 
tent  aimé;  les  Lacédémooiens  appellent  cet 
ttachement  {^72^  inspiration  divine  *^  Il  le 
mda  d'abord  en  lui  demandant  quel  roi  avoit 
té  Agis,  et  de  quelle  manièreet  avec  quelles 
ens  il  s'étoît  jeté  dans  la  route  qu'il  avoit 
livie.  Xénares  prit  d'abord  grand  plaisir  k 
î  ressouvenir  de  toutes  ces  affaires  dont  il 
voit  été  témoin ,  et  k  lui  raconter  en  détail 
omment  elles  s'étoient  passées.  Comme  il  vit 
lléomène  sç  passionner  et  s'enflammer  pour 
îs  changements  qu'Agis  avoit  voulu  faire 
ans  l'état,  et  nepointse  lasser  d'en  enten- 
Ice  le  récit,  il  le  reprit  tout  en  colère  en  It, 

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So8  AGIS  ÈTCLÉOMèNE.. 

traitant  d'homme  peu  sage  ;  et  enfin  il  rom- 
pii  avec  lui  tout  commerce  ,  et  n'alla  plus  le 
voir.  Il  n'expliqua  U  persoàne  le  sujet  de  cette 
ruptui*e,  et  se  contenta  de  dir^que  le  roi  k 
savôit^ 

Xénarès  ayant  aiûsi  repoussé  cette  tenta* 
live  ,  Gléomène  se  douta  bien  qu'il  troute- 
xoit  tous  les  autres  dansles  mêmes  sentîmeois; 
c'est  pourquoi  il  résolut  d'exécuter  son  projet 
par  lui-même  5  et  persuadé  que  la  guerre  se- 
toit  plus  favorable  k  son  dessein  ^  que  la  paa^ 
il  commit  sa  ville  avec  les  Achéeim  ,  qui  heu» 
reusemènt  lui  avoient  donné  quelques  sujets 
de  plainte.  Car  Aratus^qui  avoit  parmi  eut 
la  principale  autorité  ^  avoit  voulu  dès  le 
commeocement  de  son  administration ,  foi^ 
mer  une  ligue  de  tous  les  peuples  duPélopo- 
nèse.  Cétoit  la  le  but  où  il  tendoit  dafl 
jtoutes  ses  guerres  et  dans  toutes  les  vues  pc^ 
litiques  qu'il  avoit  pendantla  paix,  persua<le 
que  cette  ligue  étant  faite,  ils  n'aunneot 
rien  a  craindre  des  ennemis  du  dehors.  Tom 
les  autres  peuples  avoient  déjk  donné  lev 
consentement,  «t  il  ne  restoit  plus  que  h 
Lacédémoniens ,  les  Eléens ,  et  ceux  des  Ar^ 
cadiens  qui  marchoient  sous  la  bannière  à 
Lacédémone.  Aussitôt  après  la  mort  de  Léo* 
nidas ,  Aratùs  se  mit  k  harceler  les  Arca- 
diens^  et  k  (ûre  le  dégât  fturtom  dans  te 

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XGIS  ET  CLÊbMÈNB.  5o$ 

ierres  de  cenxqui  coofinoient  auxAcbëess^ 
roulant  tâter  par  Ik  le  courage  des  Lacédémo* 
lieos,  et  faire  connottre  en  même  temps  qu'il 
aéprîsoit  Cleomène  comme  un  homme  fort 
eune  et  qui  n'avoit  aucune  expërience.  Des 
me  les  épfaores  furent  informes  de  cet  acte 
r  hostilité ,  ils  envoyèrent  Cle'omène  s'em'* 
parer  du  temple  de  Minerve  qui  est  près  de 
avilie  de  Belhine  (a);  car  celieu-la  est  l'eu- 
irée  de  la  Laconie^  et  faisoit  alors  Je  sujet 
Fune  contes;tation  entre  les  I^acëde'moniena 
îi  les  Mégalopolitains.  Cléomène  s'en  étant 
Pendu  maître  et  Payant  fortifié ,  Aratus  n* ea 
it  aucune  plainte ,  mais  il  leva  son  camp  la 
Huit  y  et  s'approcha  de  IVgée  et  d'Orcho-^ 
(aène  (&).  Les  traîtres  q^ii  dévoient  lui  livrer 
les  portes  de  ces  villes  ^  ay^nt  été  retenus  par 
la  crainte  dans  le  moment  qu^ils  dévoient  ei^é-*^ 
cuter  leur  trahison^  Aratus  s'en  retourna  sans 
rien  fairSi)  croyant  que  sa  marche  avoit  été 
bien  cachée.  Mais ,  le  lendemain  ,  Cléomène 
lui  écrivit  comme  k  son  ami ,  et  lui  demanda 
par  ironie  y  «  où  il  meuoit  son  armée  la  nuit 
«  dernière.  Aratus  lui  fit  réponse  y  qu'ayanC 
«  eu  avis  qu'il  alloit  fortifier  Belbine,  il  étoit 
<4  sorti  avec  ses  troupes  pour  l'en  empêcher» 
«  Cléomène  lui  récrivît,  qu'il  étoit  bien  per- 

(a/  Sur  la  froniièrede  TArcadie. 

[by  Vîlks  d'Arcadit.  ^.  L*  D,     . 

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5 10  AOISL^T   CLÉOMÈNBU 

ç(  suadé  de  ce  qu'il  lui  disoit;  mais,  ajouta* 
«  t-il  y  je  vous  prie  de  m'expliquer  ,  si  cela 
«  ne  vous  importe  pas  beaucoup ,  pourquoi 
«  vous  faisiez  suivre  tant  de  flamoeaui  et 
«  taDtd'échdles».  A  cetraitde  plaisanterie^ 
Araîus  se  mit  k  rire ,  et  demauda  ce  que  c'^ 
toit  que  ce  jeuue  homme.  Démocrate  Je  La- 
cëdémooien ,  qui  éCoit  hdcam  de  son  pays,  là 
répondit  :  «  Si  vous  ayez  quelque  chose  keft- 
«  treprendre  contre  iesSpartiates,  il  est  tem|)i 
«  de  vous  hâter  avant  que  les«rgots  nesoietf 
«  Vénus  k  ce  jeune  coq  ». 

Peu  de  temps  après,  Cléomëne  étant  eaafi- 
pé  dans  rArcadie  avec,  très- peu  decavakric 
et  trois  cents  hommes  de  pied ,  les  ëphore», 
tmi  cra^noient  la  (guerre ,  lai  envoyèresc 
1  ordre  de  revenir.  Il  étoit  k  peine  de  letouc 
à  Sparte,  qu'Aratns  s'empara  de  Ja  ville  de 
€aphyes(a).  Les  ^hores  nrent  repartir  Qp(h 
mène  tout  aussitôt^  et  dans  sa  marohe ,  il  pri 
la  place  de  Méthydrie  (6),  d'où  il  fit  <te 
courses  dans  tout  le  pays  d'Argos.  Les  Achéev 
«e  mirent  d'abord  en  campagne,  et  marché- 
xent  contre  lui  avec  vingt  nulle  hommes  (k 

(a)  Ville  d'Arcadie ,  présd^'OrchomènedaPélop^ 
nése ,  qu^tl  ne  faat  pas  confondre  avec  Orchomènede 

Séotie.  A.  L.  D, 

I 

{b)  L'une  des  -villes  dont  la  réunioA  formoitla  cite 
de..M^galopolis.  ^.  J&.  i^. 

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AGIS  ET   CLÉOMÈNB.  3ll 

lied  et  mille  chevaux ,  sous  la  conduite  d'A- 
istomaque.  Cléomène  les  rencontra  près  dfe 
±  ville  de  Piallantium (o),  et  leur  présenta  la 
bataille  ;  mais  Aratus^  effrayé  de  cette  au- 
lace  ^  ne  voulut  pas  que  le  général  hasardât 
è  combat ,  et  se  retira  chargé  d'injures  par 
es  Achéens ,  et  baffoué  et  méprisé  par  les 
Lacëdémoniens  qui  n'étoient  pas  en  tout  cinq 
nille  hommes*  Cette  retraite  enfla  tellement 
le  courage  k  Gléomèn'e ,  qu'il  montroit  plus 
ie  confiance  et  de  hardiesse  auprès  de  ses  con-^ 
c^itoyens ,  et  qu^il  les  faisoit  ressouvenir  d'un 
mot  de  leurs  anciens  rois  ^  qui  disoit  :  «  Que 
^  les  Lacëdémoniens  ne  demandoient  jamais 
«  combien  les  ennemis  étoient ,  mais  oi^ 
«ils  étoient  **  ». 

Quelque  temps  après ,  Cléomène  étant 
allé  au  secours  des  Eléens  k  qui  les  Achéens 
faisotent  la  guerre ,  il  rencontra  près  du  mont 
Lycée  (b)  les  Achéens  qui  revenoient  déjà  de 
leur  expédûion ,  et  tomba  sur  eux  avec  tant 
de  furie,  qu'il  effraya  et  mit  en  dérouté  toute 
leur  armée  9  leur  tua  beaucoup  de  monde,  et 
fit  grand  nombre  de  prisonniers.  Le  bruit 
courut  même  qu'Aratus  y  avoit  été  tué.  Mais 

(à)  Ville  d'Arcadie ,  «jui  lîroit  son  nom  de  Fallas» 
bisaïeul d^Evandre-  ainsi  il  faadroillirePallanteumy 
eomme  dans  Virgile.  Enéide ,  liy.  viij,  Vt  54*  A'LMm 

[b)  Montagne  d'Arcadie.  A.L.V, 

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5  1 2  AGIS   ET  CLÉO^IÈNE. 

ce  bniît  étoît  faux  ;  car,  au  contraire ,  Aratus, 
en  habile  capitaine,  profitant  de  l'occasion  et 
de  sa  déroute  même,  alla  d'abord  se  jeter  sor 
Mantinée  ;  et  avant  que  personne  pût  s'en 
douter,  il  se  rendit  maître  de  la  ville ,  et  y 
mit  garnison. 

Les  Lacedémonîens  alors  découragés ,  et 
résistant  toujours  a  Cléomène  qui  vouloit  les 
mener  k  la  guerre  ,  il  se  mit  en  mesure  de 
faire  venir  de  Messène  le  frère  d'Agîs,  Ardii- 
damus,  qui ,  étant  de  l'autre  maison  royale 
de  Sparte,  avoit  un  droit  incontestable  a  la 
royauté.  Car  il  se  persuadoit  que  Faiitorité 
dos  éphores  seroit  beaucoup  plus  foîble,  quand 
le  trône  de  Sparte  seroit  rempli  par  ses  deux 
rois ,  qui ,  étant  bien  unis ,  pourroîent  la 
contre- balancer.  Mais  ceux  qui  avoîen't  fait 
mourir  Agis ,  ayant  été  informés  de  ce  pro- 

I'et ,  et  craignant  qu'ils  ne  fussent  punis  de 
eur  injustice  si  Archidamus  revenoit ,  allè- 
rent secrètement  l'attendre  k  son  retour, 
l'accompagnèrent  jusque  dans  la  ville ,  et  le 
tuèrent  dès  qu'il  y  fut  arrivé ,  ou  k  l'insu  de 
Cléomène  ,  comme  l'écrit  Phylarcus  ,  ou 
même  de  son  consentement,  que  ses  amis  lui 
arracbèrenl  en  le  forçant  de  leur  abandonner 
ce  prince  qui  leur  étoit  si  suspect.  Car  pres- 
que tout  le  reproche  de  ce  crime  tombk  siir 
pes  amis  qui  parurent  lui  avoir  fait  violence. 

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^OTS  ET    CLÉOMÈKE.  5l3 

C^pendûDt  j  comme  Clëomëne  coDtiuuoit 
toujours  dans  le  dessein  de  changer  Tétat 
de  âparte,  il  persuada  aux  ëpfaores,  b  force 
d'argent,  de  liii  décerner  le  cominandenient 
d'une  armëe.  Il  gagna  encore  plusieurs  autres 
citoyens  par  le  moyen  de  sa  mère  Cratt^sicléa^ 
qui  lui  fournissoit  en  abondance  tout  l'argent 
qui  lui  étoit  nécessaire,  et  qui  étoit  ravie  de 
servir  son  ambition.  Car  on  dit  même  que , 
quoiqu'elle  ne  se  souciât  point  du  tout  de  se 
remarier,  elle  épousa  uniquement  pour  Fa- 
mour  de  lui  le  premier  homme  (a)  de  Sparte 
en  réputation  et  en  crédit.  Cléomène  s'étant 
mis  en  marche  avec  son  armée,  alla  occu- 
per im  poste  appelé' Leuctres  «^ ,  près  de  la 
ville  deMégalopob's*  LesAchéens  accoururent 

f^rompiement  au  secours  de  cette  place,  aoua 
e  commandement  d'Aratus.  Cléomène  don- 
na la  bataille  sous  sesmiurailles,  et  imé  partie 
de  son  armée  y  fut  battue  ;  et  comme  Aratus 
De  permit  pas  aux  Achéens  de  passer  un  ravin 
qui  étoit  trop  profond ,  et  qui  les  empêcha 
de  continuer  leui*  poursuite,  Lysiadas  de 
Mégalopolis ,  mécontent  de  cet  ordre,  se  dé- 
tacha avec  la  cavalerie  qu'il  commandoit  ; 
et  poursuivant  les  ennemis ,  il  s'engagea  im- 
prudemment dans  un  lieu  plein  de  vignes  ^ 
de  fossés  et  de  murs  de  clôture ,  où  a  fui 
(«)  Mëgistonns.  v 

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5l4  AGIS  ET  CLéOM^NX* 

obligé  de  séparer  ses  gens ,  et  encore  ftvoit- 
il  beaucoup  de  peine  li  s'en  tirer.  Ce  que 
-voyant  Clëomène ,  il  envoya  contre  lui  ses 
Tarentin»  et  ses  Cretois.  Lysiadas  combattit 
avec  beaucoup  de  valeur ,  et  fut  tué  k  cette 
charge.  Ce  succès  ralhuna  le  courage  et  Pau- 
dace  des  LacédémoBiens  ;  ils  se  jetèrent  sur 
les  Âchéens  en  poussant  de  grands  cris ,  mi- 
rent toute  leur  armée  en  déroute ,  et  en  firent 
un  grand  carnage.  Cléomène  accorda  udc 
trêve  aux  vaincus  ,  et  leur  rendit  les  corps 
de  ceux  qui  avoient  été  tués  ;  mais  il  fit  en- 
lever celui  de  Lysiadas,  et  ordonna  qu'on  le 
lui  apportât.  Il  le  vêtit  d'une  robe  de  pour- 
pre y  mi  mit  une  couronne  sur  la  tète ,  et 
l'envoya  en  cet  état  jusqu'aux  portes  de  Mé- 
galopoiis.  C'est  ce  même  Lysiadas  qui  avoit 
déposé  volontairement  la  tyrannie ,  rei^ÔM  la 
liberté  k  ses  concitoyens ,  et  uni  sa  vtUe  k  la 
ligue  des  Achéens  *4. 

Depuis  cette  victoire ,  Cléom^  ne  con- 
çut plus  que  de  grands  desseins  ;  et  persuadé 
que  j  s'il  pouvait  di^ser  des  affaires  comme 
il  le  prétendoit ,  il  feroit  plus  &cilement  la 
guerre  aux  Achéens  et  lesvaincriHt  avec  moins 
de  peine ,  il  repi^éseala  k  M égistonus  ^  qui 
étoit  le  mari  de  sa  mère^  qu'il  fatloît  secouer 
le  joug  des  éphores,  remettre  tous  les  biens 
en  commun^  et  par  cette  égalité  relever  la 

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AGIS  ET   CLÉOMfeîïE,  5j5 

grandeur  de  Sparte,  et  redonner  a  leur  vîlle  la 
principauté  de  toute  la  Grèce,  telie  que  Fa- 
voîcnt  eue  leurs  ancêtres.  Megistoous  ayant 
donné  les  mains  k  cette  proposition,  Cléomène 
gagna  encore  deux  ou  trois  oe  ses  amis.Il  arriva, 
dans  ce  même  temps ,  qu'un  des  éphores  , 
couchant  dans  le  temple  de  Pasiphaë ,  eut  \m 
songe  extraordinaire  »^.  Il  hû  sembla  que , 
dans  le  lieu  ou  les  é(Ji0Des  tenorent  l'audien- 
ce, il  n'y  avoit  qu'un  siège,  et  que  les  quatre 
autres  étoient  otés;  et  que,  comme  il  atoit 
étonné  de  ce  changement ,:  ii  entendit  une 
voix  ,  qui ,  venant  du  fond  du  temple ,  lui 
dit ,  «  que  cela  ëtoit  plus  avantageux  pour 
<c  Sparte  ».  L'éphore  rapporta  le  lendemain 
cette  visiou  a  Cléomëne  qui-  en  fut  d'abord 
troublé ,  dans  la  pensée  que  l'épbore  ,  sur 
qiielqiie  soupçon  qu'il  àyei;t  de  son  dessein  y 
venoit  le  sonder  par  ce  songe  fiiit  h  plaisir. 
Mais  un  moment  après ,  voyant  que  Téphore 
l(ii  disoit  la  vérité  ,>  il  se  remit  ^  et  prenant 
avec  lui  tous  ceux  de  ses  concitoyens  qui  lui 
étoient  suspects,  eomme  les  plus  capables  de 
s'opposer  h  son  entreprise  ^  il  s'empara  des 
villes  d'Héréa  et  d'Afôéa)(a),  qui  obéissoient 
aux  Âchéens,  ravitayia  Orchomèse,  et  alla 
établir  son  camp  devaot  Mantinée^  oà  Ara-- 
tus  avOit  laissé  une  garnison»  Enfin,  il  fatigua 
(ii^  Daa&TiUesd'AraAdie. 

51.  D,g,t,zedbyL.O*gle 


SïS  AGIS  ET  CLÉOMÈNS. 

tellement  les  Lacëdémoniens  par  ses  longues 
marches ,  qu'ils  le  prièrent  de  les  laisser  dans 
FArcadie  prendre  quelque  repos  j  il  y  consen- 
tit,  et ,  avec  ses  soldats  étrangers ,  il  s'en 
retourna  k  Sparte.  £n  chemin  il  communiqua 
son  dessein  k  ceux  qui  tëmoignoient  le  plus 
d'affection  pour  lui.  et  en  qui  il  a  voit  le  plus 
de  confiance  ,  et  s  avança  tout  k  son  aise  j 
pour  nVrriver  qu'au  moment  oiii  les  éphores 
seroient  k  table. 

Quand  il  approcha  de  la  ville ,  il  envoya 
Euryclidas  k  la  salle  où  soupoient  les  ëphores, 
comme  pour  leur  dire  de  sa  part  quelque» 
nouvelles  du  camp.  Euryclidas  ëtoit  suivi  de 
Théricion ,  de  Phœbis  et  de  deux  autres  jeunes 
hommes  qui  avoient  ëté  ëlevës  avec  Cleo* 
mène,  et  que  l'on  appelle  k  Sparte  Samp-* 
thraciens  ^^  ;  ils  avoient  avec  eux  un  petit 
nombre  de  soldats.   Pendant  qu'Euryclidas 

{mrloit  aux  ëphores,  les  autres  entrent  dans 
a  salie  l'ëpée  k  la  main ,  et  en  frappent  ces 
magistrats.  Agésilas  fut  le  premier  qui  tomba 
«ous  leurs  coups.  Comme  on  le  crut  mort,  il 
profit^  de  cette  erreur,  ramassa  toutes  se& 
forces,  et  se  gHssani  tout  doucement  hors  de 
la  salle,  il  se  coula ,  sans  qu'on  s'en  aperçût^ 
dans  un  petit  temple  consacre  k  la  Peur.' Ce 
temple  ëtoit  CMr<Unairement  ferme,  mais  par 
liasard  il  se  trouva  ouvert  ce  jour^k}  Agé- 

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AGIS  ET  CLÉOMÈNE.  Si/ 

sîlas  s'y  étant  glissé ,  ferma  la  porte  sur  lui. 
Les  quatre  autres  furent  tués ,  et  avec  eux 
plus  de  dix  de  ceux  qui  avoient  pris  les  armes 
pour  les  secourir*  On  épargna  rous  ceux  qui 
se  tinrent  en  repos ,  et  on  n'empêcha  per- 
sonne de  sortir  ae  la  ville.  On  fit  grâce  aussi 
a  Agésilas  qui  sortit  le  lendemain  tle  son  asile. 
Les  Lacédémoniens  avoient  des  chapelles 
consacrées  non  seulement  h  la  Peur,  juais 
aussi  k  la  Mort ,  au  Ris  et  a  toutes  les  autres 
passions.  Ils  honorent  la  Peur,  non  comme 
ces  démons  que  Ton  ahhorre  et  que  l'on  dé-» 
teste  9  ni  comme  la  croyant  nuisible  et  per« 
nicieuse ,  mais  au  contraire ,  persuadés  que. 
la   Peur  est  le  lien  de  toute  bonne  police. 
C'est    pourquoi    les    éphores    entrant    en 
charge  ,  comme  ('écrit  Aristote  ,  (aisoient 
IM-oclamer  'k  son  de  trompe  que  les  citoyens 
eussent  k  &ire  raser  leurs  moustaches ,  et  a 
obéir  aux  lois ,  afin  qu'ils  ne  fussent  pas  ohli* 
gés  d'user  de  sévérité  conti-'eux.  Et  je  pense 
qu'ils  ne  Êusoient  mention  de  la  moustache 
que  pour  faire  entendre  par  Ik  aux  jeunes 
gens  qu'ils  dévoient  s'accoutumer  h  ohf  ir  dans 
les  moindres  choses  et  dans  les  plus  indifie-» 
rentes.  En  effet  il  me  parolt  que  ces  anciens 
honoroient  du  nom  de  valeur  non  Te^iemp-» 
tien  de  crainte  ,  mais  au  contraire  la  crainte 
de  tout  reproche  et  la  peur  de  l'infaniie*  Car 

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3l8  AGIS   ET  CLÊOMÈNSr 

ceux  qui  sont  les  plus  craintifs  et  les  plus  ti- 
mides pour  les  lois  ^  sont  ordinairement  les 
plus  vaillants  et  les  plus  intrépides  contre  les 
ennemis  ;  et  ceux  qui  craignent  le  plus  la 
mauvaise  réputation,  craignent  le  moins  les 
douleurs  ,  les  peines  et  les  blessures.  C^e^t 
pourquoi  celui~lk  a  eu  grande  raison ,  qui 
a  dit  :  «  la  où  est  la  peur ,  la  est  aussi  la 
«honte  »'  ».  Et  c'est  ce  qu'Homère  avoît 
bien  compris ,  quand  il  fait  dire  par  HélèDe 
k  Priam  son  beau -père  :  «  Seigneur,  je  suis 
<(  saisie  de  honte  et  de  crainte  (a)  ».  Et 
quand ,  dans  un  autre  endroit ,  il  dit ,  en 
parlant  des  troupes  grecques:  «  Elles  sui- 
«  voient  leurs  chefs  avec  crainte  ,*  dans 
«  un  profond  silence  (b)  ».  Car,  pour  l'or- 
dinaire ,  on  a  de  la  honte ,  c'est-k-dir e  de  Isr 
réve'rence  pour  ceux  que  l'on  craint.  Voila 
pourquoi ,  près  de  la  salle  oii  mangeoient  les 
ëphores ,  on  avoit  dédié  une  chapelle  k  la 
Peur ,  en  égalant  par  Ik  cette  dignité  k  la 
monarchie  même  *•. 

Dès  le  lendemain ,  Cléomène  fit  publier 
les  noms  de  quatre-vingts  citoyens  qui  dé- 
voient être  bannis.  Il  ôta  de  la  salle  d'au- 
dience tous  les  sièges  des  éphores  ,  excepté 
\m  seul  où  il  devoit  être  assis  pour  rendre  la 

(a)  Iliade,  liv.  iij ,  v.  17a.  y/.  Z.  /). 
(6)  Ibid.  liv.  iv ,  V.  43i.  A.  £.  J>, 

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ÀJQÎS  ET  CLÉOMÈNB.  S)^ 

|mistice;  et  ayant  convoqué  une  as^mblëe  du 

peuple  9  il  y  déduisit  les  raisons  de  ce  qu'il 

â^oit  fait  :  «  Lycurgue  ,  leur  dit-il ,  avoit 

4<  mêlé  les  sénateurs  avec  les  rois ,  et  la  ville 

«  a  été  gouvernée  long -temps  (a)  de  cette 

4C  manière  y  sans  avoir  besoin  d'aucun  autre 

«c  magistrat  ;  dans  la  suite  ,  ks  Lacédémo* 

4(  niens  s'étant  trouvés  engagés  dans  une  lon- 

«  gue  guerre  contre  les  Messéniens,  lesrois^ 

<ic  obligés  d'aller  commander   les  armées , 

«  n'ayant  pas  le  temps  de  rendre  la  justice  lu 

«  leurs  sujets,  firent  choix  de  quelques-uns 

«  de  leurs  amis  qu'ils  laissèrent  en  leur  place  ^ 

«  sous  le  nom  aépliares ,  et  qui  ne  furent 

«  d'abord  que  les  ministres  des  rois  *9  •  mais, 

ce  dans  la  suite ,  ces  magistrats  attirèrent  in- 

«  sensiblement  k  eux  toute  l'autorité  t^et  par 

«  ce  moyen  y  sans  qu'op  y  prit  garde  y  ils  se 

«  firent  une  juridiction  particulière  et  indér- 

«  pendante.  Et  une  marque  sûre  que  .cela 

«  est,  ajouta- 1- il,  c'est  qu'encwe  aùjour- 

«  d'hui ,  quand  les  épbores  mandent  le  roi  ^ 

<c  il  peut  désobéir  h  leur  sommation  une  fois^ 

4K  deux  fois  ;  mais  43'ils  l'appellent  une  troi- 

«  sième  fois,  il  faut  qu'il  marche  et  qu'il  aille 

i<  les  trouver  3«.  Une  autre  preuve  encore  de 

«  cette  vérité ,  c'est  qu'Astéropus,  cpii  fut  le 

«  premier  qui  rendit  les  éphoresysi  in^épcn- 

(a)  CoBl  trente  ftos9Jusc[Q'att  roi  Théopompe. 

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520  AÔIS  IBT  CLÉOM^NS. 

«  dams,  et  qui  augmenta  leur  autorité  et 
«  leur  puissaoce^  ne  fut  éphore  que  piusienn 
<(  siècles  après  l'établisseineut  des  '  rois.  S'ils 
C(  a  voient  usé  de  leur  pouvoir  avec  modéra- 
«  lion  j  il  eut  été  peut-être  plus  avantageux 
«  de  les  supporter  :  mais,  puisqu'ils  ne  se 
«  servoient  de  cette  puissance  qu'ils  a  voient 
«.  usurpée  ,  que  pour  'déîriiire  et  anëanlir 
«  toute  autorité  légitirae  et  reçue  de  tout 
«  temps  dans  leur  pays  ;  pour  chasser  leurs 
«rois,  ou  |>our  les  faire  mourir  même  sans 
«  aucune  forme  de  justice  ;  et  pour  menacer 
«  ceux  qui  désiroient  de  revoir  dans  Sparte 
«  le  plus  beau  et  le  plus  divin  de  tons  les 
a  gouvernements,  cela  n'étoit  nullement  sup- 
«  portable.  S'il  avoit  été  possible  d'extermi- 
«  ner ,  sans  effusion  de  sang,  ces  pestes  qu'on 
H  avoit  introduites  dans  Lacodémone ,  les 
n  délices ,  le  luxe  ,  la  dépense  ,  les  dettes^ 
«  les  usures  et  ces  fléaux  encore  plus  aiiciens, 
a  la  pauvreté  et  l^s  richesses ,  je  me  seroîs 
«  trouvé  le  phis  heureux  de  tous  les  rois,  et 
«  me  serois  regardé  comme  un  médecin  ha- 
it bile ,  qui  auroit  guéri  sa  patrie  sans  en  ve- 
«  nir  aux  remèdes  douloureux.  Présentemenr, 
«  si  la  dernière  nécessité  m'a  forcé  b  verser  le 
«  sang ,  j'ai  pour  ma  justification  l'exemple 
«  de  Lycurgue  même ,  qui  n'étant  ni  roi ,  ni 
«  magistrat  j  mais  siiupU  particulier  qui  ch«r« 
•  ^     •  \ 

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AGIS  £T  CLÉOMlkNB.  Sil 

[(  choit  4  se  faire  mi  s» ,  se  rendit  en  armes 

<  sur  la  place  publique,  et  effraya  tellemeDt 
(  le  roi  Charilaus,  que  ce  prince  chercha  un 
(  asile  au  pied  d'un  autel  ;  mais  y  comme 

<  Cbarilaûs  ëtoit  naturellement  doux  et  ai*- 

<  moit  sa  patrie,  il  se  rangea  bientôt  du  parti 
(  deLycurgue,  et  reçut  le  diangement  qu'il 
i<  vouloit  établir.  Dans  cette  occasion  ,  Ly- 
I  curgue  a  donc  témoigne,  par  sa  conduite  , 
(  qu'il  est  très-difficile  de  changer  le  gou  ver- 
«  nement  d'une  ville ,  sans  le  secours  de  la 
«  force  et  de  la  crainte.  Je  me  suis  servi  de/ 
«'ces moyens  avec  beaucoup  de  modération, 
K  en  me  intentant  de  bannir  ceux  qui  s'op- 
«  posoient  au  salut  de  Lacédémcme ,  et  en 
«  proposant  aux  autres  de  mettre  toutes  les 
«  terres  du  pays  en  commun  ,  d'annuller 
«  toutes  les  dettes ,  et  de  faire  un  choix  et 
«  un  discernement  des  étrangers ,  afin  que 
^<  les  plus  gens  de  bien  devenant  Spartiates, 
u  défendissent  la  ville  par  leurs  armes ,  et 
«  que  nous  n'eussions  plus  la  douleur  de 
u  voir ,  faute  de  défenseurs,  la  Laconie  la 
«  proie  des  Etoliens^et  des  Illyriens  ^ft». 

Cléomène  fut  le  premier  î  mettre  en  com- 
mun ce  qu'il  possédoit.  Son  beau-père  Mé- 
gistonus  en  fit  de  même,  eiisuite  ses  amis  et 
tous  les  autres  citoyens  suivirent  son  exem- 
ple. Toutes  Us  terres  furent  partagées  ;  il 

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522  AGIS  ET  CLÉOMBKE. 

assigna  même  une  portion  k  chaciin  de  cra 
qu'il  avoit  bannis ,  et  promit  qu'il  les  vdffA 
leroit  dès  que  la  tranquillité  seroit  rëtabk 
Après  avoir  complété  le  nombre  des  cilojai 
des  plus  honnêtes  gens  des  pap  circoDvoi* 
sins  ,  il  forma  un  corps  de  quatre  milk 
.hommes  de  pied,  et  leur  enseigna  k  se  serri 
<le  piques  k  dtvtx  mains  au  lieu  de  javelineS) 
,et  k  porter  des  boucliers  avec  des  anses ,  «I 
>non  avec  des  courroies  qui  &'attachoient  avec 
des  boucles  ^^.  Ensuite  il  tourna  tons  sd 
soins  du  côté  de  Téducalion  de  la  jetmesse, 
et  travailla  a  rétablir  la  discipline  appelée 
laconique  y  k  quoi  le  philosophe  Spaèil 
l'aida  beaucoup.  Bientôt  les  exercices  et  !tf 
repas  reprirent  leur  ancien  ordre,  la  plopatf 
des  citoyens  se  pliant  volontairement  k  cem 
façon  de  vivre  sage ,  noble  et  réglée ,  et  le 
reste  qui  étoit  en  petit  nombre  s'y  rangeai 
par  nécessité.  Mais  pour  adoucir  ce  nom  lit 
monarque,  et  pour  1  empêdier  d'efiarouchtf 
ses  concitoyeils ,  il  nomma  son  frère  Eucli^tf 
roi  avec  lui  ;  et  ce  fut  la  première  fois  tf» 
les  Spartiates  eurent  deux  rofô  ensemble  à 
la  même  famille. 

Eu  même  temps ,  se  doutant  bien  que  le! 
Achéens  et  Aratus ,  qui  voyoient  les  afiire 
de  Sparte  encore  mat  assurées ,  k  cause  <Î6 
changements  qu'il  venoit  dç  fiûre^  croiroie:ii 

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AGIS  ET  CLÉOnSNE.  OoS 

idttbitableaient  qu'il  n'oseroit  sortir  de  La- 
édémone,  ni  quitter  sa  ville  dans  l'agitation 
il  Vavoient  mise  tous  ces  grands  mouve- 
lents  y  il  pensa  crue  rien  ne  seroit  plus  hono- 
sible  j  ni  plus  utile ,  que  de  faire  voir  k  ses 
DneiQÎs  la  bonne  disposition  et  la  bonne  vo« 
^nté  de  son  armée.  Se  jetant  donc  dans  les 
erres  de  M^alopolis,  il  y  fit  un  grand  de'- 
ikt  y  et  assembla  un  butin  trè5^<;0Dsidërab]e« 
lyant  surpris  quelques  comédiens ,  qui  vc- 
loient  de  Messëne ,  il  fit  dresser  tm  théâtre 
lans  les  terres  mêmes  de  l'ennemi ,  proposa 
m  prix  de  quarante  mines  (a),  et  passa  une 
oiirnëe  entière  a  voir  ce  spectacle ,  non  qu'il 
ie  souciât  de  ces  jeux  ^  ui  qu'il  y  prit  grand 
plaisir,  mais  il  insultoit  par  la  k  ses  ennemis; 
H  par  ce  trait  de  mépris ,  il  leur  faisoit  voir 
combien  il  se  tenoit  assuré  de  les  vaincre. 
Car  d'ailleurs ,  de  toutes  les  armées  grecques 
et  royales ,  celle-là  étoit  la  seule  qui  n'avoit 
pas  h  sa  suite  des  troupes  de  mimes ,  de  ba- 
teleurs, de  danseuses  et  de  chanteuses.  Son 
camp  étoit  pur  et  net  de  toute  sorte  de  dis- 
solution ,  d'intempérance  ,  de  bouffonnerie  y 
et  d'assemblées  de  débauche  ou  de  plaisir. 
Les  jeunes  gens  passoient  la  plus  grande  par- 
tie de  leur  temps  k  s'exercer ,  et  les  vieillard» 
k  les  former  et  k  les  instruire  ;  et  ils  ne  fai-  ^ 
[a)  Environ  35,556  fr.  de  notre  monnoie.  A»  L,  Dm 

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5:24  AGIS  ET  CLÉOMÈNK. 

soient  consister  leurs  jeux  tt  leurs  divertkse^ 
,  ments ,  quand  ils  étoient  de  loisir,  qu'a  faire 
des  plaisanteries  sages  et  honnêtes ,  et  qu'à 
lancer  les  uns  contre  les  autres  quelques 
traits  agréables ,  vifs  et  piquants.  Et  quant  a 
l'utilité  qu'on  retiroit  de  ces  sortes  de  jeux^ 
nous  l'avons  assez  fait  oounoltre  dans  la  vie 
de  Lycurgue. 

Cléomène  étoit  lui-même  le  maître,  et 
IMnstituteur  de  tous  ses  concitoyens ,  faisant 
"voir  en  tout  une  vie  simple  et  frugale  j  et  qiii 
n'avoit  rien  au-dessus  du  moindre  de  ses 
sujets ,  et  l'exposant  simplement  aux  yeux 
comme  un  exemple  de  sagesse  et  de  tempe- 
lance.  Celte  conduite  l'aida  infiniment  ï 
exécuter  les  grandes  choses  qu'il  fit  en  Grèce; 
car  ceux  que  leui^  affaires  atûroieut  'à  la  cour 
des  autres  rois ,  n'admiroient  pas  tant  leurs 
richesses  et  leur  magnificence  j  qu'ils  déres- 
toient  leurs  manières  hautaines  y  leur  vanité 
et  la  durelé  insupportable  avec  laquelle  ils 
parloieut  k  ceux  qui  les  approchoient.  Au  lieu 
que  ceux  qui  aiioient  k  la  cour  de  Cléomène, 
qui  étoit  roi ,  et  qu'on  appeloit  roi  h  juste 
titre  ,  n'y  voyoient  ni  amei.y)lement,ni  robes 
de  pourpre,  ni  lits  superbes,  ni  voiturfss  somp- 
tueuses ;  ils  n'y  rencontroient  point  une  foule 
d'officiers  ni  d'huissiers  ;  ils  n'y  trouyoient 
point  de  ces  princes  qui  ae  donnant  leui*s 

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AOJB  ET  CLéOMÈNff.  SlS 

kdîences  que  par  billets  ^^ ,  et  qu'on  n*ob- 
pot  encoi-e  que  âîfficîlemeiit  et  avec  peine  ; 
ais  il^trouYoîeot  Clëomène  lui-même  ',  qui , 
îtii  d'une  robe  très-simple,  venott  au-devant 
eiix  ,  les  recevoit  agréablement ,  les  ëcou- 
lit  et  leur  parloit  aussi  long-iemps.  qu'ils  le 
îsiroient ,  et  toujours  d'un  ton  plein  d'hum- 
anité et  de  douceur.  Ges  manières  obli- 
ïantès  lui  gaguoicnt  tellement  les  cœurs  , 
;  lui  concilioient  si  bien  leur  affection  et  leur 
(time ,  qu'ils  s'en  retourôoient ,  disant  et 
rusant  que  Cléomène  étoit  le  seul  digne  des* 
codant  d'Hercule. 

Sa  table  ordinaire  n'ëtoit  que  de  trois  lits  , 
L  sa  frugatitë^  la  reodoit  véritablement  spar- 
ate.  S'il  avoît  k  recevoir  des  ambassadeurs 
a  des  étrangers,  on  ajoutoit  deux  autres  lits, 
t  alors  elle  étoit  servie  par  ses  officiers  un 
eu  plus  splaididement.  Cette  bonne  chère 
e  consistoit  ni  en  r^outs  ni  en  pâtisserie  y 
lats  en  une  plus  grande  quantité  de  viandes^ 
t  en  un  vin  un  peu  meilleur  ;  car  il  reprit 
Il  jour  un  de  ses  amis,  qui ,  traitant  des^ 
Irangers,  leur  servit  le  brbuet  noir  et  le  gâ« 
eau,  comme  on  e|i  servoit  aux  tables  publia 
|ties ,  appelées  phidiiieSj  et  il  lui  dit ,  n  que 
(  dans  ces  occasions ,  et  surtout  avec  des 
i<  étrangers^  il  ne  faUoit  pas  être  si  rigoureu* 
K  sèment  attaché  k  la  di^ipUae  laconique  ». 

A 

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326  AGIS  ET  CLiOMksB. 

Quand  on  avoit  desservi ,  on  apportoit  trae 
ta})le  "a  troi-:  pieds ,  sur  laquelle  il  y  av<Ht  une 
urne  d'airain  remplie  de  viu ,  d^ix  coupes 
qiii  teDoieui  chaeuue  deux  petites  maures  (a), 
et  quelques  tasses  d'argent  que  l'on  présen- 
toit  k  ceux  qiii  vouioient  boire;  car  personne 
fi'y  étoit  forcé.  Il  n'y  avoit  ^  ces  repas  aucun 
divertissement  ni  aucune  musique,  et  on  n'en 
désiroit  point  ^^.  Gléomène  instruisit  agréa- 
blement les  convives ,  et  les  égayoit  par  sa 
conversation  9  soit  en  faisant  des  questions , 
soit  en  racontant  lui-même  dés  histoires  plai- 
santes et  utiles.  Ses  discours  les  plus  graves 
et  tes  plus  sérieux  étoi^at  toujours  mêlés 
d'enjouement;  et  ce  qu'il  y  avoit  de  gracieux 
et  d  agréable ,  n^étoit  jamais  corrompu  pr 
aucun  trait  trop  libre,  ni  par  la  moindre 
dissolution.  La  manière  dont  les  autres  rois 
attiroientk  evn  les  hommes,  eu  les  leurrant 
et  en  les  corrompant  par  Pappàt  des  richesses 
et  des  présents,  lui  paroissoit  grossière  et  in- 
juste ;  au  lieu  que  ce  les  gagner  par  la  dou- 
ceur de  son  commerce  et  par  des  propos  où  la 
grâce  fat  accompagnée  de  franchise  et  de 
bonne  foi ,  cda  hii  paroissoit  la  plus  belle  de 
toutes  les  voies,  et  la  plus  digne  d'un  grand 
roi  ;  il  irouvoit  qu'il  n'y  avoit  d^autre  difle- 
rence  entre  l'ami  et  le  mw'oeaaire ,  sinon  que 
(a)  Trokdemi«6«tiprf. 

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AGIS  Et-    CLisOMÈNE.  5*27 

te  prcfmîer  se  prend  par  les  mœurs  et  par  les 
discours  honnêtes  ^^'ét  l'autre  ne  se  prend  que 
par  Vintërêt. 

Les  Mantinéens  furent  le^  premiers  qui 
l'appelèrent  :  car ,  étant  tombés  la  nuit  sur 
la  garnison  des  Âchéens ,  ils  la  cbassèrent  et 
remirent  leur  place  entre  ses  mains.  Cleo- 
mène,  après  leur  avoir  rendu  leurs  lois  et 
leur  gouvernement ,  partit  le  jour  même ,  et 
alla  h  Tégée.  De  Ik  ,  côtoyant  l'Arcadie,  il 
se  rendit  k  Phères  dans  l'Achaïe,  dans  le 
dessein  de  donner  bataille  aux  Achéens,  ou 
de  décrier  Aratus  comme  un  lâche  qui  avoit 
fui  le  combat ,  et  livré  tout  leur  plat-pays  au 
pillage  ;  car  il  est  bien  vrai  que  l'armée  des 
Achéens  étoît  alors  commandée  par  Hyper- 
batas  :  mais  c^étoit  toujours  Aratus  qui  y  avoit 
la  principale  autorité.  Les  Achéens  s'étant 
mis  en  campagne  avec  toutes  leurs  troupes , 
et  s'étant  campés  dans  1rs  terres  de  Dymes , 
près  du  temple  d'Hécatombœon  5«,Cléomène 
les  y  suivit ,  et  il  parut  avoir  fait  Ik  une 
grande  faute  de  s'être  placé  entre  la  ville  de 
Dymes ,  qiii  étoit  contre  lui ,  et  le  camp  des 
Achéens.  Mais  ,^  en  les  harcelant  et  en  les 
défiant  tous  les  jours  avec  audace,  il  les 
contraignit  enfin  a  en  venir  au  combat  y  où 
il  remporta  sur  eux  une  grande  victoire  ;  car^ 

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SaS  AGIS  ET  CLitoMEKS. 

il  mit  leur  armée  en  fuite ,  leur  tua  beau^oap- 
dc  gens ,  et  fit  grand  nombre  de  prisonniers. 
De  h  il  marcha  contre  Langon  (a)  y  d^où  il 
chassa  la  garnison  d'Achaïe,  et  rendit  la  ville 
aux  Eléens. 

Les  Achéens  se  trouvant  découragés  par 
ces  grandes  pertes,  Aratus,  qui  avoî t  coutume 
d^être  capitaine  général  alternativement  de 
deux  années  l'une ,  refusa  cette  année -la 
celle  charge  y  pria  qu'on  l'en  dispensât  ;  et, 
malgré  les  prières  et  les  instances  de  ses 
concitoyens ,  il  laissa  honteusement  le  timon 
de  l'état ,  et  abandonna  a  un  autre  te  com- 
uiandement ,  dans  le  temps  qu'il  voypit  son 
pays  battu  d'une  tempête  plus  violente  que 
jamais.  Les  Achéens,  réduits  k  cette  eitré- 
mité ,  envoyèrent  des  ambassadeurs  k  Cléo< 
mène,  et  Cléomène  parut  d'abord  leur  impo« 
ser  des  conditions  trop  dures  ;  mais  il  envoya 
lui-même  des  ambassadeurs  de  sa  part  ienr 

Sroposer  de  lui  céder  seulement  le  comman- 
ement  de  la  Grèce  ;  que  ,  pour  le  reste  ,  il 
n'auroit  aucun  différent  avec  eux  ,  et  qu'il 
leur  rendroit  leurs  prisonniers  et  leurs  places. 
Les  Achéens,  très-disposés  a  recevoir  la  paix 

(a)   îl  n'y  a  point  de  ville  de  ce  nom.  Je  croîs 

3118  Platarque  aToit  éctil  Lasioriy  qni  est  «ne  vilk 


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AGIS  BT  CLkOTKhnS.  $2^ 

I  ce»  conâitioDS ,  prièrent  Cléomèrtc  de  se 
endre  k  Lerne  (a) .  où  ils  deyçient  tenir  une 
ËBsemblée  générale ,  pour  conclure  ce  traité  j 
nais  il  arriva  que  Cleomène  s- étant  échauffé  ^ 
in  marchant  avec  trop  de  hâte  y  et  ayant  bu 
ie  Feau  froide  mal ^^- propos,  fut  attaqué 
Pane  violente  hémorrhagie  ,  accompagnée 
3^ une  extinction  de  voix.  C'est  pourquoi  il 
renvoya  aux  Achéens  les  plus  considérables 
de  leurs  prisonufers  ,  remit  l'assemblée  h  un 
autre  temps ,  et  s'en  retoui*na  a  Lacédé-  , 
mone. 

Ce  contre -tiemps  nu'na  entièrement  les 
affaires  de  là  Grèce ,  qui ,  sans  cela  y  alloit 
se  relever  de  l'état  où  elle  étoit  réduite  ,  et 
s^affranchir  de  l'insolence  et  de  l'avarice  des 
Macédoniens.  Car  Aratus,  soit  par  défiance^ 
soit  par  crainte  de  Cléomène ,  soit  enfin  qu'il 
portât  envie  k  ces  grands  succès  qui  lui  étoient 
arrivés  contre  toute  espérance ,  et  qu'il  pen- 
sât q^u'ayant  eu  le  commandement  de  la  Grèce 
pendant  trente*trois  ans ,  il  lui  étoit  honteux 
q4i'un  jeune  homme  vint  comme  s'enter  sur 
lui ,  et  lui  enlever  toute  sa  gloire  et  sa  puis- 
sance ,  et  se  mettre  en  possession  d'une  do« 
mi  nation  qu'il  avoit  acquise ,  augmentée  et 
conservée  pendant  si  long-temps ,  il  lit  tous 
ses  efforts  pour  empêcher  les  Achéens  d'ac- 
(a)  Entre  Argos  et  Mjccoe.  À»  ^»  D- 

N  .  ■      Digitizedby  Google 


SSo  AOIS  ET   CLBOMÊNB. 

cepter  les  conditions  qu'on  leur  proposett. 
Maïs  comme  les  A«héens  n'adhéroient  point 
k  soù.  sentiaient ,  parce  qu'ils  étoient  efifrayés 
de  Faudace  de  CléotneDe ,  et  que  d'ailleurs 
ils  tronvoieat  très- juste  et  très -raisonnable 
le  dessein  des  Lacédémoniens  ,  de  remettre 
le  P<^loponèse  dans  Tëtat  où  il  étoit  ancien- 
neraent ,  il  entreprit  une  action  qui  n^aoroit 
été  ni  convenable  ,  ni  honnête  k  aucun  des 
Grecs ,  qui  étoit  trës-infame  pour  lui ,  et  qui 
répondoit  lual  k  taot  de  grandes  choses  qu'il 
avoit  faites  et  dans  la  paix  et  dans  la  guerre  : 
il  appela  Antigonus  en  Grèce  ,  et  rempHt  le 
Péloponëse  de  Macédoniens ,  lui  qui  les  en 
avoit  chassés  dans  sa  jeunesse ,  et  leur  avoit 
arraché  la  citadelle  de  Corinthe  ;  lui  qui , 
devenu  suspect  k  tous  leurs  rois,  s'étoit  dé- 
claré leur  ennemi,  et  surtout  d'Antigomis, 
dont  il  dit  tant  de  mal  ^  comme  cela  paroit 
par  les  écrits  qu'il  a  laissé».  Dans  ces  écrits , 
il  déclare  lui-même  qu^il  avoit  beaucoup 
souffert,  et  qu'il  s'étoit  exposé  k  de  grands 
dangers  ,  pour  délivrer  Athènes  de  la  garni- 
son des  Macédoniens  ;  et ,  après  cela  ,  il  ap- 
pelle lui-même  ces  Macédoniens  dans  sa 
patrie  y  les  fait  entrer  en  armes  dans  ses 
foyers ,  et  les  introduit  jusque  dans  les  appar- 
tements des  femmes; et  cela  pour  ne  pas  con- 
sentir qu'un  descejidant  d'Hercule  >  un  roi  de 

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AGIS  ET  Cl.é[>MikKE.  '55 1 

&parle^  et  un  roi  qui ,  ayant  troavëlapcrftce 
de  sa  ville  dans  un  grand  désordre ,  conioie 
une  harmonie  entièrement  déréglée  et  cor- 
rompue ,  vouloit  la  rétablir  et  la  ramener  k 
ce  naade  si  sage  da  ton  dorien  y  inventé  par 
Lycurgue  ^7 ,  pour  ne  pas  consentir ,  ois- 
le,  qu'il  fut  appelé  ,  dans  ses  titres,* ca- 
pitaine général  des  Sîcyoniens  et  des  Tric- 
céens  3*.  Pour  fuir  ceux  qui  mangeoient  du 
gros  pain ,  qui  portoient  le  gros  mauteau  de 
SpsHTte  ,  et  ce  qui  lui  paroissoit  encore  plu» 
terrible ,  et  dont  il  faisoit  le  plus  grand  re- 

iirodie  b  Cléomène,  qui  rouloient  retrancher 
es  richesses  et  soulageç  la  pauvreté,  il  suivît 
le  diadème  et  la  pourpre  ;  et  de  peii^de  passer 
pour  obfir  k  Cléomène ,  il  se  jeta  et  jeta  avec 
liii  toute  PAchaïe  aux  pieds  des  Macédo^- 
niens ,  pour  exécuter  les  ordres  de  leut$ 
satrapes.  Il  faisoit  des  sacrifices  k  A  ntigonus: 
sacrées  qu'il  nomma  Antigonéeè  ;  et  la 
têl^îoiironnée  de  fleurs,ilcliflfjtoit  des  hymnes 
en  son  honneur  ,  comme  s^il  eût  été  un  dieu, 
tandis  qu'iln'étoit  iju'un  homme,  et  im,  homme 
dont  le  corps  tomboit  en  pourriture.  Ce  qué| 
nous  disons  ici  ^  n'est  point  pour  accuser 
Âratus  et  pour  invectiver  contre  lui  :  car  en 
plusieurs  choses  il  s'est  moptré  un  grand  per^ 
sonnage  et  très-dîgne  de  la  Grèce;  maïs  nous 
.voulons  seulement  déplorer  la  foibl^ise  de  k 

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SSa  '  AGIS  trt  CLi:oMÈN£. 

nature  humaine,  mii,  dans  les  ^œnrs  mmB 
les  plus  lespectabtes  et  les  plus  excelleotes 
pour  la  vertu^ne  sauroit  former  cette  perfec* 
lion  de  beauté  qui  est  exemple  de  tout  nlâmt 
Les  Achéens  s'^tant. rendus liArgos,  qu'ik 
âvoient  encore  choisi  pour  le  lieu  de  lets 
assemblée  générale ,  et  Cléomène  s'y  était 
rendu  de  Tégée ,  ou  eut  de  grandes  espé- 
j^duces  que  le  traité  de  paix  y  seroit  coDck. 
Mais  Aratus,  qui  étoit  déj^  convenu  des  prin- 
cipaux articles  avec  Anttgonus,  et  qui  crai- 
guoit  que  Cléomène  ue  ruinât  et  ne  renversât 
tout ,  soit  en  gagnaot  le  peuple  par  ses  belles 
parole8>9  soit  eu  employant  la  force ,  luift 
•  dire  :  «  Qu'il  enteiidoit  au'il  entrât  seul  dais 
«  Argos ,  et  que,  pour  la  sûreté  de  sa  pfr- 
.  a  sonne ,  on  Uii  donneroit  trois  cents  otages; 
«  ou ,  s'il  n'^toit  pas  coiitent  de  cette  offre, 
«  qu'il  n'avoit  qu'a  s'aj^rocher  avec  ses troih 
«L  pes  du  jgymnase,  appelé  Cyllarabium  [a\ 
«  qui  étoit  hws  des  portes  de  la  ville;  et  que 
<i  Ik  on  lui  donneroit  audience, et  oo traite» 
.«  ix)it  avec  lui  » .  A  ces  propositions,  Cléomèoe 
s'ébris  ^le  e'étoit  une  ^ande  injustice, (^ 
qu'on  devoit  lui  faire  cette  déclaration  arsnt 
^>on  départ,  et  ne  pas  attendre  qu'il  fut  arrivé 

(a)  U  rappelle  ailleurs  Cyllarabîsj  cVloilualiet 
d*%xercice  à  trois  cents  pas  d'Arsos.  ainai  appelé  di 
CyiUralNiii  liUde  Stheaditf. 

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AGIS    ET   CLÉOMÈNE..  5o5 

aux  portes  <Jc  leur  ville,  pour  lui  signifier, 
qu^on  se  défioit  de  lui,  et  pour  le  reiivoyet: 
sans  rien  conclure.  En  même  temps  il  r'crivit, 
aux  Acbéeus  uiie  longue  lettre  dont  la  plus, 
grande  partie  étoit  une  accusalion  contre. 
Aratus.  De  son  côté,  Aratns  répondit  a  cette 
accusation,  en  l'accablant  d'injures  danslcfc. 
discours  qu'il  fit  au  peuple. 

Cléomène  partit  suV-le-champ,  pour  s'en 
i-etoiirner,  et  en  même  temps  il  envoya  nu 
héraut  aux  Acliéens  leur  de'claror  la  guerre. 
Il  ne  l'envoya  pas  h  Argos ,  maïs  a  iCgion  ^ 
comme  l'écrit  Aratus ,  pour  avoir  le  temps  de 
les  prévenir  et  de  les  surprendre  avant  qu'ils 
eussent  fait  leurs  préparatifs  3 9.  Cette  décla- 
ration excita  de  grands  troubles  dans  tonte 
la  ligue  des  Achéens,  et  la  plupart  dçs  ville» 
songèrent  a  se  révolter  et  'a  se  séparer  ^  parce, 
que  d'un  côté  le  peuple  espéroit  le  partage  des 
terres  et  l'abolition  dés  dettes ,  et  que  de 
l'autre  les  nobles  et  les  puissants  étoient  las 
de  la  domination  d'Aratus;  la  plupart  même 
étoient  irriés  contre  lui,  de  ce  qu'il  avoît 
appelé  les  Macédoniens  dans  le  Péloponèse* 
Ces  circonstances  augmentant  la  confiance  et 
Paudace  de  Cléomène ,  il  se  jeta  dans  l'Achaïe, 
où  d'abord  il  prit  d'emblée  la  ville  de  Pellène  j 
et  en  chassa  la  garnison  des  Achéens^  ensuite 

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53.4  A-GIS  ET  CLÉOMfeNK, 

iVs'empara  de  Phënéé  (a)  et  de  Pentelée.  Les 
Achéens,  craignant  «ne  trahison  qui  se  tra- 
iiïoit  k  Corînthé  et  a  Sicyone ,  fiifent  partir 
d^Argos  leur  cavalerie  et  l'infanterie  étran- 
gère, et  les  envoyèrent  darts  ces  places  pour 
lt*s  garder  5  pendant  qir  eux  de  leur  côté  sMtant 
tfeiis  rendus  a  Argos,  célébix)ient  les  jeux  né- 
méens  avec  beaucoup  de  magnificence.  Alors 
Cléoràëne  espérant ,  avec  raison ,  que ,  s'il 
slirprenoit  la  ville  pendant  qu'elle  étoit  rem- 
plie de  spectateurs  qhi  étoient  accourus  pcMir 
ta  fête,  et  qu'il  Pattaquât  ainsi li  Pimproviste, 
îî  y  jetteroit  un  plus  grand  troublé  et  un  plus 
gi  and  effroi,  s'approcha  la  nuit  de  ses  murailles; 
et  s'étant  emparé  d'abord  du  quartier  appelé 
Aspis ,  qui  est  au  -  dessus  du  théâtre  ,  lieu 
très -fort  d'assiette  et  de  difficile  accès,  il 
^-aya  tellement  tous  les  habitants ,  qu^il  n'y 
eut  pas  un  seul  homme  qui  osât  se  mettre  en 
défense  ;  ils  reçurent  garnison  ,  donnèrent 
vingt  de  leurs  principaux  citoyens  pour  otages, 
firent  im  traité  d'alliance  avec  les  Lacédénao- 
nîcns,  et  abandonnèrent  le  commandement  k 
Cléomène. 

Ce  succès  ne  servit  pas  peu  b  augmenter 
sa  réputation  let  h  accroître  sa  puissance  ,  car 
les  anciens  rois  de  Sparte ,  quelqite*  efibris 
i^a)  ViMo  d^Arcadie.  ^,  L.  B. 

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AGIS  «T  CLéOMENE.  335 

qu^ils  ei\sseDt  faits ,  n'avoîent  jamais  pu  s'as- 
suffçr  de  la  ville  d'Argos.  Pyrrhus  même,  qnî 
étoit  un  très-grand  capitaine ,  après  l'avoir 
prisé  d'assaut,  ne  put  la  conserver,  mais  y 
fut  tué,  et  y^perdit  une  grande'partie  de  s^m 
armée.  C'est  pourquoi  l'on  admiroit  d'autant 
plus  la  diligence  et  le  grand  sens' de  Cleo- 
mène  ;  et  ceux  qui  auparayant  se  moquoient 
de  lui ,  quand  il  se  vantoit  qu'il  iniitoit  Solon 
et  Lycur^ue,  en  abolissant  les  dettes,  et  en 
rencïanttou&lescitoyettségauxen^ienSfétoient 
alors  entièrement  persuadés,  et  àvouoîent  sin- 
cèrement qu'il  étoit  seul  la  cause  de  ce  retour 
de  courage  dan^  les  Spartiates;  car  avant  ce 
jour ,  ils  étoieat  si  abattus  et  si  peu  capables 
de  se  défeadce  eivx-mêmes,  que  les  EtoHens 
étant  entrés  un  jour  en  armes  dans  leur  pays, 
en  emmenèrent  en  une  seule  fois  cinquante 
mille  esclaves.  Sur  quoi  un  des  plus  vîei\x 
Spartiates  dit .«  que  les  ennemis  leur  avoicnt 
((.fait.iin  très-grand  bien,  ien  soulageant  la 
.  «  Laconie  d'une  si  pesante  charge  » .  Et  très- 
peu  4e  temps  .après ,  dès  qu'ils  eurent  seule- 
ment repris  les  anciens  usages  de  leur  patrie, 
et  qu'ils  se  furent  remis  sur  les  voies  de  cette 
ancienne  discipline,  alors,  comme  si  Lycurgive 
eût  été  pre'sent,  et  qu'il  les  eut  gouvernés  en-r 
core ,  ils  donnèrent  des  preuves  d'une  très- 
ijrande  valeur,  d'une  entière  soumiBsion  a 

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33 G  AGIS    ET   CLÉOMIUNE. 

leurs  supérieurs  ,  remirent  Lacédémonc  en 
possession  de  la  princfpaiite  de  la  Grèce,  e: 
recouvrèrent  tout  le  Pélopouèse 

Après  la  prise  d' Argos,  Cléone  et  Phlîonte  (a 
se  rendirent  aussitôt  h  Cléomène.  Âratus,  (jir 
çti3it  U  Coiînthe  où  il  s'occupoit  k  faire  ud€ 
^echei  che  de  ceux  qui  étoient  soupçonnés  de 
favoriser  le  parti  des  Lacédéraoniens ,  n'ent 
pas  plutôt  appris  ces  nouvelles,  qu'il  en  fui 
extrêmement  troublé;  et  voyant  que  la  ville  cf  ' 
Çorinthe'pen choit  du  côté  de  Cléomène  jfi 
que  les  Achéens  vouloient  se  retirer,  il  appeht 
les  habitants  k  un  conseil.  Pendant  qu'ils  s'y 
renSoient ,  il  se  glissa  sans  être  aperçu  jusqu*3 
la  porte  de  la  ville ,  et  lîi ,  montant  siu-  u 
cheval  qu'on  lui  avoit  amené,  il  s'enfuit  ï 
Çicyone.  Ce  fut  alors ,  parmi  les  Coripthiens, 
k  qiïî  feroit  le  plus  de  diligence  pour  arrivei 
le  premier  a  Argos ,  afin  d'annoncer  cette  nou- 
velle h  Cléomène.  Aratus  écrit  lui-même  qiic 
leurs  chevaux  en  crevèrent.  Cléomène  répri- 
manda fort  les  Corinthiens  de  ce  que ,  pou- 
vant arrêter  Aratus ,  ils  l'avoîent  laissé  échap- 
per. Aratus  dit  pourtant  que  Mégistonus  le 
vint  trouver  de  la  part  de  Cléomène ,  pour 
^'engager  a  lui  livrer  la  citadelle  de  Corinthe, 

(a)  Gléoue,  vilU^  #»iiire  Argos  et  Corinlhe.  Phiinnif, 
cJans  la  partie  de  TAçhaïe  connue  sous  le  nom  d'- 
i>ic)roiiie,  entre  Sicyone  et  Cléone,  A.^  L,  Z>. 

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'  AGIS  ET   CLÊOMÈKB.  5J7 

DÛ  il  y  avoit  une  garnison  (FAchéens ,  moyens 
riant  une  forte  somme  d'argent  qu'il  lui  offroit  j 
et  qu*il  fit  réponse,  .«^ue  les  affaires  ne  dé- 
«  pendment  pas  .de  lui ,  mais  qu'il  dépeodoit 
«  lui-même  des  affaires  » .  Yoilk  ce  qu'Âratus 
écrit, 

Cléomène,  étant  parti  d'Argos,  et  ayant 
^agné  les  Epidauriens.,  les  Trézèniens  et  les 
tiermioniensv  alla  h  Corinthe  avec  son  armée  ^ 
sissiégea  la  citâddle  d^où  les  Achéens  refu^ 
ièrent  de  sortir;  et  ayant  envoyé  cLcrchec 
[es  atnis  d'Aratus,  et  ceux  qui  étoient  chargés 
de  ses  affaires,  il  leur  oroonntf  d'avoir  soin 
de  sa  maison  et  de  ses  biens,  et  de  les  lui 
conserver.  £n  même  temps  il  dépêcha  encore 
vers  lui  TrîlumaHe  (a)  le  Messénieu,  pouir 
lui  proposer  de  consentir  au  moins  que  la 
citadelle  de  Corinthe  fût  gardée  par  une  gar- 
nison moitié  d' Achéens,  et  moitié  de  Lacé- 
démouiens ,  et  pour  lui  promettre  a  lui  eu 
particulier  le  double  de  la  pension  qu'il  rece-^ 
voit  d^i  roi  Ptolémée  (b).  Mais  comme  Aratus 
De  voulut  pas  écoutez  cette  proposition ,  qu'au 
contraire  il  envoya  son  fils  a  Antigouus  aveo 
Les  autres  otages ,  et  persuada  aux  Achéens 
d'ordonner,  par  un  décret , jque  la* citadelle  _ 

(a)  Dansla  vied'Aratus;il  esi  nommcf  Tripylus-' 
^.  £.  />. . 

.  D  gtzed  t^i^Ogle 


f$3  AATS  BT  tCLéoi^E. 

•eroit  rembé  entre  :les  .luaîns  d'Antigonos  ^ 
alors  Clëomëne  se  jeta  sur  les  terres  de  Si- 
^  cyonem^il  cavagea^  et  reçut  en  don  tous  les 
biens  aAratus  par. un  décret >des 'Cann- 
thiens.  Sur  oes^nouvelles^  Antigfmiis.se  mit 
en  çampas;neavec  une  grosse  armée,  et  passa 
le  mont  Gerania  (n).  Cléomëne  ne  jugea  pas 
k  propos  de  défendre  .le  passage  de  Flsthme, 
et  crut  qu'il étoit  plu&expédient  de  fortifier, 

Ear  de  Ironnea  tranchéea  et  de  fortes  mucailles» 
îs  pas  des  montagnes  Onièaes^^,  et<de&it« 
des  combats  de  poste,  pour  amuser  plus  long- 
temps les  MUoédoniens,  que. de  hasarder  la 
bataille  contre  des  troapes  exercées  et  très- 
aguerries.  Par  cette  conduite,  il  réduisit  An- 
tigoiiu&k  une  grande  extrémité  ;  car  il  n'avoit 
pas  une  provision  de  vivres  suflisante ,  et  il 
n'étoit  pas  &eiie  de  forcer  ces  passages  que 
Cléomëne  défendoît.  Il  essaya  pourtant  une 
nutt  de  se  couler  dans  le  Péloponëse  par  le 
port  de  Léchée  (6),  mais  il  fut  repoussé  eti 
perdit  Quelques  soldats.  Cet  avantage  éleva 
encore  ic  courage  de  Cléomèôe  et  oeUii  de  ses 
troupes ,  qui ,  enfiées  de  leur  victoire ,  sd 
mirent  k  préparer  leur  souper.  Antigoous, 
désespéré  de  ce  que  la  nécessité,  ne  luilaissoit 
que  les  partis  les  plus  extrêmes  et  de  la  plui 

(a)  Montagne  entre  Mégare  cl  C5orîntlic^ 
(6)  Poit  d«  k  vUi«4a  CoriQ^* 

■      .  DigitizedbyCjOOgle. 


\  A0I5  E 

tcîtfe  et  de  la  pi 


ET  CLÉOMÈNI^.  3% 

difficile  et  de  la  plus  hasardeuse  éxecution  y 
avoit  déjh  réM)lu  de  se  rendre  au  pronaontoîre 
d'Hbérée  ^^ ,  et  de  conduire  de  la  3011  armée  ^ 
par  mer ,  i  Sicyone  ;  jnais  cettç  entreprise 
idemandoît  beaucoup  de  temi^,  et  de  grands 
préparatifs  qui  n'étoient  pas  aisés  a  faire. 

Gomme  il  «toit  dans  cette  perplexité,  il 
arviva  le  âoir  auprès  de  lui  des  amis  d'Aratus^ 
qui  venoicnt  d'Argospar  mer,  pour  Pengager 
kserendre  dans  cette  ville,  dontles  habitant» 
-s'étoieot  révoltés  cc^ntre  Cléomène»  L'auteiu" 
-de  cette  révolte  étoît  Arîstote,  quin'avoit  pas 
^eu  «beaucoup  de  peine  k^persuador  le  peuple 
dé}k  irrité  de  ce  queCHéomène  n'a  voit  pa» 
.«xécuté  PabolitioQ  des  dettes  qu'il  leur  avoit 
-fait. espérer.  Aratus,  prenant  donc  quinze 
cents  soldatS'de  Tannée  d^Antigonus ,  se  ren« 
dit  par  mer  k  Epîdaure;  mais  Aristote  n^at^ 
tendit  pas  son  arrivée,  et  avec  les  seuls  ha- 
bitants d'Argos ,  il  assiégea  la  citadelle ,  H 
.Tim^xène  marcha  h  son.  secours  de  Sicyone 
avec  les  Acheens.  Cléomène,  informé  de  ççs 
nouvelles  vers  la  seconde  veille  de  la  nuit, 
manda  aussitôt  Mégistoaiis;  et  transporté  de- 
col^e ,  il  lui  ordonna  d'aller  sur  Pheure  mçrae 
ii  Argos  soutenir  ses  gens^  oar  c'étoit  lui  qui 
lui  avoit  le  plus  x^ndu  de  la  .fidélité  des 
Argieiis,  et  qui  l'avoît  empêché  de  chasser  de 
la  ville  ceux  ^ui  lui  éloient  suspects.  L'ayant 

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5i&  AGIS  Et  CLÉOMÈNE. 

donc  détaché  siir-le-chanip  avec  deux  mlte^ 
soldats,  il  s'appliqua 'a  observer  les  démarches 
d'Aiitrgonus,  et  k  soutenir  *t  fortiÇer  le  cou- 
rage desCorhïthiens,  en  leur  faisant  entendre 
que  ce  qui  venoit  d'arriver  k  Ar^os  n'etou 
rien  de  considérable,  mais  une  légère  émotion 
causée  par  un  petit  nombre  de  mutins  que 
Fon  réduiroit  sans  peine»  Mais ,  après  que 
Mégistonm,  entré  dans  Argos,  y  eut  été  tué 
en  combattant,  et  que  k  garnison  des  Lacé^ 
démonîens,  fort  pressée,  et  ne  pouvant  pres- 
que pkis  résister ,  lur  eut  envoyé  divers  cour- 
riers, pour  lui  demander. un  prompt  secours; 
alors  craignant  que,  si k^ ennemis  vénoient  a 
se  rendre  maîtres  d'Argos  et  à  lui  fermer  les 
passages ,  ils  ne  pillajssent  la  Laconie  sans  au- 
cun péril,  et  ne  missent  le  siège  devaiit  Sparte 
même,  qu'ils  trouv croient  vide  et  sans  défense, 
il  leva  son  camp ,  et  partit  de  Corintfie.  avec 
toute  son  armée. 

11  ne  se  fut  pas  phitôt  éloignéde  cette  place, 
qu'Antigonus  y  entra,  et  y  mit  une  bonne 
garnison.  Cléomène  ,  s'étant  approché  des 
murailles  d'Argos ,  et  ayant  rassemblé  ses 
troupes  qui  s'étoient  écartées  danà  leur  nàar- 
che,  tâcha  d'escalader  la  place  ;.  mais  n'en 
n'ayant  pu  venir  a  bout,  il  enfonça  les  voûtes 
^ui  étoient  sous  le  lieu  appelé  Âspis ,  entra 
par  ce  moyeu,  et  se  réunit  aux  soldats  de.Ia 

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AGIS  ET  CLÉOMENE.  34 1 

[garnison ,  qui  se  soutenoient  encore  contre  les 
ÂchéeDs.  De  Ib  s'étant  saisi  de  quelques  autres 
ijiiartîers  par  le  moyen  des  échelles ,  il  fit  ba- 
ayer  toutes  les  rues  pas  ses  archers  crétoîs , 
:\m  tiroient  continuellement.  Mais  lorsqu^il 
i^it  Antigonus  descendre  des  coteaux  avec  son 
infanterie  ,  et  ses  gens  de  cheval  se  jeter  en 
Foule  dans  la  ville,  il  désespéra  de  la  pouvoir 
garder  ;  et  rappelant  tous  ses  gens ,  il  se  retira 
le  long  des  murailles,  après  avoir  fait  dans  un 
espace  de  temps  fort  court  de  très -grands 
eicploits,  et  s'être  rendu  maître  de  presque 
tout  le  Péloponèse  en  moins  d'une  campagne. 
Mais  s'il  fit  ces  grandes  conquêtes  en  peu  de 
temps ,  il  les  perdit  en  moins  de  temps  en- 
core; car  de  ses  alliés  qui  étoient  dans  son 
camp,  les  xms  l'abandonnèrent  d'abord,  et 
peu  de  temps  après  les  autres  livrèrent  k  An* 
tigonus  toutes  leurs  places.  ' 

Cléomène,  réduit  b  cette  triste  situation,  con- 
tinuoit  sa  marche ,  lorsqu'il  reçut  le  soir  même 
à  Tégée  des  courriers  de  Lacédémone  qui  lui 
apportèrent  une  nouvelle  b  laquelle  il  ne  fut 
pas  moins  sensible  qu'k  tous  ses  autres  mal- 
heurs; ils  lui  annoncèrent  la  mort  de  sa  femme 
Agiatis,  dont  il  n'avoit  pas  la  force  de  se  tenir 
éloigné  une  campagne  entière  dans  le  temps 
même  de  ses  plus  heureuses  expéditions;  car 
il  faisoit  souvent  des  voyage  b  Sparte  pour  \p 

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345  AGI$.  ET  CLÉOiyièNE. 

.seul  plaisir  de  U  voir,  et  par  suite  de  Taisou 
et  de  Testime  qirtl. avait  pour  elle.  I!  futdow 
vivcaient.touGhé  d^.ceUe  ^perte  ,  comme  a 
peut  le  qroirp  d*uû  .JQuue  homme  qui  vcB<i 

.de  percli:e  une,femoae:li'ès-belle  et  très^a^j 
et  qu'il  aimoU  tendr^meAt.  ,Cep€|nd;tiDt  il  m 
dé$houora  pas  en^cette  occasion  «a  magnaoi- 

^luitéj  et  ue. permit  pas^  ce  dçuil  dlabattt 
Âon  courage;  meôs  copser^ant  le  même  ton  à 
voix ,  la  mèa^  po^t^ire  et  .le  même  vissai 
qu'il  avoit  ^upaçaiir^ut ,  il  doupa  ses  ordres* 
3es  ofiicleifs ,  .et  pp\irv!|it  kla  sûreté  des  Te- 

,géates.  fLe  leodeaiaio^au  -point  du  jour,  il  prit 
]e  :(ïbewm  de  .Spai(te  o^i  il  ïirriv^  de  bonat 

Jbeuce  ;  ,Qt . spires  avoir  dqpué  quelques  mo* 
meats^  $a  douleur  dans^a  maison^.au  |iii!i^i 

.de,^;mère.et  de^fiSrfjufauts.^  U  reprit  jtpssitii 

.le.soin  des  adirés, publiques. 

Ptolémée,  roi  d'jVgypIe^qmluLpramieftot 

Jilofs  du .^seçoufil,  rUû «p vojia  de^a^nder pour 

:  ^tag^SiSa  ipfeîe  €t  sfis  e^fepts.  Cli^omène  fec 
flçspz  Joiîg-tempssa«sosftr  dçckçer  b  sa  met 

içetîke  dcmaude  du  rpî  4'E^pt«.;  îl  alloit  soi»- 

-Teht  chçz  ^Ite  pour  lui ;en; parler,  et.lorwfïi'j 

•étoit  .sijr  Iç  poiqt  d'^n  ouvrir  Ja  bouche,  ï 

iUÎeo  avoit.pasria  force  et  3e.t^i$pit.  Sa  mère, 

voyant  9(Hiembarras^,  entra  dans  quelque 

soupoon  ret^emanda,k  ce<OK  qui  vivoientâvev 

,  lux  dans  kfiusrôroim  femiliari^e' ,.«  soa  i^ 

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AtîIS  ET  CLÉOMÈNK.  5*i3 

e  dpr.îroit  pas  qtielqne  chose  d*cl!e  cpi'ili 
osât  lui  déclarer.  Enfin ,  Clëortiène  s'éliaht 
nhardî ,  et  lui  ayant  explîqtTé  la  chose  comme 
Ile  étoît ,  elle  se  itait  k  rire  de  tonte  sa  force  : 
Quoi,  W  dit-elle,  c'est  donc  Ik  ce  qhé tu 
;  as  souvent  votilu  mé  dire ,  et!  que  tii  n^as' 
;  osé  me  découvrir?  Que  ne  nous  jet i es-tu 
t  proiTîptement  dans  un  vaisseau ,  et  que  ne 
i  m'envoies -tu  sans  différer  pa'rtont  où  t;u 
(  croiras  que  mon  corps  pourra  être  utile  k 
(Sparte,  avant  qiie  la  vieillesse  vienue  le 
i  détruire  et  le  consumer  dans  l'inaction  et 
ï  daïis  la  langueur  )r  ?  Quand  tout  fut  prêt 
K>ur  le  voyagé,  ils  se  rendirent  par  terre  au 
tort  de  Téware  (a) ,  accompagnés  de  toute 
'armée.  Cratésicléa ,  au  moment  de  s'embar- 
|ner,  tita  son  fils  a  part,  et  le  mena  soûl 
lans  le  temple  de  Neptune;  et  Ih,  après  l'a- 
.'oir  embrassé  tendrement ,  le  vidage  baigné 
le  pleurs,  comme  elle  sentit  qu^il  étoit  si  ému 
M  si  attendri,  qu'il  fondoit  aussi  en  larmes, 
5l!e  lui  dît  :  «  Allons ,  ror  de  Lacédémone , 
i(  reprenons  courage,  afin  que,  quand  nous 
h  sortirons  de  ce  temple,  personne  ne  nous 
K  voie  verser  des  larmes,  ni  rien  faire  d'în- 
«  digne  de  Sparte  5  car  cela  seul  est  en  notre  ^ 
«  puissance ,  et  les  événements  dépendent 
«  de  Dieu  » .  Après  a voh'  ainsi  parlé,  elle  ro' 
(a)  Au  bas  de  ta  LâConie. 

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7 

544  AGIS  ET  CLÊOMÈNE. 

prit  un  air  plus  calme ,  s'en  retourna  au  vais' 
seau,  tenant  son  petit-fils  entre  ses  bras,e! 
commanda  au  pilote  de  partir  sans  différer. 
En  arrivant  en  Egypte,  elle  apprit  que  Pu^ 
lémée  recevoit  des  ambassadeurs  ^'Antigo- 
nus,  et  qu'il  écoutoit  ses  propositions;  et 
d'un  autre  côté,  elle  fut  informée  que  sonlilj 
Cléomène,  sollicité  par  les  Achéens  de  con- 
clure avec  eux  un  traité ,  n'osoît ,  k  C2iii« 
d'elle ,  terminer  celte  guerre  sans  le  conseo- 
tement  de  Ptolémée.  Elle  lui  écvivît  «  de  fdi;: 
«  hardiment  et  sans  balancer  tout  ce  qui  l- 
«  paroi troit  utile  et  glorieux  pour  Spaite,tt 
«  de  ne  pas  craindre  toujours  Ptolémée  pî» 
«  la  considération  d'une  vieille  femme  et  duo 
«  enfant  »♦  Telles  étoient  les  dispositions  (i' 
celte  reine  contre  tous  les  accidents  de  " 
fortune. 

Anligonus  s'étant  rendu  maître  de  Teiet'. 
et  avant  saccagé  Manlinée  et  Orcbomtu*  • 
Cléomène,  réduit  h  défendre  la  Laconie  seul . 
affranchit  tous  les  ilotes  qui  furent  eu  état  '- 
donner  cinq  mines  Ça).  De  cette  contributi  - 
il  ramassa  jus(ju'a  cinq  cents  talents  (  h  . 
a.i*ma  a  la  macédonienne  deux  mille  de  i^^ 
ilcies,  pour  les  opposer  aux  corps  desLiv 
caspides  d' Anligonus  ,  et  forma  le  des^»^ 
'    (<: )  Lu  pea  plus  de  444  fr .  ui.  Z.  7>. 

('  )  Environ  3,4%,  i5C  £r.  A.  L,  D*    , 

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AGIS  ET*  CLÉOMÈNE,  .  545. 

l'une  entreprise  très-grapde,  et  à  laquelle) 
aersonne  ne  se  seroit  attendu.  La  ville  de  Mé- 
jçalopolis  élok  alors  très-considérable,  elle  ne 
^ëdoit  k  Sparte  même  ni  en  grandeur^ni  en^ 
puissance  5  elle  ayoît  encore  le  secours  des* 
Achéens,  et  celi# d'Antigonus  campé  dans; 
^n  voisinage,  et  qui  paroissoit  avoir  été  ap-i 
pelc  parles  Achéens,  a  la  sollicitation si^rtout 
des  Mégalopolitains*  Cléomène  se  mit  en  tête: 
de  brusquer  cette  place,  car  c'est  le  terme 
qui  convient  le  mieux  pour  exprimer  im  ex- 
ploit si  rapide  et  si  imprévu.  Il  commanda 
donc  à, ses  troupes  de  prendre  du  pain  pour 
cinq  jours,  et  Jes  mena  d'abord  k  Sellasie , 
comme  pour  aller  faire  le  ravage  dans  le  pays 
d'Argos.  Mais  s'étant  rabattu  tout  d'un  coup 
SUT  les  terres  de  Mégalopolis,  et  ayant  fait 
souper  ses  gens  près  de  Rœtium  {^^ ,  il  marcba 
droit  k  la  ville  par  le  chemin  d'Héliconte  43. 
Quand  il  en  fut  assez  près ,  il  dét  acha  Pantéas, 
h  la  tête  de  deux  compagnies  de  Lacédémo— 
niens,  avec  ordre  de  se  saisir  d'un  endroit  de 
la  muraille  qui  étoit  entre  deux  tours,  et  qu'il 
savoit  être  r endroit  le  moins  gardé;  et  avec 
le  reste  de  son  armée,  iHe  s^uivit  sans  se  hâter. 
Pantéas  ayant  trouvé  sans,  aucune  garde  oi 
défense ,  non  seulement  l'endroit  que  Cleo- 
raène lui  avoit  dit,  mais  encore  toute  la  mu- 
raille qui  étoit  de  ce  coté-la,  il  en  occupa 

X  3a 

•^'  DigitizedbyCjOOgle 


dafoorà  uÀef  partie ,  et  se  mit  k  abattre  Pao^ 
tfe^  et  pafôsr  ail  iil  de  Pépée  toits  I^  garées 
^i^il  renoonCTB' j  de  sorte  queCléomèiieait'iTa 
tf^ec  soxvû¥méey  et  se  trouva  au  milieu  de  la 
ville  aérant  que  les*  Mégalopolitains  fussent 
joeulenient  informes  de  ^s  ^proches.  Le  bruit 
,^'  cette  invasioir  ne  se  r^andit  même  qtie 
fort  tard  dans  hi  fMhy  et  aiors'  les  habitants 
0e  troii'vèrent  si  étonnés ,  cpe  la  plupart,  ra^ 
massant  k  ta  hs^e  ce  qu'ils  avoiem  de  pltts  pi^e- 
çieux,  se  relirèmit  siu*  l'heure.  Les  autres  en 
]^tit  nombre  prirent  les  armes,  et  allèrent  fion* 
dre  sur  l'ennemi  qu'ils'ne  purent  cbasser;  mm 
par  cette  défense,  ils  donnèrent  le  temps  li 
eeux  qui  fujoîent  de  se  mettre  en  sftreté.  H 
ne  resta  fas  plus  de  mrlïe  personnes  d^ns  la 
^ille ,  tous  les  autres  s'étant  retirés  i  Messène 
ayec  leurs  femmes  et  leurs  enfants  avatit  qa'on 
pût  penser  k  les  poursuivre.  La  plupart  luême 
de  ceux  qui  s'étoient  mis  en  défense  et  (pli  com- 
battoient  pour  la  ville ,  se  sauvèrent  anssi ,  el 
il  n'y  en  eut  que  fprt  peu  de  pris,  parmi  les- 
quels se  trouvèrent  Lysandriilaîvet  Théorîdas, 
fes  deux  plus  nobles  et  les  plus  puissants  per- 
sonnages qui  fussent  parmi  les  M&^alopoii- 
tains.  Cest  pourquoi  ceux  oui  les  ave «ént  faît 
prisonniers  les  menèrent  d'abord  k  Cléomèno. 
D'aussi  loin  que  Lysandridas  l'aperçut ,  îi 
lui  çiîa  :  «  Roi  de  Spayle,  vous  arez  aujour- 

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AGI»  ET  Cljéo»|6N]&.  5if 

K  dlmi  une  grande  occasioa  de  votrs  couvrir 
«  degloire,  eo  iaisaoi  une  action  encore  plus 
«  belle  et  plus  royale  que  celle  que  vous  venez 
«  d'exécuter  » .  Cl^Hnène ,  ijuî  se  douta  bien 
fe  la  prière  qu'il  vouloîtlui  faire,  hn  répon- 
dit !  «  Que  voiliez- vous  donc  me  dire,  îLjr- 
K  saQduJas.;,Qar. sans  doute  yous:ne  nie  de* 
(c  luanderez  pas  que  je  ivous. rende  la  ville? 
«Au  contraire  ^  lui  reparut  Xysandrldas  y 
«  c'est  cela vUième  que.je  vous  demande,  que 
«  vous  ne  ruiniez. point  cette  ville ,  mais  que 
«  voiii3.1a;rempIissfcezi}'amis  et  d^alliés  surs  et 
a  fidelesy  en  rendant aia  Mégalopplitains  leur 
«.patrie  y  et  en  devenantrle^samfur  de  lotit 
«  ce  peuple  qui  eu  est  sorti».  «Clléoniène  , 
après  < Avoir  ^gardé, quelques  jiianients  le  si- 
Jenq^  :  a  II  eist  ;dtffioile ,  ^lit-'il ,  de  s'assurer 
4L  àdjcespç  vous  .me  dîtes  là.;  ma^s  a -Sparte^ 
«  oe  qui  est  glorieux  Kemparle  toujours  sur 
«(ce  qui  est  utile  )>•  Eo*>fini?^ntœsmots,  Z 
envoja  tes  deux  prttonuîers^b  -  Messine  ^avec 
unb^'i^ut^poiirdéclarer de  isa:  part  a  fixMéga*- 
lopolitains.qufillleur.rendoit  leur  ville ,  -k  con- 
-diiion  qu'ib  .renonc^mient  li  :la  ligue  des 
Mimm ,  et  qu^ik  deviendroieftt  iunis  et  con- 
fédërés  de  Sparte.  )PhilopoMnen.les  empêcha 
d'accepter  ces  jcanditions  si  dpuces  et  si  hu-^ 
maiuesyealesdétouniantd&roinpre  l'alliance 
avefe  r^^chaïe  ^^ ,  se  mit  k  caloiimiier  Cléo^ 

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548  AGIS  ET  CLÊOMENE. 

mène ,  et  k  Paccuser^«  de  chercher  moins  a 
«  leur  rendre  la  ville ,  qii'a  avoîr  avec  la  viilc 
i<  tons  les  habitants  ».  En  même  temps  îl 
chassa  Théoridas  et  Lysandtidas  dcMessèue. 
C'est  ce  même  Philopœmen  cjui  fut  ensuite  le 
premier  des  Achéens ,  et  qui  acquit  parmi  les 
Grecs  une  très-grande  gloire,  comjne  nous 
l'avons  écrit  dans  sa  vie, 

Cléoraène,  qui  jusque-lk  non  seulement 
avoit  épargné  lu  ville ,  mais  Pavoit  conservée 
avec  tant  de  soin  qn^aucun  n'auroit  osé  tou- 
cher k  la  moindre  chose,  fut  si  irrité  et  entra 
àsLDs  un  tet  emportement ,  qu'il  l'abandonna 
au  pillage,  envoya  U  Sparte  les  statues  et  le^ 
tableaux  ;  et  après  avoir  détruit  et  rasé  la  plus 
grande  partie  de  ses  murailles  et  de  ses  quar- 
tiers les  plus  forts,  il  s'en  retourna  h.  Sparte, 
et  ramena  ses  troupes  dans  la  crainte  qu'An- 
tigonus  et  les  Achéens  ne  vinssent  l'attaquer. 
Ils  ne  firent  cependant  aucun  motivenicnt; 
car  ils  étoient  k  £gium^  oii  ils  tenoîent  un 
conseil  général  ;  mais  Aratus^  informé  de  ce 
qui  venoit  d'arriver,  se  rendit  aussitôt  h  Tas- 
semblée ,  monta  k  la  tribune ,  et  pleura  long- 
temps ,  tenant  un  pan  de  sa  robe  devant  son 
visage.  Tout  le  peuple  e'tonnc  lui  ordonna  de 
déclarer  le  sujet  de  seslannes;  et  il  leur  dît: 
<{  Mégalopolis  a  été  prise  et  détruite  par 
il  Cléomèpe  )k 

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A&U  ET  CLÈOMÈNE.  3i^ 

A  cette  nouvelle  Passemble'e  se  sëpara ,  le^ 
AchéeDS  étant  consternes  de  ce  malheur  sr 
iiîbit.et  de  la  grandeur  de  cette  perte,  Anti- 
jonus  fit  tous  ses  efforts  pour  marcher  au  se- 
coure de  cette  place;  mais  comme  ses  troupes 
dispersées  dans  leurs  quartiers  d^hiver  ne  s  as« 
sembloient  que  fort  lentement,  et  que  l'affaire 
pressoit,  il  leur  donna  l'ordre  de  rester,  et 
alla  k  Ârgos  avec  un  petit  nombre  de  soldats* 
Cependant  la  seconde  tentative  de  Cléomène 
parut  entreprise  avec  une  audace  pleine  de 
témérité  et  de  folie,  mais  elle  fut  au  contraire 
conçue  avec  bcaucoup.de  prévoyance  et  de 
bon  sens ,  comme  l'écrit  Polybe  45.  Car  sa-» 
chant,  dit-iï,  que  les  Macédoniens  étoient 
dispersés  daiis  leurs  quartiers,  et  qu'Antigonu^ 
passoit  Fbiver  b  Argos  avec  ses  amis,  et  n'a- 
voit  avec  lui  qu'un  très-petit  nombre  de  sol- 
dats étrangers,  il  se  jeta  dans  les  terres  d'Ar-^ 
gos,  ïl  faisoit  ce  raisonnement  en  lui-même, 
ou  qn'Antigonus  piqué  de  honte  hasarderoît 
le  combat ,  et  seroit  sûrement  vaincu ,  ou 
que,  s'il  refusoit  de  combattre,  il  le  décrie*» 
roit  et  le  perdroit  de  réputation  auprès  des 
Acliéêns.  Et  cela  arriva  ;  car  comme  il  rava- 
geoit  tout  le  pays,  et  qu'il  emportoit  et  em-»- 
menoit  tout  ce  qu'il  trouvoit  sur  son  chemin^ 
les  Argiens,  irrités  et  perdatit  patience,  s'as-. 
sembloient  a  la  porte  du  roi,  criant  après  li^, 

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S50  AaiS  BT  CLtoK&^S. 

pour  le  pV^9ser  de  combattre  ou  jeeédirlt 
ooimnandemeiat  h  de  pUis  vaQlaots.  HaîsAn- 
tigonus,  en.  eapitaïae  prudent  et  sage ,  per- 
suadé que  la  honte  coosisloit,  Don  Vse  rvk 
injurié  .par  des  étrangers,  mais  k  Vesposs 
témërairemexit  et  sam^raison ,  et.k  abandoonei 
k  pàrtile  plus  sur  pour  se  livrera  kfbruuief 
letusadesoriir  et  demeura  ferme  dapsta^piv- 
xnière  résolution  de  ne  point  oonbattre.  Cléo- 
mëne  mena  donc  ses  troupes  ju5<]a!au  ^ed 
des  murailles  d'Argos;  et  après  avoir  impa- 
sément  et  sans  aucune  .crainte  saccagé  et 
rainé  tout  le  plat-pays,  il  reprit  le  chemin  de 
Sparte. 

.  Peu  de  temps. après ^  sur  l!avis  4|u'Ami- 
gonus  s'étoit  avancé  jtisqu'k  .Tégée,  poor 
entrer  de  Ik  dans  la  Laconie  y  il  asaeiabla 
promptementson  armée;  et  prenant,  un  au* 
tve  chemin ,  le  lendemain  k  la  pointe  àa  jour, 
}l  parut  encore  aux  portes  d'Argos,  faisant 
le  dégât  dans  la  plaine,  non  en  fourrageast 
et  en  coupant  les  blés  avec  des  fautnlks 
ou  de&  épées,  comme  on  fait  ordinairement, 
mais  en  les  abattant  avec  de  grandes  per* 
«hes  faites  en  >  formes  d'^ées  courbées,  de 
aorte  que  ses  soldats  en  ne  taisant  que  jouer  et 
que  badiner  dans  leur  marche,  reoversoient 
^t  délruîsoîent  tous  les  blés.  Quand  ils  furent 
pièb  du  Gymnase^  appelé  Cyllabaris,  ils^rou- 

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|B«c9t  T  in9¥re  le  feu  :  a)aîs  Géomène  s'y  op- 

pasAv^is«sit4Qpie;Qe,qu'il  aYi«t  faita  Hég^^ 

jopoysiAwit.^.pll^ot.l«l^elnlpoJrtQmem  de 

ecÂosyiqpi'u^e  honpti^. ett;beUe  {Mstîon.  Aoti- 

fpo9us.yfpjétmlJffiilQurnék:àrgo$9  et  ayant 

occupé  fous  les  coteaux  et  toiMales  hauteurs 

tà€t&  }amfons  layfic-Mt  itroupes.,  :  Cléomèpe  ^ 

poi»|l^n9teiri?ii'eQ|ti9«iîr^a«icuJ9iC(»Dpte ,  et  le 

nifipijier 9 leoyr^ya  jdes  hésa^its  ^  la  ville  de-^ 

Bxaôd^  Ussckife^û  teni|Aede.JunoD,  comme 

poDf  yfaîreun  saorificek Ja  déesse  aviant  4}»e 

de  sîeii  itto^furaer.  :S)é|aat.,aîiifii  mo^iié  doit 

Jkr^ioBfB  ft  d'ApCigonns v^t  4j^tiiit  fait. son  sa^ 

crîfioe  a^es$ous  jdiu  iemplequi  étoit  fermé  *% 

il  mmeua  Aoniarm<éea<Kblk>»te;  de  Ta ,  il 

classa  ks  troupeSi<fui  gardoieut.Ologoute  (/i); 

et  deacsendît  Je  long  d'Orellûmëae  ^  ayant  non 

fieulenieiit  .relevé  le.coucage  et  Uaudaee  de 

ses  coiicitûgreiis  ^ .  mais .  tùé  de  ses  .enaemis 

iDèmes.eette  louange  ^ qu'il  ^toit  un  excellent 

fâiEi^  y  et  très-^igne'  et  très-capable  de  cod^ 

diiire  les  affaires. tes, plus. goandes  et  les  plus 

difficiles.  Car  avec  les  forœs  d'une  seule  ville  ^ 

c^'avoir  résisté  k  la  foisii  tonte  la  puissance 

des  Macédotùensyàloutle  Bélopenese  et  aux 

fonds  immenses  :f6urQis.par  le  rei ,  et  de  n*a«* 

voir  pas  seulement  conservé  la  Laconîe  en-- 

(a)  P«tiu  ville  dîAfcadie  :  PolyKeriippoUt!  Oio^ 

gjrrtus. 

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553  AtîIS  ET  CLÉO»lèNE, 

tîère  et  hors  d'insulte,  inaîs  encore  d'être 
entré  dans  les  terres  des  ennemis,  de  les  avoir 
foiirragées,  et  de  kur  avoir  pris  de  si  fortes 
villes,  ce  n'est  pas  un  exploit  d'une médioci^ 
habileté  dans  Part  militaire,  ni  d\me  magna- 
nimité commune. 

Celui  qui  a  dit  le  premier  ^le  l'argent  étoit 
le  nerf  des  aiS)ires,>semlâQ  l'avoir  d(it  par 
rapport  a  la  guerre  principalement*  Eti^ora- 
teur  Demadës,  comme  tes  Athéniens  ordon- 
noient  un  Jour  qu'on  i^quipât  des  galères  et 
qu^on  s'embarquâti,  qd(»qu*ils  n'eussent  point 
d'argent,  dit  fort  bien  :  x<  Qu'avant  que  de 
«penser  a  s'embarquer.  Il  falloit  penser  h 
«  pétrir  (a)».  On  rapporte  aussi  que  l'ancien 
Archidamuâ,iui  peu  avant  le  commencement 
de  la  gueirre  duiPcloponèse,  se  trouvant  pressé 
pab  les  alliés  pour  régler  ce  que  chacun  de- 
voit  contribuer  pour  sa  part^  répondit,  «  que 
«  la  guerre  ne  se  nourrissoit  pas  avec  des 
«  fouds ■  arrêtés  et  fixes  ».  Or,  comme*les 
athlètes  qui  se  sont  long -temps  exercés  ter- 
rassent h  la  longue  et  surmontent  ceux  qui 
liront  en  partage  que  l'adresse  et  l'agilité,  de 
même  int^onus,  se  présentant  k  cette  guerre 
avec  tous  les  fonds  nécessaires  pour  la  sou- 
•  ♦ 

(.7)  11  veut  dire  qu'avant  de  Vembarqaer,  il  faut 
avoir  toutes  les  pix>visions et  toulQi  les  maoiUoas q«'- 
cessai res.  A,  L.  i>.  * 

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AGIS  ET  CLÉOMBKE;  Ï53 

tenir,  fatigua  et  délit  enfin  Cléomëne,  qui 
ne  payoit  que  modkpienient  et  avec  peine  la 
solde  k  ses  soldats  étrangers ,  et  l'entretien  de 
ses  propres  troupes.  Car  du  reste,  les  circons- 
tances étoient  favorables  pour  Cléomène ,  les 
affaires  d'Ântîgonus  se  trouvant  en  si  mauvais 
état ,  qu'elles  le  rappeloient  dans  son  royaume. 
E^  effet  les  Barbares ,  profitant  de  son  ab« 
sence,  couroient  et  ravageoient  toute  la'Ma- 
cédoine;  les  Illyrieus  surtout  y.  étoient  des-  , 
cendus  des  hautes  parties  du  nord  avec  une 
grosse  armée ,  et  inondoient  tout  le  pays  ;  de    , 
sorte  que  les  Macédoniens,  au  désespoir  de  se 
voir  saccager,  envoyèrent  presser  Antigonus 
de  venir  les  défendre.  Et  on  peut  presque 
assurer  que  si  ces  courriers  fussent  arrivés  un 
moment  avant  le  combat ,  et  lui  eussent  rendu 
leurs  lettres,  il  se  seroit  retiré  sur  l'heure ,^et 
auroit  laissé  Ta  les  Achéens.  Mais  la  fortune, 
qui  décide  des  plus  grandes  affaires,  et  qui  en 
décide  souvent  par  im  seul  petit  instant ,  qui^ 
éunt  manqué  ,  produiroit  des  événement» 
tout  contraires ,  marqua  en  cette  occasion 
quel  est  le  poids  et  la  force  d'un  seul  mo- 
ment '^^  Car  aussitôt  après  la  bataille  de  Sel- 
lasie  ^^ ,  où  Cléomène  venoit  d'être  défait  et 
Ae  perdre  sa  ville,  on  vit  arriver  les  cour- 
riers qui  venoient  rappeler  Antigonus.  Cette 
circonstance  rendit  encore  plus  déplorable  IjT 

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354  A4MS  £T  i?L£0MiMfi«  I 

malheur  de  Cleomène  ;  car  s'il  eût  Meoèd 
<leiix  {ours  seuleisent,  etou'ileât  vmmé  àn< 
tigotius  en  -ëludafit  le  eonlLât,  il  n'eût  pas  eu 
besoin  de  tiper  P^pëe ,  et  après  la  retraite  des 
Maeëdonieos ,  il  auroit  réduit  les  Aehéem  à 
traiter  avec4ui  aux  conditions  iju'il  auroit 
YOuUi.^ais comme  jC'Pai  dé})i  dit^lemaoque 
d'argent  J'ayant  6b]igé  de  mettre  -toutes  ses 
espérances  dans  les  armes  ^  il  fîitforcé  de  com- 
battre avec  «vingt  mille  hommes,  comme  Po-i 
lybe  P^crit,  contre  trente  mille.  Datlsce  gracdl 
danger ,  Glëomène  «e  montra  un  capitaine 
digne 'd'admiration. 'Ilfttt  aussi  merveilleuse- 
ment, secondé  par  ses  concitoyens  qui 'firent 
parôitre  un  ^ranà  eourage ,  tt  il  t^eut  pas 
sujet  de  se  plaindre  de  «es  troupes  «ëtrangères 

S  mi  combattirent  tpes^vaillamment  ;  mais  il 
ut  défeit  parParmure  des  ennemis  beaucoup 
rneilleure  -que  celle  de  «es  troupes,  et  pr 
Pimpétuosité  et  le  poids  de  la  phalange  des 
|iIa^(»doniens. 

jfliylarque  ajoute  qu'il  y -eut  aussi  fie  la 
4rabison,  et  que  ce  fut  ce  qui  ruina  le  plus  les 
«flaires  de  Gle'omëne;  car  Antigonus  avoit 
tîoiitté  ordre  k  ses  lUyriens  et  k  ses  Acarna- 
^iens  d^environner  secrètement  et  d'enve- 
lopper une  des  ailes  deCl^omène,  qui  étoit 
commandée  ]Wir  son  firère  Euelydas,  pendant 
^u'il  rangerait  eobaiaiUe^es  autres  Uwpes. 

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^Xê&mhoe  y  cpi  ofefi«FviQâ  tootf  de  imm  la 
DODtagpe  où  il  étbtt  ^ae  y6y;aac  mille  part  le» 
triBesv  des  Illyriens  et  des  AeariianieBS:^  se 
loutftqu' AQtîgoi)«£|  les  faiaeit  servir  k<p.i^l<{tte 
itratagème.  B  lit  dono  appeler  Dowôtelès  cp» 
Qominaiidbk  nn  corps  pour  vdller  k  1»  garde 
in  camp,  et  pour  empeser  les  eittbAebes  et 
les  surprises,  jl  Itiî  commandA  de^bieii  Toir  e^ 
de  bien  exàmioer  ea  quel  état  étojeni  les  der* 
rières  de  l'armée,  et  de  visiter  le  l^ur  dtt 
camp.  Bamotelès,  qui,  k  ce  que  I'ob  dîl^ 
aTÔit  dëjii  été  corrompu  par  aident ,  kti  dil^ 
«  qu'il  n'avoit  que  faire  de  se  mettre  en  peiûe 
«  de  ââS  derrières 9  que  tdut  y  alloît  bien,  et 
«  i|u'il  pensât  seulement  k  ceus!  qu'il  avoit  ea 
i<  tète  pour  les  bien  repousser  ».  Glèomène, 
rassui'é  par  ce  rapport^  mavdia  tète  baissée 
contre  Amigonus^  Ses  Spartiates  firent  une 
charge  si  soutenue,  qu'ils  forcèrent  les  Macé^ 
doniens  k  reculer  jusqU^a  ctncf  stades  (a), 
en  les  pressaut  toujours  avec  la  plus  grande 
-vigueur;  mais  en  même  temps  il  aperçut  sur 
Fautre  montagne  spn  ft^e  enveloppé  par  les 
Acamaniens  et  tes  Illyriens.  A  cette  vue  il 
s'arrête ,  et  cjt^prenaiit  Inen  lé  danger  où 
étoit  cefte  aile.,  il  s'écrie,  uTu  es  perdu,  ô 
«  mon  frère ,  tu  es  pei'du;  mais  tu  ni.euvs  eu 
u  vaillant  bonune  4d  et  ta  vertu  sera  ét&^it 
(a)  Six  ceiitvifi^cioq  pâs« 

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S56  AOIS  ET  CLÈOMÈNB. 

«  neHement  l'exemple 'qiie  nos  jeunes  Spar- 
«  tîates  se  proposeront ,  et  le  sujet  des  éloges 
«  et  des  chants  de  nos  femmes  ».  Tout  le 
corps  que  commandoit  Euclidas,  ayant  donc 
été  passé  au  fil  de  l'épée  avec  lui ,  ceux  qui 
les  aroîent  défaits  tournèrent  leurs  armes 
contre  Cléomène,  qui,  voyant  ses  gens  dans 
tin  tel  désordre ,  et  si  effrayés  qu'ils  n'avoiect 
|)lusle  courage  de  faire  ancune  résistance,  se 
sauva  par  la  fuite.  On  dit  que  la  plupart  des 
.troupes  étrangères  périrent  k  cette  bataille , 
^t  que ,  de  six  mille  Lacédémoniens  y  il  ne 
s'en  sauva  que  deux  cents. 

Cléomène  arrivé  ,a  Sparte ,  conseilla  h  ses 
concitoyens  de  recevoir  Antigonus;  et  leur 
dit  :  <(  que ,  si  en  vivant  ou  en  mourant  il  pou- 
ce voit  faire  quelque  chose  qui  fût  utile  k  Sparte, 
«  il  le  ferôit  avec  un  très -grand  plaisir  n. 
Comme  il  vit  que  les  femmes  couroient  au-de- 
vant de  ceux  qui  s'étoient  sauvés  avec  lui, 
qu'elles  prenoient  leurs  amieè^  et  qu'elles  leur 
présentoient  des  coupes  de  vin ,  il  se  retira 
dans  sa  maison.  Une  jeune  esclave  qu'il  avoit 

Ï>rise  a  Mégalopolis,  qui  étoit  de  condin'on 
ibre,  et  qui  le  servok  depuis  la  niort  de  sa 
femme,  courut  a  lui  selon  sa  coutume,  pour 
lui  Tendre  les  services  dont  il  avoit  besoin  an 
retour  d'un  combat;  mais  il  ne  voulut  ni  boire 
quoiqu'il  eut  grand  soif,  ni  s'asaemr,  quoi- 

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AGIS  ET  CLÉOMÈNi:.  55)r 

pi'il  fûttrës-Ias;  il  s'af^uya  tout  armé  sur 
une  colonne,  la  tête  sur  le  coude,  et  après 
qu'il  se  fut  reposé  quelques  monoients,  en  re- 
passant dans  sa  tète  tous  les  divers  partis  qu'il 
pouvait  prendre,  tout, d'un  coup  il  sortit  et 
se  rendit  avec  ses  amis  au  port  de  Gythîum  (a^ 
la  s'étant  embarqué  sur  des  vaisseaux  qu'il 
avoit  fait  préparer,  il  mit  promptement  k  la 
voile. 

A  peine  étoit-il  jparti,  qu'An tigonus  arriva 
devant  Sparte,  dont  il  s'empara.  Après  avoir 
traité  les  nabilants  avec  toute  sorte  de  douceur 
et  d'humanité,  sans  outrager  et  avilir  la  fierté 
et  la  dignité  de  Sparte ,  mais  au  contraire  en 
lui  rendant  ses  lois  et  son  gouvernement,  et 
après  avoir  sacrifié  aux  Dieux  de  la  ville,  An- 
tigonus  s'en  retourna  le  troisième  jour ,  sur 
les  nouvelles  qu'il  reçut  que  la  glierre  étoit 
allumée  datis  la  Macédoine,  et  que  les  Bar- 
bares faisoient  un  dégât  horrible  dans  tout  le 
pays.  Il  étoit  d'ailleurs  déjà  attaqué  d'une 
maladie  grave  qui  dégénéra  en  une  phtisie  to- 
tale et  en  une  entière  dissolution  du  sang. 
Il  ne  se  laissa  pourtant  point  abattre  par 
le  mal,  mais  il  lui  résista  et  trouva  encore  ea 
lui  des  forces   pour  soutenir  de  nouveaux 

(a)  Petite  yUïc  aa  sud  tie  la  LacoDÎe  ,  prcs  «le  1'».  tu- 
bouchurc  de  TËurolas  ;  elle  servoil  de  port  à  Sparte. 

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S58  JtGîB  ET  èLÊÔBribm. 

combats  dkns  son  propre'  soyaame,  et  pour 
mourir  plus  glorîeuscfDent  après  une  grande 
victoire  et  un  grand  carnage  des  Barbares. 
Phylarque  écrit,  et  cela  est  vraisembhble, 
que,  dans  la  bataille  qn'il  gagna  contre  les  H- 
lyriens  dans  la  Macédoine ,  il  cria  tant  et  avec 
81  grand  efibrt ,  i{u'il  se-  rompit  une  veine;  et 
dans  les  écoles  *^  on  entendoit  dire  publicpe- 
ment  qu'après  sa  victoire,  en  criant  dans  les 
transports  de  sa  joie  ,6  la  belle ,  6  P/teureu^s 
journée ï  il  lui  prit  une  hémorragie,  et  que 
ce  symptôme  fut  suivi  d\ine  fièvre  continue 
très-violente  dont  il  mourut.  Voilk  ce  que 
nous  avions  k  dire  d'Antîgorius. 

Cléomène  étant  part  i  de  File  de  Cy  thère  (a), 
aborda  k  une  autre  ile  appelée  £gialie  (i); 
et  comme  il  étoît  sur  le  point  de  passer  de  Ik 
h  Cyrène  (c),un  de  ses  amis,  appelé  Théry- 
cion,  homme  qui  avoit  témoigné  beaucoup 
d^audace  et  de  courage  dans  toutes  les  actions 
de  la  guerre,  et  marqué  beaucoup  de  fierté'  et 
de  hauteur  dans  tous  ses  discours,  le  tiraot 
co  particulier ,  lui  dit  :*  «  Roi  de  Sparte,  nous 
«  avons  tous  deux  fui  la  plus  belle  de  toutes 
«  les  morts,  celle   que  Fon  obtient  dans  le 

(a)  Ile  au  bas  de  la  Laconie. 
(A)  ile  à  l'orient  de  Cythèrc, 
(c)  £a  Afrique.  A.L.D, 

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AGIS  ET  CLÉOKÈNE.  359 

«  combat*  Cependant  tout  le  'monde  nous  a 
«  entendu  dire  que  jamais  Antigomis  ne 
m  vaincrait  le  roi  des  Spartiates,  qu'après^l'a— 
u  voir  tue.  Nous  avons  encore  en  notre  pou- 
i<  voir  une  autre  mort  <}ui,  après  celle  Ik,  est 
«  la  seconde  en  gloire  et  en  vertu.  Quel  but  rai* 
«  sonnable  peut  avoir  notrenavîgation?  Pour- 
«  quoi  fuir  une  mort  qui  est  près  de  nous^ 
«  pour  en  aller  chercher  une  qui  est  loin?  Car 
¥.  s'il  n^est  pas  honteux  k  des  descendants 
iik  d'IIercule  d'être  soumis  aux  descendants  de 
«  Philippe  et  d'Alexandre^  épargnons-nou5 
«  cette  longue  navigation^  en  nous  remettant 
<(  entre  les  mains  trAutigonus  qui  doit  être 
f<  autant  au-dessus  4e  Ptoléméeyqueles  Ma- 
«  cedoniens  sont  au-dessus  des  Egyptiens.  Si 
4i  nous  dédaignons  d'obéir  k  ceuK  qui  ^nous 
«  ont  vaincus  par  la  foroe  des-Armes^pourquoi 
«  reconnoltrons-nous  poiu*  maître  celui  qui 
m  ne  nous  a  pas  vaincus?  Et.pou;vant  ne  nous 
«  montrer  qu'inférieurs  <k  un  seul  ^^  pourquoi 
«  nous  montrer  inférieurs  k  d^x  y  h  Antigor 
H  nus  que  ndusfuyons^  et  k^Ptolémée'k  qijî 
«  nous  allons  faire  la  cour?  Dirons-pousn^i^ 
if  nous  allons  en  Egypte  k  cause  diC  )a  reine 
«  votre  mère  qui  y  est >en  otage?  Vïaiin^t  ce 
«  5€ra  un  spectacle  bien  beau  pour  elle,  Qt 
«  x\m  lui  fera  gr^nd  plaisir ,  quand  elle  mou- 
t(  tfefa  aux  femmes  de^Ptoléiiiée.soiXt&ls  da- 

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560  AGIS   ET   CLKOMÈNE. 

«  venu  fugitif  et  prisonnier,  de  roi  qu'il  étoitî 
«  Pendant  que  nous  sommes  donc  encore 
«  maîtres  de  nos  épées,  et  que  nous  avons 
a  encore  le  bonheur  de  voir  la  Laconie  de 
«  nos  propres  yeux ,  délivrons-nous  de  cette 
«  infortune ,  et  justifions-nous  par  1^  auprès 
«  de  ceux  qui  sont  morts  dans  les  champs  de 
«  Sellasie ,  pour  la  liberté  de  Sparte ,  à  moins 
x(  que  nous  n'aimions  mieux  nous  tenir  lâche- 
«  ment  en  Egjrpte  pour  y  apprendre  quel  sera 
«  celui  qu'Antigonus  am*a  laissé  k  Sparte  pour 
M  son  satrape  et  son  lieutenant  » . 

Thérycion  ayant  ainsi  parlé,  Cléomëne  lui 
répondit  :  «  Méchant  et  lâche  que  tu  es,  tu 
i(  crois  donc  que  parce  que  tu  poursuis  la  mort 
«  qui  est  la  plus  aisée  de  toutes  les*  choses  hu- 
«  maines,  et  celle  qui  est  toujours  en  notre 
«  pouvoir,  tu  es  magnanime  et  généreux,  et 
«  tu  ne  vois  pas  que  tu  veux  édiapper  par 
«  ime  fuite  encore  plus  honteuse  que  la  pre- 
4(  mière.  On  a  souvent  vu  des  gens  qui  valoient 
m  mieux  que  nous,  céder  a  leurs  ennemis,  ou 
«  trompés  par  la  fortune,  ou  accablés  par  le 
«  nombre.  Mais  celui  cpii  cède  aux  travaux, 
K  aux  fatigues,  aux  louanges  ou  aux  blâmes 
«  d€;3  hommes,  celuî-lk  est  vaincu  par  sa  pro- 
a  pre  foiblesse  et  par  sa  seule  lâcheté,  car  il 
«  faut  que  la  mort  que  l'on  choisît  ne  soit  pas 
^  la  suite  d'une  action  ^  mais  une  action  mê-^ 

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AGIS   ET  CLÉOMÈKB.  561 

<j  me,  n'y  ayaîit  rien  de  plus  honteux  que  de 
«  ne  vivre  et  de  ne.  mourir  que  pour  soi  ^» .  E  t 
(i  c'est  pourtant  k  cela  que  tu  nous  exhortes^ 
«  en  nous  pressant  de  nous  délivrer  de  nos 
«  malheurs  présents  sans  rien  faire  de  beau 
(.<  ni  d'utile.  Je  suis  d'un  avis  bien  différent , 
«  je  crois  que  ni  toi  ni  moi  ne  devons  aban*-' 
«  donner  Véspérance  d'être  encore  utiles  k 
«  notre  patrie.  Quand  cette  espérance  nous 
«  manquera,  alors  il  nous  sera  aisé  de  mou- 
a  rir  si  nous  en  avons  tant  d'envie  ». 


première  occasion  tavoratile  qu  il  trouva  pour 

vage,  et  se  tua  de  sa  propre  main.  Cléoinène 
étant  parti  de  ce  même  rivage ,  aborda  en 
Afrique,  et  eôcorté  par  les  officiers  du-  roi,  il 
arriva  k  Alexandrie.  Quand  il  salua  le  roi 
pour  la  première  fois,  il  en  reçut  un  accueil 
fort  ordinaire  et  sans  aucune  distinction  mar- 

3uée.  Mais,  quand  il  eut  donné  des  preuves, 
e  soo  grand  sens,  qu'il  se  fut  montré  hom-* 
me  sage,  qu'il  eut  fait  voir  dans  sa  conversa- 
tion ordinwis  la  franchise  et  La  simplicité  La-^ 
conique  ,  assaisonnées  d^une  grâce  pleine 
d'une  honnête  liberté  et  d'une  fiecté  noble  qui 
l'empêchoit  de  déshonorer  la  grandeur  de  sa. 
BAipsanç.e ,  Qt  de  glie'r  spus  les  coups  de  la  for-^ 

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56'i  JtOÏS  HT  CLÉâMfcNPE. 

tune,  Qtme  par  cette  conduite  il  mit  prni 
|)1  u6  agréable  cnie;  les  oourtîsîans ,  qciî  ne  cher- 
«^^faôient  qti^k  plaire  par  lenrs  flatteries  et  par 
leurs  'bassesses^  «ilôrs  Ptalëmëe  fut  saisi  de 
dionte  et  de  mpentir  d'avoir  négligé  un  si 
«grand  pei%(Maiiage,  et /de  l'avoir  abandonné 
•k  ÂDtigODUS  y  ^qûi  y  par  sa  défidte ,  avoit 
^acquis  beaucoup  de  n^putation  ^t  aug- 
^tné&té  infinimeat  sa  puissance.  Il  tâcha  donc 
'de  G<»â^ler  Ckomène  par  toutes  sortes  «Fhon- 
neurs  etdeoaresses,  le  rassura- et  1- encouragea 
^n  lui  promettant  qu'il. le  renvenroit  cq 
Grèct;  avec  use^otte  et  de  l'argent,  et  qu'il 
le  rétablii^it  sur  le  Irone*  Il  lui  as^gna  une 
pension  de  vingt-quatre  talents  (a  ) par  ao, 
-dont  il  s'entretint^ et  entretint  ses  amis  très- 
simplement  et  très- sobrement)  épargnant 
towt  le  reste  pour  remployer  k  subvenir  aux 
nécessités  de  ceux  qui  se  retiroient  de  Grèce 
en  E^pte. 

Mais  le  vieux  Ptolémée  mourut  (b)  avant 
qu'il  eut  pu  accomplir  la  promesse  qu^il  avoit 
faite  k  Géomèné  de  le^envoyer  en  Grèce, et 
Ik  nouvdle  cour  étant  tombée  dans  la  disso- 
lution, l'intempérance  et  la  domination  des 
fonmes,  les  affaires  dé  Qéomcse  furent 

(a)  Environ  i  i8,5j9  ft. ^.  i.  Z>. 

(h)  PtoIëm«*«  Evcrgcte  I  momut  la  dernière  ano^ 
dt  Tolympiade  cxj  ^  i'an  aïo  avant  Vête  chréiicAoe* 

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Abam^nnees.! Lenouveati •  roi  (a) "Jin^^nèBie 
ëtcit  ^i  doiro]Bf«|psir  ces' infâmes  d&auches, 
qn«  lorsqu'il  ëtmt  le  fias  sobfe  et  du  &ens, 
le  pU)s  f assis,  il  passoit  $0n  temps ^  célâifer 
dé&  fêtes  et  des  sacrifices,  et  k  eoiirindhiiis 
son  palais  eu  battant  le  r  tandH>iirm  pour 
iissetnbkrsoiu  monde,  et  Jais^t  f;o«,iv^mer 
ses  affaires  lesplus  ihïpottantes' par  une  cour- 
tisane ,  nommëe  ^Agatbocl^a ,  qui  éloit  ^  sa 
maîtresse,  par' la  nlèreideoette  ooui>tisane^ 
et  f^ar  un  ntwnié  Oenadtes,  qtû  éloit  le  ituh- 
nistre  infâme  de  âes  plaisirs.  C^peivdâût  dans 
le  coTnineacemeat  de  son  règne,  il neJaisaa 
pas  de  se  servir  de- GWontène;  car,  comme^il 
craigt^it  son  frère Magas,  qui, 'k» cause  de  sa 
mère,  avoit  beaucoup^  crédit  etde  pouvoir 
parnii  les  gens  de  guerre,  il  approcha  de  lui 
Cléomène,  et  l'admit  dans  ses'coni^ilslespltts 
secrets,  où  il  cherchoît-  les  moyens  de  se  dé- 
faire de  son  frère.  Mais,  quoique  tous  les  au- 
tres fussent  d'avis  qu'il  de  voit  le  faire  mou- 
rir, Gléomène  seul  s  y  opposa,  disant  :  <i  Qu'il 
«  vaudroît  encore  mieux,  s'il  étoit  pos^ble, 
«  donner  plusieurs  autres  frères  au  roi,  pour 
«  plus  grande  sûreté  de  sa  personne,  et  pour 
il  partager  entre  eux  les  affaires  du  gouverne- 
«  ment,  qui  en  seroiept  mieux  administrées  ^S 

.  <«}  Ptalémée  Pliilopator*  «<#.  L.  D. 

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564  AOIS  ET  OLÊQBiÈKE. 

Sur  cela,  Sosiblus,  cdui  des  amis  an  prîace 
qui  avoit  le  plus  de  pouvoir  ,jfaiit  dit:  <<qu'oa 
«  ne  pouvoit  nullement  s'aa^er  de  la  fidélité 
«  des  soldats  étrangers  pendant  que  Magas 
«  seroit  en  vie  »  ,  Cléooiène  lui  répondit  : 
«  qu'k  cet  égard,  il  n'avoit  qu'k  être  en  re- 
«  pos,  parce  que,  parmi  cette  milice  étran- 
ii  gère  ^  il  j  avok  plus  de  trois  mille  soldats  du 
^^iPéloponèse^  qui  dépendoient  entièrement 
.«  de  lui, et  qui,  au  premier  signal  qu'il  leur 
a  donnecoit ,  ne  manqueroient  pas  d  accouru: 
/<  avec  leurs  armes,  tout  prêts  k  exécuter  ce 
4(  qu'il  ordonneroit».. Cette  réponse  persuada 
sur  l'heure  de  la  sincérité  de  son  affection 
pour  le  roi,  et  donna  um  grande  idée  de  sa 
puissance.  Mais  hientôt  appès,  la  foiblesse  de 
Ptolémée  augmentant  sa  timidité  et  sa  dé- 
fiance ,  et  comme  il  arrive  d'ordinaire  k  ceux 
qui  n'ont  point  de  sens,  que  le  parti  le  plus 
sûr  leur  paroUJtoujours  de  craindre  tout  et  de 
se  défiej*  de  tout,  ces  mêmes  p^aroles  rendirent 
Cléomène  redoutable^  k: toute  la  cour ,  comme 
un  homme  qui  avoit  beaucoup  de  pouvoir  et 
d'autorité  sur  les  soldats  étrangers.  Il  y  avoit 
même  plusieurs  de  ces  coiutisaos  qui  disoient 
que  Cléomène  éloît  un  lion  parmi  un  trou- 
jîeau  de  brebis.  En  effet,  il  paroîssoit  tcj 
dans  toutes  sçs  manières  k  ces  hommes  ; 
ç.ai:  il  les  regardoit  av.çp  un  ak  feime  et,  in-.. 

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AGIS  ET  CLÊOMÈNS.  5G5 

•épvde,  et  observoit  avec  soin  tout  ce  (]iii  sç 
assoit. 

Eofio ,  il  se  la^a  de  demander  des  vais- 
ï^ux  et  des  troupes j  mais  ayant  appris  qu'An'- 
goiius  étoît  mort,  que  les  Achéens  étoient 
Dgagës  dans  une  grande  guerre  contre  les 
italiens^  et  que  les  affaires  le  demandoient 
t  Tappeloient,  tout  le  Péloponèse  étant  dans 
3  trouble  et  dans  la  discorde,  alors  il  de-« 
aanda  qu'on  le  renvoyât  seul  avec  ses  amis^ 
t  c'est  ce  qu'il  ne  put  obtenir.  11  ne  put; 
aême  avoir  audience  du  roi ,  qui  passoit  les 
ours  et  les  nuits  avec  ses  femmes  dans  les^ 
eux  et  dans  les  débauches.  Sosibîus,  quL 
:toît  le  principal  ministre ,  et  en  qui  le  prince 
*e  reposoit  du  soin  de  toutes  ses  affaires^ 
v'oyoit  bien  que  Clébmëne^  retenu  contre  sa 
volonté,  seroit  dangereux  et  redoutable,  et 
que  renvoyé,  il  devoit  être  fort  suspect;^  car 
on  devoit  tout  craindre  de  son  audace  et  de 
son  ambition  qui  le  portoient  a  tout  entre- 

Ï «rendre,  et  de  la  connoissance  qu'il  avoit  do 
a  foiblesse  et  de  la  maladie  du  gouvernement. 
En  effet,  il  n'y  avoit  ni  présents  ni  lai  gesses 
qui  pussent  adoucir  ce  naturel;  mais  comme 
on  dit  que  le  bœtif  sacré  que  les  Egyptiens 
adorent  sous  le  nom  d'Apis,  au  milieu  de  la 
plus  abondante  pâture ,  et  lorsiqu'il  semble  le 
plus  vivre  dans  ies  délices,  n'oublie  pourtant 

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!V66  ÂGï»  ÏT   CLÉOMÈNE. 

poiotla  vicqwi  lui  estnâtureUe^et'désîredecofv 
jîr  et  de  bondir  dans  les  campagnes,  -et  frf* 
visiblement  connoTtre  qu'il  ne  pent  soiifili 
d*être  retenu  enirfe  les  mains  du  prêtre  quiî 
le  soin  de  le  garder  et  de  le  servîr^Cléo- 
mène  de  même  ne  prenoit  aucun  plaisir  k  I: 
YÎe  molle  et  delideiise  qu'il  menoit;  ma!s« 
comme  Homëre  dit  d' Acnille  y  «  il  se  laisson 
«  dévorer  k  la  tristesse,  en  demeurant  dara 
«  son  quanier  sans  action,  et  soupiroit  aprè» 
«  les  alarmes  et  les  combats  Ça), 

Les  affaires  de  Clëomène  étant  en  cet  état^ 
i^icagora^  le  Messdnieû  arrive  k  Alexandrie, 
CV'toit  un  homme  qui  haibsoit  morteifeoiert 
Clp'omène,  mais  il  faisoit  semblant  d'être  de 
ses  amis.  Il  lui  avoit  autrefois  vendu  «ne  j'>- 
Ke  maison  de  campagne.»  et  n'en  avoit  pas  i\i 
payé,  soit  que  Gléomène  eût  manqiié  d'ar 
gent,  soit  qU  il  n'eût  paseu  le  temps  d'acqiu'ttc 
cette  dette,  ou  que  les  guerres  qtû  survinrent 
l'î  îi  eussent  empêche'.  Cle'omènelevîtcomuM 
11  débaiHijaoît ,  car  it  se  promenoît  âlor&parha 
Siard  sur  le  quai  ^ai  bôrdoit  le  rivage;  il  le  sa- 
lua avec  amilié  et  iui  demanda  quelles  af- 
faires Vamenoient  en  Egypte.  Nicagow5« 
lui  ayant  rendu  son  salut  avec  de  .grande? 
marques  d^affectîon ,  lui  répondit  qu'U  amc- 


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oit  an  roi  de  très-beaux  chevaux  de  fçuerre; 
léomèue  se  mettant  i  rire,  lui  dit  :  «11  vau- 
droic  mieux  poin*  toi  que  tu  lui  eusses  ame- 
né  des  baladiae»,  des  chanteuses  et  d^s 
courtisanes;  car  voila  les  choses  dont  le  ix>i 
est  pr^entement  le  plus  curieux.  Nicago- 
as  sourît  alors  ^  ce  mot  de  Cléomène;  mais 
iielques  jout-s  après,  il  loi  fit  souvenir  de  la 
-etite  maison  qu'il  lui  avoit  vendue ,  et  le  pria 
le  lui  en  donner  le  prix  sans  autre  délai, 
^assurant ,  «  qu'il  ne  Fimportuneroit  pas  s'il 
cn'aToit  fait  une  perte  considértible  dans  k' 
(  vente  de  ses  marchandises».  Cbiomène  lui 
e'pondît  qu'il  ne  lui  restoit  pas  la  moindre 
:bose  de  la  pension  que  le  roi  lui  donnoit. 
^icagoras,  affligé  et  iârthé  de  ce  refus,  alla 
«r  l'heure  rapporter  k  Sosibius  la  raillerie  de 
^léomènc.  Sosibius  le  reçut  avec  grand  plaî- 
iir;  mais  cherchant  un  sujet  plus  grave  et 
plus  capable  d'irriter  le  roi,  il  persuada  k 
Nicagoras  d'écrire  en  partant  une  lettre  au 
rci  contre  CUomène,  peur  lui  donner  avis 
:ju'il  avoit  résolu ,  s'il  lui  (îonnoit  des  vais- 
seaux et  des  troupes,  de  se  rendre  maître  de 
Cyrène.  Nicagoras  écrivit  cette  lettré  et  s'em- 
barqua en  même  temps.  Quatre  jours  aprèi 
son  départ ,  Sosibius  porta  au  roi  Ptoléniée 
celle  lettre,  comme  s'il  ne  venoît  que  de  la 
recevoir,  et  ayant  par  Ta  mis  «e  j^ui^e  prinQç 

DigitizedbyCjOOgle  ( 


5fiK  AG^IS  ET  CLÉOMÈNE. 

en  fureiir  contre  Cléomène,  il  lui  coBseiij 
de  renfermer  dans  une  maison  spacieuse,  t 
de  lui  fournir  toujours  le  même  entrelier 
innis  de  lui  ôter  tout  moyen  de  sortir  et  (^ 
s'échapper. 

Ce  traitement  affligea  extrêmement  Oe'> 
mène;  mais  il  conçut  encore  de  plusma:- 
vaises 'espérances  pour  l'avenir  sur  une  ave; 
tiire  qui  lui  arriva.  Ptolémée ,  fils  de  Chn- 
sermus^  un  des  grands  amis  du  roi,  aYc: 
toujours  bien  traité  Cléomène  y  ils  avoient  T' 
entre  eux  n-m  grand  commerce,  et  ils  ^.* 
voient  ensemble  avec  beaucoup  de  familiarir 
Cléomène  l'ayant  envoyé  prier.de  le  yeé 
Voir,  il  y  alla,  lui  parla  avec  assez  de  mode: 
tîon  et  de  douceur,  tâchant  de  calmer  f*^ 
«oupçous,  et  de  justifier  la  conduite  du  ro: . 
ion  égard.  Quand  il  sortit,  il  ne  prît  f 
garde  que  Giéomène  lesuivoit  jusqu'à  lapoi^ 
la  il  réprimanda  fortement  les  gardes,  a  de 
a  qu'ils  siirveilloieqt  avec  beaucoup  de  uéz*  ■ 
«  geuce  une  bête  féroce,  qu'on  auroit  bîec  c 
i<  la  peine  a  reprendre  si  elle   échappoit 
Cléomène,quî  l'a  voit  entendu  .se  retira  pronij- 
tement^vant  que  Ptolémée  put  s'apercevo' 
qu'il  Tavoit  suivi,  et  alla  conter  k  ses  amis  srr. 
aveniure.  D'abord  ils  perdirent  tous  l'esjM? 
rance  qu'ils  avoient  conçue  en  arrivant  ;rt 
pleins  de  colèjre,  ils  résolurent  de  repousse 

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AGIS  ET  CXÉOMENE.  $6(f 

ar  les  armes  rînjnstîce  et  TinsoleDce  de  Pto- 
fiuée  y  de  mourir  d'une  manière  digne  de 
parte,  et  de  ne  pas  attendre,  comme  des 
îctîmes  engraissées,  qu'on  vînt  les  immoler j 
ar  ils  trou  voient  très- indigne  et  très-hon- 
Hix  que  Cléoraènc ,  qui  avoit  dédaigné  dé 
accommoder  avec  Antigonns,  grand  homme 
e  guerre,  et  vaillant  de  sa  personne,  se  tint 
ï  dans  l'inaction ,  attendant  qu'un  roî  bâte- 
îur  trouvât  le  loisir  dé  quitter  son  tambou- 
in,  et  d'interrompre  ses  dëbàuclies  et  seà 
lanses,  pour  venir  ordonner  sa  mOrt. 

Celte  resolutîon  prise,  et  le  roi  étant  allé 
e  jour^lh  li  Canope  (a),  les  amis  de  Cléo- 
ûène  firent  courir  le  bruit  par  toute  la  ville 
|ue  le  prince  a  voit  résolu  de  le  tirer  de  sa 
irison;  en  conséquence  de  ce  bruit,  comme 
'est  la  coutume  des  rois  d'Egypte,  quand 
b  veulent  élargir  un  prisonnier,  de  lui  enr 
^oyer  la  veille  un  souper  et  de  grands  pré- 
ents,  les  amis  de  Cléomène  avoient  eu  soîa 
le  préparer  un  festin  et  des  présents  qu'ils 
ni  envoyèrent  eii  trompant  lès  gardes  et  en 
mir  faisant  croire  que  c'éioit  de  la  part  du 
oi.  Cléomène,  la  tête  couronnée  de  fleurs, 
it  un  sacrifice  àui  Dieux ,  envoya  k  ses  gardes 
le  bonneà  portions  de  ce  sacrifice,  et  se  met- 

(a)  Ville  à  Peinboncbure  la  plus  occidentale  du 
^il,  et  qui  porioîi  «on  nom.  :A.  ^Z>. 

^  D,g,t,zedby^Ogle 


^7^  AGIS   ET  CLéoMÈNS^ 

*^  tant  ^  table,  fit  grande  chère  avec  ses  sm 
On  dit  qu'il  commença  Pentreprlse  philû: 
iqii^il  n'a  voit  résolu  ,.  parce  au'il  s'aperçuî 
qu^m  des  domestiques  qui  savoit  tout  le  pro- 
jet, e'toit  sorti  et  etoit  allé  voir  unefemiM 
qu'il  aimoil.  Craignant  donc  d'être  décou- 
vert, et  voyant  qu'il  étoit  déjk  près  de  m 
€t  queies  gardes  étoient  encore  endormis  pa 
suite  de  leur  débauche  de  la  nuit^  il  prit  si 
colle-d'armes  dont  il  avoit  «décousu  la  Bcafr 
lîhe  droite,  et  sortit  l'épée  a  la  luain,  a\« 
lies  amis  équipés  de  même,  au  nombre  à 
treize.  Hippotas,  qui  étoit  boiteux,  et  un  i 
ces  treize ,  sortit  avec  eux,  et  marcha  d'abcri 
'assez  vite}  mais  voyant  qu'ils  raleutissoit£ 
leurs  pas  pour  l^atlendre,  il  les  pria  «dek 
«  tuer  et  qe  ne  pas  manquer  leur  entrepris 
<c  pour  un  homme  foible  qui  ne  pouvoii  ètit 
«d'aucun  secours».  Par  bonne  fortune,!'- 
rencontrèrent  près  la  porte  un  homme  d'A- 
lexandrie oui  menoit  un  cheval;  ils  prireott 
cheval,  et  l'ayant  donné  à  Hippotas,  ils  cou- 
rurent dans  toutes  les  rues,  esiiorlant  eteu- 
çourageant  le  peuple  k  la  liberté.  Mais  toui 
ce  peuple  n'avoit  de  force  et  de  courage  que 
pour  louer  et  admirer  l'audace  de  Cléomène, 
jet  personne  n'osa  le  suivre  ni  lui  donner  k 
niomdre  secours.  Piolémée,  fils  de  Chryser- 
muS|  sortant  du  palais  ;  fut  dttaqué  par  trou 

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AGIS  ET  CLÉOMÈNE.  Sfl 

lela  troupe  qui  le  tuèrent.  Un  autre  Proie- 
née  ,  k  qui  la  gardle  de  la  ville  d'Alexandrie 
îtoît  confiëe ,  étant  sorti  contre  eux  sur  son 
:liar,  environné  de  ses  domestiques  et  de  sea 
jardes ,  ils  allèrent  k  sa  rencontre ,  écartèrent 
Tabord  la  foule  quil'accoinpagnoit,  et  l'ayant 
îré  de  son  char,  ils  le  tuèrent  sur  la  place; 
însuite  ils  prirent  le  chemin  de  la  citadelle 
lans  le  dessein  d'enfoncer  les  portes  de  là 
)rison ,  et  de  se  servir  d'un  grand  nombre  de 
)risohniers  qui  y  étoient  déténus.  Mais  les 
féoliers  et  les  gardes  les  avoient  prévenus ,  et 
ivoîent  bien  muni  et  barricadé  les  portes ,  dé 
orte  queCléomcne,  déchu  de  cette  espérance, 
îrra  de  tous  cotés  dans  la  ville ,  sans  que  per- 
ionne  se  présentât  pour  le  suivre  ni  pour  le 
combattre;  tous  saisis  de  frayeur  prenaient 
a  fuite  k  son  approche,  "^ 

Alors  Gléomène,  qui  vît  bien  qu'il  falloir 
renoncer  k  son  entreprise ,  se  tourna  vers  ses 
amis ,  et  leur  dit  :  «  Mes  amis ,  il  ne  faut  pas 
«  s'étonner  que  des  femmes  commandent  ici 
<(k  des  hommes  qui  fuient  la  liberté» ,  et  les 
exhorta  touskmourir  généreusement  et, d'une 
manière  qui  répondît  a  la  grandeur  des  choses 
qu'ils  avoient  faites.  Hîppotas  fut  tué  le  pre- 
mier k  sa  prière  par  un  des  plus^  jeunes  de  la 
troupe;  tous  les  autres  ensuite  se  tuèrent  gé- 
néreusement eux-mêmes,  a  l'exception  di 

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57^  AGIS  ET  CLÉÔMÈnB. 

Pantëuscftiî  le  premier  étoit  entré  dans  la  rîlk 
de  Mégalopolis.  C'e'toit  un  jeune  homme  lits' 
beau,  très -bien  fait,  k  la  fleur  de  son  â^t. 
et  plus  heureusement  né  qu^aucun  des  autres 
jeunes  gens  pour  la  discipline  )aconîc[ue,  et 
ses  grandes  qualités  avoient  inspiré  au  to\ 
Ciéomène  la  plus  tendre  amitié  pour  lui.  O 
prince  lui  ordonna  que,  quand  îl  le  Terrri' 
tombé  mort,  et  tous  les  autres  avec  lui ,  aloi? 
il  se  tuât  lui-même  le  dernier.  Tous  les  autrf? 
5' étant  donc  passé  l'épée  au  travers  du  corp? 
et  étant  étendus  par  terre ,  Pantéus  les  alla  vi- 
siter l'un  après  1  autre,  et  les  sondant  avecli 
pointe  de  son  épée ,  il  voulut  s'assurer  s'il  ïï) 
en  avoit  pas  quelqu'up  qui  fut  encore  en  vie. 
Eu  pîquani  Ciéomène  au  talon,  il  anercitt 
iguelque  contorsion  sur  son  visage ,  îl  le  caisa, 
s'assit  auprès  de  lui,  et  attendit  qu^îl  fut  expi- 
ïé  ;  et  après  l'avoir  embrassé,  îL  se  tua  sur  son 
corps.  Ainsi  finît  Ciéomène,  après  avoir  ré- 
gné seize  années  b  Sparte,  et  s'être  montré 
nussi  giand  homme  que  nous  venons  de  le 
peindre. 

Dès  que  le  bruit  de  sa  mort  fut  repancio 
«lans  la  ville,  Cratésicléa  sa  mère,  quoique 
femme  d'un  grand  courage,  ne  conserva  pis 
sa  magnanimité  contre  ce  grand  coup  de  1* 
fortune  ennemie;  et  embrassant  les  deux  en- 
fants de  CJéomène  y  elle  se  mit  k  déplorer  ses 

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AGIS  ET  CLBOHÈNE.  Zf3, 

alIieiiTS.  L'-ataë  s'ëtant  débarrasse  de  ses 
aîns,  monta  sur  le  toit,  et  sans  que  pçr  serine 
en  dputât,  il  se  jet^.en.b^s  la  tête  la;pre^. 
lière  :  il  fut  toyt  meurtri,  mais  il  n'en.mou-^ 
xt  pas;  on  le  releva  maigre  ses  cris  ej  mal^ 
ré  la  fureur  où  il  étoitdece  qV)n  l'empècboit 
e  mourir,  h^  roi  Ptolémée^  ioformé  de;  «vel 
v^éa^meDl;,  ordonna  qu'on  mit  en  croix  lit 
OTps  de  Cl^mèo^,  apçèç  Ifayoir  env^lqpp^ 
e  peaux  pour  le  garantir  d^  bèi^^  e^  qu  on 
lit  mourii"  tie$  enfiMitS!  ayec  sfi  ii!ière ,  et;  toutes 
ïs  femme»  qui  l'accompagooiient^  L'épousa 
e  Pantéus  ëtoit.  de  ce. nombre^  c'étoitune 
c^mme  d'une  gi;apde  begnté  et  d'une;  laiUc( 
.majestueuse  ,  il  n'y  avoit  pas  loog-tempi^ 
vi'ellc  avoit  épOusé  Pantéus,  et  ils  étoiçnt 
ncore  dans  les^prieimiers  fe^x  de,  leur  amour , 
orsqu'iU  tombèrent  dans  cette  infortune* 
^uand  Pantéus  partit. de  Sparte  avec  Cleo* 
uëne,  et  qu'elle  voulut  s'embarquer  avec  lui^ 
«sparentstl'en  empêchèrent;  et  l'ayant  ren-» 
ermée  malgré  elle,  ils  la  gardoient  spigneu-, 
uement.  Mais  peu  de  jours,  après,  ayant  tjrou- 
ré  le  moyen  d'avoir  un  cheval  et  quelque; 
peu  d'argent,  elle  s'enfuit  une  nuit,  gagna  a. 
:oute  bride  le  port  de  Ténare ,  s'embarqua 
mr  le  premier  vabseau,  alla  trouver  son 
mari  eu  Egypte,  et  Ik  elle  partagea  tranquille- 
pnent  et  même  gaiment  avec  lui  la  vie  niai:- 

D,g,t,zedby^Ogle 


$7  4  AGIS  ET  CLÊOMbïK. 

heureuse  qu'il  meinoit  dans  cette  terre  êbMf 
gère.  Quand  les  soldats  menèrent  Cratéàcl« 
au  supplice,  elle  la  scmtenoit  et  lui  portok 
elle-même  la  robe,  pour  Paider  a  marcher, 
en  Pexhortant  k  montrer  en  cette  occasàon 
toute  sa  fermeté  et  sa  constance,  cpioîqu'eDe 
ne  demandât  pas  d'autre  grâce,  que  de  mou-l 
rir  avant  ses  enf;ants.  Malgré  ses  prières, 
quand  on  fut  arrivé  .aulI*îuou  l'on  avoit  cod- 
tume  de  faire  ces  exécutions,  les  exécutcuïs 
égorgèrent  d'abord  ses  petits-fils  k  ses  ycui 
et  dégorgèrent  ensuite,  sans  que  jamais  daos 
cette  affreuse  extrémité  elle  prononçât  d'autre 
parole  que  celle-ci  :  j4fi\  mes  enfànis,  où 
éiea-poua  venusl 

La  femme  dePantélis,  çii  étoît  grande  et 
forte,  ceignant  sa  robe,  sans  proférer  une 
igeule  parole  et  sftns  marquer le  moindre  troo- 
l)le,  prit  soin  ave&les  litiges  qui  lui  restoicDt 
d'envelopper  et  d'ensevelir  toutes  ce&feamies 
k  mesure  qu'îles  étoient  exécutées.  Et  quand 
son  tour  vint  de  mourir  après  toutes  les  au- 
tres^ elle  s'ajusta  elle-même^  baissa  sa  robe, 
sans  permettre  qu'^upun  autre  Pa|^rodiât, 
ni  la  vit  même,  que  l'exécuteur,  et  mourut 
ainsi  avec  un  courage  héroïque,  sans  avoir 
besoin  que  personne  lui  rendît  ce  deruier  of- 
fice d'envelopper  et  de  couvrir  son  corps  après 
^  mort,  i^iit  elle  i^%  i^^eu«-de.|Md^ 


.    AGIS  ET  CLÉOMÈN^.       .        S'^S 

5ans.  îa  mort  même  la  pudeur  et  rhonnêteté^ 
t  <ie  munir  et  de  remparer  son  corps  de  la 
lème  décence  qu'elle  avoît  conservée  toute 
a  ^e.  Ainsi  Lacédémone,  dans  celte  san- 
laate.  tragédie  où  les.  femmes  entrèrent  en 
îce  contre  les  hommes,  et  disputèrent  avea 
lux.  k  qui  supporteroit  plus  courageusement 
a  mort  5-  fit  voir  par  cet  exemple  sensible  .et 
némorable,  cpi'il  n'est  jamais  au  pouvoir  de 
ia  fortune  aoutrager  la  vertu. 

Quelques  jours  après,  ceux  qui  gardoient 
!e  corps  de  Qéomène  sur  la  croix  ^^ ,  virent 
jia  grand  serpent  entortillé  autour  de  sa  tète,^ 
Bt  qui  lui  couvroit  tout  le  visage;  de  sorte 
jiVaucun  oiseau  de  proie  nepouvoiten  appro- 
cher ^+.  Ce  prodige  jeta  la  superstition  et  la 
Trayeur  dans  l'esprit  du  roi,  et  donna  occa»-- 
sien  aux  femmes  delà  cour  de  faire  des  sacri- 
fices d'expiatian  et  de  puFification ,  ne  dou--> 
tant  point  qu'on  n'eût  fait  moiiEir  ua  hommer 
aimé  de»  Dieux,  et  supérieur  k  la  nature  hu- 
maine. Tout  le  peuple  d' Alexandrie  courut 
même  en  foule  sur  le  lieu;  et  pour  apaiser-^ 
les  mânes  de  Ciéomène,.  il  l'invoquoit  ea 
Rappelant  héros  et  fils  des  Dieux.,  jusqu'à  ce^ 
que  des  gens  plus  éclairés  dans  les  eauses  na-^ 
tutelles,  vinrent  calmer  leur  gupefôtiiîon  et 
leur  crainte ,  en  leur  enseignant  que  comme^ 
IpSvCorgs.  des  bœufs.  qtianiUs  sanl  en  gutcéW 

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SijS  AGIS  ET  CLioMisNE. 

fdction^  engendrent  des  abeilles  "^^^  ceux  des 
chevaux,  des  guêpes  ^^,  etceux  des  ânes  deses^ 
carbots^de  même  du  corps  des  hommes^  quaud 
laj  liqueur  qui  compose  la  moelle  du  dos  est 
arrêtée  et  figée,  il  s'en  engepdre  desserpep  ts  ^7 . 
Et  c^est  sur  cef  t e  expe'rîence  que  les  an  ciens  ont 
choisi  sur  tous  les  animaux  le  serpent  pour 
l'approprier  k  Thomme, 


VIN  PB  LA  VI£  d'àOIS  ST  BB  OLËOMlàNE, 


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NOTES. 


^    C^£ST  one  renié  cme  PJutarque  met  encore  daBtff 

1    grand  jour    dans  le  Traite  :   Comment  il  faut 

a''un  philosophe  conyerseavec  les  princes. k  L'bomm« 

de  bon  sens ,  «iit-  il ,  qui  se  mêlera  du  gouverne^ 

roent  ,  ne  désirera  qu'autant  de  gloire  qu'il  lui  ea 

faut  pour  exécuter  de  grandes  actions ,  par  la  cod-^ 

fiance  qu'aile  lui  attire  ^  car  il  n'est  ni  agréable  ni 

facile  de  servir  des  gens  qui  ne  le  veulent  pas  ^  et 

c'est  la  coufiaiice  qiii  excite  Ja  Tolonté«  U  en  est  de 

la  gloire  comme  de  la  lamiére;  la  lumière  est  un 

plus  grand  bien  pour  ceux  qui  voient  que  pour  ceux 

c|ui  sont  Vus  \  la  gloire  de  même  est  plus  utile  à 

:  ceux  qui  en  sentent  les  cJFets,  qu'à  ceux  qui  en  sont 

:  revêtus  ». 

*  Cela  est  in.évitfible  3  dès  qu'un  état  devient  riche  « 
\  déchoit  de  sa  grandeur.  C'es^  une.  vérité  prou véq 
par  mille  exemples  ;  et  une  des  plus  grandes  preuves  , 
t^est  ce  qui  est  arrivé  à  l'empire  romain.  La  verta 
et  la  richesse  font  la  balance  ^  quand  l'une  bai&se  ^ 
l'antre  hausse.  ... 

'  Comme  il  n'y  a  rien  de  plus  nréji|djcia}>le  aux 
villes  et  aux  états  qu'une  grande  még^j[\fé .  cef^e  é^ 
Vite  ,  que  le  partage,  des.  terres,  avoit  ii|.tijppiyi((e,,  cpi^* 
tinuant  dans  Sparte ,  servit  à  la  relever.  Ce  qui  subsiste 
encore  d'un  bon  établissexpeiit,  nefitseiÇTir  à  rétablir 
ce  qui  est  ruiné  et  perdn.  Voyez  la  vie  de  I,iycii»gt»e« 

^  SoloD  avoit  fait  à  Athènes  la  même  loi  »  mais  plus 
restreinte;  car  il  ne  permettoit  qu'aux  jpères  qui 
n'avoient  noint  d'enfants  mâles ,  nés  de  légitime  m&<* 
liage ,  de  donaer  leur  bien  à  qui  ils  voudrpieat.  PW 

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578  NOTES. 

tarque  ju^e  fort  bien  de  ces  lois ,  et  fait  roîr  eoinbîei 
elles  ëtoient  injustes  et  préjudiciables  à  l'état.  Voyez 
la  vie  de  Solon. 

^  Cette  raison  est  d'une  trés-grande  force  y  et  une 
démonstration  pour  faire  voir  qu'un  roi  ne  sauroit 
être  grand  par  ses  richesses ,  puisqu'il  y  a  ea  des 
domestiques  de  satrapes  ,  et  des  esclayes  mêmes  de 
leurs  favoris ,  qui  ont  possédé  plus  de  richesses  qnc 
les  rois  le^i  plus  riches,  et  qui  cependant  ont  toujours 
f^té  trés-meprisables  et  très-petits.  Il  n'y  a  donc  que 
la  vertu  qui  puisse  rendre  un  prince  yéritablemeot 
^rand. 

*  Amyot  écrit  Pallène ,  qui  étoît  une  -ville  d'^^r- 
eadîe  ,  aux  confins  de  la  Laconie.  il  y  ayoît  dans 
l'Achaïe  une  autre  ville  que  la  similitude  de  uom 
fiiit  quelque  fois  confondre  avec  celle-ci,  maïs  qui 
doit  se  nommer  Pelléne ,  snivant  le  scholiaste  d'Apol- 
lonius. Mallée ,  dont  il  est  question  ensuite  ,  est  na 
promontoire  au  sud  de  la  JLacpoie  ;  e.t  Sellasie  est 
près  de  1^  rivière  d'Cgnus ,  à  l'orient  d'été ,  paç 
rapport  à  Lacédémone.  ysf .  L,  D, 

7  On  a  lu  dans  la  vie  d«  Lyoïirgae ,  que  le  nombre 
de  peittonmes  qui  se  réuoissoient  à  une  même  table 
étoit  de  quinze  environ.  D'après  le  nombre  des  lots 
dont  il  vient  d'être  question ,  les  éditeurs  d'Amyet 

Çensent  qu'il  y  a'  ici  une  altération  dans  le  texte  de 
latarqqe ,  et  que  le  nombre  de  quinze  seroit  oeloi 
4es  convives  à  chaque  table.  ^.  Zî*  2><. 

*  On  alloit  coucher  dans  son  temple ,  et  la  naît  \t 
Déesse  fais<nt  Tdir  en  songe  tout  ce  oue  l'on  vouloit 
savoir.  Cicéron  a  parlé  de  cet  oracle  de  Pasiphaé 
dans  le  premier  livre  de  la  Divination  :  At^oeetiam 

'  qui  pneerant  Lacedemoniia  non  eonienti  vigUun* 
tihus  euris ,  in  Pasiphaœ  fano ,  quod  est  in  €tgro  pnp. 
tfdfurbemy  tomrtiandi  causa -^ocou^abant,  quiavçrn 

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HOTES»  !?79 

juieiis  craeida  dueehant.  M^^is  je  crois  qu'il  manqiM 
la  mot  à  ce  texte  de  Gicëron.  Le  temple  de  Fasiphaë 
l'étoit  pas  si  près  de  Sparte ,  qulil  ait  pu  dire  qu*il 
koit  propter  urbcm ,  près  de  la  rille.  ^  etoit  aa  fond 
le  la  Lâcotiie  dans  la  ville  de  Thalames ,  sur  le  golfe 
Messéniqae  et  par  conséquent  assez  loin  de  Sparte. 
Apparemment  après  urbemy  il  manque  le  nom  de  la 
pille  la  plus  prochaine  de  ce  temple ,  ou  peut-être 
le  nom  même  delà  Tille  de  Thalames;car  Ciceron  peut 
BToir  voulu  dire  que  ce  temple  étoit  non  dans  Thia- 
lames ,  mais  aux  portes  de  Thalames. 

9  Cet  endroit  me  parott  corrompu.  Peut-être  vaa- 
droit-  il  mieux  traduire  ,  ((  est  une  des  Atlantides  , 
«i  celle  de  qui  Jupiter  eut  Ammon  ». 

*"  Pausanias  pourroît  faire  croire  que  c'e'toit  la 
Déesse  Ino.  «t  Sur  le  chemin  d'Œtyla  à  Thalames  , 
^  dit-il,  est  le  temple  et  l'oracle  dTno.  On  le  con- 
fia suite  en  dormant ,  et  tout  ee  que  Ton  ycut  savoir  ,> 
<1  la  Déesse  le  fait  voir  en  songe.  Dans  la  cour  du 
«^  temple  ,  il  y  a  deux  statues  de  bronze ,  Pune  do 
«  Papbie ,  (on  a  corrigé  avec  raison  de  Pasiphaé ,)  et 
«l  Tautre  du  Soleil.  Celle  qui  est  dans  le  temple  né 
c  peut  être  vue  à  cause  de  la  quantité  de  couronnes 
«.  et  de  bandelettes  qui  la  cachent.  On  dit  qu'elle  est 
«aussi  de  bronze  ».  Il  y'a  bien  de  l'apparence  qu» 
c'est  Ino  même  qui  fut  appelée  Pasiphaé  ,  parce 
qu'elle  rendoit  ses  oracles  à  tout  le  monde.  Ce  nom 
étant  composé  des  deux  mots  TluTt  et  4>«/mf  y  décla" 
ter  à  tout  le  monde, 

^^  Terpandre  et  Thaïes  étpient  deux  poètes  musi- 
ciens très-célèbres.  Phcrécide  eut  la  gloire  d'instruire 
Pythagore,  et  enseigna  le  premier  dans  la  Grèce,  aa 
rapport  de  Ciceron  ,  le  dogme  de  Timmortalité  de 
l'ame.  ^.  £.  Z>. 

**^Xottt  ce  qui  tcndoit  a  rendre  la  musique  plol 

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58o  NOTES. 

tnolle  et  plus  efFëmint^e ,  étoît  suspect  à  ees  homme^ 
iagcs  ,  et  l'expérience  n'a  que  trop  prouvé  «ju'ili 
4^voient  raison.  Au  reste  le  grec  dit  qu'il  les  coupa 
'tnctTUfvy  >  que  Ton  a  traduit  avec  une  hache.  Mab 
ii  faut  que  ce  mot  signifie  autre  chose  qu^uoe 
hâche  ;  car  il  est  ridicule  de  prendre  une  hache  poitf 
couper  lés  cordes  d'un  instrument  ,  à  moins  qu'on 
ne  veuille  dire  que  cet  éphorë  prit  une  hache  pour 
Jaire  craindre  qu'il  ne  mit  la  lyre  en  pièces. 

*'  Timotbëe  de  Milel ,  grand  poète  dithyrambiquei 
,«t  grand  musicien  ;  il  avoit  ajoute  à  la  lyre  une  onzièmei 
et  une  douzième  corde.  Sparte  fit  un  décret  très- 
sëvère  contre  lui. 

**  Comment  est-il  possible  que  des  gens,  si  sagps 
d^aiilcurs  ,  eussent  une  imagination  si  eKtravag^ote  ? 
Une  étoile  ,  c'est-à-dire  une  exhalaison,  passant  d'an 
côté  du  ciel  à  l'autre,  marquoit  que  leurs  rois  avoienC 
commis  quelque  faute  énorme  contre  la  Divinité, 
et  méritoient  d'être  déposés.  11  ne  faut  pas  croire 
qu'ils  donnassent  à  cela  quelque  fondement  ^  c'étoit 
seulement  un  trait  de  politique  pour  avoir  toujours 
quelqiie  prétexte  de  chasser  leurs  rois. 

**  il  y  avoit  à  Sparte  un  temple  de  Minerve  qui 
étoit  tout  d'airain  ,  c'est  pourquoi  la  déesse  fut  ap- 
pelée C/Ja/c/oico5 ,  c'est-à-dire  qui  habite  la  nmisnn 
iTairain.  Pausanias  écrit  dans  les  Phociques  que  ce 
temple  existoit  encore  de  son  temps. 

*^  Cette  raison  est  fort  bonne }  car  le  dégât  que  les 
Étôliens  fcroient  dans  le  pays  ne  pouvoit  pas  êirc 
'considérable ,  tous  les  biens  él:^nt  renfermés  dans  Ips 
^Villes  et  dans  les  châteaux  ,  qu  ils  n'étoient  en  état 
ni  d'assiéger  ni  de  prendre  d'emblée. 

*7  On  prétend  que  ce  mot  décade  estcorrompa, 
l[u'il  ù^y  avoit  point  dans  la  prison  de  Sparte  de 

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NOTES.  38l 

chambre  de  ce  nom,  et  qu'il  fant  lire  appeUe  eajade, 
^aift  je  ne  sais  s'il  n'y  avoit  point  de  différence  entre 
^cade  et  eajade.  On  appeloit  cajade  le  lieu  ou  Van 
jetoitles  criminels  après  qu'ils  avoient  été  exécutés , 
«t  la  chambre  où  on  les  esecutoit  pou  voit  être  appelée 
^éeade.  U  est  rrai  que  ce  mot  ne  se  trouve  point  ail* 
Jeurs.  Et  ce  n*est  peut-être  pas  une  raison. 

^^  Voici  un  philosophe  du  Bosphore.  On  en  ayoit 
déjà  TU  du  fond  de  la  Scythîe^  la  sacesse  a  soufflé 
dans  tous  les  pays,  et  il  n'y  a  point  de  lieu  si  barbare 
où  elle  ne  se  soit  fait  entendre.  Ce  Sphérus  vivoit  sur 
£n  du  règne  de  Philadelphe ,  et  florissoit  sous  celui 
d'ETergètes.  Diogène  Laè'rce  nous  a  conservé  la  liste 
de  sesouTraees,  qui  ctoient  très-considérables.  Il  fut 
disciple  de  Zenon  ,  et  après  lui  de  Cléanthe. 

>9  II  £aut  distinguer  Zenon  le  Citien  de  Zenon 
d^Elée  ,  ville  de  la  Laconte  ,  qui  florissoit  prés  de 
deux  cents  ans  avant  la  mort  de  ce  Zenon  le  Cilien  ^ 
ainsi  appelé  parce  qu'il  étoit  de  Citium  ,  ville  de 
Cjpre. 

*<*  C'est  avec  grande  raison  qne  Plutarque  compare 
la  philosophie  des  stoïciens  à  la  poésie  de  Tyriée  ;  car 
il  n'y  en  a  point  qui  inspire  plus  de  courage,  et  nn 

S  lus  grand  mépris  pour  la  morl.  Mais  ,  comme  ii 
tt  fort  bien,  elle  est  dangereuse  pour  les  âmes  vigou- 
reuses et  fortes.  Caton  d'U tique  en  est  une  preuve. 

^*  Les  Lacédémoniens  donnoient  à  l'amour  des 
garçons  ce  beau  nom ,  parce  qùll  ne  tendoit  qu'ù  les 
porter  à  là  vertu  et  à  la  sagesse. 

**  Le  mot  de  ce  roi  est  ibrt  beau.  H  est  attribué  à 
Agis  l'ancien  ,  fils  d'Archidamus.  M.  Dacier  cite 
lin  officier  français  qu'il  ne  nomme  pas  ,  qui  en  a  dit 
un  semblable.  Avec  peu  Je  gens  il  attiqua  une  grogne 
troupe ,  ^t  fut  batiu  ei  pris.  Con^me  on  lui  demandoil 

■*•  DigitizedbyCjOOgle 


382  NOTE  9; 

oommeniareG  use  poip;née  d'hommes  il  avoit  )klUiq«4 
uo  corps  si  supérieur  eu  nombre;  il  répondit  :  «  Le  roî 
«  mon  maître  nous  a  ordonné  de  vous  combattre ,  eC 
«  non  pas  ide  vous  compter  ». 

■*  Ce  poste  est  différent  de  la  ville  de  Leuclres  dans 
la  Béotie ,  et  de  celle  de  la  Lacouie,  sur  le  rivage  dii 
Sinus  Messeniacus.  On  a  cru  que  ce  poste  est  le 
même  que  celui  que  Polybe  appelle  LaoMcii,  hlcts 

'^  Lysiadas avoit  déposé  volontairement  la  tyran- 
J&ie ,  avant  que  la  crainte  d'Aratus  eût  forcé  les  autres 
tyrans  à  se  démettre.  ï'olybc  raconte  ce  fait,  liv.  ij. 

°^  Ce  passage  me  persuade  que  cette  Pasiphaé  est 
Ja  même  qu'Ino;  car  pour  la  consulter  on  alloit  coa« 
cher  dans  son  temple ,  et  tout  ce  qu'on  vouloît  saToir, 
la  Déesse  le  faisoit  voir  en  songe.  On  peut  voir  ce  uoi 
9  été  remarqué  ci-devant. 

'^  Voici  un  passage  singulier  qui  nous  apprend  qu^a 
Sparte  on  appeloit  Samothraciens  les  enfants  qui 
•étoient  élevés  ensemble.  J'avoue  que  je  n'ai  tii  ail- 
leurs aucun  vestige  de  cette  dénomination.  D^où 
pouvoit-elle  venir  r  Est-ce  qu'on  regardoit  ces  enfants 
■t'ievés  enseipble  comme  des  frères  initiésaax  mystères 
de  Samothrace ,  pour  rendre  leur  union  plus  forte  ? 
Ce  mot  a  été  suspect  au  savant  Palmérius  ;  il  a  cru 
qu'au  lieu  de  ^«tfM^fkxMÇ  »  Samotkracieru  ,  il  fkdloit 
lire  IlwSiW  y  Ffthiens ,  et  il  fonde  sa  conjecture  sur 
ce  qu'Hérodote  nous  apprend  qu'à  Sparte  on  appeloit 
Pjrthiens  ,  deux  citoyens  que  chacun  des  rois  avoit 
clroil  de  choisir  pour  les  envoyer  à  Delphes  consulter 
l'oracle,  et  .qui  avoient  le  piivilége  de  manger  avec 
eux  en  public.  Mais  comment  de  Pythiens  auroit^ou 
fait  Samoûiraciens  ?  ces  deux  mots  sont  si  différents 
^u'ou  ne  comprend  pas  commeut  aucopûte  aucoùp« 

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NOTES.  .  583 

mettra  Pnn  ponr  l'autre.  "D'ailleurs ,  ce  qo'HerocloUs  ' 
dit  est  fort  différent  de  ce  que  dit  Plularque. 

■7  C'est  un  demi-vers  de  quelque  ancien  poète. 
Et  il  est  constant  que  la  honte  est  inséparable  de  la 
pènr.  Il  est  bien  vrai  qu'on  n'a  pas  honte  de  tout  co 
dont  on  a  peur,  mais  on  a  peur  de  tout  ce  dont  on  a 
honte.  Car  c'est  ainsi  que  ce  vers  doit  être  expliqué  , 
comme  SocraCe  le  fait  voir  dans  VEutyphron. 

•*  Ce  passage  a  étd  mal  explique'  par  tous  les  in- 
terprètes. Plularque  dît  qu'auprès  de  la  salle  où  man-» 
^oient  les  éphores ,  \qs  Lacëdëmoniens  a  voient  con* 
sacre  aoe  chapelle  à  la  Peur ,  ettque  par  là  ils  avoienl 
^galé cette  dignité  d'éphoreàla  rojantc  même.  Gom- 
ment cela?  c'est  que  par  cette  chapelle  dédiée  à  la 
Pear  près  de  lear  salle ,  ils  a  voient  fait  voir'  que  les 
éphore^  iievoieat  6tre  respectés  et  craints  comme  le^ 
»oi$.  * 

*9  Théopompe  trouvant  la  puissance  du  sénat  et 
des  rois  encore  trop  absolue. ,  lui  oppoM  l'autorité 
âes  ^phores  comme  un  frein.  Cléoméne  favorise  un 
peu  sa  canse  ;  car  il  n'est  pas  vrai  que  les  éphores  ne 
lussent  d'abord  que  les  ministres  des  rois. 

'^  Cette  liberté  de  désobéir  deux  fois  étoit  poui» 
marquer  une  sorte  de  supériorité  des  rois  sur  les 
«phares  ;  c'éloit  une  marque  de  la  dignité  de  leur  ca- 
ractère. Mais  la  nécessité  de  marcher  au  troisième 
mandement ,  détrnisoit  d'une  manière  bien  visible 
-cette  supériorité  qui  n'étoit  que  chimérique ,  et  mar- 
«{uoit  bien  l'autorité  que  les  épho 


bores  avoîent  dur  let 


'^  Cléoméne  a  glissé  cette  particularité,  qui  eher^ 
choit  à  se  faire  roi  ,  pour  trouver  plus  de  ressem-, 
blance  entre  Lycur^ue  et  lui ,  et  pour  se  rendre  par 
Vi  moins  odieux.  Mais  il  l'ajoute  sans  fondement  { i^r 

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584  •  NOTES. 

il  n'est  pas  Trai  que  Lycurgue  cherchât  à  se  falr«  roi. 
Rien  n^étoit  plus  éloigné  de  sa  pensée ,  comme  on  Ta 
vu  dans  sa  vie. 

5^  Les  lUyriens  étoient  situés  le  lonç  de  la  mer 
Adriatique  ,  et  venoient  joindre  la  Macédoine  y  mais 
cette  dénoDiination  est  assez  vague  chez  les  anciens  , 
et  comprend  une  plus  ou  moins  grande  étendue  de 
pays. 

Ihid,  Dans  cette  dernière  phrase ,  M.  pacîcr.avoît 
appliqué  à  Lycurgue  ce  que  Cléoméne  disoit  de  lui- 
xneme.  J'ai  cru  devoir  rétablir  le  sens  qui  m'a  paru  le  [ 
plus  naturel ,  et  qui  est  d'ailleurs  suivi  par  les  detniers  1 
éditeurs  d'Amyot.  ^.Z^kiD*  I 

'^  Ces  boucliers  à  aoses  étoient  bien  pi  os  fermes 
ffue  ceu)^  qui.  ne.  tenoifutqu'à  des  courroies.  D'ailleurs , 
ces  courroies  pouvoient  se  rompre  ou  se  détacher  ,  et  i 
par  là  les  boucliers  devenir  inutiles.  | 

•   ^^  C'est.  le  sens  du  texte  tel  qu'il  est  écrit ,  ii  i^à 
ypufitftartm  x^ijftutrS^ùrrtt  \  mais  cette  leçon  m'est  sus- 
pecte ;  car  j'avoue  que  je  n'ai  vu  nulle  part  aucun 
exemple  de  ces  audiences  données  par  billets.  I>ansle 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  o.  Germain  Von  lit 
5  ii)t  yfctf4^«truûiv  y  etc.  Je  crois  qu'il  faut  corriger  , 
S  i'iyyfUftjtMTimzpf/ttttTiXofTx ,  qui  ne  donnent  leurs 
audiences  et  ne  répondent  que  par  leurs  secrjétaires.  i 
iCat  c'étoit  une  chose  fort  ordinaire  à  la  plupart  des  I 
princes  ^  et  on  voit  encf^re  en  Orient  des  vestiges  de 
cette  coutume  ,  de  ne  donner  des.  audiences  que  par 
leurs  ministres ,  et  de  ne  répondre  que  par  leur  bouche  :  j 
ypmêAfêtiTilf  sont  ici  ceux  que  nous  appelons  «eci«latref 

'  ^  La  conversation  de  Cléoméne  leur  paroissoî  t  pi  us 
charmante  q.ue  la  plus  belle  musique.  Il  me  semble  que 

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I 


KOTE8.  ^3^ 

l^\s^«mi  dît  quelque  part ,  qu'à  Uhlt  ,  quand  on  Mit 
parler  ,  on  se  paisse  tort  bien  d^eutendrç  chanter. 

* ^  Polvbe dit ,  li?.  II ,  tf  7f  Ao/tat/tt  rtft  fé  Kitriftmf 
* F.icMTifiÇitui  j  mais  il  q?«zplique  point  ce  que  c'cs^ 
ijae  ce  lieu  ou  ceten^ple  w^^^Xe  Uecatombœon^  Pau*  ' 
saiiias,  qui  a  de'cr^t  exactement  touf  ce  c[uW  voyoit 
autour  de  Dyflçu*s  »  Ven  fi^4,aiiQune  mention. 

^7  C'eslrà-dirc  à  cette  aimplicilë ,  à  cette  frugalité 
et  à  cette€ga|ité^qui^Qnt  le  même  effet  dans  les  états,. 
que  le  ton  dorie^n/daipis  la.musique.  11  a  été  parl^ail* 
leurs  de  ce  t^^.dprien* 

^*  Les  éditeurs^d*i^inyptpensent  avec  raison  qu'il 
s'^agit  ici  d^une  Tille  d'Achaïe ,  appelée  Tritaee  ,  aur 
prés  de  Dymes  ,  et  qui  étoit,  suivant  Pausanias,  du 
Ti  ombre  des  Tilles  peu  considérables  qui  avoient  été 
réunies  pou^  composer  la  cité,de  Méealopolis  ;  en  il 
esi  évident qne  If  nom  de  Tricca ,  Tifle  de  ThessaUe  ^ 
ne  peut  trouTericji  sa  place.  Les  habitants  de  cette. 
vUle  d'Achaïe  étoient  nommés  Tritaeens.  jé*  JL.  Z>. 

^9  Gomme  AEgion  étoit  une  yillemaritime  de  T  A- 
chaïe  Sur  le  ii»prd  dn^  gpl£s  de  Corinthe  ,  tont  an  bout 
presque  du  rcçtéidvi  couchant*  et  par  conséquent  fort 
«loig;né  d'ArgoS;,  Cléomène  esperoit  de  surprendre 
cette  place  avant  qne  I9  déclaration  de  cette  çierre  y 
pût  être  portée* d^AEgioa ,  et  qu'ils  eussent  fait  leurs 
préparatifs. 

*<*  C'étoient  desmontajgnes  qui  s'étendoient depuis 
les  rochers  Scironides  ,  sur  le  chemin  de  l'Attiqtie  , 
jusqu'à  la  Béotic  et  au  mont  Cithéron.  Strabon ,  liv. 
viij.  Elles  étoient  appelées  4ni«  éfn^  c'est^-dire  ,  Us 
montagnes  des  dneè, 

^^  C'est  le  promontoire  de  Junoo  appelée  Acrcea  \ 
le  promontoire  ayant  donné  le  nom  à  la  péesse ,  et  la 

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586  NOTES. 

Dresse  an  promontoire  qui  étoit  appela  Herceum,  Tit^ 
Lir^  en  parle  lir.  xxxij.  a3.  Promontotium  est  ad~ 
yemus  Sicjrontm,  Junoms  ^tuim  voeant  ^crœam  ,  in 
altum  excurrens,  Trajectus  inde  Crjrinthum  ,  sepien 
miHia  firme  passuum.  Sur  ce  proqoioiitoire  »  il  y  avoit 
un  temple  de  Junon.  Gomme  les  géographes  n^ont 
pas  maitnié  la  situation  de  ce  promontoire ,  nous  ne 
saurions  oien  juger  du  parti  que  Touloii  prendre  An- 
tigonus.  Ce  temple  de  Jnnon  est  différent  du  temple 
de  la  même  Déesse  appelé  aussi  Herœum  ,  qai  étoit 
au-dessus  d^Argos ,  et  qui  étoit  commun  à  Argos  et  à 
Mycénes ,  comme  nous  l^apprenons  de  Strabon.  C'est 
de  ce  dernier  qu'il  est  parle  dans  la  vie  d^Agésilas. 

'^*  Les  Géographes  ne  font  anoune  mentioa  de  Ko»- 
tjum.  Il  parotc  que  c'étoit  quelque  poste  ,  quelque 
place  près  de  Megalopolis. 

^'  Le  P.  Lubin  a  cm  que  le  texte  étpit  cocronapu , 
et  qu'il  falloit  lire  par  U,  chemin  d'HélistorUe,  Car  il 
n*y  a  point  en  Arcadie  de  plaoe  appelée  Méli^ome; 
mais  il  y  en  a  une  appelée  Hélisson  et  une  rivière  de 
même. nom,  mentionnées  par  Pansanias. 

^^  Polybe  donne  de  grands  éloges  à  cette  <^nstan^e 
et  à  cette  générosité  desMegalopolitains ,  qni  aimèrent 
mieux  perdre  leur  pays ,  que  de  renoncer  an  parti  et  à 
IMliance  des  Achéens ,  et  qui  »  qnoiqu^on  leur  donnât 
la  permission  de  rerenir  clans  leur  ▼tUe  ,  aimèrent 
mieux  être  privés  de  leurs  terres ,  de  leurs  tombeaux , 
4e  leurs  temples ,  de  leurs  biens ,  de  leur  ville ,  et  de 
tout  ce  qu'ils»  avoîent  de  plus  cher  ,  que  de  violer  la 
foi  au'îls  avoient  donnée  à  leurs  allies.  Y  a-t-il  rien 
de  plus  glorieux  et  de  plus  illustre?  Polyb.  liv.  îj. 

.  ^^  C'est  le  jugement  qu'en  fait  Pol^e  après  les 
plus  sages.  »  Au  commencement  du  pnntemps ,  dit- 
«r  il ,  cT<^omènd  se  jeta  dans  les  terres  d'AVeos  avae 
«  ttfie  ^mérité  désespérée ,  %omm^^  b  croyoït  le  v^ 

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gaire  y-^k  cause  des  lieux  forts  li'assiette  ^^if*  trouvoiC 
sur  son  passage  ,  mais  avec  beaucoup  de  prndénc* 

i  et  de  raison  ,  selon  les  gens  les  plus  sensés  ,  elc»    ' 

I  liv.  ij.  ». 

*®  Cela  me  paroît  remarquable.  Çleomène  fait  un 
acrificc  à  Jaoon  devant  son  temple ,  qui  ctoit  fermé. 
^a  religionrempéchoit  d'en  forcer  les  portes. 

*7  Cet  endroit  est  assez  difficile  dansToriginal  j  j'aî  ' 
âché  d'en  rendre  le  sens.  ?lutarque  enchérit  ici  sur 
tne  réfleacion  qae  Polybe  lui  a  fournie. 

***  La  bataille  de  Seibsie  est  parfaitement  décritf 
>ar  Polybe ,  liv.  ij.  Antigonus  e'toit  entré  dans4a  La- 
:onie  avec  vingt'buit  mille  hommes  de  pied  et  douze 
rents  chevaux.  Cléomène  o'avoit  que  vingt  mille 
lommesj  mais  il  suppléa  k  cette  grande  infériorité 
tar  Tavantage  des  postes;  il  se  posta  sur  deux.mon* 
lignes  presaue  inaccessibles,  séparées  seulemeot  par, 
in  chemin  tort  étroit,  qui  alloit  le  long  d'une  rivière 
usqu'à  Sparte.;  et  il  avoit  fortifié  encore  ces  deux  môn- 
ag4)cs  par  un  bon  fossé  et  de  bons  remparts  ;  de  sorter 
{u' Antigonus  après  l'avoir  reconnu.,  ne  jugea  pasà- 
)ropos  d^  l'attaquer,  et  se  contenta  de  camper  pr,è» 
Je  lui.  Cléoménc ,  qui  apparemment  manquoit  de 
fivre%  et  d^argent ,  (it  enfin  la  faute  de  consentir  à  la' 
bataille,  et  il  fut  battu.  11  y  a  beaucoup  de  profit  à* 
faire  pour  les  gens  de  guerre  dans  le  détail  que  Po)yb« 
1  donné' de  ce  combat. 

^9  Euclidas  mourut  en  effet  en  vaillant  homme; 
nais  s'il  fit  le  devoir  de  soldat ,  il  ne  fit  pas  celui  de 
;apitaiDe.  Polybe  nous  apprend  .qu'il  ne  se  servit  paa 
le  l'avantage  de  son  poste  ;  car  au  Ifeude  tomber  de 
ies  lieux  hauts  sur  les  ennemis,  de  mettre  le  désordr» 
lans  leurs  rangs,  et  de  se  retirer  ensuite-  sur  ses  hau» 
eurs  (juand  la  nécessité  l'y  obligeroit ,  il  fit  tout  1a 
HonUaii;e  ;  et;  con^nifi  $'11  e^t  d^rempoctepla  victoire 

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588  K0TK8. 

•ans  rien  faire,  il  se  tint  ferme  sur  le  sommet  de  sa 
montagne  «  dans  la  pensée  qa'ii  devoit  y  attendre  Pen- 
pemi,  afin  qu'après  sa  défaite.;  il  eùt.plus  de  peine  à 
s'enfuir  par  ces  lieux  penchants  et  difficiles.  Mais  le' 
contraire  arriva ,  comme  6ela  étoitbien  vraisemblable  j 
car  ne  s'étant  laissé  derrière  lui  aucun  espace  libre 
pour  se  retirer  quand  les  cohortes  des  Illyriens  lui 
tombèrent  sur  les  bras ,  il  ne  put  soutenir  leur  effort , 
parce  qu'il  n'avoit  pas  de  terrain  pour  se  rallier. 

^°  Dans  les.  écoles  ,  on  faisoit  publiquement  des] 
discours ,  des  déclan^ations  sur.  les  graiûic'  hommes.! 
Dans  un  manuscrit,  au  lieu  de  t-yM^*^  »  il  y  a  '^evjstK  » 
c^est-à'dire ,  dans  les  lieux  o^  Ton  s^assembloit  pouf 
discourir  et  pour  parler  de  nouvelles. 

^^  Voilà  un  précepte  admirable ,  et  qui  est  tiré  de  la 
plus  pi^fonde  philosophie*  C'est  la  seule  pierre  de 
touche  dont  on  doit  se  servir  pour  juger  des  morts, 
qui  sont  ou  glorieuses  ou  honteuses. 

.  ^*  Gléomène  parle  eu  homme  yertueux ,  qui  est  per« 
suadé  qu'un  roi  ne.sauroit  avoir  des  ministres  plus 
afFe.clionnés  à  spn  service ,  et  plus  obliges  de  Paider 
à  porter  le  pesant  fardeau  de  la  royauté  ,  que  ses 
propres  frères.  Cela  devroitétre  ;  mais  Phistoirede 
ces  temps-là  faitass^z  voir  quePexpérienoe  a  démenti 
ce  beau  principe ,  et  que  les  frères  de  presque  tons 
ees  rois  ont  été  leurs. eimémis  les  pl^s  dangereux,  et 
qu'il  n*y  avoilrien  de  plus  ordinaire  dans  les  maisons 
royales  que  les  .meurtres  des  frères.  Plutarqae  nous  dit 
dans  la  vie  de  Démétrius  ,  que  ce  meurtre  des  £rères 
étbit  dans  la  politique  ce  qu'est  en  géométrie  nn  axiome 
-  que  tout  le  monde  reçoit ,  et  que  personne  ne  conteste. 

*^  C'étoit  la  coutume  de  mettre  des  gardes  aaprès 
des  corps  de  ceux  qi;i'^on  a  voit  exéeutés  ,  pour  em- 
pêcher qu'on  ne  les  eàlevât  pour  les  enterrer.  3fiUs 
^ui  cmeûs  assen^abat,  ne  tjfuU  ad  tepuùuram  corpom 

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NOTES.  589 

etraheret^  dit  Pétrone  dn»  sa  Matrboe  d'Fphése* 
'est  dans  cet  esprit  que  les  princes  des  prêtres  et 
PS  pliarisiens  dirent  à  Pilate,  après  qu^on  eût  cru7 
iG&  Jésus -Christ:  »  Ordonnez  que  le  sépulcre.soii 
gardé  jusqu^au  troisième  jour ,  de  peur  que  ses  dis* 
ciple^  ne  tiennent  la  nuitdër«ber  son  corps,  etc. 
^lattb.xxvij.  64.  ».  Cette  remarque  est  de  M.  de 
hou ,  je  Tai  trouvée  écrite  de  sa  main  à  la  marge 
e  son  exemplaire. 

^^  Le  serpent  étoit  autour  de  sa  tête  et  lui  couvtoit 
wit  le  visage,  parce  qu'il  n*y  avoit  que  cette  partie 
111  fût  découverte ,  le  re^te  étant  tout  couvert  de  peaux. 
l'est  ce  qui  faisoit  le  prodige,  et  c'est  cela  même  qui 
evoit  le  détruire.  Car  il  n'etoitpas  mal-aisé  de  ju^er 
me  c'éloit  un  serpent  qui  s'étoit  glissé  sur  la  croix , 
t  qui  sVtoit  attaché  à  la  tête  et  an  visage  ,  comme* 
ttx  seules  parties  découvertes. 

^^  C'est  ce  que  toute  l'antiquité  a  cm.  Varron  l'en- 
fiigne  comme  une  chose  connue  vt  éprouvée  ;  Primum 
ipes  nascunlur  partim  ex  apibus  ,  partim  ex  hubulo 
:orpore  putrefacto.  ftaque  Jirchelaus  in  epigrammate 
ait  eas  esse  ,  2Mf  <pS^itfsifoç  mjrûtiifiitM  TtKVéi,  Idem 
'vKTrmf  fit  9  rÇfmç  ytnû  y  /uir^ttf  fi  /cf AiWw/ ,  liv.  iij. 
de  R.  R.  cap.  a6.  Virgile  a  suivi  cette  fable ,  et  Ta 
^(taillée  admirablement  dans  son  quatrième  livre  de» 
Giorgiques,  Ovide  a  aussi  rapporté  dans  son  quio- 
dême  livre  des  Métamorphoses  ces  générations  mi- 
raculeuses. 

•-»-I)«lActot  mieUtos  obrue  Unrof , 
Cognita  ret  usu ,  cLb  putri  vûcere  pauiai 
Florigerae  ntiicuntur  «pet. 

'^  C'est  ce  qu'Archélaûs  avoit  dit,  2srjr#f  #cfV  s^wit 
yfvftf  9  et  d'après  lui  Ovide , 

Pr««aa*  kono  bdUtor  eqnjus  crahronit  orig*. 

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SgO  NOTES. 

^7  Nous  apprenons  des  paradoxes  d^Antigoni 
qu^Archélaûs  avoit  écrit  en  vers  sur  cette  malièrei 
roi  Ptolémëe  }  c'est  dans  une  de  ses  épigrammesqn' 
dit  : 

Auvof  yt  ^DfT  oftÇy  vtKvoç  i'itXûl^  fftcirifvç. 

»  De  la  moelle  de  l'homme  s'engendre  un  terrib 
«  serpent  après  que  le  corps  est  pourri.  » 

Et  il  y  a  bien  de  l'apparence  que  ce  Ptolëmëe ,  à  qi 
ces  vers  e'toient  adresses,  étoit  ce  Ptolémée  Philopi 
ior ,  et  que  ces  générations  prodigieuses  furent  inu 
gînées  par  ce  poète,  pour  consoler  ce  prince ,  et  poi 
calmer  ses  frayeurs.  Car  il  n'y  a  rien  c[u  on  ne  persoai 
aux  princes  sur  les  matières  qu'ils  ignorent ,  smtoi 
quand  ce  qu'on  leur  dit  tend  à  les  rassmrer  et  à  la 
soulaj;er  du  pesant  fardeau  d'une  conscience  cbarfjB 
de  crimes.  C'est  après  cet  Arohélaûs  qu'Oyide  a  du 

Snnt  qui ,  c&m  olanso  pntrefecU  et  Apiiia  tepnlexs  , 
liaUuri  credaat  hunuxuu  angve  medollu. 


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THE  NEW  YORK 

PUBUCLIBRARr 
ClKCULATINë  II 


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CATUS  -  GRACCHUS, 

J/nuol ,  EJiàû/i   158-7  . 


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3ÉRIUS  ET  CAIUS  GRACCHUS. 


JPR^S  avoir  donné  Phistoire  des  Grecs 
b  et  Cléomèoe,  noiis  ne  trouY(»is  pas  de 
us  grandes  calamités  k  exposer  dans  la 
des  deux  Romains ,  Tibérius  et  Caïus  ^ 
:  nous  devons  leur  opposer.  Ils  étoient  fils 
ribërius  Gracchus,  qui  ayant  été.  censeur 
îeux  fois  consul ,  et  ayant  eu  deux  fois 
>iinéur  du  triomphe ,  tii  oit  encore  plus  de 
Te  et  d'éclat  de  sa  vertu  seule ,  que  de 
tçs  ses  dignités  S  Cest^^ette  haute  vertu 
y  après  la  mort  du  grand  Scîpion,  vain- 
ur  d'Annîbalj  le  rendit  digne  d'épouser 
fille  Cornélîe  5  quoiqu'il  n'eût  jamais  été 
[  de  son  père ,  et  qu'au  contraire ,  il  Imî 
toujours  été  très-opposé.  On  dît  qu'un 
r  il  trouva  dans  son  lit  deux  serpents  ;  que 
devins 9  après  avoir  considéré  ce  prodige, 
lui  permirent  ni  de  les  tuer  ni  de  les  lais- 
échapper  tous  dettx;  qu'ayant  fait  leur 
nostic  sur  l'un  et  sur  l'autre,  ils  assurèrent 
!  la  mort  du  mâle  hâteroit  la  mort  de 
icchus,  et  que  celle  de  la  femelle  avance- 
la  mort  de  Cornélien  ;  que  Gracchus*,^ 
aliuoit  éperdument  sa  femme ,  et  qui 

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S93    tIBÉRIlTS  ET  CAIUS  GRACCHÎTS. 

trou  voit  qu'il  ëtoit  plus  raisonnable  ^u^ilnifl 
rut  le  premier  parce  qu'il  étoÎL  déjà  â^^ê. 
que  Cornélie  étoit  encore  jeune,  tua  le  nu 
sans  balancer  y  et  laissa  aller  la  femelle  \ 

3u'il  mourut  peu  de  temps  après,  laiisj 
onze  enfants  qu'il  aveit  eu  de  Cornélie. 
Cette  dame ,  après  la  mort  de  son  as! 
prit  ses  douze  entants  et  la  conduite  de 
maison ,  et  se  montra  si  sage  ,  si  bonne  et 
tendre  pour  ses  enfants,  et  si  pleine  de  ina^ 
nimiié  et  de  courage ,  qu'il  parut  que  Gr* 
chus  ït'^avoit  pas  pris  le  mauvais  parti  de  pu 
férer  sa  propre  mort  a  celle  a  une  feoij 
aussi  accomplie.  Le  roi  Ptolémée  voulut) 
faire  part  de  son  diadème,  et  envoya  lad 
mander  en  mariage ,  mais  elle  le  refusa.  Di 
son  veuvage ,  elle  perdit  presque  tous  ses  ej 
fants;  il  ne  lui  resta  qu'une  seule  fille  oup 
maria  au  jeune  Scipiou,  et  deux  fils,  Tio 
rius  et  Caïus ,  qu'elle  éleva  avec  tant  dcsd 
que  quoiqu'ils  fussent  généralement  recoDD 

}>our  être  nés  avec  le  plus  heureux  naturej 
es  meilleures  dispositions^  ils  paroissoij 
avoir  été  encore  mieux  élevés  i  la  verj 
qu'ils  n'y  étoient  nés ,  et  avoir  reçu  pins  I 
secours  de  l'éducation  que  de  la  oai^j 
Mais  comme  dans  les  portraits  et  ii 
les  statues  des  deux  jumeaux  Castor  et  Po!:l 
au  travers  de  la  ressemblance  de  leurs  irM 

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TIBÊRÏUS  ET  CAICS  GRACCHUS'.    SgS 

Dn  ne  laisse  pas  de  remarquer  la  différence 
qni  se  trouve  naturellement  entre  un  athlète 
né  pour  les  combats  du  cesle  et  un  autre  atlilète 
né  pour  combattre  k  cheval  ;  de  même  au  tra- 
vers de  la  ressemblance  de  ces  deux  jeunes 
hommes ,  pour  tout  ce  qui  regardoit  la  force^ 
la  tempérance  y  la  libéralité,  la  magnanimité 
et  l'éloquence ,  on  ne  laissoit  pas  de  voir 
paroître  et  éclater  certaines  dissemblances 
dans  toutes  leurs  actions  et  dans  la  manière 
de  gouverner  la  république.  Et  il  me  semble 
qu'il  ne  sera  pas  mal  fait  de  les  exposer  ici 
avant  que  d'entrer  dans  le  de'tail  de  leur  vie. 

Premièrement ,  pour  ce  qui  est  des  traits  du 
visage,  du  regard,  de  la  démarche  et  de  tous 
les  mouvements ,  Tibérius  étoit  plus  doux  et 
plus  posé,  et  Caïus  plus  vif  et  plus  véhément , 
de  sorte  que ,  quand  ils  parloient  en  public  , 
le  premier  se  tenoit  toujours  a  la  même  place,  ' 
dans  un  maintien  sage  et  posé,  et  l'autre  fut 
le  premier  des  Romains  qui  commença  h  se 
promener  dans  la  tribune,  a  aller  d'un  bout 
a  Tauti'e,  et  k  rejeter  sa  robe  de  dessus  ses 
épaules  \  comme  on  dit  de  Cléon  l'Athénien , 
qu'il  fut  le  premier  des  orateurs  qui,  en  haran- 
guant, rejeta  son  manteau  et  frappa  sa  cuisse. 
Le  plus,  l'éloquence  de  Caïus  étoit  terrible 
et  véhémente  jusqu'k  l'excès ,  et  celle  de  Ti- 
bérius étoit  douce  et  plus  propre  k  émouvoir 


%Qi  TIBÉRIUS  ET  CAIUS  GÏIACCHUSi. 
«t  k  exciter  la  compassion.  La  diction  de  celuî- 
cî  étoit  jpure  et  extrêmement  travaillée ,  et 
celle  de  Caïus  étoit  persuasive ,  Ûeurle  et 
riante.  La  même  différence  se  remarquoit  dans 
leur  table  et  dans  leur  dépense  ordinaire.  Ti- 
bérius  étoit  simple  et  frugal,  et  Caïus,  com- 
paré aux  autres  Romains ,  étoit  tempérant  et 
sobre  ;  mais  en  comparaison  de  son  frère,  il 
étoit  recherche,  somptueux,  et  donnoit  dans 
le  superflu  :  aussi  Drusus  lui  reprocha-t-il  un 
jour  d'avoir  acheté  des  tables  de  Delphes  d'ar- 
gent massif ,  et  d'un  ouvrage  si  exquis,  qu'il 
en  avoit  payé  douze,  cent  cinquante  drachmes 
la  livre  pesant  ^.  Leiurs  mœurs  n'étoient  pas 
moins  différentes  que  leur  langage.  Tibérius 
étoit  doux ,  modéré  et  poli ,  et  Caïus  étoit 
rude,  violent  et  emporté,  jusque-là  que  sou- 
vent au  milieu  de  ses  harangues,  tout  d'un 
.  coup,  contre  son  dessein,  il  s'abaudounolt  a 
des  mouvements  excessifs  de  colère,  haussoit 
la  voix ,  disoit  des  injutes ,  et  brouîlloit  et 
confondoit  tout  dans  son  discours.  Ces  fré- 
quentes rechutes  l'obligèrent  k  chercher  un 
remède  a  ces  écarts.  Il  avoît  un  esclave  nomme 
Licînius,quin'étoît  pas  dépourvu  d'entende- 
tnent,  et  qui  savolt  se  servir  de  cet  înstru- 
toent  de  musique  avec  lequel  on  règle  la  voit 
et  on  enseigne  k  hausser  et  a  baisser  le  ton  s. 
ÏMtes  le»  fois  que  Caïus  parloit  en  public ,  c« 

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TIBÉRTUS  ET  CAIUS  GRACCHUS.     SgS 

icinius  se  tenolt  derrière  lui ,  et  quand  îl 
entoit  h  Pedat  de  sa^voîx  au'îl  s'erajjortoît 
t  gu'il  étoit  maîtrisé  par  la  colère ,  îl  lui  souf- 
loit  un  ton  doux ,  surlequel  Caïus^  relâchant 
ont  aussitôt  la  violence  de  sa  passion  et  la 
'ëhëmence  de  sa  voix  \  s'adoucissoit  tout*k- 
:oim  et  se  laissoit  ramener '. 

voila  les  diiférences qui  étoient  entre  eux; 
lu  reste ,  la  valeur  contre  les  ennemis,  la  jus- 
îce  enver?  les  inférieurs,  l'application  et 
'exactilude  h  se  bien  acquitter  de  leur  devoir 
lans  les  fonctions  de  leurs  charges,  et  la  tem-- 
lérance  dans  les  voluptés ,  étoient  égales  dans 
\m  et  dans  l'autre.  Mais  Tibérius  étoit  plus 
tgé  de  neuf  ans  quç  son  frère  :  de  Ik  vint  que 
eur  autorité  fut  s^arée  par  des  temps  consi- 
lérables ,  et  c'est  ce  qui  contribua  le  plus  k 
uiner  toutes  leurs  entreprises  et  tous  leuri 
lesseins,  parce  qu'ils  ne  fleurirent  pas  ensem- 
)le ,  et  qu'ils  ne  purent  unir  leur  puissance  y 
|ui  seroit  devenue  très-grande  et  peut-être 
nême  invincible  par  cette  union.  Il  Faut  donc 
«rire  séparément  la  vie  de  l'un  et  de  l'autre, 
ït  commencep  par  l'atné. 

Tibérius,  au  sortir  de  l'enfance,  se  rendit 
i  célèbre  et  si  recommandable ,  qu'on  le  jugea 
ligne  d'être  associé  au  collège  des  augures  y 
)Ien  plus  k  cause  de  sa  vertu  qu'a  cause  de  s\ 
;i<anae  naissance.  Une  marque  bien  éclatante 

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K96     TIBÈRIUS  ET  CKIVS  GRACCHUS. 

de  sa  réputation ,  c'est  le  glorieux  témoiguage 
(|ue  lui  rendit  Appius  Claudius ,  qui  avoit  été 
consul  et  censeur^  que  sa  dignité  personnelle 
avoit  fait  nommer  prince  du  sénat,  et  qui,  en 
grandeur  d'àme  et  en  prudence  ,  surpassoit 
tous  ks  Romains  de  son  temps.  Ce  grand  per- 
sonnage se  trouvant  a  un  festin  des  augures , 
adressa  toujours  la  parole  au  jeune  Tibérius, 
le  combla  de  marques  d'amitié ,  et  lui  offrit  sa 
fille  en  mariage.  Tibérius  ayant  reçu  avec 
beaucoup  de  joie  cette  proposition ,  et  les 
paroles  étant  données  de  part  et  d'autre ,  Ap- 

1>iu5  s'en  retourna  chez  lui.  Dès  qu'il  fut  sur 
e  souil  de  la  pori:^  9  il  appela  sa  femme,  et  lui 
cria  :  K  Antistîa,  je  viens  de  promettre  notre 
iille  Claudi^  ».  Antistia  étonnée  et  surprise: 
«  Pourquoi  donc  cç  grf  nd  empressement ,  lui 
«(  dit-elle ,  ^  moins  que  vous  n'ayes^  trouvé 
m  Tibér  iusQ-r^chua  k  lui  donner  pour  mari?  » 
Je  n?ignpi^e  pas  ^ue  quelques  auteurs  s^pli- 

Ïient  cette  circonstance  U  Tibérius ,  père  des 
racque^ ,  et  H  Scipioa  TAfiricain  ;  mais  la 
plupart  l'écrivent  comme  je  la  capporte  ici. 
fet  Polybe  ïfii-  même  dit  qU'aprës  la  mort  de 
Scipion  l' Africain ,  les  parants  assemblés  choi- 
sirent sur  tous  les  autres  ce  Tibérius^  père  des 
Gracques ,  pour  lui  donner  Cornélie ,  que  son 
pcre  avoit  laissée  sans  l'établir  ^. 

Le  jet^i^  Tibérius  disant  la  guerre  en  Afiri^ 

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TIBéaitTS  ET  C4IU8  ÔRÀCCHUS.  597 
Ae  sous  le  second  Scipion  y  qui  avoit  épousé 
I  sceur,  Tift>it  dans  la  même  tente  avec  son 
5néral ,  dont  il  eut  bientôt  connu  le  naturel , 
Lii  produisoit  tous  les  jours  plusieurs  grandes 
:  belles  choses,  très-capables  d'exciter  dans 
âme  le  zèle  et  l'amour  de  la  vertu ^  et  un 
iolent  désir  de  l'imiter.  D'abord  il  surpassa 
m  s  les  autres  jeunes  gens  en  valeur^  en  ooéis^ 
ince  et  en  attachement  pour  la  discipline.  Il 
lonta  le  premier  sur  la  muraille  d'une  ville 
Quemie ,  comme  le  rapporte  Fannius  (a)y 
ni  assure  même  qu'il  monta  avec  lui  ^  et  mi'il 
artagea  la  gloire  de  cette  action.  Penaant 
u^il  fut  k  l'armée ,  il  eut  l'amitié  de  toutes 
;s  troupes;  et  quand  il  en  partit,  il  laissa  de 
rands  regrets  dans  tous  les  cœurs. 

Cette  guerre  finie,  il  fut  élu  questeur, #et 
nvoyé  par  le  sort  contre  lesNumantins,  avec 
un  des  consuls ,  Caïus  Mancinus  (6) ,  qui  ne 
aanqiioit  pas  de  courage,  mais  qui  fut  le  plus 
aalheureux  de  tous  les  généraux  ;  et  ce  furent- 
irccisé^ient  tous  ses  malheurs  et  tous  les  évé- 
lements  qu'il  éprouva ,  qui  firent  éclater  la 
>rudence  et  le  courage  de  T'ibérius^  et  ce* 

r 

(a)  Faanîas,  gendre  de  Lttliii8,airoit  compose  vue 
tistoire  et  des  annalvs,  dont  Brntns  fit  an  abrégé. 

(b)  Qui  étoit  consul  aTeclU^^iŒmilius  Lépidvs. 
2>'iuit  Tan  de  RdasC^^^fpiS^tMnt  Tére  chré< 
ienne.  ^^H^^^^   ^^ 


^'V'Mmi 


SgS     TIBÉRIUS  ET  CAIUS  QRACCHXJS. 

qui  est  plus  admirable  ^  le  respçct  et  Phon- 
neur  (ju*il  porloit  a  son  jgéuéral ,  cjue  ses  in- 
fortunes avoîent  tellement  étonné,  qu'il  ne  se 
reconnoîssoît  plus  lui-même ,  et  qu'il  ne  sa- 
voit  plus  s'il  étoit  général  j  car  ayant  été  battu 
en  plusieurs  grandes  batailles,  il  tâcha  de 
s'enfiiir  la  nuit  en  abandonliant  son  camp, 
ï^es  Numantins,  avertis  de  sa  retraite,  s'em- 
parèrent d'abord  du  camp;  et  courant  ensuite 
après  les  fuyards,  ils  passèrent  au  fil  de  Pépée 
^ous  les  derniers,  et  enveloppant  l'armée,  ils 
la  poussèrent  dans  des  lieux  difficiles  d'où  elle 
ne  pouvoits.e  tirer.  ManciUus,  désespérant  de 
s'ouvrir  up  chemin  par  U  force,  leur  envoya 
lin  héraut  pour  demander  quelque  composi- 
tion. Les  Numajitîns  répondirent  qu'ils  n'^u- 
roîent  confiance  qu'en  Tibérius  seul ,  et  de- 
mandèrent qu'on  le  leur  eij voyât.  Cette  grande 
àfiectipu  qu  ils  avoient  pourlui  venoit  de  la 
réputation  de  ce  jeune  homme;  car  toute 
Panpée  retentissoit  du  bruit  de  son  nom  et  de 
ses  vertus  :  mais  elle  venoit  aussi  du  souvenir 
qu'ils  conaervoiçnt  de  son  père,  qui ,  ayant 
rait  autrefois  la  guerre  en  Espagne ,  et  subju- 
gué plusieurs  nationè,  avoijt  accordjé  la  paix 
a  Niunançe,  et  l'a  voit  maintenue  et  conservée, 
depuis  avçc  toute  sorte  de  justice  et  de  reli- 
gion, après  l'avoir,  faijt  confirmer  et  ratifier 
paj  le  peuple.  Tihérius  fut  donc  .çnvoyé  ":  it 

4  ,     '  Digitizedby  VjOOQ'IC    '  » 


TIBÊaïUS  ET  ÇAIUS  GRACCHUa*     3991 

boucha  avee  les  principaux  officiers  de» 
imàntius  ;  •  et  pai*  son  éloquence  et  par  ses 
uces  persuasions,  ayant  fait  ajouter  des 
nditîons  plus  favorables  k  celles  qu'on  lui 
cordoit  d'abord,  il  conclut  avec  eux  un 
âlë  ,  et  sauva  v)s2)lement  vingt  mille  ci- 
yeus  Romains,  outre  les  esclaves  et  tous 
:ux  qui  suivoient  l*armée.  Toutes  les  ri- 
lesses  qui  ëtoîent  dans  le  camp  des  Ro- 
aius  demeurèrent  aux  Numantins  qui  les 
lièrent. 

Parmi  le  butin  se  trouvèrent  ks  registres 
s  Tibérius,  où  étoient  ses  comptes  de  recette 
:  de  dépense  pendant  sa  questure.  Comme 
ctoitpour  lui  une  afiaire- très-importante  de 
is  recouvrer,  il  quitta  Pàrmée  qui  étoit  déjk 
Q  marche ,  et  alla  k  Numance,  accompagné 
miement  de  trois  ou  quatie  de  ses  amis, 
hiand  il  fut  aux  portes,  il  appela  les  com-' 
landants  de  la  place,  et  les  pria  dû  lui  rendre 
es  papiers,  afin  qu'il  ne  donnât  point  k  ses 
nnemis  un  prétexte  de  le  calomnier,  quand 
Is  le  verroîent  hors  d'état  de  se  défendre  et 
le  rendre  compte  de  son  administration.  Les 
Sumantios,  ravis  de  cette  circoustance  qui 
'obligeoit  de  recourir  k  eux ,  le  prièrent  d'en- 
rer  dans  leur  ville.  Comme  il  s'arrêtort,  con- 
îtiltant  en  lui-même  ce  qu'il  devoil  faire,  je* 
SlMiaantias  s'appjrochèrent .  Fembrassèrent^ 

DigiiizedbyCjOOgle 


4oO  TIBÉRIVS  ET  CAIU&  GRACX^HUS; 
'ei  le  conjurèrent  de  ne  plus  les^egarder  comme 
ennemis,  mais  bien  comme  ses  amis  les  plus 
fidèles ,  et  d'avoir  une  entière  confiance  en 
eux.  Tibe'rîus  crut  devoir  se  rendre  a  leurs 
prières ,  tant  par  l^envie  de  retirer  ses  regis- 
tres, que  dans  la  crainte  de  les  olSenser  et  de 
les  aigrir,  s'il  témoignoit  quelque  défiance. 
Dès  qu'il  fut  entre',  ils  lui  firent  servir  k  dîner, 
et  le  prièrent  très-instamment  de  s'asseoir  et 
démanger  avec  eux.  Ils  lui  rendirent  ensuite 
ses  registres,  et  le  pressèrent  de  prendre  tout 
ce  qu'il  voudroit  parmi  le  butin.  Mais  il  ne 

{>rit  que  l'encens,  qu'il  tf employa  que  pour 
es  sacrifices  publics,  et  retourna  rejoindre 
l'armée,  après  avoir  embrassé  ces  officiers,  et 
leur  avoir  fait  toutes  sortes  d'amitiés  et  de 
caresses. 

Quand  il  fut  de  retour  k  I\ome,  la  paix 
qu'il  a  voit  faite  fut  regardée  comme  indigne 
et  honteuse  pour  les  Romains,  et  il  en  fut  ou- 
vertement blâmé  :  mais  les  parents.et  les  amis 
de  ceux  qiii  avoient  servi  k  cette  guerre ,  fai-î 
sant  la  plus  grande  partie  du  peuple ,  s'as- 
semblèrent autour  de  Tibérius,  criant  que 
c'étoît  k  lui  seul  qu'on  avoît  l'obligation  de 
la  vie  de  vingt  mille  citoyens,'  et  rejetant 
S!ir  le  général  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  bon- 1 
toux  dans  ce  traité.  D  un  autre  c6té ,  ceux 
qui  étoient  indignés  de  ce  qu'où  avoit  fait, 

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TTIBÉRIUS  ET  CAIU5  GRACCHUS,    4oi 

Hiloîent  a  toute  force  qu*on  imitât  les  an- 
cns  Komains  :  car  autrefois  eu  cas  pareil, 
>  renvoyèrent  tout  nus  aux  Samnites  les  gé- 
îraux  qui  s'étoient  trouve's  très-heureux  d'é- 
lapper  de  leurs  mains  par  une  composition 
;normnieuse;  et  ils  renvoyèrent  non  seule- 
lent  les  généraux ,  mais  encore  tous  ceux  qui' 
voient  eu  part  k  ce  traité,  ou  qui  y  avoîent 
onsenti,  comme  les  questeurs  et  les  tribuns, 
usant  tomber  ainsi  sur  leur  tète  toute  la  haine 
es  serments  violés  et  de  la  paix  rompue  9.  Ce 
xt  surtout  en  cette  occasion  qiie  le  peuple  fi^ 
taroître  l'affection  et  la  faveur  qu'il  portoît 

Tibérius^  car  il  ordonna  que  le  consul 
lancinus  seroit  livré  aux  Numantins  nu  et 
hargé  de  chaînes  (a) ,  et  i!  pardonna  k  tous 
es  autres  pour  l'amour  de  Tîbérîus. 

Il  y  a  bien  de  l'apparence  que  Scipibn ,  qui 
itoit  alors  le  plus  grand  des  Komains,  et  qui 
ivoît  le  plus  d'autorité  et  de  puissance ,  lui 
kîda  en  cette  circonstance  j  mais  il  ne  laissa 
)as  d'être  blânié  de  ce  qu'il  n'a  voit  pas  sauvé 
lussi  le  consul,  et  fait  confirmer  le  traité  con- 
clu avec  les  Numantins,  dont  Tibérius ,  son 
imi  et  son  allié,  avoit  été  l'auteur.  Cependant 
il  m^  paroît  que  ces  plaintes  venoient  pour  la 
lupart  d'un  côté  de  Tambîtion  même  de  Ti- 


plupa 

Mancinus  lai-mâme  avoit  propos 
mantinsle  renvoyèrent,  y/.  L.  D, 

dby  Google 


(a)  Mancinus  leii-inôme  avoit  propose  la  loi,  mais 
les  Pïumantins  le  renvoyèrent,  y/.  L.  D, 


4o!i     TIBÉRiyS  ET  CAIUS  GRACCHUS. 

beriiis,  et  de  Fautie  ,  du  zèle  de  ses  amis, 
de  quelques  sophistes  qui  le  vantoîent  et  qi 
l'ëlevoient  jusqu'aux  nues.  Elles  n'abootim 
pourtant  a  riçn  de  fâcheux,  ne  produisirti 
aucun  désordre,  et  ne  brouillèrent  pasTitt 
rius  avec  Sçipion.  On  peut  dire  même  f 
Tiberiiis  auroît  e'vîté  les  malheurs  ou  il  toi 
ba,  sî  Scipion  avoit  e'té'a  Rome  quand  il  j» 
blia  ses  nouvelles  lois  (a);  maïs  il  étoit  dé; 
devait  Numance  où  il  ftiîsoit  la  guerre,  quau 
Tibérius  entreprit  de  les  faire  passer,  Envoii 
l'occasion. 

Toutes  les  fois  que  les  Romains  avoieu! 
conquis  des  terres  sur  leurs  voisins,  îls  avoien 
coutume  d'en  vendre  une  partie ,  d'ajouter  la 
autres  au  domaine  de  la  république,  et  delà 
^onner  aux  plus  pauvres  des  citoyens  pour  le 
faire  valoir,  a  condition  qu'ils  en  paierote 
tous  les  ans  une  petite  rente  au  trésor  public 
Mais  les  riches  ayant  commencé  a  enchérir  su 
eux  et  k  porter  beaucoup  plus  haut  ces  rentes 
et  k  chasser  par  ce  moyen  le$  pauvres  de  leur 
possessions,  on  fit  une  loi  qui  portoît  qu'au 
fcun  citoyen  ne  pourroit  posséder  que  josqu'i 
cinq  cents  arpents  de  terre.  Cette  loi  refrecL 
pendant  quelque  temps  l'avarîce  des  rîcbes, 
et  secourut  fort  k  propos  les  pauvres,  qui,e^ 

(a)  CVtoit  Taq  de  Rome  6ao ,  cci^t  iroitÇ'UQ 
levant  l'ère  chrétienne. 

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^IBÊRIUS  ET  CAIUS  GRACOHUS.    4o$ 

u  de  celte  loi,  demeurèrent  daps  le  pays 
les  terres  qu'ils  tenoient  k  ferme,  et  con- 
èrcnt  dé  cultiver  ëhacua  la  portion  qut 
éloît  échue  dès  le  commencement.  Mai* 
s  la  suite  leà  voisins  richeis  ayant  trouvé  lé 
^'^eii  de  se  faii:e  tt-ansporler  là  ferme  de  ces 
*es  sôus  des  noms  emprunlés^'et  enfin  les 
ant  ouvertement  eux-mêmes,  lespauvreS 
en  ctoîent  dépossédés  ne  se  prcsentoient 
s  pour  aller  volontiers  a  h  gneri^e ,  et  ne  se 
icîoîent  plus  d'élever  dès  eufanls}  de  sorte 
B  toute  rltalie  étoît  en  dançer  de  se  voii^ 
nlôt  dépeuplée  d'habitants  libres,  et  toute 
ttpUe  d'esclaves  et  de  Bàrbatés,  dont  les  ri- 
es se  servôient  pour  cultiver  ces  terriesd'oû 
avoîent  chassé  les  citoyens. 
Caîus  Laéliiis ,  Tami  particulier  de  Scîpîon  , 
:ha  de  remédier  a  ce  désordre  ;  mais  les  ri- 
es s'y  étant  dpposés ,  il  craignît  une  sédi- 
m ,  et  renonça  k  ^on  entreprise  ;  ce  qui  lui  fit 
mner  le  surnom  de  sage  ou  de  prudent  j  cat 
2st  ce  que  signifie  proprement  le  mot  romaia 
piens  **.  Mais  Tibérius,  plus  haMî,  ii'etlt 
15  été  plutôt  nommé  tribun  du  peuple,  qu'il 
prît  avec  ardent  le  même  projet.  La  plu-^ 
irt  disent  que  ce  fut  k  l'instigation  de  Dio-» 
lane  lé  rhéteur,  et  de  Blossius  le  phîloso- 
iie ,  dotit  le  premier  étoit  un  banni  oe  Mity- 
ne,  H  r«utrè  étoU  de  Pltalie  même,  natif 

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4o4    TIBÊRITTS  ET  CAIUS  GRACCdUS. 

de  la  ville  de  Ciimes,  ami  particulierd'A 

Ï>ater  de  Tarse,  qu'il  connut  a  Rome,  et 
ui  fit  rhonneur  de  lui  dédier  cjuelques- 
de  ses  traite's  de  philosophie.  Il  y  a  qiielqi  i 
auteurs  qui  leur  donnent  pour  complice  s 
mère  Cornélie,  qui  reprochoit  tous  les  jour- 
ses  deux  fils  «  que  les  nomains  ne  Pappetoit  I 
«  que  la  belle-mère  de  Scipion,  et  qu'ils  il 
c(  l'appeloieut  pas  encore  la  mère  des  Gra- 
«  qiies  »•  D'autres  assurent  que  celui  qi 
donna  davantage  lieu  k  cette  efitreprise,  t 
un  certain  Spurius  Posthuinîus,  compare  | 
de  Tibérius,  et  son  rival  en  éloquence  5  cJ 
Tibérius,  a|son  retour  de  l'armée,  l'ajaij 
trouvé  fort  supérieur  k  lui  en  réputation ,  M 
crédit  et  en  puissance,  et  voyant  qu'il (t'I 
admiré  et  respecté^de  tout  le  monde ,  en  cri- 
eut  une  telle  jalousie ,  qu'il  résolut  de  le  su. 
passer  en  entreprenant  cette  action  très-has^* 
deuse ,  et  qui  excîtoît  une  grande  attente  d^' 
le  public.  Son  frère  Caïus,  dans  un  méiBc:* 
quil  a  laissé ,  écrit  que  Tibérius,  alknt  ï  >• 
mance,  traversa  la  Toscane;  que  la  il  vît  1^ 
teires  désertes,  et  ne  trouva  d  autres  labo- 
reursni  d'autres  patres  que  des  esclaves  ver 
des  pays  étrangers  et  desBarbai-es,  et  que  (t 
ce  moment,  il  conçut  le  dessein  de  cette c 
treprise  qui  leur  causa  tant  de  maux.  Mai> 
qui  enflamma  le  plus  en  lui  celte  ardeut  1 

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*tIBél3llUd  1t,1i^  CAlUS  ÙKkCCRVS.  4o5 
celte  ambition ,  ce  fut  le  peuple ,  qui ,  par  des 
écriteaux  affichés  sur  les  portiques ,  sur  les 
murailles  et  sur  les  tombeaux,  l'exhortoit  tous 
les  jours  k  faire  rendre  aux  pauvres  les  terres 
du  domaine. 

Il  ne  fit  pourtant  pas  cette  loi  de  son  pro- 
pre mouvement ,  mais  il  la  communiqua  aux 
premiers  de  Rome  en  réputation  et  en  vertu, 
Et  pi'it  leur  conseil.  De  ce  nombre  ëtoit  Gras^ 
Sds ,  souverain  pontife,  le  jurisconsulte  Mu^ 
tiusScévola,  alors  consul,  et  AppiusClaudius 
même,  le  beau-père  de  Tibérius.  Et  il  semble 
[]ue  jamais  loi  plus  douce  ni  plus  humaine  île 
l'ut  donnée  contre  une  si  grande  injustice  et 
contre  une  avarice  si  énorme  ;  car  au  lieu  de 
punir  ces  avares  possesseurs  de  leur  désobéis- 
iance  et  de  les  chasser,  après  avoir  paye  Pa- 
nende ,  des  terres  dont  ils  jouissoient  contre 
les  lois,  il  se  contenta  d'orâosner  qu'ils  eu 
lortiroient  après  avoir  reçu  du  public  le  prix 
ie  ces  terres  qu'ils  retenoient  si  injustement  y 
;t  que  les  citoyens  qui  avchent  besoin  d'être 
oulayés  y  entreroîent  en  leur  place. 

Cependant,  quoique  cette  réforme  fut  si 
loiice,  le  peuple  oublfa  le  passé,  et  demanda 
eulement  qu'on  ne  lui  ftt  k  Favenir  aucune 
D justice;  mais  les  ridhes  et  ceux  qui  possé- 
loient  les  terres ,  haïssant  par  avarice  la  loi , 
:t  par  dépit  et  par  opiniâtreté  celui  quil'avoit 

**  D,g,t,zedbyC§é0gle 


4o6     TIBÉRIUS  ET  CAIUS  GRACCHÎJg. 

rendue,  tâcboient  d'en  dégoûter  le  peuple,  «5 

de  lui  persuader  que  Tibe'rius  ne  pioposou^ 

nouveau  partage  des  terres,  que  pour  suscité; 

de  grands  troubles  dans  la  république, 

pour  la  î]aettre  en  combusûoif.   Mais  il?  l: 

gagnèrent  rien  par  ces  menées  ;  car  Tibàii'^ 

soutenant  sa  cause ,  qui ,  d'elle-même,  et 

honnête  et  juste,  ayec  une  éloquence  quid' 

roit  pu  en  faire  passer  une  mauvaise,  pan: 

soit  terrible  et  invincible ,  et  il  n'y  avoit  pei 

sonoequlpûtlui  résister,  lorsque  toutlep-ï 

pie  étant  assemblé  autour  de  la  tribune, 

venoit  a  parler  en  faveur  des  pauvres,  ei 

déduire  ces  raisons  :  «  Les  bêtes  sauvages  4' 

«  sont  répandues  dans  les  montagnes  et  dm 

«  les  forêts  de  l'Italie ,  disoit-il ,  ont  chacu:] 

<(  leurs  forêts  et  leurs  tanières  pour  s'y  reiiic 

,«  mais  ces  braves  Romains  qui  combatteDi< 

;«  qui  s'exposent  k  la  mort  potir  la  défecs^ '1 

î« l'Italie,  ne  jouissent  que  de  la  lumièr: 

a  de  l'air  qu'on  ne  peut  leur  ravir,  etn-i 

«  rien  autre  chose  au  monde  :  sansmaiscr 

a  sans  retraites,  ils  errent  dans  les  campa^ 

«  avec  leurs  fepimes  et  leurs  enfants.  Lei 

«généraux  les  tron:pent,  lorsque  dans  i 

<(  combats  ils  les  exhortent  k  combattre  }i 

«  leur»  tombes^ux:  et  pour  leurs  dieux  dou. 

in  tiques,  et  a  repo^isser  l'ennemi;  car  p«ri 

<(  t4»ut  ce  grand  nombre  de  Romains,  il  n'y  u 

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TIBÉRTUS  ET  CAIÙS  GRACCHÛS.     4of 

<c  pas  un  seul  qui  ait  ni  un  autel  paternel ,  ni  un 
«  tombeau  de  ses  ancêtres 5  et  ils  ne  font  la 
«  guerre  et  ne  meurent  que  pour  entretenir  le 
«  luxe  et  pQur  augmenter  les  richesses  des 
<i  autres;  et  on  a  Peffrontérie  de  les  appeler* 
«  les  maîtres  de  Tunivets,  lorsqu'eflfective- 
«  ment  ils  n'ont  pas  un  seul  pouce  de  terre 
«  qui  leur  appartienne  ». 

A  ces  paroles ,  qu'il  prononçoît  avec  ua 
enthousiasme  plein  de*  courage  et  d'une  véri- 
table passion,  et  qui  frappoient  extrêmement 
le  peuple ,  il  n'y  avoit  aucun  dé  ses  adversai- 
res qui  osât  rien  opposer.  Abandonnant  donc 
le  parti  de  lui  répondre ,  ils  s'adressent  b  Mar- 
cus  Octavius,  iW  des  tribuns,  jeune  homme 
grave  dans  ses  mœurs,  et  plein  de  modéra- 
tion et  de  sagesse,  et  d'ailleurs  collègue  de 
Tibérius  et  son  ami  particulier.  Octavius,  par 
considération  pour  lui,  refusa  d'abord  de  s'op- 
poser k  sa  loi;  mais  la  plupart  des  plus  puis- 
gants  de  Rome  le  pressant  et  le  conjurant  de 
les  sefîondei*,  il  fut  comme  entraîné  par  cette 
violence ,  et  s'éleva  contre  Tibérius.  Or j^ parmi 
les  tribuns,  l'opposition  est  toujours  ce  qui 
l'emporte:  l'accord  de  tous  les  autres  rie  suffit 
pas,  s'il  y  en  a  un  seul  qui  refuse  son  consen- 
tement. Tibérius,  irrité  de  cet  obstacle,  re- 
tira sa  loi  qui  étoit  pleine  d'humanité,  et  en 
proposa  une  autre  qui  ctoit  plus  favorable  aux 

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4€8    TIBÉRIUS  ET  CAIUS  ORACÔHlfs. 

pauvres  y  et  plus  sévère  contre  les  riches  ;  car 
elle  ordoDDoit  «que  tous  ceux  (juipossedoieDt 
«  plus  de  terres  que  les  anciennes  lofs  ne  per- 
«  mettoient ,  les  quitteroiçut  k  l'instant  ».  Il 
avoit  donc  tous  les  jours  de  nouveaux  com- 
bats a  soutenir  contfe  Octavius  dans  la  tri- 
bune^ et  dans  tous  ces  combats ,  quoiqu'ils 
parlassent  avec  la  dernière  vâiémeoee  et  la 

5 lus  opiniâtre  eonteniion ,  on  assure  cepen- 
ant  qu'ils  ue  dirent  pas  la  moindre  chose  fâ- 
cheuse l'un  contre  Fautre,  et  qu'il  ne  leur 
échappa  pas  un  seul  mot  que  la  colère  eut 
dicté;  tant  il  est  vrai  qu'un  heureux  naturel 
et  une  boni)e  éducation  modèrent  Fesprit,  te 
retiennent  dans  des  bornes  honnêtes,  le  rè- 
glent et  l'adoucissent  non  seulement  dans  les 
excès  de  la  débauchées  ^^^  encore  dans  les 
plus  grands  emportements  de  la  colère,  et 
dans  la  plus  grande  ardeur  des  disputes  qu'ex- 
citent rambttion  et  la  jalousie  d'honneur. 

Tibërius  voyant  donc  que  sa  loi  touehoit 
partioulièreinent  Octavîi^s,  parce  qu'il  pos- 
S(*doit  beaucoup  de  terres ,  le  pria  de  se  relâ- 
cher de  son  opposition,  et  lui  ofirit  de  lui 
payer  le  prix  de  ses  terres  de  ses  propres 
denier^  quoiqu'il  ne  fut  pas  des  plus  riches. 
Mais  Octavius  n^ayant  pas  vouki  écouler 
cette  offre,  alorsjl  proposa  un  édît,  par  le^ 
quel  il  délendoit  k  tous  les  magistrats  d'exer* 

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TÎBEKTITS  ET  CAItJS  GRACCHUS.    40^ 

r  les  fonctions  de  leurs  charges ,  ftisqii'k  ce 
e ,  par  les  sufirages  y  on  eût  on  reçu  o\\  re^ 
,é  sa  lai.  Il  ferma  menie  les  portes  du  tem* 
s  de  Saturne ,  et  les  scella  de  son  sceau  ^ 
n  que  les  questeurs  ne  pussent  y  rien  pren- 
e ,  ni  rien  y  porter  ^  et  prononça  de  fortes 
lendes  contre  ceux  des  pëtenrs  qui  seroîent 
belles  et  désobëtssants  ;  de  sorte  que  tous  les 
igistrats ,  sans  exception  ^  craignant  d'en- 
urir  cette  peùie,  abandonnèrent  leur  mrois^ 
re  y  et  cessèrent  toutes  leurs  fonctions.  Cette 
ssation  de  la  (iistice  et  des  afiaires  fit  que  les 
Jies  qui  possédoient.  des  terres  changèi^ent 
I  robe,  et  parurent  sttr  la  place  arec  une 
fitemaice  morne ,  et  dans  un  ëtat  d'abais-» 
ment  et  d'biunfliation  ;  mais  en  secret  ils 
essèrent  des  embûches  k  Tib^rhis,  et  lu! 
(ostèrent  des  meurtriers  pour  l'assassiner.  Il 
i  fut  averti  ;  et  au  vu  de  tout  le  monde ,  il 
it  sous  sa  robe  un  de  ces  poignards  dont  se 
rveut  les  brigands,  et  que  les  Romains  ap« 
;lleDt  dolona  **. 

Quand  le  jour  marqué  pour  l'assemblée 
t  arrivé,  et  queTibérius  eut  appelé  le  peu- 
e  paur  venir  donner  ses  suflfrages,  les  riches 
lievèrem les  urnes  *  ^,  ce  qni  causa  onegfande 
infusion,  et  alloit  être  suivi  d'un  gran4 
^sordre;  car  les  partisans  de  Tibérius  étant. 
s  plus  forts  es  nombre ,  allouent  remporter 

»  '  D,g,t,zedbvCjm)gle 


4 1 0     TIBERÏUS  ET  CAIU8  GR ACCHUS. 

par  la  force ,  et  pour  cet  effet  ils  s'assembloient 
déjà  autour  de  lui.  Mais  Maiiiiiis  et  Fulvius, 
hoaimes  consulaires^  se  jetèrent  k  ses  pieds; 
et  lui  embrassant  les  genoux  et  lui  prenant  les 
mains ,  ils  le  oonjucDient  avec  larmes  de  re- 
noncer k  son  entreprise.  Tibérius  ,  c{ui  cora- 
prenoit  les  affreux  inconvénients  qtii  alloient| 
rë.<iulter  de  ce  désordre,  et  qui  d'ailleurs étoiE 

f>lein  do  cesbect  pour  ces  deux  personnages^ 
eiir  deouiaïaa  ce.qu^ils  vouloient  donc  quil 
fit.  Us  lui  répondirent  qu'ils  ne  se  croyoieDt 
pas  capables  de  lui  donner  conseil  dans  uae 
aSaice  de^  graode  cDUséquenoe ,  et  le  près- 
sèi^nt  aveo  dé  ^wind»  initarnces  de  s'en  re- 
mettre au  sénat;  ce  qu'il  leur  acct^a  siii 
rheure.Mais  quand  il  vhque  le  sénat  assem- 
blé ne  délerminoit  rien  a  cause  des  riches  qui 
y  avoient  leplusdeoréditet  d'autorité,  alon 
il  prit  un  jîarti  qui  n'étoit  ni  honnête ,  ni 
juste  :  ce  .fut  de  déposer  Octavius  de  s| 
ch^irgç  de.tribttû>  car  il  désespéroit  de  pou 
voir  jamais  faire  autoriser  sa  loi  par  une  autrt 
voie. 

Mais  avant  que  de  se  porter  k  cette  extrr 
mité  ^  il:  eut  recours  a  la  douceur.  Ulepii 
donc  ouvertement)  et  employa  les  paroles  lu 
plus  touchantes  dont  il  put  s'aviser,  lui  ser 
raot  les  mains  et  le  conjurant  «  de  se  déparîi 
«  de  son  opposition  y  et  d'a^çj^d.^r  celte  grûci 


TTBÉRIU9  ET  CAIUS  GR ACCRUS,     il  t 
<K  au  peuple,  qiiî  ne  demandoît  que  des  choses 
<^  très-justes ,  et  qui,  en  les  obtenant ,  ne  re- 
«  cevroît  même  îju'une  légère  récompense  de 
4Si  tant  de  peines,  de  travaux  et  de  dangers 
«  qu'il  essnyort  pour  la  république  )).  Octa— 
■vîus  rejeta  toutes  ses  prières^  Alors  Tîbérins 
dit  k  haute  voiîi  :  «  Que  ,  puisqu'ils  étoient 
4<  tous  deux  tribuns  du  peuple,  et  d'une  égale 
«  autorité ,  et  qu'ils  se  trouvaient  en  différent 
«  sur  des  afiaires  de  si  grande  importance  ,  il 
«  n^étoit  pas  possîRle  qu^on  en  vînt  autrement 
«  que  par  les  armes  a  une  décision  ;  qu'il  ne 
a  voyoit  d'autre  remède  k  ce  grand  malheur 
«  que  de  les  déposer  l'un  ou  l'autre  de  leur 
«  charge  »  ,  et  ordonna  en  même  temps  k 
Oc5tavius  de  faire  opioerle  peuple  sur  lui- 
même  tout  le  premier,  ajoutant  ce  qu'il  étoit 
.    4<  prêt  k  se  démettre  et  k  dévenir  simple  par^ 
«  ticttlier,  si  cela  ctoit  agréable  au  peuple  ». 
Comme  Octavius  refiisoîl  cet  expédient ,  il 
lui  déclara  qu'il  feroit  opiner  sur  lui,  a  moins 
qu'après  avoir  c?ii  le  temps  de  prendre  con- 
seil, il  ne  changeât  d^ayi^,  et  il  congédia 
rassemblée. 

'  Le  lendemain ,  le  peiiple  s'étant  assemblé  > 
Tibériiis  monta  k  la  tribune ,  et  fit  de  nou- 
veaux efforts  pour  gagner  Octavius  :  mais 
\oyant  qu'il  étoit  d'une  opiniâtreté  invinci- 
Ue ,  il  piopo^a  Tédit  qui  le  de'stituoit  de  s£i 

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4  l  î  TIB^RIUS  BT  CAIUS  CRAGCHU5. 
ciharge ,  et  appela  le  peuple  i  vcBÎr  donner  des 
suffrages.  Il  y  a  voit  trente- cinq  tribus.  Dix- 
sept  avoient  dëjii  donné  leuri  voix  contre  Og- 
tavius,  et  il  n'en  fallok  plus  qu'une ,  après 
laquelle  il  e'toît  absolument  déposé,  et  n'étoit 
plus  qu\in  simple  particulier,  lorsque  Tibe'- 
1  ius  ordonna  qu'bn  s'arrêtât.  {In  même  temps 
il  recommença  b  le  prier,  l'embrassa  devant 
tout  le  peuple ,  et  lui  fit  toutes  sortes  de  cares- 
ses, le  suppliant  et  le  conjurant  de  ne  pas  s'ex- 
poser luh-mème  k  cet  afiGrent  d'être  démis  de 
sa  charge  par  la  voix  du  peuple ,  et  de  ne  pas 
lui  attirer  à  lui  le  reproche  d'avoir  été  l'au- 
teur d'un  édît  si  sévère  et  si  cruel.  On  dit 
qu'Octavius  ne  put  entendre  ces  prières  sans 
être  ému  et  attendri ,  que  ses  yeux  parurent 
baignés  de  larmes ,  et  ,qu'il  gardsi  le  silence 
pendant  un  assez  loi^temcfi;  mais  enfin,, 
aya^t  jeté  ses  regards  sur  les  riches  et  sur 
ceux  qui  possédoient  les  terres,  et  qui  éloient 
en  gran<l  nombre  autour  de  lui,  il  y  a  de  l'ap- 
parence qu'il  eut  honte ,  et  qu'il  craignit  de 
f  e  livrer  à  leur  mépfîs  et  à  leurs  reproches,  et 
qu'il  aima  mieux  s'exposer  k  tout  ce  qu'il  y 
a  voit  de  plus  terrible.  C'est  pourquoi  il  cria 
gr^néreusement  k  Tîbérius  «  qu'il  n'avoit  qu'à 
passer  outre ,  et  b  faire  tout  ce  qu'il  voudroîf  » . 
Sa  déposition  ayant  été  prononcée ,  Tibérius 
ordonna  sur-le-champ  k  un  de  ses  affranchi» 

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f  IBÂRIVS  ET  CAIUS  GRACCHUS*    4l5 

f  Tarracher  de  la  tribune;  car  il  se  servoit  de 
s  affranchis  pour  licteurs.  Cette  circonstance 
outa  encore  k  la  compassion  qu'inspiioit 
ctavius  traîné  si  indignement  et  avec  tant 
outrage.  Le  peuple  voulut  même  se  jeter 
r  lui,  mais  les  riches  coururent  k  son  se^ 
airs,  et  s'opposèrent  aux  efforts  de  la  multi- 
de.  Octavms  ne  se  sauva  qu'avec  peine  de 

fureur  du  peuple  ;  un  de  ses  esclaves  des 
us  fidèles,  qui  s'étoit  toujours  tenu  au-de-" 
mt  de  lui  pour  le  garantir  et  pour  parer  les 
aips  ^  eut  les  yeux  crevés.  Ce  fut  contre  Tin- 
ntion  de  Tibérius ,  qui ,  ayant  entendu  le 
multe  et  appris  ce  qui  venoit  d'arriver, 
»urut  précipitamment  pour  en  prévenir  les 
ites. 

La  loi  du  partage  des  terres  Fut  donc  con- 
mée ,  et  on  nomma  trois  commissaires  (a) 
lur  en  faire  la  recherche  et  la  distribution;  ce 
t  Hbérius  lui--mème^  avec  son  beau-père 
laudius  Appius,  et  son  frère  Caïus  alors  ab- 
nt;  car  il  servoit  au  siège  de  Numance  sous 
;ipien l'Africain.  Tibérius  étant  venu  a  bout 
!  cette  grande  affaire  assez  tranquillement , 

sans  que  personne  osât  s'opposer  k  lui , 
tmma  un  autre  tribun  u  la  place  d'Octavips, 

il  ne  le  prit  point  parmi  les  nobles ,  maia 
choisit  un  de  ses  clients  nommé  Mucius.  Lea 
(a)  Ils  furent  ap{x«)ç»  triumvifi  diigidemàit  agris^ 

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4*1 4    TiBÉRrirs  et  caius  gracchts. 

nobles  oflFenscs  de  ce  choix,  et  redouiantl 
croissement  de  sa^puîssance,  lui  firent  dsi 
se'fjat  tous  les  affronts  dont  iîs  purent  s'agit: 
cars(ir  ce  qu'il  demanda  qu'on  lui  fonrnîh> 
dépens  du  public  une  tente,  comme  c'éloi 
coutume,  afin  qu'il  s'en  servît  a  camper ?« 
dant  qu'il  vaqueroit  k  ce  partage,  ils'? 
refusèrent ,  quoiqu'on  l'eût  toujours  ace.»  • 
a  des  gens  mêmes  qui  alloient  pour  dpsr 
missions  bien  moins  importantes.  Ils  fi 
plus  encore,;  ils  ne  lui  ordonnèrent  po  r  J 
dépense  que  neuf  oboles  (a)  par  jonr/ali.^ 
tigation  de  Publîus  Nasica ,  qui  se  déclar'  "' 
ennemi  sans  aucun  ménagement;  car  il  f^ 
sédoit  beaucoup  de  teiTeft  du  pubMc,  f 
supportoït  avec  peine  d'être  forcé  delesal:! 
donner.  Tout  cela  ne  faisoit  qu'irriter  eteii 
flammer  davantage  lepeuple. 

Sur  ces  entrefaites  ,  il  arrîv»  qu'un  »i 
particulier  deTibérius  mourut  subitement. i 
qu'il  parut  sur  son  corps  des  marques  qui  n  i 
toieut  pas  ordinaires.  Le  peuple  ne  marri 
pas  de  crier  d'abord  qu'il  avoîl  été'  emp  i 
sonné,  courut  chjBZ  lui  pour  son  convoi J 
chargea  de  son  lit  funèbre,  et  assista  îi^^ 
bûcher.  Lk  il  se  confirma  dans  le  soup-^ 
qu'il  avoit  eu  ;  car  le  cadavre  creva  toutii 
coup ,  et  il  en  sortit  une  si  grande 

</i)  L'oboU  raloit  i5  ctat.  A,  L^  D, 

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TiBÉRius  i;t  caius  gkacchus.  4i5 

*li limeurs  corrompues,  qu'elle  éteignit  le  feu  ; 
n  en  apporta  d'autre  qui  pe  prit  pas  non  plus, 
isqu'a  ce  qi\'on  l'eût  transporté  en  un  autre 
ndroit;  et  la ,  après  beaucoup  de  tentatives, 
n  eut  encore  bien  de  la  peine  k  allumer  le 
•ûcher  et  a  faire  brûler  le  corps  *^,  Alors  Ti- 
►ëiîus,  pour  aigrir  davantage  le  peuple,  prit 
m  habit  de  deuil,  et  menant  ses  enfants  sur 
a  place  publique ,  il  les  recommanda  aupeu- 
>le ,  et  le  conjura  «  d'avoir  soin  de  ces  pau- 
:c  vres  malheureux  et  de  leur  ^re  >> ,  comme 
désespérant  de  pouvoir  sauver  sa  vie,  et  n'at- 
tendant que  la  mort. 

Cependant  Attalus  Philopator  étapt  venu 
à  décéder  *^  ,  Eudémus  de  Pergame  apporta 
a  Rome  le  testament  de  ce  prince  ,  qui  avoit 
institué  le  peuple  romain  son  héritier*  La  lec- 
ture de  ce  testament  faite, Tibérius saisit  cette 
occasion,  et  haranguant  sur-le-champ  le 
peuple,  il  proposa  une  loi  qui  portoit:  «  Que 
<jL  tout  l'argent  comptant  de  la  succession  de 
«  ce  prince  seroit  distribué  aux  pauvi  es  ci- 
«  toyens ,  afin  qu'ils  eussent  de  quoi  s'éta- 
<(  blirdans  leurs  nouvelles  possessions ,  et  se 
«  pourvoir  des  outils  nécessaires  a  l'agricuU 
«  turc.  11  ajouta,  que,  quant  aux  villes  et  aux 
«  terres  qui  étoient  de  la  domination  d'Aîta- 
«  lus  ,  il  n'appartenoitpas  au  sénat  d'en  or- 
{<k  donner,  et  qu'il  eB  laissait  la  disposition  au 

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4l6    TIBÉRIUS  Et  CAItTS  GHACCflUS. 

H  peuple  ».  Par  la  il  offensa  encore darantuf 
le  sénat  ;  et  un  des  membres  de  ce  corpÉ 
nomme  Pompeius ,  s'étant  lève ,  dît  :  «  Qn  •' 
«  tant  proche  voisin  de  Tîbéritis,  ilsavo 
«  de  toute  certitude  qu'EiidamusdePer^aïc 
«  lui  avoit  apporté  secrètement  le  diadèmee 
iK  la  robe  de  pourpre  du  roi ,  comme  ï  celr 
«  qui  devoit  régner  "k  Rome  ».  Qnintus  Mé- 
lellus  se  Idva  après  lui ,  et  fit  d'duti^es  refp^ 
ches  kTibérius;  il  lui  dit  que  lorsque  son  pèfî 
ëtoit  censeur,  et  qu^après  avoir  soupe  f^ 
ville,  il  se  retiroît  tard,  tous  les  choreii 
qui  étoient  avec  luî  éteignoîent  leurs  torch*^ 
de  peut  qu^îl  ne  parut  qu'ils  a  voient  été  toi 
les  compagnies  et  dans  les  festins  plus  lon:^ 
temps  qu'il  ne  convenoit ,  maïs  que  pour  h 
il  n'avoit  pas  tant  de  pudeur  et-  ne  suives 
pas  cet  exemple  ;  car  toutes  les  nuits  il  se  fai- 
soît  éclairer  par  les  plus  séditieux  et  les  pli'^ 
misérables  des  citoyens.  Et  Titus  Anniiis  qu 
îi'étoit  d'ailleurs  ni  honnête  homme  ni  hofflfl»* 
sage ,  mais  qui  passoîtpour  Fhomme  dumoni 
le  plus  subtil  et  le  plus  fort  dans  la  dispute, 
soil  par  les  questions  qu'il  faisoit ,  soit  par  sa 
reparties ,  le  défia  un  jour  devs^t  tout  ' 
monde,  lui  déféra  même  le  serment,  etluisc'- 
ttnt  qu'il  avoit  imprimé  une  note  d'infamie' 
son  collègue ,  dont  les  lois  rendoîent  la  p 
«pnne  sacrée  et  inviolable.  Sur  cela  lepcnp'^ 

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TfBÉRIUS  ET  CAIV8  ORACCttUS.    ^tlf 

s'émut  y  et  Tibériiiss^avançant  l'appelle  ^  son 
secours  y  et  ordonne  qu'on  amène  Annius  qu'il 
veut  accjiiser  et  faire  condamner  sur  l'heure. 
Annius,  qui  se  sentoit  inférieur  en  dignité  et 
en  éloquence ,  eut  recours  a  ses  subtilités  or^ 
dinairesy  et  pria  Tibérius  qu'avant  que  de  par* 
1er,  il  voulut  lui  répondre  k  une  question  fort 
simple.  Tibérius  lui  ayant  permis  de  l'inter- 
roger,  il  se  fait  d'abord  un  grand  silence  ;  et 
Annius  lui  demande  tout  haut  :  «  Si  vous 
u  vouliez  me  faire  im  affront  et  me  maltraiter 
tt  devant  tout  le  monde,  que  j'appelasse  k 
«  mon  secours  un  de  vos  collègues,  que  ce 
<(  collègue  accourut  k  mon  aide ,  et  que  vous 
C(  en  fussiez  fâché,  trouveriez -vous  que  ce 
«  fut  Ik  un  juste  sujet  de  le  déposer  de  sa 
a  charge  »  ?  On  dit  qu'k  cette  demande,  Ti- 
bérius fut  si  confus  et  si  déconcerté ,  que  f 
quoiqu'il  fut  l'J^omme   du  monde  le  plus 

5 rompt  et  le  plus  hardi  k  parler ,  il  ne  répon- 
it  pas  ime  seule  parole ,  et  congédia  l'assem- 
blée  sur-le-champ. 

Mais  sentant  bien  que ,  de  tout  ce  qu'il 
«voit  fait  dans  sa  charge ,  la  déposition  d'Oc-; 
tavius  étoit  ce  qui  avoit  le  plus  offensé  non- 
seulement  les  nobles ,  mais  le  peuple  même  ^ 
parce  qu'il  sembloit  avoir  ravalé  et  avili  la 
dignité  des  tribuns,  qui  jusqu'k  ce  jour-Ia 
avoit  été  conservée  dans  tout  son  éclat  et 


4:8     TIBÉRÎUS  ET  CAllTS  GRACCHCS. 

daos  tous  ses  honneurs ,  îi  fit  un  gnind  (!"> 

cours  au  peuple  ,  et  il  ne  sera  pas  hoii  i* 

propos  d'en  rapporter  ici  quelques  endroid 

pour  faire  voir  quelle  étoit  la  force  desonâ^ 

queace  et  la  vive  persuasion  dont  il  fe- 

moit.  Il  dit  donc  :  «  Qne  le  tribun  e'toiî  ^  • 

«  ritablement  un  magistrat  sacre  et  iiiviVn 

«  ble  ,  parce  qu'il  étoit  en  quelque  sorte  coq- 

«  sacré  au  peuple^  et  établi  pour  soutenir >' 

«  intérêts.Mais,  ajouta  t-il,  si  venant bchao:?: 

«  sa  destination,  il  fait  tort  au  peuple,  ^: 

«  lieu  de  le  protéger,  s'il  affoiblitsa  puissaaret 

«  et  s'il  Tempêche  de  donner  ses  suffray*^ 

«  alors  il  se  prive  lui-même  des  droits  et  dts 

M(  honneurs  qui  lui  ont  été  accorde's,  parcf 

<(  qu'il  ne  fait  pas  les  choses  pour  lesquello 

«  «eules  il  les  a  reçus;  car  autrement  il  fe'î* 

«  droit  souffrir  qu'un  tribun  démolit  le  tr 

<i  pîtole ,  et  qu'il  brùlat  nos  arsenaux;  e> 

«  core  même  eu  se  livrant  a  ces exccsseroit 

K  tribim,  mauvais  sans  doute  ,  mais  toujouri 

«  tribun.  Au  lieu  que  ,  quand  il  détruit  o» 

«  renverse  l'autorité  et  la  puissance  du  pc'i- 

«  pie  ,  il  n^est  plus  tribun.  Et  n'est-ce  p» 

.  <(  une  chose  bien  étrange  et  bien  terrible  qui'" 

«  tribun  ait  le  droit,  quand  bon  lui  senil)l«! 

((  de  traJher  en  prisoq  un  conwil,  et  qne  ' 

«  peuple  n'ait  pas  celui  d'âter  a  un  trik» 

«  toute  sçin autorité,  <|aHûd  il  ne  $'eflscrlf 

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TIBÉKIUS  ET  CMUS  GRACCÎIU5.     4l9 

a  conlrc  celui  (jr.î  la  lui  a  donnée  ?  Car  c^est 
[(  le  peuple  qui  choisit  également  et  le  consul 
iX  et  le  tribun.  La  royauté  même,  outre  qu'elle 
H  renferme  en  elle-hiême  toute  l'autorité  et 
«  toute  la  ptùssauce  des  autres  magistrats  qui 
«  émanent  d'elle ,  a  encore  cet  avantage  , 
«  qu'elle  est  consacrée  par  des  cérémonies 
«  augustes  et  religieuses ,  qui  l'approchent 
«  eu  quelque  sorte  de  la  divmité  j  cependant 
«  Rome  ne  laissa  pas  de  chasser  Tarquin  k 
«  cause  de  son  injustice.  L'insolence  d'un  seul 
«  homme  fut  cause  que  cette  puissance  soti- 
«  yeraiue,  non  seulement  la  plus  ancienne 
H  de  cet  empire  ,  mais  celle  qui  donna  la' 
«  naissance  a  Rome  ,  fut  entièrement  abolie. 
«  Qi)'y  a  t-it  de  plus  sacré  et  de  plus  vénéra- 
<(  Lie  dans'  Rome  ,  que  ces  vierges  chargées 
«  de  là  garde  et  de  l'entretien  du  feu  sacié? 
«  Cependant  si  quelqu^me  d'elles  vient  k 
«  faire  une  faute,  elle  est  enterrée  toute  vive 
«  sans  miséricorde;  car  en  offensant  lesDieux, 
«  elles  ne  conservent  plus  ce  caractère  invio- 
«  lable  qu'elles  n'ont  qu'a  cause  des  *Diei*x. 
«  De  même,  quand  un  tribun  offense  le  jjéu- 
«  pie,  il  n'est  plus  juste  qu'il  conserve.ua 
<K  caractère  qu'il  n'a  reçu  qu'h  catfôe  du  peu- 
«  pie;  car  il  détruit  lui -même  cette  puissance 
«  qui  fait  toute  son  autorité.  En  effet ,  s*il  a 
«  été  justement  élu  tribun,  quand  la  oUipart 


430     TIBÉIUUS  ET  CAIUS  GRACCHUS. 

M,  des  tribus  lui  ODt  donné  leurs  suffrages  ^ 
a  comment  ne  sera-t-il  pas  encore  plus  jus- 
te tement  privé  de  sa  chaîne,  quand  toutes  les 
«  tribus  auront  donné  leurs  suflSrages  pour  le 
«  déposer  ?  Il  n'y  arien  de  si  saint  et  de  si  in- 
«  violable  que  les  choses  qui  ont  été  consa- 
¥  crées  aux  Dieux  ;  cependant  jamais  per- 
te sonne  n'a  empêché  le  peuple  de  s'en  servir, 
«  de  les  changer  de  place,  et  de  les  t  ransporter 
«  k  son  gré.  Il  lui  est  donc  permis  de  regarder 
«(  le  tribunat  comme  une  de  ces  choses  con- 
te sacrées,  et  de  le  transférer  k  qui  il  veut.  Et 
«  une  preuve  certaine  que  cette  charge  n'est 
«  ni  inviolable  ni  immuable ,  c'est  que  très- 
«  souvent  ceux  qui  en  ont  été  pourvus,  s'en 
a  sont  démis  d'eux-mêmes,  et  ont  prié  qu'on 
«  les  en  déchargeât». 

Tels  furent  les  principaux  chefs  delà  jiisti^ 
fication  de  Tibérius.  Mais  ses  amis  voyant  les 
menées  des  nobles ,  et  les  menaces  qu'ils  fai- 
i^oient  contre  lui ,  crurent  qu'il  étoit  néces- 
saire ,  pour  la  sûreté  de  sa  personne  ,  qu'il  de- 
inandàt  un  second  tribunat  pour  l'année  sui- 
vante. Tibérius ,  continué  dans  ses  fonctions, 
recommença  k  se  concilier  de  plus  en  plus  la 
laveur  du  peuple  par  de  nouvelles  lois  ,  où  il 
tibrégeoit  les  années  du  service  militaire  ,  ac- 
cordoit  le  droit  d'appeler  au  peuple  de  tous 

'  'gements  des  autres  jaagî^a|3  >  mèloit 


TtBÉRIUS  ET  CAIU9  GRACCHUS.    4ît 

parmi  les  juges,  qui  alors  ëtoient  tous  pris 
dans  le  corps  des  sàiateurs,  un  pareil  nom-» 
bre  de  chevaliers.,  et  rabaissoit  et  dëtniisoit 
en  toutes  manières  la  force  et  l^autcrité  du 
sénat  y  plutôt  par  un  esprit  de  contention  ei 
de  colère  y  qae  par  aucun  ëgard  k  la  justice 
et  au  biea  du  gouTernement.  Mais^'ciuand  on 
viot  b  recueillir  siur  ce&  nouvelles  lois  les  snf^ 
frages,  Tibërius  et  ses  partisans  voyant  qu'ils 
n'ëtoient  pas  |os  plus  forts ,  parce  que  tout  le 
peuple  n'^toit  pas  présent ,  se  niirent  d'abord 
k  s^mporter  et  )t  dire  des  injures  aux'  auti'es 
tribuns,  pour  gagner  du  temps ,  et  enfin  Ti« 
bérius  congédia  Fassemblée   en  ordonnant 
«{u'on  se  rassemblât  le  lendemain^  Tibérius 
s'étant  rendu*  sur  la  place  en  robe  de  deuil  et 
dans  l'état  de  la  plus  grande  humiliation ,  €ft 
le  visage  baigné  de  larmes ,  il  conjura  le  peu* 
pie  de  le  prendre  sotis  sa  protection ,  lui  di- 
sant :  «  Qu^il  craignoit  que  ses  ennemis  ne 
«  vHisseiit  ta  nuit  à>attre  sa  maison  et  le  toi- 
«  gnîarder  i.  Par  ce  discours  il  émut  telles 
ment  I9  peuple ,  qu'il  y  en  eut  plusieurs  qui 
allèrent  camper  et  passer  Li  nuit  autour  de  sa 
maison ,  pour  lui  servir  de  gardes. 

Le  kodtfmaia  au  peint  du  jour,  celui  qui 
avoit  sots  de  garder  les  poulets  sacrés  dont 
les  Romains  ae  servent  pour  la  divination  »  ® , 
les  porta  sur  la  place,  et^eta  h  manger  devant 

36. 


4^i2     XIBERIUS  ET  CAIÙS  OUACCffCS. 

eux.  Do'tcms  ces  poulets  il  n'y  ea  eut  qft'tin 
seul  qui  sortit  de  sa  cage  ,  eocore  ne  tut- ce 
qu'après  quelHifficier  l'eut  long-temj^  secouée^ 
mais  il  ae  rdukit  point  manger ,  et  ne  fit  que 
lever  l'aile fçaiiehe.  et  étendre  la  cuisse,  après 
^noi  \\  se  relira  dans  sa  oage.  Cette  circons- 
iafiOe>fit<  ressouvenir  TibérinS'd'un  aittra  pré- 
sage cpii  lui  âbit  arrivé*  Il  avoit  un  casque 
.dont  il  se 'Servait  dans  les  eombats,  qui  étoit 
orpé  magnifiquement^  et  remarquable  sur  tous 
les  autres.;  deux  serpents  allèrent  faire  leurs 
?œu&  dans  ce  casque  sans  qu'on  s'en  aperçût , 
eties  firent  éplore.  Ce  souvenir  fitqu'ii  fut  en- 
core pliis  troublé  du  présage  idës  poulete.  Ce- 
fiendant  il.  ne  laissa  pàstde'aoriir  tqiraitd  on 
'eut  averti  que  le  peilple'étoît  assemblé  au 
Capitole.  En  sortantil  selieuriale  pied  contre 
•le  seuil  de  la  porle ,  et^  le  coup  fut  si  rude  , 
-que  Fopgle  du  gros  doi^tdu  pied  en  fut  fen- 
dJLi  ^  et  que  le  sang  sortit  au  travers  du  sou- 
lier. En  marchant  il  aperçut  k  sa  gaudie  sur 
les  tuiles  d'une  maison ,  des  corbeaux  qui  se 
battoient  ;  et  qiioiqu^il  fut  accompagné  d'une 
foule  nombreuse  y  comme  cela  est  vraisem* 
btable  ,  k  cause  de  sa  dignité^  une  pierre 
poussée  par  un  de  ces  corbeaux  tomba  juste- 
ment auprès  de  son  pied;  cela  Fétoona  et 
arrêta  les  plus  hardis  denses  partisans.  Mais 
Blossius  de  CumesJ^quile  si^h^oju  lui  repré- 


lîBËRIlTS  ET  CAIU$  GflACCHUS*    42Ï 

senta  :  a  Q<^e  ce  seroit  une  grande  baote  eX 
«  uae  lâcheté  iûsigoe  qgq  Tibéj^'ius^  fils  do 
«•GracAiis,  petit-fils  de  »  Scipiou  F  Mi- 
«  caifl,  et  le  prolecteiir  du  peuple  ,  pour  I4 
.«  oiraii)te  d^ua  corbeau  y  refusât  df  obéir  ïi^  ses 
.«  coDcitoyei^quil'appeloienti  leurs  seooursj 
«  que  s^s.  ennemis  ne  toui^neroient  pas  oeitQ 
«  indignité  eii.|ai|l|erie,jxujiis(|^i'jJS,ikQi^Pt  ser 
«  mant  parmi,  le  pe]yrp)ç<qpe  c'^Qi^t  l^'le  tr«ijit 
«  d'un  tyran  déja.t^t;fanu^.<|fiî4^r  insuW 
i<,  toit  §jt  les»  traitent' j^vec acf (^gance  ». 

fjd.i^me  temps  ^  il  re^i^t  pUisîeurs  mes** 
sagers  qiie  ses-  ajruky  qui  étoient  s^n  Ç^pi- 
tolcj  eavoypknt ai4-r^YaKA  de  lui  pourrie 
.pns^iR  âçiSeM'^er,  et.ppp^^l'ia5surerqfiie;tpii|: 
alLoit  bie];i.  Èo^  effet ,  00  lui  fit  l'^ocueill^ 
plus  fa.Yf;ir)âble,jet  le  plus  h9i^i?able  ^  (i^v  du 
plus  ^oip.qu'enie  vit,  le  pçupjp  jeta  iingfand 
cti  de  joie  pourniarq4ç4€<sop; affection;  et 
quand  ii,fu|  mpiué^  il  le  i^eçut  £^vq^  de  gi^a^ds 
.  honneurs  y  prenant  grand  soin  4|ue  'per^nn|S 
ne  rapprochât  qui  ne  fût  çonnn.  Mucius  ayant 
cottui^ncé  a, appeler  les  tribus,  pour  venir 
donoftr  leurs  suffrages  ,  on  ne  put  rien  faire 
de  tout  ce  qui  se  pratiqaoit.  dans  ces  occa- 
sions, a  cause  du  tumnlte  qu'excitèrent  les 
derniers ,  qui ,   étant  poussés ,  repoussoient 
ceux  qu'on  renversoit  sur  eux,  et  se  mêloient 
confusément  les  uns  avec  les  autres.  Dans  c« 

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424     TIBÈRIUS  ET  CAIUS  GRACCHUS^. 

désordre,  Fui  vins  (a)  Flaccus  ,  un  des  sàia- 
tetirs ,  monta  sur  un  lieuéminent  d'où  il  pour- 
voit être  vu  de  tonte  l'assemblée;  et  voyant 
qu'h  cause  du  bruit  il  ne  pourroit  se  faire  en- 
tendre ,  il  fit  signe  de  la  main  cp'ii  avoît  cfoel- 
que  chose  k  dire  en  partieuber  k  Tibérius. 
Gelui*ci  ordonna  en  même  temps  au  peuple 
de  lui  OUY' il*  fe  passage;  et  Fulvius  s'érant 
approché  avec  peine  ^  invertit  que  le  sénat 
étant  assèrabié,  les  nobles  et  les  riches  avoient 
fait  tous  leurs  efforts  pdur  attirer  le  consul  (A) 
dans  leur  parti  ;  et  que  n^ayafntpu  en  venir  a 
bout,  ils  avoîentrésotitdeletueTeux-ntèmes 
ssàns  le  sêtioiirs  du  cotitsûi;  et  que  pour  cet 
*ffet  ils  avoient  d^k  asseinblé  grand  nombre 
de  leurs  amis  et  de  leurs  esdarcs  tons  armés. 
Tibérius  aérant  communiqué  sur-le-cbamp 
cet  avis  k  ses  àmîs  qui  étoient  autour  de  lui^ 
ils  ceignirent  d'abord  leurs  robes;  et  rompant 
les  baguettes  des  fietenis  avec  lesqneUes  ils 
rangent  la  feule  y  ils  en  prirent  les  fronçons 
comme  pour  sPen  servir  k  repousser  eenx  qui 
viendroîent  les  attaquer.  Ceux^  qui  étoient  les 
plus  éloignés  et  qui  n'avoient  pas  entendu  ce 

(a)  (Test  aiiisi  qu'a  ftinf  Iire,et  a#Q  fat^pia^ms, 
La  fainiHe  de&  Flaecus  n-'étoiip^sappelé^  PUt^ia, 
mais  Fulvia. 

{b)  Le  coosal  P.  Mucms  ScévoUj  son  ç*Ué«^CaI- 
punwas  Piso  etoit  en  Sicile,  ogzed  y  Google  ^ 


TlBtaïUS  ET  CAIUS  GRACCRITS.    4'i5 

^uc  Tibërîus  avoit  dît,  ëtoDnës  de  ces  mou- 

vementsdoot  ils  ne  comprenoient  pas  la  cause, 

iemandoient  tous  ce  que  c'ëtoît.  AIoi^s  Tibé- 

rius  porta  sa  roaia  k  sa  tète ,  pour  leur  faire 

coimoitre  par  ce  geste  le  danger  dont  il  étoit 

mefiacé,  puisqu'il  ne  pouvoit  faire  entendre 

sa  voix.  Ses  ennemis  voyant  ce  geste  couru--- 

rent  promptement  au  sénat  lui  annoncer  que 

Tibërîus  demandoit  ouvertement  le  diadème , 

alignant  pour  preuve  qu'il  aVoit  touche  sa 

tête  avec  la  main  >'.  Ce  rapport  causa  une 

grande  rumeur  et  une  vive  émotion  dans  le 

sénat.  Nasica  pressa  sur-le  champ  le  consul 

de  secourir  la  ville  ,  et  de  détruire  le  tyran  : 

mai3  le  consul  répondit  avec  douceur,  «  qu'il 

iéi  ne  commenceroit  point  h  user  de  violence , 

«  qu'il  ne  feroit  mourir  aucun^  citoyen  qu'il 

«  n'eût  ëfé  jugé  dans  les  formes ,  et  que ,  si  le 

«  peuple ,  persuadé  ou  forcé  par  Tibérius, 

«  vepoit  h  ordonner  quelque  chose  d'injuste:, 

«  il  s'y  opposeroit  de  tout  son  pouvoir ,  et 

«  l'empècheroit  de  passer  ».  Alors  Nasica  se 

levant  avec  colère  :  «  Puisque  le  souverain 

«  magklrat  trahit  et  livre  la  ville,  s'ëcrîa-t-il, 

<<  que  ceux  qui  ont  le  cpuf  âge  de  secourir  les 

«  lois  me  suivent  ».  Prononçant  ces  paroles , 

et  se  couvrant  la  tète  du  pan  de  sa  robe,  il 

sortit  et  marcha  droit' au  Capilole.  Ceux  qui 

l'accompag^oient  s'entortiUant  leurs  robes  au- 

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4  26  Tmtaïus  et  caîtjs  on  accrus. 
tour  du  bras ,  rcpotissenl  ceux  qu'ils  rcncor- 
trent  sur  leur  chemin.  Peu  de  personDes 
osoient  s'opposer  b  leur  passage ,  par  respect 
pour  leur  digrfité  ;  ils  fuyotent  tous  et  se  ren- 
versoîent  les  uns  sur  les  autres ,  de  sorte  qu'ils 
etoîent  foulés  aux  pifeds.  Les  gens  k  la  suite 
des  sénateurs  avoient  apporté  de  leurs  mai- 
sons de  gros  bâtons  et  des  leviers  ;  tandis 
>qu'eux-mèmes  saisissant  les  pieds  et  les  dé- 
hris,  des  sièges  que  la  foule  du  peuple  avoit 
rompus  en  fuyant,  se  faisoient  jour  pour  join- 
dre Tibérius  ,  et  frappbient  k  droite  et  a  gau- 
che tous  ceux  qui  éioient  devant  lui.  Tout 
prend  la  fuite ,  et  il  y  en  eut  plusieurs  de  tués. 
Comme  Tibérius  lui-mêrtte  s'enfuyoît ,  quel- 
qu'un le  saisit  par  sa  robe  ;  il  la  laissa  entre 
les  mains  de  celui  qui  le  retenoit,  et  se  mit  à 
fuir  en  tunique.  Mais  en  courant ,  il  fit  un 
,faux  pas  et  tomba  sur  d'autres  qui  étoient 
j*wiversés  devant  lui.  Dans  le  moment  qu'il  se 
relevoit,  Publius  Saturéius  j  un  de  ses  collè- 
gues, le  frappa  le  premier,  et  lui  donna  un 
grand  coup  sur  la  tête  avec  le  pied  d^unbanc; 
le  seî^ndconp  luifut  donbé  par  Lucius  Rufiis, 
qui  s'en  glowfioït  comme  d^un  grand  exploit. 
,De  tous  les  autres  il  y  en  eut  plus  de  trois 
cents  qui  furent  assomfmésb  icôups  de  pierres, 
et  pas  ihi.ne  fut  ttié  aviec  l'épée. 
tes  historien»  assurent  qlie  ce  fut  >  Rome 

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TÎBÉEIUS  ET  CAIUS  GRACCHUS'.    42f 

ïa  première  séditign  qiii ,  depuis  qu'on  en  eut 
chassé  les  rois,  fut  terminée  par  le  meurtre  et 
-par  le  sang  des  citoyens;  toutes  les  autres  qui 
«^ëtoîent  élevées  auparavant,  et  qui  n'étoieut 
Tiî  petites  ni  pour  des  sujets  légers,  avoiect 
été  calmées  par  les  partis  mêmes  qui  ce* 
doient  les  uns  aux  autres ,  le  sénat  par  Ja 
crainte  du  peuple,  et  le  peuple  par  le  respect 
qxi'il  portoit  au  sénat.  Il  semble  même  qu'en 
cette  occasion  ,  Tibérius  se  seroit  aussi  relâ^- 
çhé  sans  beaucoup  de  peine ,  si  on  Tavoît  pris . 
par  la  douceur,  et  qu^on  lui  eût  fait  des  re- 
montrances; encore  même  auroit- il  plutôt 
cédé  si  on  fut  venuPattaquér  sans  meurtre  et. 
sans  effusion  de  sang  ;  car  il  n'avoit  autour  de 
lui  qu'environ  trois  mille  hommes.  Mais  il  pa^, 
roît  que  cette  sanglante  exécution  fut  plu  lot 
l'effet  de  la  colère  des  riches ,  et  de  la  haine 
personnelle  qu'ils  avoient  pour  lui ,  que  des 
raisons  qu'ils  alléguoient  pour  prétexte.  Et  ce. 
qui  le  prouve  ,  c'est  la  cruauté  et  Tinhuroa-- 
nité  qu'ils  exercèrent  sur  son  corps;  car  ils  re- 
fusèrent ^  son  frèffe ,  malgré  ses  ardenteç  pxîèr- 
res,  la  permission  de  l'enlever  et  de  l'enterrer 
la  nuit ,  et  ils  le  jetèrent  dsgis  le  Tibre  avec 
tous  les  autres  morts.  Ce  ne  fut  pas  même  en- 
core Ta  le  tevme  de  leur  .vengeance ,  ils  en- 
veloppèrent tous  ses  amis  dans  son  infortune; 
car ,  sans  aucune  forme,  de  proçH?  ils  banni- 

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4i8     TIBBKIUSET  CAlU3  GRilOCHI». 

rent  tons  ceux  qu'ils  ne  purent  prendre ,  é 
firent  mourir  tous  ceux  qui  tomoërent  entri 
leurs  mains.  Du  nombre  de  ces  derniers  fu 
Diophanes  le  Khëteur.  Un  certain  Caïus  Bi! 
iius  périt  enfermé  dans  un  tonneau  arec  de 
eerpents  et  des  vipères.  Blossius  de  Cumes  fu 
mené  devant  les  consuls;  et  Ik  interrogé sui 
ce  qui  vénoit  de  se  passer ,  il  avoua  qu'il  avoil 
fait  tout  ce  que  Tibérius  lui  avoit  ordonné. 
i(  Mais,  liii  dit Nasica^ s'il  t'avoit  ordonné, 
«  de.  mettre  le  feu  au  Capitole  »?  A  cela 
Blossûis  répondit  d'abord  en  rejetant  cette 
proposition  y  et  eu  disant  que  Tibérius  n'étoit 
pas  capable  de  lui  donner  un  tel  ordre.  Comme 
d'antres  sénateurs  s'opinîàtroient  h  lui  faii-e 
toujours  la  même  question ,  il  répondit  enfin  : 
u  Si  Tibérius  me  l'eût  commandé ,  j'aurois 
«  cru  ne  pouvoir  mieux  ikireque  de  lui  obéir; 
«  car  jamais  il  ne  me  l'auroit  commandé  s^il 
n  n'avoit  été  utile  pour  le  peuple  **  )>•  Il  se 
sauva  pourtant  de  ce  grand  danger  y  et  peu 
de  temps  après  il  se  retira  en  Asie  auprès 
d*Âristonicus  >  9  ;  mais  quand  il  vit  les  aflfaires 
/  de  ce  prince  absolument  ruinées ^  il  se  donna 
lui-même  la  mort. 

Le  sénat,  pour  calmer  et  apaiser  le  peu- 
ple en  lui  donnant  satisfaction ,  ne  s'opposa 
plus  au  partage  des  terres  ^  et  lui  suggéra  de 
Bonuner  un  autre  V^  commissaire  k  la  jpJace  de 

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TIBÊBIUS  £T  CAirô  CRACCHUS.     429 

ribérins.  On  en  vint  aux  suffrages  y  et  on  élut 
PtibliusCrassus,  alHé  de  Tibérius  ;  car  sa  fille 
Licinniaétoit  mariée  a  Caïus.  Cependant  G>r« 
lëlius  Népos  écrit  que  ce  n'étoit  pas  la  fille 
le  Crassus  que  Caïus  avoit  épousée ,  mais 
iien  4selle  de  Brutus  qui  avoit  triomphé  des 
Lusiianiens  (a).  Cependant  la  plupart  des 
[listoriens  le  rapportent  comme  nous.  Comme 
le  peuple  étoit  lort  aigri  de  là  mort  de  Tibc- 
rius,  et  c[ue  Pon  voyoit  évidemment  c|u^il 
n'attendoit  qu'une  occasion  de  la  venger,  et 
que  même  il  menacoit  d'appeler  en  justice 
Nasioa ,  le  sénat ,  alarmé  pour  ce  personna- 
ge, résolut  j  quoique  sans  aucune  nécessité  ,- 
ie  Penvoyer  en  Asie  j  car ,  dans  toutes  les 
3ccasions ,  le  peuple  ne  cachoit  point  son  res- 
sentiment ;  mais  partout  où  il  le  rencontroit, 
il  s'emportoit  contre  lui,  le  traitant  de  mau- 
dit,  de  tyran  et  de  scélérat,  qui  avoit  souillé 
du  sang  d^in  magistrat,  sacré  et  inviolable  , 
le  plus  saint ,  le  plus  auguste  et  le  plus  res- 
pectable des  temples  de  Rome. 

.  Nasica  fut  donc  obligé  de  sortir  cle  Tlta» 
ie  y  quoiqu'il  fut  revêtu  8u  plus  grand  de 
:oi)S  les  sacerdoces,  car  il  étoit  souverain 
:>ontife.  Il  fut  quelque  temps  h  errer  de  côté 
;t  d'autre  hors  de  sa  patrie  ,  accablé  de  cha- 
rria et  d'inquiétude,  et  au  désespoir  de  son- 

(a)  Des  anciens  Portugais*  A*L*  D, 

X.  DgtzedbyCf^Ogle 


4.^0    TIBÈRIUS  ET  CAIU3  GRACCflCS. 

étal  ;  et  bientôt  après  il  mourut  prèsdePer- 
game.  Il  ne  faut  pas  s'étonner  que  le  peuple 
eût  conçu  une  haine  si  violente  contre  loi. 
puisque  Scipion  l'Africain  même ,  qui  eioit 
un  des  hommes  du  monde  que  les  Ronwb 
paroissent  avoir  le  plus  aimé ,  et  avccplusu'î 
justice ,  se  vit  surle  point  de  perdre  touteceiic 
affection  et  cette  bienveillance  ,  parce  f  ? . 
lorsque  la  nouvelle  de  la  mort  deTibéms 
lui  fut  portée  devaat  la  ville  de  Nomanci'ï 
il  prononça  b  haute  voix  ce  vers  d*Hoincre 
ii  Périssecomrae  lui  quiconqueiniitera ses  ac 
«  tions  (a)  ».  Depuis  CaïusetFulvius,li;; 
ayant  demandé  en  pleine  assemblée  cef-» 
pensoit  de  la  mort  de  Tîbérius ,  il  fit  une  k' 
ponse  qui  donnoît  a  enteûdre  qu'il  n'appw"' 
voit  pas  ce  que  ce  tribun  avoU  fait.  Cette  r- 
ponse  offensa  tellement  le  peuple  ,  que  ^'' 
puis  ce  temps  -  la  il  Tinterroropoit  souvet- 
quand  il  vouloit  haranguer  ,  ce  qu'il  n'av«^ 
jamais  fait  auparavai|t  5  et  lui-même  de  i^"' 
côté  s'emporta  jusqu'h  dire  des  injures  «1 
peuple  :  mais  ce  sont  des  faits  queDOUsavoaj 
écrits  en  détail  dans  la  vie  de  bcipion  (&/ 
Caïus  Gracchus ,  aussitôt  après  la  niortJ< 

(rt)  C'est  ce  que  Minerve  dit  dans  le  premier  1"^ 
lie  l'Odyssée  à  Jupiter,  qui  yenoit  dcparl«rdciC' 
.  mes  d'Ë^te,  v.  47. 

(b)  Celle  vie  e«t  ptrdttÇ,  A^  J&.  D, 

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TIBÈRIUS  ET  CAIUS  GRACCHUS.     45 1 

son  frère ,  soit  au'il  craignit  encore  ses  en- 
nemis ,  ou  qu'il  Toulùt  attirer  sur  eux  la 
haine  publique  ,  commença  h  se  retirer  des 
assemblées  et  a  vivre  en  repos  dans  son  parii- 
culier,  comme  ini  homme  qui  se  trouvoit 
dans  un  état  d'huniiiiation  et  d'abaissement , 
et  qui  ne  pensoit  désormais  qu'k  passer  sa  vie 
sans  se  mêler  du  goiiveniement.  Par  cette 
conduite  j  il  donna  lieu  k  quelques-uns  de 
répandre  contre  lui  des  bruits  désavantageux, 
et  de  le  décrier  comme  un  homnie  qui  ab- 
horroit  etdétestorl  la  conduite  de  son  frère.  Il 
étoit  encore  fort  jeune,  car  il  avoit  neuf  ans 
de  moins  que  Tibérius ,  qui  n'en  avoit  pas 
encore  trente  quand  il  fut  tué.  Mais  après 
que  ,  par  la  suite  du  temps  ,  il  eut  fait  cou-** 
Doître  peu-b-peu  que  ses  mœurs  étoient  très-. 
éloignées  de  la  presse  ,  de  la  mollesse,  des 
débaNches  etde  ramour  des  richesses ,  et  qu'il 
travailioit  k  se  former  b  l'éloquence  ,  et  k  se 
Taire  parlk  comme  des  ailes  pour  s'élever  au 
gouvernement ,  on  vit  évidemment  qu'il  ne 
meneroit  pas  une  vie  retirée  et  oisive.  En 
eifet ,  il  défendit  en  jugement  un  de  ses  amis  ^ 
Dommé.  Vcttius ,  qui  avoit  été  appelé  en  jus^ 
lice  ;  et  le  pcu^de  fut  si  ravi  et  si  triansporté 
d'aise  et  de  plaisir  de  l'entendre  ,  qu'il  enpa- 
roissoit  hors  de  Ivi-mcme.  Aussi  Gaïus  fit-îl 
voir  en  cette  occa^iop  que  les  autres  orateuia 

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4^3    TlBÈRtUS  ET  CAIITS  GRACCHUS. 

n^toient  que  des  enfants  auprès  de  lui.  Ce 
giand  succès  le  rendit  suspect  et  redoutable 
aux  nobles ,  qui  convinrent  entr^eux  qu^il  fal- 
loit  prendre  toutes  sortes  de  mesures  pour 
i'empèclierde  parvenir  au  tribiinat. 

Sur  ces  entrefaites,  il  arriva  par  hazard 
qu'il  fut  élu  questeur  y  et  qu'il  fut  désigné  par 
le  sort  pour  aller  en  Sardaigne  en  cette  qua- 
lité avec  le  consul  Oreste  **.  Cela  fit  un  très- 
grand  plaisir  )k  ses  ennemis ,  et  ne  lui  fut  pas 
désagréable;  car  aimant   naturellement  la 
euerre ,  ne  s'étant  pas  moins  exercé  aux  ar- 
mes qu'a  l'éloquence ,  et  ayant  d'ailleurs  une 
espèce  d'horreur  pour  la  tribune  et  pour  les  i 
affaires ,  et  ne  se  sentant  pas  assez  de  force 
pour  résister  au  peuple  et  h  ses  amis  qui  Vy 
appeloient ,  il  fut  ravi  d'avoir  ce  voyage  a 
faire.  Cependant  c'est  presque  l'opiuion  gé- 
nérale qu'il  étoit  entièrement  livré  aupeuple, 
et  plus  déterminé  encore  que  son  frère  k  tout 
sacrifier  pour  lui  plaire  et  pour  parvenir  par 
son  moyen.  Mais  cela  est  faux  y  et  il  paroit  au 
contraire  que  ce  fut  plutôt  la  nécessité  que 
le  choix  qui  l'obligea  k  se  jeter  dans  le  gou- 
vernement. Cicéron  lui-même  écrit  que, 
comme  il  fuyoit  les  charges  avec  grand  soin  y 
et  qu'il  étoit  résolu  de  pa^sser  sa  vie  en  repos 
sans  se  mêler  d'aucune  affaire  ,  son  frère  lui 
apparut  unenuit  en  songé,  et  lui  dit  :  (cCaïus, 

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TIBÉRIUS  ET  CA.IUS  GftACCHUS.    455 

«  pourquoi  diffères-tu  si  long-temps?  Il  t'est 
H  impossible  d'échapper»  Une  même  vie  ef 
«  nue  même  mort  nous  ont  été  marquées  par 
«  le  destin.  11  a  décidé  que  nous  nqus  sacri-* 
ic  fierions  pour  le  peuple  »« 

Caïus  étant  arrivé  en  Sardaigne ,  y  donna 
toutes^ortesdepreuvesdesoncourage.Ilsedis^ 
tingua  ^ti-dessus  de  touslesjeunesgensen  va*^ 
leur  contre  les  ennemis,  en  équité  et  en  justice 
envers  ceux  qui  dépendoient  de  lui ,  et  en 
affection ,  obéissance  et  re$pect  pour  son  gé- 
néral ;  mais  par  sa  tempérance,  par  sa  sim^ 
plicité  ,  par  sa  sobriété  et  son  amour  pour  le 
travail,  if  surpassa  même  tous  ceux  qui  étoîcut 
au-dessus  de  son  âge.  Cette  année-lk,  l'hiver 
ayant  été  très-rude  et  très« malsain  en  Sar^- 
daîgne,  le  général  envoya  demander  aux; 
villes  des  habits  pour  ses  soldats.  Les  villes 
députèrent  en  même  temps  au  sénat ,  pour  1^ 
prier  de  les  décharger  decetteimposflion  tfop 
onéreuse.  Le  sénat  accueillit  leur  remiêtc,  et 
ordonna  au  consul  de  chercher  ailleurs  da 
quoi  habiller  ses  troupes.  Comme  le  général 
lie  trouvoit  aucim  moyea  dé  fournir  k  celle' 
tiépense ,  et  que  cependant  les  txoupes  soûl- 
froient  beaucoup ,  Caiiis  s'avisa  d^aUer  de 
Yille  en  ville ,  et  il  fit  si  bien  par  son  élo— 
q^uence ,  cjii'il  leur  persuada  k  toutes  d'ea?- 


'434  TiBéRIlTS  ET  CAIUS  GRACCHU». 
voyer  d'elles  mèm^s  des  habits ,  et  de  secourir 
les  Romains  dans  une  extreinîté  si  grande  **. 
Cette  nouvelle  ^tant  portée  a  Rome  ,  rc 
grand  secvice  parut  un  essai  et  un  prélude  de 
Caïus  pour  gagner  l'affection  du  peuple  ,  et 
filarma  le  sénat.  Les  choses  allèrent  même  si 
îoin,  que  des  ambassadeurs,  arrivés  en  même 
temps  k  Rome  de  la  part  du  roi  Micipsa  , 
ayant  déclaré  au  sénat  que  le  roi  leur  maîire, 
pour  Tamour  de  Caïus,  envo}'oil  enSai^aigne 
au  général  i<oraain  une  grande  provision  de 
fclé,  les  sénateurs  s'emportèrent  contre  eux  et 
les  chassèrent  *^.  Ils  ordonnèrent  ensuite  par 
tm  décret ,  qu'on  enverroit  relever  les  soldats 
de  cette  armée  ,  et  que  leur  général  seroit 
continué  ,  ne  doutant  point-  que  Caîus  ne 
restât  auprès  de  lui  h  Cause  de  sa  charge  *^, 

Mais  ^^  '^''^'ii  ^^«  nlfitnr  âfvr\rl<;  r.#».«('Tiniix'-f»l1ps 


que, 
paruk 

de,  {1  fut  blâmé  non  seulement  de  ses  enne- 
mis, mais  aussi  du  peuplé  mênie  ,  qui  trouva 
fort  étrange  qu'un  questeur  fût  revenu  avant 
eon  général.  Il  ftit  accusé  et  cité  devant  les 
censeurs.  Lk  il  demanda  audience  pour  se  dé- 
fendre, et  parla  si  bien  qu'il  changea  l'esprit 
de  tous  ses  auditeurs  ,  qu'il  fut  absous  enliè- 
lementj  et  prouva  qu'on  lui  a  voit  fait  une 

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TIBÊRIUS  ET  CAIUS  GHACCHTO.    455 

grande  injustice.  11  dit:  «Qii^il  a  voit  fait  k 
«  guerre  douze  ans  (a)  j  quoique  les  lois  n'en 
«  exigeassent  que  dix ,  qu'il  avoit  servi  trois 
-«  ans  *•'»  de  questeur  a  son  général^  quoique 
Oi  la  loipemiit  au  questeur  oe  se  retirer  après 
ic  un  an  de  service  ;  qu^il  étoitleseul  de  cotte 
<c  'ariftée  cpli  avoiti  emporté  sa  bourse  pleine 
<4  d'argent  ^  et  qui  la  rapportoit  vide  ,  et  que 
H  touslesaùtres'Byantbiiie  vinqu^lsavoient 
u  esiporté  .  dans  l^irs  auiphores  ,  rappor- 
M  toîeat  ces  mêmes  amfdiiores  pleines  d'or  et 
«  d'aiigent  ». 

Après  cette  aSaixQj  on  lui  en  fit  encore 
df autres  ,  eton  inteota  coutrelui  divers  chefs 
d^ajccusation  encore  p)tis  graves.^  car  on  l'ac- 
cusa diavoir 'sollicii?  )es  alli<fa>de  quitter  le 
})arti  desiRonsiains,  etdfâvoireu^partausou- 
èvement  qui  étoit  arriva  à»Fre§elles  (A). 
Mais  il  répondit  si  bien  k  tout  es  ces  charges  , 
qu^il  détruisît  tous  les  soupçons,  et  après  s'en 
êtr#  entièrero^nt  lav:é,  il  se^nit  sur  les  rangs 
pour  !e  tribuuat.  Tous  les  nobles  et  les  riches 
généralement  s'opposèrent  a  lui  dans  celte 
poursuite.;  mais  le  peuple  le  favorisa  telle- 
ineut)  que  de  toute  l'Italie,  il  vint  comme 

(n)  Tl  parla  ainsi  Tan  de  Rome  C29.  Il  etoit  donc 
aile  à  la  guerre  à  dix-sept  ans.  * 

(0)  Ville  du  T^Uiim  qai  s'étoit  revollëe.  L.  Opi^ 
iTiiu3;  préteur.  U  réduisit  et  la  rasA  Van  de  Rome  6»o. 

■*  Digitizedby  VjOOQIC  *^ 


436     TIBÉRIUS  ET  CAIUS  GIIACCH0S. 

une  inoiidation  de  gens  qui  se  jetèreat  dans  la 
ville*,  pour  assister  k  son  ëlectioo ,  et  que  la 
foule  y  fut  si  grande ,  qu'une  infinité  ne  pii- 
rept  trouver  de  logement,  et  que  le  ehanip 
de  Mars's'e'tantîrouvé  trop  petit  pour  conte- 
nir toute  cette  multitude,  ils  donnèrent  leur 
suffrage  k  haute  ¥oix  de  dessus  les  toits  des 
maisons**.  Tout  ce  que  les  nobles  purent  ob- 
tenir du  peuple ,  ^  rabattre  de  Tambidon  et 
des  grandes  espérances  de  Gaïus  y  c'est  qu'au 
lieu  d'être  le  premier  des  tribuns ,  conmie  il 
s'en  flattoit ,  il  ne  seroit  que  le  quatrième. 
Mais  ils  ne  gagnèrent  pas  oeaucoup  par*  là  ; 
car  il  ne  fut  pas  plutôt  installé  dans  cette 
charge ,  qu'il  fut  réellement  le  premier:  outre 
qu'il  a  voit  une  éloquence  à  laquelle  toute 
autre  cédoit ,  l^accident  que  sa  maison  avoit 
éprouvé ,  lui  donnott  une  grande  liberté  de 
parler  y  et  un  mojreo  sûr  de  toudier  en  dé- 
plorant la  mort  de  son  frère;  car  quelque  ma- 
tière qu'il  traitât ,  il  en  revenoit  toujours  la , 
et  ramenoit  le  peuple  sur  celle  idée  ,  les  fai- 
sant ressouvenir  de  tout  ce  qui  s'étoit  passé , 
et  leur  représentant  la  conduite  bien  difft:- 
rente  de  leurs  ancêtres  :  «Vos  aneètres^  leur 
((  disoit-il,  déclarèrent  autrefois  la  guerre  aux 
,  «.Falisques,  pour  venger  Génucius,  tribun 
«  du  pauple ,  qu^ils  avoîeot  maltraité  en  pa^ 
«  rôles  seulemenii  i  et  ils  oDadamnècent  a  U 

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TIBÉRIUS  ET  CUTIS  GRACCHUS,    437 

u  mort  un  Caïns  Veturiiis,  parce  qu'un  des 
«  tribuns  traversant  la  place  publique,  il  a  voit 
«  été  le  seul  qui  eût  refusé  de  se  retirer  pour 
a  le  laisser  passer.  Au  lieu,  continua-t-il, 
«  que  ces  gens ,  en  montrant  les  nobles,  ont 
«  assommé  devant  vos  yeux ,  k  coups  de  bâ- 
«  tons,  mon  frère  Tibérius;  que  son  corps  a 
«  été  traîné  au  travers  de  la  ville  depuis  le 
<i  Capitole  jusqu'au  Tibre  où  on  l'a  jeté;  et 
«  que  tous  ses  amis  qui  sont  tombés  entre 
«  leurs  mains ,  ont  été  mis  \l  mort  sans  aucune 
«  formalité  de  justice.  Cependant  c'est  une 
«  coutume  de  tout  temps  observée  k  Rome  , 
il  que  lorsqu'un  homme  accusé  d'un  crime 
ce  capital,  refuse  d'obéir  aux  sommations  qui 
«  lui  sont  faites  le  jour  qu'on  doit  le  juger ,  on 
«  envoie  dès  le  matin  k  la  porte  de  sa  maison 
«  un  officier  l'appeler  k  son  de  tron^pe*;  et 
«  jamais  avant  que  cette  formalité  n'ait  été 
«  remplie,  les  juges  ne  donnent  leur  voix 
«  contre  lui ,  tant  nos  ancêtres  avoîent  de  re- 
«  tenue  et  de  précaution  dansleurs  jugements 
u  quand  il  s'agissoit  de  la  vie  d'un  citoyen  »• 
Après  qu'il  eut  ému  et  excité  le  peuple  par 
ces  discours ,  car  il  avoit  la  voix  si  étendue  et 
si  forte  ,  qu'il  pouvoit  se  faire  entendre  aisé-*- 
ment  de  toute  une  multitude^  il  proposa  deux 
ëdits ,  l'un  qui  portoit,  «  que  tout  magistrat 
«  que  le  peuple  auroît  déposé,  ne  pourroit 

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458     TÏBÉRIUS  ET  CAIUS  CRACCIUTS. 

«  plus  exercer  d'autre  charge  5  et  le  second 
«  qui  ordonnoit  que  le  magistrat  qui  auroit 
«  Ëanni  un  citoyen  sans  lui  avoir  fait  son  pro- 
«  ces  dans  les  formes,  seroît  jugé  par  le  peu- 
«  pie  en  dernier  ressort».  La  première  de  ces 
lois  notoit  et  dégradoit  nomme'tnent  le  tiibun 
Mardis  Octavîus  que  Tibe'rius  avoit  déposé  ; 
et  l'autre  tomboit  sur  Popilius,  qui  ,  étant 
préteur,  avoit  banni  les  amis  de  Tibérius  sans 
aucune  forme  de  justice.  Pour  Popîlîus ,  îl  ne 
voulut  pas  s'exposer  a  ce  jugementdu  peuple, 
et  abandonna  Fllalie.    Caïus  cassa  de  lui- 
même  son  premier  édit ,  et  déclara  publique- 
ment qu'il  accordoit  Octavius  aux  prières  de 
sa  mère  Cornélie  qui  lui  avoit  demandé  cetle 
grâce.  Le  peuple  en  fut  ravi  et  consentit  vo- 
lontiers k  cette  révocation  ."car  il  honoroit 
Cornélie  autant  en  considération  de  ses  deux 
fil& ,  que  pour  l'amour  de  son  père ,  comine 
cela  parut  bientôt  après  par  une  statue  de 
bronze  qu'on  lui  éleva ,  et  sur  laquelle  on  mît 
cette  inscription  :  «  Corne'lie ,  mère  des  Grac- 
ie ques  *7  ».  On  cite  plusieurs  bons  mots  de 
Caïus,  qui  les  dît  publiquement  an  su|et  de 
sa  mère  a  un  de  ses  ennemis  :  «  Quoi  ,  lui 
«  dit-il ,  tu  oses  médire  de  Cornélie  qui  a 
«  mis  au  monde  Tibérius  »  1  Et  comme  ce 
ïttédisant  étoit  extrêmement  décrié  pour  un 
vice  infime  :  «  Sur  qu«l  fondement ,  loi  dit- 

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TIBÊRIUS  ET  CAIU8  GKliCCinTS.    45ù 

a  il ,  as-tii  l'audace  de  te  toitepârer  a  Gor- 
«  nëlîe?  As -tu  enfanté  comme  elle?  Toils 
«  les  Romains  savent  ponrtadt  qu'elle  atété 
«  plus  souvent  sans  mari ,  one  toi  sans  hom-> 
«  me  »•  ».  Tel  étok  le  sci  dé  ses  discours  j 
et  l'on  poiirroit  rassembler  beàucoUp  detraiis 
semblables  de  tous  tes  ëcrîts. 

Parmi  les  ëdits  qu'il  proposa  pour  relever 
la  puissance  du  peuple ,  et  pour  rabaisser cëlFe 
du  sénat,  il  y  en  eut  un  qui  âvoit  pour  objet 
l'établissement  de  colonies ,  et  qut  dofinèlt 
aux  pauvres  les  terres  domaniales  t!eâ  Villes 

3u*on  vouioit  repeupler  ;  un  atitre  eh  faveur 
es  troupes ,  qui  ordonnoit  qu'on  leur  foiir- 
niioit  les  habits  sans  rien  retrancherpôuir  ceïa 
de  leur  solde,  et  qu'on  n'enr6lerort  point  de 
soldat  qui  n'eût  di^csept  atls  accomjilis;  uti 
ircMsîème  en  faveur  des  allies ,  qui  donnoit  k 
tous  les  peuples  d'Italie  le  droit  de  suffrage 
tel  que  l'avoîent  les  propre^  citoyens  ;  ifa 
•quatrième,  pour  diminuer  en  ftveurdes  pau- 
vres le  prix  du  blé  ;  et  uh  cîntjuième  enfioT , 
qui  concernoît  la  justice ,  par  leqiiei  ifre- 
trani^hoit  la  pfus  grande  partie  de  l'autorité 
du  sénat  ;  car  tes  één^tciirs  étoient  les  seuls 
juges  de  tons  les  procès,  ce  qui  les  rendait 
tiè5-i»edoutables  aux  ckevalierset  au  peuple. 
ïl  )â^outa  donc  aux  trois  cents  sénateu^à  qu'il 
y  avoit  alonr,  un  pareil  nombre' de  cheva- 

Xr  D,gitizedbyCjO(||gle 


ÔAO    TIBéRTOS  BT  CAIU6  ORkCCBUS. 

.liers,  et  fit  que  les  jugements  de  toutes  les 
causes  appartinrent  également  k  ces  six  cents 
)Uges  *s.  En  proposant  cette  loi ,  iln'onUû 
rien  de  tout  ce  qui  pou  voit  la  faire  passer, 
mais  il  s'avisa  surtout  d'une  chose  très-b^o 

.pensée  :  jusque-lk  ceux  qui  harangiicMeot le 
peuple  se  tournoient  toujours  vers  le  sénat, 
et  vers  le  lieu  qu'on  appeioit  le  Comice;  nuis 

.lui  f  au  contraire  ,  affecta  de  se  tourner  vers 
l'autre  bout  qijii  étoit  la  place  publicpie^et 
conserva  cet  usage  depuis  ce  momeot-lk;  de 

.  sorte  que  par  un  léger  cbangemenl  de  situa- 

.tion  et  de  vue. ,  il  introduisit  un  changement 
tiès-considérable  dans  l'état,  et  futcaiisemie 
le  gouv;ernement  devint  en  quelque  swte  dé- 
mocratique^ d'aristocratique  qu'il  ëtoit  an- 
paravant ,  en  faisant  voir  aux  orateurs  qu'ils 
dévoient  adresser  leurs  discours ,  non  au  sé- 
nat, mais  au  peuple  ^\  Et  comme  le  peuple 
ne  reçut  pas  seulement  cette  loi,  maisivi  donna 
encore  k  lui--inèmele  droit  de  choiâr  les  à»- 

^  vaiiers  qu'il  voulpit  établir  pour  juges,  il  se 

'trouva  tout d'uin  couprevètu  d'une puifflM» 
souveraine  et  monarcbique.  Le  sénat  mêoie 
souffrit  qu'il  assistât  k  ses  délibérationsi  et 

3u'il  lui  donnât  $es  avis»  Il  est  vrai  (ju'il  w 
onnoit  jamais  que  des  conseils  convenables 
k  la  dignité  de  ce  corps.  Tel  fut ,  pareiem- 
|»le ,  l'ayi^qu'il ouvrit  sur  quekptes bl6 (p» 

'■       '  DigitizedbyCjOOgle 


nniiÂiims  et  oaius  gracchus,  44x1 
?ÎVmis^qHi  commando] t  en  £3pagne  a  la  place 
Il  pr.^teur,  avoit  envoyés ,  avis  très-modéré^ 
es  beau  et  très- juste  ;  car  il  persuada  au 
*DaC  de  (aire  vendre  ces  blés,  d'en  envoyer 
argfat  aux  villes  qui  les  avoient  foinruis,  et 
e  (aii^  a  Fabius  une  sévère  repi^imande  de 
e  qu'il  rendoit  la  puissance  romaine  odieuse 
t  insupportable a^x  Espagnols. 

Ce  décret  lui  acquic  dans  les  provinces  une 
rès-gi'ande  réputation  et  lui  mérita  la  bien<^ 
'eillaace  des  peuples.  11  fit  aussi  des  ordon«- 
lances  pour  envoyer  des  colonies  dans  lea 
/illes  désertes,  pour  coastruire  des  grands 
:liemios,  pour  bâtir  des  greriiei*s  publics,  et 
I  se  chaj^gea  lui-même  de  l'intendance  et  de 
a  condiûte  de  ces  grands  ouvrages,  sans  ja« 
nais  succomber  squs.  le  travail,  et  sans  pa«- 
Mître  ni  aecaUé  ni  embarrassé  de  tant  et  de 
H  ^liand^  e«itreprises;  mais  au  contraire  lea 
exécutant  toutes  avec  une  «ussi  admirable 
(célérité,  et  avec  autant  de 3oin,  que  si  cha- 
iMme  eut  été  la  seule  dont  il  fut  chargé  ;  de 
ioite  que  ceux  qui  le  haiisaoient,  ou  qui  lé 
ci*aig«oient ,  étoient  surpris  de  son  activité 
^t  de,  sa  diligence.  Le  peuple  étoit  ravi  de  le 
rencQBtrer  et  de  le  voir  toujours  suivi  d'yne 
foule  d'entrepreneurs,  d'ouvriers,  d'amhas^ 
sadeurs,  d'officiers,  de  soldats,  de  gens  Se 
Uttr^,  avec  lesquels  il  s'entretenoit  familier 

X.  D,g,„zedbyijeOgle 


442     TifeÉRIlTS  ET  ÔAÎUâ  CRACCTÏtr^. 

rement ,  avec  beaucoup  de  douceitr  ,  convr- 
vant  foti  jours  sa  grayké  et  sa  digni  te  an  miBeu 
ée  cette  hiiœafnké  et  de  cette  polftesse,  s'ac- 
commodant  au  génie  des  uns  et  des  autres^et 
disant  k  cbacim  ce  qui  convenoit.  Par  cette 
conduite ,  il  décrédîtoit  et  faisoit  paroître  fâ- 
cheux et  injustes  les  calomniateurs  qui  yoih 
loient  le  faire  passer  pour  un  horoine  hicom- 
niode,  terrible  et  emporté;  car  il  se  montroiti 
encore  plus  populaire  dans  le  commerce,  et I 
dans  toutes  les  actions  de  la  vie  civile,  qHc| 
dans  les  fonctions  de  son  niîni)stère  et  daJis  | 
ses  discours  publics.  L'ouvrage  qu'il  pit  le 
çlus  a  cœur,  et  auquel  il  s'appliqua  avec  lej 
^lus  de  soin ,  ce  fut  ae  faire  dresser  les  grands 
chemins  publics  qu-il  a  voit  ordonna,  et  en  ' 
is'altacfaant  particulièrement  k  la  oonnnodiié, . 
il  ne  ni^ligea  ni  la  beauté  ni  la  grâce.  U  • 
poussa  ces  chemins endroité'^igtie au  tfaveis | 
<les  terres ,  ley|^â'ta  de  belles  pierres  de  taille  | 

{partout  oh.  il  en  étoit  besoin  ,  les  assurant  et 
es  affermissant  ailleurs  par  des  monceaux  de 
sable  qu'il  faisoît  battre  et  lier  comme  du  ri- 
ment. Toutes  les  fondrières  et  tous  les  raTÎm 
que  les  torrents  ou  les  eaux  croupies  avoiint 
•creusés,  il  les  farboit  combler,  ou  il  en  joi- 
Çnoit  les  bords  par  des  ponts  solides;  de  sorte 
que  les  deux  côtés  étant  d'une  hauteur  ^ale 
tout  l'ouvrage  ttoit  ^akœciK 

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«'M. 


TIBÊRIUS  ET  CAïUS  GRACCHUS;    445 

ni  et  agreab}ea  la  vue.  De  plus,  il  partagea 
>us  ces  chemins  par  espaces  égaux  que  les 
Loniains  appellent  milles ,  et  chaque  mille  f 
iiî  est  h  peu  près  de  huit  stades,  étoit  marqué 
ar  une  colonne  de  pierre.  11  y  ajouta  une 
hosÊ  d'une  grande  commodité ,  c'est  qu^anx 
eux  côtés  des  chemins,  il  fît  poser  d'autres 
îerres  a  des  distances  plus  rapprochées,  afia 
libelles  aidassent  les  voyageurs  k  monter  k 
heval  sans  le  secours  de  personne  ^*. 

Pour  tous  ces  travaux ,  le  peuple  Télevoit 
iiscju'au  ciel  par  ses  louanges ,  et  témôîgnoît 
u'il  étoit  prêt  k  lui  donner  toutes  les  mar- 
nes les  plus  essentielles  de  son  affection, 
laïus,  pour  profiter  de  cette. bienveillance, 
li  dit  un  jour,  en  le  haranguant,  «  qu'il  lui 
[  demandoit  une  seule  grâce,  qui  lui  tiendroit 
:  lieu  de  toutes  les  récompenses ,  s'il  l'obte- 
c  noit,  et  du  refus  de  laquelle  il  ne  se  pîain- 
c  droit  jamais».  A  ces  mots,  il  n'y  eutper- 
onoe  ^qui  ne  crût  qu'il  alloit  demander  le 
lonsulat  et  le  tribunat  ensemble  **».  Mais  \^ 
oiir  de  l'élection  des  consuls  étant  venu  ,  et 
ous  les  esprits  étant  dans  Pattente  de  ce  qu'il 
illoit  faire,  il  parut  sur  la  place  publiquei, 
ïienaflt  par  la  main  Fannius;  et,  secondé  de 
i>BS  amis,  il  sollicita  pour  hii  le  consulat. 
Cette  brigue  fut  d'un  grand  poids  pour  Fan- 
aius,  car  il  fut  élu  consid  ;  et  Gaïus  fut  nom- 

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444    TïBfeRItrs  ET  CAITJS  GRAÇCETOS.  ) 

mé  pour  la  seconde  fois  tribun  y  sans  V^\€ir 
m  sollicite  uî  demandé ,  mais  par  la  seol** 
faveur  du  peuple.  Comme  il  vît  que  k  sénat 
ctoit  sou  ennemi  déclare ,  et  qxie  le  cons»! 
Fannius,  malgré  le  grand  service  qii'ii  rPDoit  : 
de  lui  rendre,  étoit  extrêmement  refroidi,  H 
recommença  k  s'attacher  de  plus  en  phi5  ^^/ 
peuple  par  de  nouveaux  édits  ;  car  îl  ordonna 

?fu'on  meneroît  des  colonies  a  Ta  rente  et  à^' 
Papoue ,  et  que  le  droit  de  citoypn  seroit 
étendu  sur  tous  les  peuples  latins.  Sur  cela, 
le  sénat ,  craignant  que  son  autorité  ne  vint  i 
im  tel  point  qu'il  seroît  invinciMe,  résolut  de 
tenter  un  moyen  très-nouveau  et  très-i0o«J| 
de  détourner  cette  faveur  excessive ,  en  fl»t-  j 
tant  et  en  caressant  le  peuple  a  l'envi ,  et  en  ' 
cherchait  k  lui  complaire  en  tout,  contre 
toute  sorte  de  raison  ,  d'honnêteté  et  de 
justice. 

Parmi  les  collègues  de  Caïus  au  tribiinar, 
3  y  en  avoît  un ,  nommé  Li vins  Drusiis ,  <|nî 
efoit  aussi  heureusement  né,  et  avoit  été  aussi 
bien  élevé  qu'aucun  autre  des  Romains,  et  | 

3ui ,  en  éloquence  et  en  richesses,  pou  voit  le 
•sputer  a  ceux  qui  étoient  les  plus  puissants 
et  qui  avoient  le  plus  de  réputation.  Le» pre- 
miers de  Rome  s'adressent  k  lui  ^  et  lé  pressent 
de  s'opposer  k  Caïus,  et  de  se  liguer  avec 
eux  contre  lui,  non  en  violentant  le  peuple, 

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TIBÉRmS  BT  CAIU8  GRACCHUS.     445 

i!  en  résistant  a  ses  volontés  j  mais  au  cou- 
raîre,  en  faisant  tout  ce  qui  pou  voit  lui  être 
igréable,  et  en  lui  accordant  des  chose?  par 
e  refus  desquelles  il  auroit  été  bien  pki3  hon- 
nête d'enconrir  sa  haine  et  de  s'eitposer  k 
tonte  sa  fureur.  Livius  Drusus  se  livre  donc 
au  sp'nat  ;  et  prostituant  son  ministère  k  ne 
servir  que  ses  d&irs,  îl  rend  des  édils  qui 
n'a  voient  rien  de  beau  ni  d'utile,  mais  dont 
le  seul  but  étoit  de  surpasser  Chïus ,  et  d*en- 
trer  en  lice  avec  lui  k  qui  feroit  plus  de  plais  r 
au  peuple,  ni  plus  ni  moins  que  ceux  qui  font 
jouer  (levant  lui  des  comédies  poiu-  le  di- 
vertir 33.  ^ 

Par  la  le  sénat  fit  connoître  bien  évidem- 
ment qu'il  n^étoit  point  du  tout  fâché  des  or-' 
donnanoes  de  Caïus,  mais  que  dans  tout  ce 
qu'ail  faisoit  il  n'avoit  en  vue  que  de  le  ruiner 
et  de  Vabatlre.  En  effet ,  lorsque  Caïrfs  or-^ 
donna  d'envoyer  seulement  deux  colonies , 
qu'il,  composoit  des  plus  Jbomiètes  citoyens ^ 
le  sv>'nat  ne  manqua  pas  de  s'élever  et  de  crier 
qu'il  accabloit  et  fouloit  le  peuple;  et  quand 
Livîus  Drusu$  ordonna  d'en  envoyer  douze  , 
^t  de  choisir  pMu*  chacune  troi&milledes  plus 
pauvres  citoyens,  il  le  favorisa  de  tout  son 
poutoip.  Si  Caïus  distribnoit  aux  pauvres  des 
terres ,  en  les  chargeant  cbaoun  de  payer  une 
r^aui  {^onuellQ  aU  ti?é$or  pubtic^^  le  sénat  U 


446     TIBÉRIW  ET  CAIUS  GRACCHUS- 

dëtestoit  comme  un  homme  qui  flattoit  et  gâ- 
toit  le  peuple;  et  quand  Livius  déchargeoit 
les  pauvres  de  cette  rente,  et  qu'il  leur  lais- 
soit  ces  terres  franches  et  quittes,  le  sénat  le 
louoit  et  en  ëtoitravi.  Bien  plus,  Caïus  ayant 
fait  accorder  le  droit  de  suffrage  aitic  peuples 
latins,  le  sénat  en  murmura  et  en  fut  affligé; 
et  lorsque  Livius  ordonna  que  les  gënëram 
n'auroient  pas  la  liberté  de  faire  frapper  de 
veines  un  soldat  latin ,  le  sénat  applaudit ,  et 
lui  aida  k  faire  passer  sa  loi.  Aussi  Livius^ 
dans  les  harangues  qu'il  faisoit  en  proposant 
ses  édits,  ne  manqooit  jamais  de  dipe ,  «  quil 
«  les  proposoît  de  l'avis  même  du  sénat  qui 
«  avoit  soin  du  peuple».  Et c'étoit  la  seule 
chose  qu'il  y  avoit  d'utile  dans  ses  édîts  et 
dans  ses  discours  ;  car  le  peuple  en  devint 
plus  doux  envers  le  sénat  ;  et  au  lieu  qu'aii- 
paravknt  il  baïssoit  tous  les  principaux  de 
cette  compagnie,  et  les  avoit  pour  suspects, 
Livius  adoucît  et  étagnit  entièrement  cette 
ancienne  animosité  et  ces  défiances ,  en  lui 
persuadant  que  c'étoit  du  consentement ,  tù 
la  suscitation  même  des  sénateurs ,  <}u'il  se 
portoit  k  lui  complaire  «t  ik  le  satisfaire  en 
tout. 

Mais  ce  qui  assuroit  Te  plus  le  petipTe  de 
l'affection  de  lâvius  et^desa  grande  droiture^ 
•'est  que  y  dans  toifl;  ce  ipi'U  pitoposoit^  il  u'f 

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TIBéRKTS  ET  CAîUS  GRACCHU8.*  447 

ftvolt  jamais  rien  qui  le  regardât  personnel^ 
lement,  ùi  qui  favorisât  le  moins  du  monde 
ses  intérêts;  car  tous  ces  emplois  d'aller  re- 
bâtir des  villes  et  de  mener  des  colonies,  il  les 
faisoit  tombera  d'autres,  et  ne  voulut  Jamais 
avoir  le  manieiûent  de  l'argent  ;  au  lieu  quo 
Câïus  retenoit  toujours'ppur  lui  la  plupart  de 
ces  commissiohs ,  et  toujours  les  phis  impor- 
tantes. Rubrius ,  un  de  ses  collègues  y  ayant 
ordonné  par  un  édit  qu'on  iroit  rebâtir  Car-* 
thage  qui  avoit  été  détruite  par  Scipioh ,  et 
le  soift  ayant  nommé  Caûis  k  cet  emploi ,  il 
s'embar<g|a  pour  aller  conduire  cette  colonie 
ea  Afrique.  Alors  Dn^sus,  profitant  de  soa 
absence,  s'éleva  plus  hautement  contre  lui^ 
et  travailla  de  plus  en  plus  h  gagner  le  peuplé  ; 
€t  k  se  concilier  sa  faveur,  surtout  en^accu-- 
saut  ouvertement  Fulvius  ^ui  étoit  l'ami  par- 
ticulier de  CaïuSy  et  avoit  étéélu  avec  lui 
eommissaire  pour  le  partage  des  terrée.  C'étoît 
un  esprit  séditieux,  ouvertement  haï  de  tout 
le  sénat ,  et  suspect  a  tous  les  Romains,'  comme 
mn  homme  qui  ne  chercboit  qu'à  allumer  une 
guerre  civile,  et  qui  excitoit  secrètement  les 
peuples  de  Fltalîe  k  se  révolter*  Ces  bruits . 
couroient  sourdement  sans. aucun  jtndice  et' 
sans  aucune  preuve  certaine  j  mais  il  les  reK- 
doit  vraisemblables  par  sa  conduite,  en  he 
f  renant  [amais  aucun  partij^^g^^çt  ea  se.  dé^ 

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44       TIBÉRIFS  ET  CAirS  GR ACCHTS* 

elarant toujours  contre  cehiî  delà  paix.  C'est 
ce  qui  contribua  le  pins  k  la  ruine  de  Caivs; 
car  tonte  la  haine  qu'on  avoit  pour  Fulvins, 
retomba  sur  lui.  Mais  après  qiïfe  Scipion  FAfri- 
cain  eut  été  trouvé  sans  vie  dans  son  lit,  sans 
qu'il  eut  paru  aucune  cause  de  mort,  et 
qu'on   eut   cru  apercevoir    sur   son    corps 
quelques  marques  de  coups  et  de  violence , 
comme  nous  l'avons  écrit  dans  sa  vie,  alors 
la  plupart  des  gens  accusèrent  ouvertement 
Fui vius  qui  étoit  son  ennemi  déclaré ,  et  qni , 
xe  jour-la  même ,  s'étoît  emporté  contre  lui 
dans  la  tritntne ,  et  en  termes  très-^dPensants, 
On  eut  aussi  quelque  tfonpqon  contre  Caïns; 
cependant  cet  horrible  attentat  commis  contre 
le  premier  et  ic  plus  grand  homme  de  la  ré^ 
publique ,  ne  fut  ni  puni  ni  recherche;  car  le 
peuple  s'y  opposa  et  empèdia  le  jugement, 
de  crainte  qu'il  n'y  eût  des  indices  contre 
Caïus,  et  qu'il  ne  fîit  trouvé  coupable  de  ce 
crime,  si  on  l'approfondissoit;  mais  celaar^ 
riva  quelque  temps  auparavant  (a). 

Pendant  que  Caïus  étoit  en  Afrique,  occupé 
h  rebâtir  et  k  repeupler  Carthage ,  qu'il  ap- 
pela alors  Junonia^  c'est-k-dire  la  ville  de 
JuQoa  ^^,  on  dit  que  les  Dieux  lui  envoyèrent 

(a)  Cela  etoit  arriva  I'au  de  Route  6fl4  >  sept  ant 
•vani  TaTinée  dont  il  parje  ici  j  Caïus  n^svoit  alors 
i|tte  viQg|rC|uiitre  noir 

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TIBSRIXTS  £T  CAIITS  GRAGCÙUS.     449 

L\s\eûTs  signes  fupestes  pour  le  détôurûer  de' 
tte  entreprise.  Car  la  pique  de  la  pfemîère 
iseigoe  fut  rompue  par  la  violence  d'un  vent 
npétueux  qui  se  leva  tout-k-coup,  et  par  la 
*sistaoce  du  porte-enseigne  qui  s'efforçoit  dé 
>n  côté  de  la  retenir  ;  les  entrailles  des  vic- 
Iracs  qui  éfoîent  dcjhî  sur  l'autel  furent  em- 
portées et  dispersées  paï  ce  tourbillon ,  et 
etées  bien  loiaau^delk  des  palissades  dont  on 
ivoît  marqué  i'enceinte  delà  nouvelle  ville; 
Ic's  loups  survenant  an*achèrent  ces  palis- 
sades,  et  les  emportèrent  fcrt  loin.  Malgré 
tous  ces  présages  sinistres  y  Caïus  ayant  réglé 
et  ordonné  toutes  choses  dans  l'espace  de 
soixante-dix  Jours,  se  rembarqua  et  revint  k 
Rome ,  parce  qu'il  apprit  que  F ulvius  y  étoîl 
extrêmement  pressé  parDrusus,  et  que  les 
affaires  avaient  grapd  besoin  de  sa  présence, 
Lucius  Hostilius  ^^ ,  qui  étoit  fort  porte'  poor 
l'oligarchie,  et  qui  avoit  beaucoup  de  crédir 
dans  le  sénat ,  ayant  brigué  Tannée  précé-^ 
dente  le  consulat ,  avoit  été  refusé  par  la  pro- 
tection que  Caïus  avoit  donnée  k  Fannins,  et 
par  les  brigues  qu'il  avoit  faites  en  sa  faveur. 
Mais  il  y  avoit  toute  apparence  qu'a  la  pre- 
mière élection ,  il  seroit  reçu  k  cause  ae  la 
quantité  de  gens  qui  le  favorisoient;  et  on  ne 
4outoit  point  que^  dès  qVil  seroit  en  charge  ^ 
|1  ne  vint  kbont  de  détruire  Caïus,  dont  la 

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45ô    TIB<»IUi5  ET  CAITO  GRACCSU». 

I>uissaDce  cammeoçoit  k  baisser  et  h  se  ffétrir^ 
e  peuple  étant  déjk  rassasié  de  ses  ârdon- 
nances  flatteuses ,  parce  que  tout  ëtoit  pleiu 
de  gens  qui  «e  cherchoient  qu*a  lui  corapiairej 
et  que  le  sénat  mênoie  les  laissoit  faire  ti^ 
volontiers. 

Dès  que  Caïus  fut  de  retour  k  Rome,  la 

Sremière  chose  qu'il  fit ,  ce  fut  de  changer 
'habitation  ;  car  il  quitta  le  mont  Palatin  et 
alla  loger  au-dessous  de  la  place  publique, 
ce  qui  étoit  beaucoup  plus  populaire,  parce 
que  c'étoit  M  le  quartier  de  la  classe  la  pi«s 
obscure  et  des  plus,  pauvres  citoyens.  Ensuite 
il  proposa  le  reste  de  ses  lois^  voulant  les  &iie 
autoriser  par  les  suffrages  du  peuple.  Comme 
une  grande  foule  accouroit  de  tous  les  envi- 
rons, et  se  rangeoit  autour  de  lui,  le  sénat 
persuada  au  consul  Fannius  de  chasser  tout 
ce  peuple  qui  n'étoit  point  habitant  de  Rome, 
et  de  ne  laisser  que  les  Romains  naturels.  On 
publia  doQC  k  son  de  trompe  cette  défense 
jusqu'alors  inouie  et  très-étrange  ,  qu'auctm 
des  alliés  et  des  amis  de  Rome  ne  se  trouvât 
dans  la  ville  pçndaat  les  jours  de  l'élection. 
Mais  en  même  temps ,  Caïus  fit  mettre  par- 
tout des  affiches ,  pour  se  plaindre  de  cette 
proclamation  si  injuste  du  consul,  et  pour 
proinettre  main-forte  k  tous  les  alliés  qui  i-es* 
teroient  dans  Rome.  Il  ne  tint  pourtant  p9S  sa 

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TlVÈBLtVê  ET  CAttTS  ÔRACCHUS.    45r 

irole  ;  car  voyant  xm  et  ses  amis  et  de  se» 
>tcs  même»  traîné  en  pcîson  par  les  licteurs 
Li  consul ,  il  passa  otitre ,  et  ne  lui  donna  an- 
m  secours,  soit  qu'il  craignit  de  faire  voir 
ne  son  pouvoir  ëtoit  dëjk  fort  diminué,  soit, 
3mnie  il  le  dît  lui-même,  qu'il  ne  voulàt  pa^ 
onn^  k  ses  ennemis  un  prétexte  de  prendre 
îs  annes^  prétexte  qu'ils  auroient  embrassé 
vec  joie  pour  faire  éclater  leurs  mauvais 
esseins. 

Il  arriva  en  même  temps  qu'il  se  brouîlla 
xtrêmement  avec  ses  collègues,  et  en  voici 
e  soj0t«  Le  peuple  devoit  assister  a  un  combat 
le  gladiateurs  qu'on  lui  préparoit  dans  la 
)lace  publique.  La  |4upart  des  magistral  s 
irent  dresser  tout  autour  de  la  placé  des 
îchafaudspour  les  louer.  Caïus  leur  fit  com- 
mandement de  les  abattre ,  afin  que  les  pau- 
i^res  eussent  ces  places  pour  voir  ce  specftâclé 
sans  payer.  Comme  personne  n^obéissoit  il  son 
commandement  y  il  attendit  la  nuit  qui  pré- 
céda ces  jenx^  et  prenant  avec  lui  tous  les 
charpcmiers  et  tous  les  ou vriera  qu'il  avoit  en 
Sa  disposition,  il  fit  abattre  lui- même  tous  ces 
échafauds,  et  le  lendemain  rnatin  il  montra 
aux  pauvres  la  place  vide  pour  les  rqcevoiFt 
Cette  action  k  fit  regarder  du  peuple  comme 
un  boïïitoe  de  résolution  et  de  courage;  mais: 
&es  to^lègiies' en- furent  très-mécontents  ;  et  lé/ 

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45  a  TIBBRHJSET  CA.nJSGÏlACCHU$.  1 
regardèrent  coiuroe  ud  homme  violent  ewifflw 
témérité  oiUrt^e.  11  parut  même  que  cela  {irt, 
cause  qii'on  iiii  refusa  le  troisième  iribunail 
qu'il  pour&iïivoît.  Ce  li'est  pas  qu'il  d'cùi  laj 
pluralité  des  suffrages;  mais  on  prétend (jm 
ses  collègues ,  par  un  esprit  de  vengeance  t 
piévariquèreiit  très-injustemeot  dans  k  rap- 
port qu  ils  en  firent.  Il  est  vrai  que  ccUk 
fut  pas  bien  avéré  daiis  le  temps  et  demeurai 
douteux. 

Caïui  supporta  fort  mipafierameot  ce  ref«^ 
et  l'on  assure  que ,  voyant  ses  emiemis  nrt 
de  sa  disgrâce ,  il  leur  dit;  aV^c  une  insolence 
trop  outrée ,  «  qu'ils  rioient  d'un  ris  sani^ 
iH  nien ,  ne  voyant  poii^  dans  quelles  ténèDr  ^ 
¥.  il  les  précipitait  par  ses  lois  ».  LucigsOpi- 
niius  ayant  été  éla  çoadul ,  commença  P*^ 
casser  plusieurs  de  sesr  Ws,  et  pw  bir^^^ 
r^cher^es  sur  le  nouvel  <iîlablissement  dej* 
colonie  de  Càrthage,  le  tout  a  dessein  de  l»r- 
ritCF,  afin  que  par  seserapôrteroentsil  donnai 
lieu  k  quelqu'un  de  le  tuer.  Caïns  sappoi"* 
d- abord  tous  eçs  affronts  avec  patience.  M^^ 
ses  araîs ,  et  surtout  Fui  i:îu5,  FaiguîlloBniïC''^ 
»i  fort ,  qu'il  assembla  de  nouveau  des  geos 
pour  s'ppposer  au  consul.  On  prétend  que  » 
mère  ipème  entra  dans  cette  espèce  de  goih 
iuration ,  et  lé  seconda  dans  cette  entreprise^ 
ayant  secrètement  louié  des  éXXBB^}  «l'^ 

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TtBiniUS  ET  CAÎUS  GR.ACCHUS.    453 

lyant  envoyés  \l  Rome  déguisés  en  moisson-^ 
leurs;  car  c'est  ainsi  qu'on  le  trouve  ëcrii  eu 
)aroles  couvertes  -dans  les  lettres  qu'elle  éci'i- 
roit  k  son  fils.  D'autres  assurent  que  cela  se 
)assâ  non  seulement  sans  la  participation  de 
lîornélîe ,  maïs  même  contre  son  gré.  Le  jour 
lono  que  le  consul  Opimins  devoit  casser  les 
ois  dé  Caïus ,  les  deux  partis  occupèrent  le 
i^apitole  dès  le  matin;  et  le  consul  Opimins 
lyant  fait  son  sacrifice,  un  de  ses  licteurs  j 
lomroé  Quîntus  Antyllius,  qui  emjportoit  les 
ïntrailleàdes  victimes,  diti  Folviuseti  céu» 
[uî  étoiént  en  grand  nombre  autotir  de  lui  p 
<  Méchants  citoyens  qiie  vous  êtes ,  ftiiiea 
i  place,  et  laissez  passer  les  gens  de  bien  »; 
Quelques-uns  «joutent  qu'en  piononçanl  ce» 
)aroles  il  leur  montra  le  bras  nu  avec  une 
>o9tLne*fort  déshonnète  po^ir  leur  faire  af-» 
ont^*':  ce  qui  les  irrita  tellement,  qu'An-^ 
ylliue  mt  tué  sur  la  place  K  coups  d«  poinqons 
[e  tablettes  qU*on  dit  qu'ils  avoient  fait  faire 
xprès.  Tout  le  peuple  fut  fort  troublé  de  ce 
leurtre  ;  mais  les  deiix  chefe  se-troij^ivèreni: 
^ïis  defe  sentiments  bien  opposés,  car  Caïiig 
it  très-fàché  de  cet  événement,  et  s'emporta 
ontre  ses  gens ,  leur  repochant  qu'ils  avoient 
onné  prise  sur  eux  k  leurs  ennemis ,  qui  ne 
herohoient  depuis  long-temps  qu^nn  prétexte. 
)pimiu3  7  au  contraire  ^regardant  cette  oc4 


454    TIBÊRIUÔ  ET  CklVS  GRACCHITS. 

casion  comme  un  prélude  favorable  y  s'ëleva 
et.  excita  lé  peuple  a  la  vengeance;  mais  3 
survint  une  grosse  pluie  qui  les  obligea  de  se 
séparer. 

Le  lendemain  dès  le  matin,  le  consul  as- 
sembla le  sénat  1$  et  pendant  qu'il  expédia  les 
.  affaires  dans  l'intérieur,  des  gens  disposa  pour 
cela ,  ayant  mis  le  corps  d'Antyllius  tout  ou 
sur  un  lit  funèbre ,  le  poitèrent  au  travers  de 
la  place  jusqu'au  tfénat,  en  poussant  des  cris 
et  des  gémissements  d'autant  plusgrand»  qu'ils 
étoient  affectés.  Opimius  savoit  fort  bien  ce 
que  c'étoit,  mais  il  fàisoit.  semblant  de  l'igno- 
rer ,  et  contrefaisoit  Pétonné.  Tous  les  séna- 
teurs étant  sortis  pour  savoir  ce  que  ce  po4i- 
voit  être  y  et  voyant  le  lit  poaé  au  milieu  de 
la  place,  quelques-uns  en  parurent  vivemcnl 
touchés,  comme  d'un  malheur  épouvantable; 
mais  cette  Vue  fit.  un  effet  tout  contraire  sur 
l'esprit  du  peuple,  et  ne  servit  qu'k  lui  faire 
haïr  et  détester  davantage  cette  faction  des 
nobles  qui  avoient  massacré  dans  le  Capitole 
Tibérius  Gracchus,  tribun  du  peuple,  et 
avoient  jeté  son  corps  dans  le  Tibre  ;  et  lors- 
qu'un malheureux  licteur,  comme  ^tyllius, 
qui  peut-être  n'a  voit  pas  mérité  son  sort, 
mais  qui  se  l'étoit  attiré  du  moins  par  son  m- 

13radence,  étoit  exposé  sur  la  place,  non  seu- 
«mçnt  ils  envirouuoient  sou  lit  et  Tarrosoiçut 

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TIBàRirS  ET  CAirS  GRACCHVS.    455 

\e  leurs  larmes,  mais  ils  conduisoieot  eo 
pompe  le  convoi  de  cet  homme  mercenaire  , 
pour  exciter  par  Ik  les  Romains  a  se  défaire 
encore  du  seul  personnage  qui  restoit  de 
tous  ceux  qui  protégeoient  et  défendoient  le 
peuple. 

Le  sénat  étant  rentré,  fit  un  décret  par 
lequel  il  ordonna  au  consul  Opimius  de  se^ 
servir  de  tout  son  pouvoir ,  pour  empêcher 
la  république  de  recevoir  aucun  dommage  et 
pour  détruire  les  tyrans.  Sur  cela  le  consul 
ordonna  h  tous  les  sénateurs  de  prendre  les 
armes ,  et  k  tous  les  chevalieirs  de  venir  le  len-> 
demain  matin  chacun  avec  deux  domestiques 
bien  armés.  Fulvius  se  prépara  de  son  côté  k 
s'opposer  k  leurs  efforts,  et  assembla  une 
grande  fotile  de  peuple.  Caïus,  en  s'en  retour-- 
nant  de  la  place,  s'arrêta, près  de  la  statue  de 
son  pei-e,  la  regarda  long -temps  sans  dire 
une  seule  parole;  et  après  avoir  versé  quel-* 
*ques  larmes  et  poussé  quelques  soupirs,  il 
continua  son  chefnin.  Ce  spectacle  toucha  de 
compassion  le  peuple  ;  et  tous  alors  se  repro- 
chant leur  lâcheté  de  ce  qu'ils  abandonnoient 
et  trahissoient  un  tel  personnage,  le  suivent 
et  passent  la  nuit  devant  la  porte  ^  sa  mai- 
sou  dans  un  état  bien  différent  de  celui  où 
ëtoient  ceux  qui  gardoient  la  maison  de  FuU 
TÎus.  Ceux-ci  la  passèrent  k  se  réjouir ^  k 

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456     TrBfelLIUS  ET  C.ilUS  OtlACCHU». 

boire  9  k  pousser  de  gràuds  cris  et  a  faire  des 
rodomontades,  Fulvîus  lui-mènK^  leur  doo- 
naot  Texemple,  s'enirrant  tout  le  premier, 
et  disant  et  faisaat  beaucoup  de  choses  très- 
iodëceotes  et  peu  coavenabies  k  son  âge  et  k 
sa-tligoité;  au  lieu  que  ceux  qui  gardoient 
Ga'ms,  la  passèrent  dans  uû  grand  silence, 
Ofimme  dans  une  calamité  publique,  s'entre- 
tenant  de^  ce  qui  pou  voit  arriver  de  ce  dé- 
sordre ,  et  se  relevant  tour-k-toar  pour  se 
re|^K>ser. 

hfi  lendemain  au  point  du  jour,  les  gens 
deFulviusl'éveillent  avec  beaucoup  de  petne^ 
car  Vivresse  avoit  rendu  son  sommeil  plus  pro- 
fond 5  et  s'arraant  des  dépouilles  qui  étoient 
dans  sa  maison ,  et  qu'il  avoit  prises  sur  les 
Gaulois  qu'il  avoit  défaits  dans  son  consulat, 
ils  se  mettent  en  marche  en  poussant  de  grands 
cris  et  faisant  beaucoup  de  menaces ,  pour 
aller  se  sriisîr  du  mont  Âventin*  Pour  Caïus, 
il  refusa  de  prendre  ses  armes ,  et  sortit  en  * 
robe ,  comm^  il  alloit  ordidairement  sur  la 
place ,  s'étant  muni  seulement  d'un  petit  poi- 
gnard!. Comme  il  sortok,  sa  femme  l'arrêta 
et  se  jeta  a  ses  genoux  sur  le  seuil  de  la  porte, 
et  le  pretfint  d'une  main  et  tenant  son  fils  de 
l'autre,  elle  lui  dit  :'  a  Mon  eher  Caïus,  je  ne 
«  vous  vois  point  partir  de  votre  .maison  k 
«  votre  ordinaire ,  pour  aller  a  la  tribune 

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TIBÉRITTS  ET  CA.IUS  GRACCHUS»     457 

«  proposer^  des  édits  comme  lëgislatenr  et 

<(  comme  tribun  y  m  pour  aller  a  la  guerre  ^ 

«  enviroiinë  d'honneurs,  et  en  état,  si  le  sort 

tt  des  armes  me  privoit  de  votre  chère  vie, 

«  de  me  laisser  un  deuil  horrible  et^^ans  coq-* 

«  solation ,  mais  au  moins  plein  de  gloire* 

<(  Vous  allez  vous  exposer  aux  meurtriers  de 

((  votre* frère  Tibériu^;  et  vous  y  allez  sans 

«  armes,  plus  prêt  k  tout  soufftu;  qu'à  rieo 

n  entreprendre  vous-même*  En  auoi  je  loue 

«  votre  générosité  ;  mais  vous  allez  mourir, 

a  sansque  votre  mort  puisse  être  utile  k  votre 

a  patrie.  Déjà  le  mauvais  parti  triomphe ,  lu 

4i  violence  et  le  lier  décident  dans  tous  les 

«  jugements.  Si  votre  frère  avoit  été  tué  de-* 

«  vant  Numanpe/les  lois  de  la  guerre,  par 

a  une  trêve ,  nous  auroient  fait  rendre  soji 

«  corps  ;  au  lieu  que  présentement  je  vais 

4<  peut-être  moi-même  être  réduite  k  courir 

u  toute  éplorée  sur  les  bords  des  rivières  ejt 

«  des  mers  pour  les  supplier  de  me  montreur 

4(  enfin  votre  corps  qu'eues  auront  long-temps 

^  gardé  dans  leur  sein.  Car  désormais  que 

a  peut  -  on  attendre  des  lois  et  des  Dieu^ 

4<  uièmes ,  après  qu'a  leur  vue  Tibérius  a  été 

i<  si  cruellement  massacré  »? 

licinnia  ayant  exprimé  ces  tristes  regrets  ^^ 
le  visage  couvert  de  larmes,  Caïus  s»  débar- 
rassa doucement  d'entre  ses  bras  ^m^^çb» 


458    TIBÉRIUS  ET  CAIUS  GRACCHU5. 

daus  un  profond  silence  environné  de  ses  amis. 
Sa  femme  voulant  s'avancer  et  le  suivre  pour 
le  retenir  par  sa  robe,  tomba  sur  le  pavé  où 
elle  demeura  long -temps  sans  voix  et  sans 
sentiment,  jusqu'k  ce  que  ses  esclaves,  la 
voyant  évanouie,  Penlevcrent  et  F-empor- 
tèrent  chez  son  frère  Crassus.  Quand  les  gens 
de  Caïus  et  de  Fulvius  furent  assemblés  sur 
TAventin ,  Fulvius,  k  la  sollicitation  de 
Caïus,  envoya  k  la  place  le  plus  jeune  de  ses 
enfants  avec  un  caducée  k  la  main.  G'étoit 
un  jeune  garçon  d'une  beauté  singulière.  Dès 
qu'il  fut  arrivé  k  la  place,  se  tenant  dans  mic 

Î)osture  pleine  de  pudeur  et  de  modestie ,  et 
e  visage  baigné  de  pleurs ,  il£t  au  consul  et 
au  sénat  des  propositions  d^accommodement. 
La  plupart  dessénateursécoutoient  assez  vo- 
lontiers ces  propositions;  mais  le  consul  Opi- 
mius,  prenant  la  parole,  dit,  «que  ce  n'étoit 
«  point  par  des  hérauts  que  ces  rebelles  de- 
K  voient  persuader  le  sénat ,  qu'ils  dévoient 
«  descendre  de  leur  asile  comme  des  pré- 
«  venus ,  venir  subir  leur  jugement ,  et  se 
a  livrant  eux-mêmes ,  demander  grâce  en  cet 
«  état ,  et  désarmer  la  colère  du  sénat  irrité 
«  de  leur  révolte  ».  En  même  temps ,  il  or- 
donna k  ce  jeune  homme  de  s'en  retourner, 
et  de  ne  revenir  que  pour  accepter  ces  con- 
ditions. Caïus  ^  dit  «on  9  voulut  alors  des- 


TIBÉRirs  ET  CAIUS  GRACCHUS.     éSg 

cendre  pour  tâcher  de  ramener  le  sénat  k 
d'autres  sentiments ,  mais  tous  les  autres  s'y^ 
ëtant  opposés,  Fulvius  renvoya  de  nouveau 
son  fils  pour  faire  les  mêmes  propositions* 
Opimius,  qui  ne  demandoit  qu'a  décider  Vaf* 
faire  par  la  voie  des  armes ,  impatient  d'en 
venir  aux  mains,  fit  prendre  le  jeune  ful- 
vius; et  Tayant  donné  en  garde  k  des  gens 
sûrs,  il  marcha  contre  la  troupe  deFulviu^ 
avec  une  bonne  infanterie  et  des  archers  cré* 
tois^qui,  tirant  sur  e|||  et  en  blessant  plu- 
sieurs, les  mirent  bientolt  en  désordre.'Dans 
un  moment  la  déroute  fut  générale.  Fùlvius 
se  retira  dans  un  bain  public  qui  étoit  aban^ 
donné,  oii  il  fut  trouvé  peu  de  mofnentd 
après,  et  égorgé  avec  l'ainé  de  ses  enfants. 

Pour  Caïus.  personne  ne  le  vît  combattre 
ni  tirer  l'épée;  mais  très-affligé  de  tout  ce  qui 
se  passoit ,  il  se  retira  dans  le  temple  de  Diane. 
La  il  voulut  se  servir  de  son  poignard  poiir 
se  tyer  lui-même  ;  mais  il  eu  fut  empêché  par 
les  plus  fidèles  de  ses  amis ,  Pomponiiis  et  Li- 
cinnius,  qui,  l'ayant  suivi,  lui  otèrent  son 

Signard ,  et  le  portèrent  k  prendre  la  fuite. 
1  dit  qu'avant  de  sortir ,  il  se  jeta  k  genoux  ^ 
^t  levant  les  mains  vers  la  déesse ,  il  pria  que 
le  peuple  Romain,  en  punition  de  son  ingra-^ 
titude  et  de  sa  noire  trahison ,  ne  sortit  ja-^ 
mais  de  la^dure  servitude  k  laquelle  il  eeu4 

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460     TfliBRlUS  ET  CAIUS  GR\CCHUS. 

loit  voloDtairemeut  ;  car  la  |jlupari  Tavoiert 
abandonne  sur  la  pi^emière  puhlîcaiion  de 
ramnistie  qu'on  leur  promit.  Comme  Caïus 
ç'enfuyoit ,  ses  eonemis ,  qui  le  sui  voient  de 
près,  Fat  teignirent  près  du  pont  de  bois.  Ses 
deux  amis  qui  ne  Ta  voient  point  abandonné, 
le  forcèrent  de  gagner  les .  devants  pendaot 
qu'ils  s'opposeroient  seuls  k  ceux  qui  Je  pour-- 
$Mivoient  3  et  se  jetant  en  nième  temps  l'ëpee 
il  la  main  au-devant  du  pont,  ils  combattirent 
avec  tant  de  couraf^  que  personne  ne  put 
passer  jusqu'à  ce  quT^ussent  été  tués  sur  la 
place.  Caïus  n'avoit  avec  lui  qu'un  esclave 
nommé  Philocrate.  Tous  les  autres  l'exhor- 
toient  et  l'encourageoient  comme  on  fait  daD& 
les  combats  de  lice ,  mais  aucun  ne  le  secoiw 
roit ,  et  ne  lui  présentoit  un  cheval  quoiqu'il 
le  demaudât  avec  instance  ;  car  les  ennemis, 
les  suivoient  de  très-piès.  11  les  devança  pour- 
tant  d^un  moment ,  et  gagna  un  bois  qui  ëtoit 
consacré  aux  Furies  ^K  La  il  fut  tué  dfi  la 
main  de  son  esclave,  qui,  après  lui  avoir 
i*eudu  ce  service ,  se  tua  lui-même.  D'autres, 
disent  ({u'ils  furent  pris  tous  deux  par  leurs 
ennemis ,  et  que  Philocrate  embrassa  si  ëtroir^ 
tement  Caïus ,  et  le  couvrit  si  bien  de  son 
corps ,  qu'aucun  d'eux  ne  put  le  frapper  on» 
l'esclave  ne  fut  percé  auparavant  de  tous  les. 
43oups  qu'on  portoit  k  son  maître^  et  tond>é 

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TIBtRiUS  ET  CAIUS  GRACCHU9.    46  à 

3Tt  k  ses  pieds.  On  dit  qu'un  sol<jkit  coupa 
tête  de  Caïas^et  qu'il  la  portoit  au  consiUi 
rsqu'uu  des  amis  d'Opimius,  nommé  Sep* 
miuéîus,  la  lui  enleva  en  cbemiu;  car  ayant 

combat ,  on  avoit  fait  publier  à  son  d^ 
onipe  ,  que  ceux  qui  apporteroient  les  * 
ites  de  Caïus  et  Fulvms  auroient  pour,  ré-r 
3ii]pense  leur  pesant  d^or.  Septimuiéius  ap-« 
orta  au  consul  Opimius  la  tète  de  Caïus  au 
out  d'une  pique.  On  fit  apporter  des  balan* 
es ,  et  il  se  trouva  qu'elle  .pesoit  dix-sept 
ivres  huit  onces,  Septiniiiiléius  ayant  ajoute 
i  fraude  au  crime;  car  il  ota  toute  la  cervelle 
e  cette  tète  y  et  mit  k  la  place  du  plomb 
ondvL.  Ceux  qui  apportèrent  la  tête  de  Fui- 
iii& n'eurent  rien,  parce  que  c'étoient  dea 
;ens  d'une  condition  obscure. 

Les  corps  de  Caïus  et  de  Fulvius,  et  ceux 
le  tous  les  autres  qui  avoieot  été  tués,  furent 
^lés  daus  le  Tibre  au  nombre  de  trois  mille* 
Tous  leurs  biens  furent  confisqués  ;  on  fit  dé» 
enses  k  leurs,  femmes  de  les  pleurer  et  d'en 
)orter  le  deuil,  et  Licinnia  fut  privée  de  sa 
lot.  Le  plus  jeune  des  enfants  de  Fui  ri  us  fut 
traité  très-inhumainement,  quoiqu'il  n'eût  &it 
lucune  résistance,  et  qu'il  ne  se  fut  pas  trouvé 
liï  combat;  car  ayant  été  envoyé  auparavant 
pour  proposer  un  traité,  il  fut  retenu  prison-, 
nier,  et  après  le  combat  ^  on  le  fit  mouri» 

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iiS2     TIBÉRItTS  ET  CAIUS  GR ACCHtTS. 

contre  toute  sorte  de  justice.  Mais  le  ppnple 
ne  fut  ni -si  offensé  ni  si  affligé  de  toutes  ers 
indignités,  que  de  l'insolence  qu'eut  Opîmi..> 
de  bâtir  le  temple  de  la  Concorde.  Cari! 
paroissoit  par  Ik  qu'il  se  glorifioit,  qu'il  s'enor 
gueillissoit  de  ce  qu'il  venoît  de  faire,  et] 
qu'il  regardoit  en  quelque  sorte  comme  ua 
grand  sujet  de  triomphe,  le  meuftre  delart 
de  cîtoytBns.  C'est  pourquoi  la  nuit  qui  suivit 
la  dédicace  de  ce  temple ,  quelqu'un  écnTit 
au-dessous  de  l'inscription  :  «  Ce  temple  de 
«  la  Concorde  est  l'ouvrage  de  la  fureur  ». 
Cet  Opimius  fut  le  premier  qui  ,  dans  l« 
consulat,  usurpa  toute  l'autorité  du  dictateur, 
et  qui,  sans  aucune  forme  de  justice,  fit  mou- 
rir trois  mille  citoyens,  outre  Caïus  Gracchus 
et  Fui  vîus  Flaccus ,  dont  l'tiu  avoit  été  consul 
et  avoit  eu  les  honneurs  du  triomphe,  et  Tau- 
tre  surpassoit  tous  ceux  de  son  âge  en  rerlB 
et  en  réputation.  Mais  cet  Opimius  si  fier  oe 
put  s'empêcher  de  commettre  un  vol  public'-; 
car  envoyé  en  ambassade  k  la  cour  de  Jugnr- 
tha,  roi  de  Numidie,  il  se  laissa  corrompre 
par  argent,  et  ayant  été  condamné  juridiqnr- 
ïnenl  pour  une  action  si  infâme,  il  vieil': 
dans  le  mépris,  et  fut  haï  du  peuple,  qui  apr^-' 
les  actions  cruelles  de  ce  consul ,  étoît  vëri- 
tabiement  tombe'  dans  l'hurnilîation  et  dap^, 
rabattement,  mais  qui  se  releva  et  reprit coo* 

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TIBÉRIUS  ET  CAïUS  GîtÂCÇHU^*    465  ' 

'âge  Uentot  après,  et  fit  voir  tout  le  regret 
^u^il  avoit  de  la  mort  des  Gracques  ;  car  ayant 
[ait  faire  leurs  statues,  il  ne  craigpit  pas  de  lea  . 
exposer  au  public  ;  il  consacra  les  licMX.  où  il$ 
avoîent.éte'tués,  et  il  y  alloît  offrir  les  prémi- 
ces des  fruits  de  toutes  les  saisons.  I^usieurs 
même  y  faisoiept  tous  les  jours  des  sacrifices^ 
y  adoroient  et  y  faisoient  leurs  prières  i  ge- 
noux comme  dans  les  temples  des  dieux. 

I*eur  mère  Cornélie  supporta  son  malheur 
avep  beaucoup  de  «constance  et  de  m^gnani- 
lïiitéj  et  l'on  écrit  ^'en  parlant  dés  édifices, 
qu'on  «avoit  coDStniits  sur  le§  lieux  où  ses 
eufants  avoient  été  tués,  elle  dit  seulement^ 
«  ils  ont  Ifts  tombeaux  qu^ils^naéiitept  ».  Elle 
passa  le  reste  de  ses  jours  dans  nm  mjfûson  de 
campagne  près  Au  mont  de  Misè^ne.,  saos  riea 
changer  k  s^  manière  de  vivre.  Comme  ejle. 
avoit  beaucoup  d'amis^  et  qu'elle  .aifuoit  ^ 
recevoir  les  étrajpgçrs,  elle  avoit  tcnijotirsune^ 
bonne  table;  sa  maison  étoît  pleine  de;Grect 
et  de  gens  de  lettres;  les  rois  mêmes  se  fai^ 
soient  un  honneur  de  recevoir  d'elle  des  pré- 
sents et  de  lui  en  envoyer.  Tous  ceux  epi 
étoieht  reçus  chez  elle  prenoîent  un  singuLer 
plaisir  ï  lui  enteiidre  raconter  les  pariicuta» 
rites  de  la  vie  de  son  père  Scipion  I  Africain, 
et  sa  manière  de  vivre.  Mais  on  l'admiroît 
surtout  qusmd^  sao»  dgnnçr  aucune  marcpie 

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464  TIBÉRIUS  ET  CAins  GRACCHUS. 
de  douleur  et  sans  verser  une  seule  larme,' 
elle  faisoit  Thistoire  de  tout  ce  que  ses  enfants 
avoient  fait  et  souffert ,  comme  si  elle  eût 
parlé  de  quekpies  anciens  personnages  qui 
lui  aurorent  été  entièremept  étrangers.  Cela 
paroissoic  si  extraordinaire,  que  la  plupart 
croyoient  que  la  vieillesse  lui  avoît  affoib  i 
Tesprit,  ou  que  la  grandeur  de  ses  maux  et 
de  ses  malheurs  lui  avoît  ôté  le  sentiment. 
Mais  c'étoit  eux-mêmes  qu^on  pou  voit  accn* 
scr  d'être  privés  et  de  sentiment  et  d'esprh, 
de  ne  pas  reconndltre  qtiels  grands  remèdes 
fournissent  aux  hommes^  contre  la  douleur  et 
la  tï^istëss^,  l'heureuse  naissance  et  la  bonne 
ëducatirà  ;  et  d'ignorer  que,  si  dans  la  pros* 

Sérité,  la  fortlihe  triomphe  souvent  de  la  verta 
ans  €etix  qui  ont  été  te  bdeux  élevés,  et  qoi 
sKmt  les  plus  attachés  k  toiit  ce  qui  est  beau 
«t  honnête ,  dans  l'adversité,  elle  ne  leur  dte 
,  pas  la  forcé  de  supporter  cMstamonent  leun 
malheiu^  H. 


FIN  ne  l-A  vus  DE  TIBÉÂlVft  ET  CAItS 
GRACCIIUS. 


dby  Google 


COMPARAISON 

D'AGIS  ET  DE  CLEOMÈNE 
TIBÉRIUS  ET  C.  GRACCHUS. 


A-TRÈs  avoir  terminé  le  récit  de^  actions  de 
ses  personnages,  notis  n'avons  qu^a  contem- 
pler leurs  vies  ensemble  en  les  comparant. 
Pour  ce  qui  est  des  deux  Gracques,  tous  ceux 
]ui  en  ont  le  plus  mal  parlé  et  qui  ont  eu 
pour  eux  la  haine  la  plus  outrée,  n'ont  ja- 
mais osé  dire  qu'ils  n'eussent  pas  été  plus 
ieureusement  nés  k  la  vertu  y  que  tou^  les 
R.omains  de  leur  temps,  et  que  cette  heureuse 
laîssance  n'eut  pas  été  secondée  et  fortifiée 
3ar  la  plus  excellente  éducation  et  par  les 
instructions  les  plus  sdides.  Mais  dans  Agî^ 
ît  dans  Cléomène,  la  nature  parolt  avoir  été 
mcore  plus  forte  que  dans  ces  deux  Romains, 
m  ce  que  n'ayant  pas  eu  le  bonheur  d'être 
îien  élevés ,  et  ayant  été  nourris  dans  des 
ïoutumes  et  dans  un  genre  de  vie  qui  avoient 
:orrompu  ceux  qui  avoient  été  avant  eux,  ils 
«  rendiieut  pourtant  d«s  modèles  de  vertu , 

X^  D,«.v  google 


466  COKPAKAtSON  VàOIS  S3IM1B  Cl^èoST* 

de  simplieîté  et  de  tempérance.  D^aîlleurf  | 
les  Gracques  ay^  vécu  dans  le  tçibps  où 
Rome  étoit  1»  plus  florissante ,  et  où  Téciat 
des  yerlus  releroit  davantage  sa  gloire  «t  sa 
dignité,  ils  auroient  eu  honte  d'abandonner 
la  succession  de  cette  VBi;tu  paternelle  qui 
leur  étoit  transmise  par. leurs  aacètres  ^  au 
lieu  qu'Agis  et  Cléomène,  nés  de  pères  qui 
a  voient  des  sentiments,  hien  différents,  et 
ayant  trouvé  leur  patrie  corrorapue  et  ma- 
lade, ne  ralentirent  pourtant  (sm  rien  Taïdeut 
qu'ils  avoient  naturellement  pour  tout  ce  qui 
e>t  beau  et  honnête.  Il  est  vrai  qu'une  très- 
grande  preuve  du  désintéi^essemeàt  des  Grac- 
ques ,  et  du  .mépris  qu'ils  avoient  pour  les 
richesses ,  c'est  qu'ayant  été  dans  les  plus 
grandes  charges  et  dans  les  emplois  les  plus 
considérables,  ils  ont  toujours  conservé  leurs 
mains  pures,  et  n'ont  jamais  essuyé  aucua 
reproche  d'avoir  pris  la  moindre  chose  injus- 
tement. Mais  Agis  se  seroit  mis  dans  une  ré* 
ritable  colère ,  si  quelqu'un  Pavoit  loué  de 
n'avoir  rien  pris  du  bien  des  autres,  lui  qui 
donna  k  ses  concitoyens  son  propre  bien,  qui 
consistoit  en  six  cents  talents(a)  a  argent,  san 
compter  d'autres  possessions  trèç-considéri 
blés.  Quel  crime  n'auroit  donc  point  paru  \ 
gain  injuste  k  celui  qui  regardoit  comme  ufl 
{a)  Eaviroa  2,^9,^  t.  de  notre  iiioiuu»w^«X  J 

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AVEC  TIB^RIVS  BT  CAlOT  GR ACCHtr».  4«1^ 
avarice  horrible  de  posséder  plus  que  les  au- 
tres, quoique  justement!  ^ 

Si  Ton  considère  la  hardiesse  et  TandacQ 
de  leurs  entreprises  et  des  innovations  qu'ils 
firent  dani  l'état,  celles  d'Agis  l'emportent 
de  beaucoup  par,lyr  grandeur  et  par  leur 
importance.  Car,  êÊk  deux  Romains,  Caïus 
ne  s'appliqua  principalement  qu'^  construire 
de  grands  chemins  et  k  repeupler  des  villes 

1>ar  des  colonies;  et  le  trait  le  plus  hardi  et 
e  plus  éclatant  de  leur  politique ,  ce  fiit  pour 
Tifcérius  le  partage  des  terres;  et  pour  Caïus 
le  changem^t  qu'il  fit  dans  les  tribunaux  y 
en  mêlant  parmi  les  s^ateurs  un  pareil  nom- 
bre de  chevaliei^s.  Au  lieu  que  le  diangement 
qu'Agis  et  Cléomène  firent  dans  laur  état^ 
fut  tout  autre  chose  j  car  voyant  bien  qtie  die 
vouloir  corriger  en  détail  les  petites  fautes, 
et  retrancher  peu  k  peu  ce  qu  il  y  avoit  de 
défectueux,  c'étoit,  comme  dît  Platon,  cou- 
per les  têtes  de  l'hydre  4«^,  ils  firent  dans  le* 
affaires  un  changement  qui  pouvoit  remédier 
tout  d'un  coup  k  tous  les  maux  publics.  Peut- 
être  même  est-ce  parler  plus  véritablement 
de  dire  qu'ils  proscrivirent  le  changemenjt 
qu'on  avoit  introduit  avant  eux,  et  qui  avoit 
causé  tous  ces  maux,  et  que  par  Ik  ils  rame- 
nèrent et  rétablirent  leur  ville  dans  l'état  qui 

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^68  coMPAftAtôON  dVois  BT  BB  G£.£oV« 

lui  ëtoit  prc^re,  et  qui  étoit  celui  de  safoft^ 
dation. 

Ou  peut  dire  aussi  que  les  nouveautés  que 
les  Gracqnes  voulurent  introduire  dans  le 
gouvernemeat ,  furent  combattues  par  les 
principaux,  d'entre  les  ^piains;  au  lieu  que 
tout  ce  qu'Agis  entre^ipt  et  que  Cleomèiie 
acheva ,  étoit  fondé  sur  Tautoritë  la  plus 
grande,  la  plus  authentique  et  la  plus  res- 
pectable, qui  leur  servit  de  modèle^  je  veux 
dire  sur  les  rhëtres  ou  anciennes  lois  de  leur 
patrie,  touchant  la  tempérance  et  régalité, 
dont  les  unes  avoient  été  établies  par  Lycnr* 
gue,  et  les  autres  avoient  Apollon  même  pour 
Duteur  et  pour  fondateur.  Mais  ce  qui  est 
encore  plu^  considérable,  c'est  que  par  toutes 
les  nouveautés  que  les  GracqueS  introduisi- 
rent, Rome  ne  s'agrandit  jamais,  et  n'acquit 
pas  un  pouce  de  terrain  ;  aulieu  que  y  par 
celles  de  Cléomëne,  la  Grèce  vit  en  peu  de 
temps  Sparte  devenir  maîtresse  du  Pélppo- 
nèse,  et  combattre  contre  les  peuples  les  plus 
piiissaDts,  pour  l'empire,  combat  glorieux, 
doQt  l'unique  but  étoit  de  délivrer  la  Grèce 
entière  des  armes  des  Illvriens  et  des  GauIoiSi 
et  de  la  remettre  sous  le  juste  et  honeraUe 
gouvernement  des  descendanU  d^Hercule. 

Je  trouve  aussi  que  la  mort  de  tous  ces 

Digitized  by  VjOOQIC 


AVEC  TIBÂRIUS  ET  CAIVS  OÎfl  ACaSTTS,  46$ 

tiersonnages  marque  otielqiie  diflférence  dans 
eur  vertu  ;  car  les  Gracques  combatiirent 
contre  leurs  coDcitoyens,  et  ensuite  ayant  pris, 
la  fuite ,  ils  périrent  malheureusement.  Au  liea 
<{uey  des  deux  Grecs,  Agis  mourut  presque 
volontairement,  pour  ne  faire  mourir  aucuxt 
citoyen  ;  et  Cléomëne,  poussé  k  bout  par  le» 
mépris  et  par  les  outrages  qu^il  essuya ,  prit 
ennn  les  armes  pour  se  venger  j  mais  Tocca-* 
sîon  n'ayant  pas  favorisé  son  courage ,  il  se 
tua  généreusement. 

Si  on  les  consitjère  les  ^ns  et  les  autres. 

sous  un  autre  rapport ,  on  trouvera  qu'Agis 

n'a  jamais  fait  aucune  action  de  grand  capî« 

tfline  ;  car  il  fut  tué  avant  que  d'avoir  pu 

donner  des  marquesde  son  habileté  et  de  soa 

eoucage,  et  qu'a  toutes  les  grandes  et  belles 

victoires  de  Cléomène ,  qui  sont  en  grand 

nombre ,  on  peut  opposer  l'éclatante  actioa 

âe  Tibérius,  lorsqu'à  la  prise  de  Carthage,  il 

monta  le  premier  sur  la  brèche ,  et  le  sage 

traité  qu'il  fit  k  Numance,  par  lequel  il  sauva 

vingt  mille  Romains  qui  n'a  voient  aucune 

autre  espérance  de  salut.  Pour  Caïus,  et  dans 

cette  guerre  de  Numance  et  dans  la  Sardai- 

gne^  il  donna  de  grandes  marques  de  valeur  : 

de  sorte  que  ces  deux  frères  auroient  été  corn* 

parables  aux  plus  grands  capitaines  romains , 

s'ils  n'eussent  pas  péri  si  jeunes* 

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i^O  COMPARAISON  D'AGIS  ET  lîB  CLEOIT. 

Pour  ce  qui  est  de  leur  manière  de  gouTe^ 
lier,  il  semble  qu'Agis  se  conduisit  avec  trop 

•  de  lenteur  et  de  m(âlesse  ;  car  il  se  laissa  sur- 
prendre par  Agésîtas^  il  troBq)a  ses  cond- 
tojens  en  n'exécutant  pas  le  partage  des  terres 
qu'il  leur  avoît  promis  ;  et  pour  tout  dire,  en 
un  mot,  par  une  timidité  qui  éloit  ]a  snite  de 
sa  grande  jeunesse,  il  laissa  inutiles  et  im- 
parfaites toutes  les  grandes  entreprises  qu'il 
avoît  faites,  et  qui  ar oient  excité  l'attente  du 
public.  Cléomène  ^  au  contraire  y  se  porfa 
avec  tfon  de  violence  et  d^emportement  k 
changer  le  gouvernement  de  la  république, 

'  en  tuant,  contre  toute  sorte  de  raison  et  de 
justice,  les  ephoresqu^îl  lui  auroit  élé  très- 
facile  d'attirer  dans  son  parti,  piiisqu^il  étoît 
le  plus  fort ,  ou  qu'il  auroit  pu  cbasser  de  ht 

'  vilie,  conime  on  en  àvoit  déjk  banni  un  grand 
nombre  de  citoyens.  Car  d  avoir  recours  au 
fer  sans  la  dernière  ntjcessîté,  cela  n'est  ni 
du  grand  médecin  ni  du  grand  politique,  et 
fait  voir  au  contraire,,  dans  l'un  et  dans  l'au^ 
tre,  une  grande  ignorance  de  Fart.  Et  il  y  a 
d^  plus  dans  la  pontique,  que  cette  ignorance 
est  accompagnée  d'injustice  et  de  cruauté. 
Aucun  des  dei»  Gracques  ne  eoroisença  le 
premier  )i  verser  le  sang  de  ses  concitoyens; 

•et  OB  rapporte  que  Caïus ,  attaqué  de  tous 
o6té&  et  en  btitte  k  tou&  h^  ti'^ts  de  ses  eaae- 

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AVEC  TIBÉRIUS  ETCAIUS  GilACCHTS;  i^t 

mis,  ne  prit  pas  ie  parti  de  se  défendre ,  et 
qu'autant  qu'il  étoit  brave  et  de'termîné  dan» 
les  batailles,  autant  il  fut  froid  et  tranquille 
dans  là  sédition.  Car  premièrement  il  sortit 
de  sa  maison  sans  armes;  ensuite,  pendant 
que  l'on  combattoit,  il  se  tint  toujours  h  Pé- 
cart,  et  on  le  vit  toujours  plus  occupé  h  se 
retenir  et  k  ne  rien  faire,  qu'h  s'empêcher  de 
rien  soufiFrir.  C'est  pourquoi  il  est  plus  juste 
de  regarder  leur  fuite  comme  un  effet  de  leur 

Ï ►récaution,  que  comme  une  marque  de  leur 
acheté  ;  car  il  n'y  avoit  point  de  milieu,  on 
il  fdiloit  céder  par  la  fuite  k  ceux  qui  le$ 
poursui Voient,  ou,  en  les  attendant,  se  met- 
tre eu  défense  et  repousser  la  force  par  la 
force. 

QuaM  aux  reproches  qu'on  peut  faire  aux 
uns  et  aux  autres,  le  plus  grand  dont  on 
puisse  noircir  la  mémoire  de  Tibérius,  c'est 
d'avoir  déposé  son  collègue,  et  d'avoir  brigué 
un  second  tribunat.  Mais  c'est  injustement 
qu'on  a  imputé  a  Gaïus  la  mort  d'Antyllîus  ; 
car  il  fut  tué  contre  sa  volonté  et  k  soti  grand . 
regret.  Au  lieu  que  Cléomène,  sans  rappeler 
ici  le  meurtre  des  éphores,  affranchit  tous  lei^ 
esclaves,  et  régna  en  effet  tout  seul,  ayant 
appelé  au  tr6ne,  pour  sauver  les  apparences, 
son  frère  Euclidas  qui  étoit  de  k  même  mai* 
soQ*  IL  écrivit  bien  k  Archidâltilftô^k  qui  seûi 

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473  COMPARAISON  D>6IS  ET  DB  CLtOÊL 

il  appartenoît  de  ré^er  conjointement  sTec 
lui,  parce  qu'il  étoit  de  l'autre  maison, elltii 
{)ersuada  de  quitter  Messèùe  et  de  venir  i 
Sparte.  Mais  Archidamus  ayant  été  tué  d'a- 
bord après  son  arrivée  ,  Cléomène  ne  fit 
aucune  recherche  pour  venger  sa  mort,  et  l 
confirnia  par  Ik  le  soupçon  c^ue  Ton  avoit ,  j 
que  c'étoit  lui-même  qtuen  étoit  l'auteur:  biea 
diff-rent  en  cela  de  Lycurgue  qu^  faisoît 
semblant  d'imiter;  car  Lycurgue  rendit  libre- 
ment et  volontaiicement  au  jeune  ChariLtôs* 
fils  de  son  fi  ère,  le  royaume  qui  lui  avoit  été' 
coTiiié  ;  et  dans  la  crainte  ou  il  étoit  que,  d 
cet  enfant  venoit  k  mourir  de  maladie  ou  au- 
trement ,  on  ne  l'accusât  d'y  avoir  cootn- 
bue',  il  se  bannit  lui-même  de  son  pays,  et 
n'y  retourna  qu'après  que  son  neveu  Chari- 
laiis  eut  un  fils  pour  succéder  k  la  cooronne. 
Mais  parmi  tous  les  Grecs  en  trouvera-t-on 
un  seul  qu'on  puisse  comparer  k  Lycurgue? 
^ous  avons  montré  que  le  gouvernement 
de  Cléomène  a  été  marqué  par  de  plus  gran- 
des nouveautés  et  par  de  plus  grandes  io- 
'  justices.  Aussi  ceux  qui  blâment  les  mœurs 
des  uns  et  des-  autres ,  reprochent  k  Agis  et 
k  Cléomène  qu'ils  ont  eu  dès  le  commen- 
cement Un  esprit  tyraniiique  et  porté  k  U 
guerre*  Au  lieu  que  les  envieux  de  la  gloire 
4es  Gracques  ne  leur  reprochent  qu'im  exct> 

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A.VXC  TIBimiTS  BT  CAIU8  GRACCHtTS.  é;^ 

'ambition  ;  et  ils  a^roueDt  tous  qu'em^ftés 
ar  la  chaleur  des  coQtestations  et  par  la  co«> 
;re ,  contre  leur  propre  naturel  ^  comme  par 
es  vents  impëtueui[,  ils  a  voient  passé  les 
ornes  et  porte  le  gouvernement  k  cp  excès 
u'on  ne  p«ut  excuser.  En  effet,  qu*j  avoit-il 
e  plus  beau  et  de  plus  juste  aue  leur  premier 
essein,  si  les  riches  et  les  nobles^  en  opposant 
I  force  et  la  puissance  pour  les  émpêcner  dé 
ûré  passer  leur  loi,  ne  les  Ciissent  jetés  tous 
eux  dans  la  nécessité  de  prendre  les  armes, 
un  pour  défendis  sa  vie,  l'autre  pour  venr- 
er  soQ  frère  qui  avoit  été  mis  k  mort  sans  aii«-. 
une  forme  de  jugement  et  sans  aucun  décret 
iréalable  ? 

Vous  voyez  donc  (a)  assez  vous-même  la 
lîflférence  qiii  est  entre  eux.  S*îl  faut  les  ca- 
actériser  chaftim  en  paj^iculier ,  je  trouve 
[ue  TiBérius  est  au-d^us  des  trois  autres 
lar  la  vertu*;  que  le  jeune  Agis  a  fait  moins 
ie  fautes  ;  et  que  Calus  e^l  fort  au-dessous  de 
^léomène,  soit  en  courage  pour  entreprend 
Ire  y  soit  en  audace  pour  exécuter. 

(«)  Il  parle  à  *]iîiimnji  Jri|iiî  iliiiTyiin  oes  Viei. 


PfN  DE 
CL&Ol 


'^in-^oiv 


NOTES. 


'  Ti^^Ktvs  Gb  ACCBUS  »  petit-filfr  de  Publias  S«n 
pconius,  fut  deux  fois  consul^  il  avoit  eu ,  nuire  la  en 
ftnre,  ladtgnité  de  grand-augure.  Il  étoii  homme  très 
sage  et  un  des  meiUeiirs  oîto^eas.  Cesl  TéLoge  que  la 
donne  Cicéron  dans  le  premier  livre  d«  ia  Divination 

*  Cîoéron  rapporte  eette  histoire  dans  aoBpreiDie 
livre  de  la  Dit^itmtion ,  diaprés  les  mémoires  de  Caîa. 
Grac;<:hus^fiUde  ceTib<$rius;etce  qu'ily  a  deofaisaot 
il  ne  la  rapporte  qufi  pour  prouver  la  certitude  de  et 
art  des  augures ,  et  pour  faire  Toir  1»  grande  foi  qv^i 
faut  y  ajouter. 

'  Mais  pourquoi  le  tuer?  n'aaroit-il  pas  mien' 
iaît  de  le  laisser  vivre  et  de  les  garder  tous  deux  pou 
TÎvre  avec  sa  femme  Cornëlie  ?  il  semble  gue  cela  a» 
roit  été  plus  sensé'.  *  ^ 

^  Cicëron ,  dans  le  troisième  livrl  d&  rOroteur 
rapporte  un  endroit  d'une  oraison  de  ce  Gaïus  Grac 
cfaus  après  la  mort  de  Tibërins  ^  «pii  marcpie  la  forci 
«t  la  vivacité  de  son  éloquence ,  et  Paction  avec  la 
«pielle  il  prononçoit.  ,Quid  fuit  in  Grâce fto  ,  qm» 
tu ,  Catuie  ,  melius  mcministi ,  quod  me  puero  tani(^ 
père  ferretur  ?  Quo  me  miser  conjeram  ?'qtto  uertam 
In  Capitolium  ne  f  At  fratris  sanguine  redundat.  Ai 
domum  ?  Matrem  ne  ut  flttïtram  ,  tamenkintaiHpn 
vtdeàm  et  abjectam  ?'  'Quœ sic  ab  itto  acla  esse  cons\ 
tabaty  oci^lis ,  voàeygestu ,  ininici  ut  lacrjrmas  tetwf 
non  passent.  Les  gestes  ?ëhémepts  et  outrés,  qui  dî> 
tingoent  aujourd'hui  les  oratenri  de  ce  ^ays-là  d'aw 
ceux  des  antres  pays  ,  ont  donc  une  origine  bieu  m 
cienne. 

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.NOTES.  475 

*  11  y  «  ddas  lemc ,  J^A^vtf  r  «yv^Sr  »  des  dauphin  s 
irgevit.  On  «ppeloilde  ce  oora  ceriaioes  machines  de 
exvc  doiu  en  se  serroit  sur  les  Taisseauz  9  ce  qui  ne 
ut  avoir  lien  iai.  Il  faet  lire  AtX(ptfiif ,  des  tahles 
Delphes  j  on  appeloit  ainsi  des  tables  rondes  à  trois 
c«is  ^  et  de  la  figure  du  trépied  de  Delphes.  Les  douze 
ntcinqnante  drachmes  font  un  peu  plus  de  f,ii  i  fr.  » 
1  qui  est  un  prix  excessif ,  (»r  la  livre  d^argent  ne 
kl  oit  que  88  te.  Boeeot.  de  notre  monnoie  ^  ainsi  c^est 
us  de  1 ,000  fr .  de  ùiçon  per  livre  pesant. 

^  Cétoît  une  espèce  de  flageolet  dMvoîre ,  comme 
otÊM  lei^rénèBS  de  GîcéroB  q«i  "dit  daiks  ton  troi* 
lé  me  livre  de  V  Orateur:  Itmqti^  idem  Graechus  ^ 
uod  finies  auâim,  Catule.,  ex  lÀçimo^  clieiUe  tuo  » 
lueratt}  homine ,  jquem  senmm  sibi  Me  hakuit  md  rna-^ 
tun  y  cum  iAumeola  solitus  est  kab^n  fislmda ,  ^ui 
taret  oetuUepoât  ipsum ,  çum  coiteUmaretury  pcrituta 
lon^lnem^  qui  in/iaret-eeleriliertum  sonum^qua  ULum 
yui  rendstÉLm  ezciiaret  »  mmi  k  conteaUone  re^ocanet  i 
^ela  éioit  «ssec  {deisaKt.de  voir  dan»  une  asserabléo 
fcn  joueur  de  flageolet  merqner  le  ton  à  Torateur ,  et 
Tobliger  à  le  hausser  ouè  le  baisser,  £t  Crassusdit  fort; 
bien  dans  la  stiite  :  Sed  fistulatorem  domi  rcUnquetis  ^ 
fenswn  hums  vomueluàinis  vohisewn.  adfofutn  dêfe^ 
relis.  »  Mais  vou$  laisseree  le  joueur  de  flûte  à  \.x 
c  maison  ,  et  vous  apporterez  M. barreau  le  goûtt 
e  que  vous  aurez  tire  de  Tfaubitude  a  force  d'entendre 
e  ses  leeotts.  »  * 

7  n.paraU  par  tout  ce  qne  Plutarque  dit  ici ,  que 
ce  flageolet  ne  scrvoit  pas  seulement  à  régler  la  voix 
de  Toratear ,  mais  encore ,  qu'en  agissant  sur  les  pas« 
sions,  il  le  porloit  à  modérer  ses  emportements,  et  à 
adoucir  ses  termes.  Cela  ponvoit  ^tre  fort  bon  poor 
des  orateurs  qui  parloient  surrle-champ.  Mais  des^iie- 
eours  préparés  auroieot-ils  pu  obéir  j^u  flageolet  et 
ABToit-oa  pu  CB  «hanger  !«•  tenue»?  ■  »'     \' 

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476      '  HOTBS, 

*  ptt  nombre  de  ces  autears  est  Tite-Lîn,  fini 

txzvn)*  67.  Mais  il  fait  entendre  en  même  lrnpi(|«'J> 
if  àvoit  sur  cela  difîereo tes4r«ditions.  El  le  témoipu^ 
4e  Ptoly  be  «onfirmc  suffiiaflMaeot  celle  ^e  Ptntu^ 
«  suivie.  I 

9  n  parle  des  Romains  passas  soasle  )oiiç  nxFmf  •  I 
cbes  Catidines,  cent  quatre-vin^t-deux  ans  aupm'! 
T«ot,  c'est  à-dire, l'an  3 1 7  avant  rère  ohrcticnw.Lcf 
Romaïas,  pour  e£facer  la  bon  le  de  ce  traité,  rcnrojèrent 
mix  Samnites  les  généraux ,  c'est-à-dire  ,  lescooioli , 
V^turius  Calvinus  et  Posthumiii«  AlbiniM.  I 

*°  Je  cro»  «ine  PIvtarquc  a  suivi  ici  de  hmwé' 
moires ,  ou  qu'il  n'a  pas  finement  entendu  et  ^il  i 
lisoit  j  car  Lœlius  ne  fut  pas  appelé  Sage ,  pour  mit  \ 
r<noncé  k  l'entreprise  de  fair«  parlager  les  lerres, 
suais  parce  qn'il  méprisoit  les  d^ces  elles  voloptes* 
En  Toici  un  bon  témoin,  CioéRm ,  da«a  le  second  one 
de  fin  Son.  et  ntaL  dit  :  JYeo  iUe  qui  Diogenem  Stoïci^ 
^difleseens ,  poH  autem  Pàruilium ,  midiemï ,  Lo^i* 
eo  dictus  est  sapiens  y  tptodnonintellijgemi  qtùdm' 
pûsimum  esseï,  née  enim  sequitur,  ut  cm  €ortgpt*i 
ei  non  sapiat  palatum ,  sed  quia  pan^i  id  diuefnL 

*^  n  ^  a  dsms  le  grec ,  U  ^tuk^vtfuunt.  Et  Xjbo^n 
a  fort  bien  remarié  qye  par «e  seul  mot,  PiuUrqne 
fiiit  allusion  à  ce  paasage  des  Bacchantes  d'Eurf(iî<i<  f 
9^  Tiré^îft&dit  à  Pentiiée^  »  que  U femme,  quic^^ 
«  naiurellement  sage ,  ne  se  Corrompra  point  dans  i^ 
«  excès  des  Bacebanales.  » 

—  «Ml  v«^  f  t  ^êtKX<Bafimvit  » 

ir*  iy  e»^9  ,  y  hu^^finrmê^ 

«»  Virgile  a  employé  ce  mot^ 

Pila  nana  asvcsqu^  gerunt  in  bella  dofona». 

t«  doloBétoit«B  bàtoa  dam  lequel  il  jr  ai«it  mi 

j 

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ifi&e  dé  Ipoîgtaard  catïhee  ,  ti  on  Pappeloît  dolon  du 
lot  dolus  ,  tromperie  ,  parce  qu'il  Irompoil  :  un  U 
royoit  un  bât<wi  >  «t  c*étoit  une  arme  très  aangereoft^» 

»  *  Les  nmes  où  1é  peuple  JeVoil  jeter  ses  suffrages.  ' 
^esHomainsaToient  deux  sortes  d'urnes  pour  les  suf- 
rages.  Les  premières  ëloienl  appelées  clsiœ,  cislellœ  p^ 
(ont  ToUverture  étoit  large  >  ou  Ton  mclt/.it  les  ba* 
ot«s  et  les  tablettespour  les  distribuer  au  peuple ,  afra 
{U^il  donn&l  son  suffrage  \  et  lesautras  appeJéesii/eZ/of^ 
tont  Totiveruiile  étoit  étroite ,  où  le  peuple  jetoit  sou 
uffraçe.  C*étoient  ces  dernière»  que  les  ricbes  en* 
evérent ,  afin  que  ces  suffrages  ne  ptusent  être  donqés» 

■^  Deuk  èhoses  cpii^metit  le  pctiple  dans  ce  âoap* 
)rfn ,  que  le  mortavoit  été  empoisonné.  La  première  ^ 
^ve  le  cadavre  creva  tout  d^an>coup/,  et  rendit  quan- 
Lité  d^humeurs  corrompue».  Mais  cela  arrive  t^)us'lea 
ours  à  des  cadavres  qui  n'ont  point  été  empoisonnés, 
£t  la  seconde  y  que  ces  humeurs  éteignireiit  le  feu  , 
!t  qu'on  eut  bien  de  la  peine  à  la  rallumer  ;  comme  A 
a  poison  pouvoit  jamais  produite  cet  e0et ,  et  comm« 
»i  uû  mort  empoisonné  ne  bi^loit  pas  aussi  faeilemeot 
:t  plus  facilement  même  qu^un  autre.  Mais  quand  le . 
peuple  est  une  fois  imbu  d'une  opinion ,  quelque  follç 
qu'elle  soit ,  tout  l'y  coikfirilae« 

^^  C'est  AttaluB  III ,  âls  d'Éumène  II  et  de  Strato-^ 
lice ,  et  le  dernier  roi  de  Pergame.  Mais  il  nVtoit  pas 
lommé  Philopator ,  son  surnom  étoit  Philométor.  Et . 
'/est  aissi  qa^on  lit  dans  le  m^nusc^tde  S.  Germain* . 

^^  Les  Romains  gardoient  dan»  des  cages^  des  pou-* . 
ets  dont  ils  se  ser voient  pour  la  divination.  Ils  fe^ 
bieot  de  la  pâture  devant  leur  Cage ,  et  quand  ce» 
Quiets  mangeoient ,  ils  observoient  s'il  tomboit  quel- 
pie  cbose  de  leur  bec  qui  ftt  du  bruit  en  ton^baat  k 
irre.  Ce  tp^ï\%  appeioieot  t/ipudiwtt  iolistirrmnu 

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478  NOTES. 

Voyez  Cicéron  d«ns  le  second  lirre  de  la  Dii^inat'm, 
•cet.  34. 

'7  Flonis,  liv.  ii),  chap.  14*  <3it  :  Tnde  cum in  Cepi- 
totiumprofugisset,  plebemauc  addejènsionem  saiuL'S 
guaè ,  fnanu  caput  tangens  j  Kortaretury  prœbuit  speciem 
fisgnu'm  Sihi  et  diademaposcéntisl  C'etoit  donner  une 
%xplication  bien  maligne  à  un  geste'  trés-innnctnt. 
IVfais  celte  caTomnîe  fut'd^àutant  mienx  reçoe,  ^e 
lé  sénateur  Pompéius  avoit  déjà  répandu  le  brttii 

SU^Eudémus  de  Pergamp'avôu  apporté  à  TibérinsK» 
iadrme  et  ta  robe  bordée  de  pourpre.  Il  n'en  falloit 
piis  davantage  pour  accréditer  rexplicatioo  que  Toa 
obonôit  à  ton'ge&te. 

*^  LélinS,  dans  le  traité  de  Cicéron  qni  porte  $on 
nom ,  raconte  la'chosèantrfeniènt.  Udit,  «  quece  Bloy 
«  sius,  àprës  (pie  Trbéritt»  eût  été  toé,  TaUa  troarfr 
«  commeil étoit enfefniéàdélibérer  sur  Pétat  présent 
«c  des  choses  avec  les  d^iix- consuls  Popiltus  Lœnas  ci 
K  P.  Rupiliâs,  eiqn'ilie  pria  instamment  de  loi  par- 
ie donner;  dis|int  pour  tonte  excuse  quHI  a  voit  tant 
cf  d^eslime  pour  Tibérius ,  quUI  se  croyoit  obligé  t}e 
«  faire  tout  ceqii^ilvoalott.  Hé  quoi,  lui  répliqua  Lé- 
(I  lins ,  sHl  aToit  voulu  que  tu  eusiséS  brûlé  le  Gapitole, 
((  Taurois-tu  fait?  Obr^^P^ndit  Blos^os,  c'est  ce 


parole  1 

u  nciéme  qu^il  ne  dit;  car  iln^a  pa's'oHéi  à  la  témérité 
a  de  Tibérius  Gracchus,  et  ne  s'est  pas  rendu  le  com- 
«  plice  de  sa  fureur,  mais  il  l'a  excité  et  s*est  mis  àb 
<c  léte  de  la  sédition  ».  Dans  ce  passage  de  Léliu«, 
cela  n^a  nullement  Pair  d''un  interrbgaUure  |aridiqoe 
comme  dans  PluUrque. 

*9  Aristonicus  étpit  frère  b&tard  d'Attalus.  lodig^ 
que  son  frère  eût  donné  son  royaume  aux  Itomains,  il 
voulut  s'en  mettre  «o  possession  par  fç»  arincSyCt  I 

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NOTES.  479 

«Vmpani^é  plù^^ienrs  Tilfleb.  ^  ekBom^inieiiToyèrfnit 
«onlrA  lui  le  consul  ^.  iicinios  Crassa» ,  la  seconds 
ainnëe  après  la  mort  de  Tiherius  Cràssus  fut  battu  et 
3>ris  par  A.ri«tonict«.  l/antiéè  suivante  on  eifvoyacon*> 
Ire  lui  le  consul  Pert^ennâ ,  qili  le  battit  et  le  lit  pfi-* 
sonnier. 

***  U  y  ft  dans  le  texte ,  «r  ti  loi  suggéra  de  nommer 
«  Titus ,  commissaire  »,  Mais  on  a  bien  tu  que  ce  m6t 
TtTov  y  Titus ,  est  corrompu.  J'ai  suivi  les  manuscoita 
qui  ont  tn^^f ,  un  autt'e, 

•*  L.  Anrélins  Oreste  fat  consul  avec  AKmilios  hè^ 

rîdus,  Tan  de  Rome  637 ,  cent  vingt-quatre  ansavant 
ère  chrétienne,  et  six  ans  àpr^s  la  mort  de  Tibérius 
Graccfaus.  Caïus  alla  donc  en  Sardaigne  à  Page  de 
vingtr-sept  ans. 

**  Voilà  on  effet  bien  surprenant  de  Féloquenca. 
Des  villes  refusent  une  imposition ,  elles  6*en  font  dé- 
décharger  par  le  sénat  ;  et  Téloquence  les  forceàfairB 
de  leur  pur  mouvement  ce  qu'elles  avoient  refusé  à 
Tauiorite ,  et  dôût  elles  avoient  <fté  dédiargees. 

'^  Rien  ne  marque  mieux  combien  le  sénat  et  leii 
nobles  étoient  jaloux  et  soupçonneux  ,  qye  lejs  deux 
etchaples  que  plutàrque  rapporté  ici  ,  l'un  de  la  ma- 
nière dont  ils  explir|uerent  te  grand  service  que  Caïus 
venoit  de  rendre  au  public  en  sauvant  les  troupes  ,  et 
Fautre  de  (a  manière  dçol  ÎU  reçurent  h  libéralité  da 
IMicipsa  dans  un  pressant  besoin. 

*^  Le  sénat,  persuadé  que  les  soldais  de  Tannée 
d'Oreste  étoient  entièrement  à  la  déyo.tion  de  Caïus  » 
parce  qu'ail  les  avoit  sauvés  en  les  faisant  habiller ,  crut 
qu^il  se  vengeroit  dé  lui  en  les  retirant  et  en  envoyant 
au  consul  de  nouveaux  soldats  qui  ,  n'ayant  pas  )a 
même  obligation  à  Caïus ,  ne  Im  seroient  pas  si  dé« 
yômèg.  Mais  ces  soldats  qu^on  iaisoit  revenir ,  ne  poiï* 

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48o  NOTES. 

ToiâniiU  pas  être  aussi  utiles  à  Caïus  àxos  Rome  » 
<}u^à  Parmee  ?  11  semble  «|ae  eette  politique  da  séoai 
n^est  pas  bien  estendue.  Apparemmcat  le  sénat  Toyoît 
un  mal  présent,  au  lieu  qœ  l'autre  paroissoii  encore 
éloigné.  £t  en  cela  sa  prodeiioe  fut  trompée. 

*^  Aulugelle  nous  a  conservé  la  plus  grande  partie 
du  di&Gours  de  Caïufr  dans  le  douzième  ehapitre  de 
aoa  quinzième  livre ,  et  là  Caïus  ditlui-mtoe  :  6ien^ 
niutn  enimjui  in  pmvineia.  Tui  été  deux  ans  en  Sar* 
datg^..  Il  est  question  de  savoir  quel  texte  doit  être 
corrigé,  ou  celui  de  Plutarqne,  ou  celni d* Aulugelle. 
A  mon  avis,  il  faut  lire,  eomqie  dans  Plntarque ,  trois 
âins ,  et  non  pas  deux ,  comme  dans  Aulugelle  ,  car 
Caïus  avoit  été  questeur  les  années  62^ ,  638  et  639 , 
puisqn*il  n^éteit  revenu  à  Home  que  sur  la  ûa  de  631). 

*^  Peut- on  douter  que  les  soldats  qu'ion  avoit  re- 
tirés de  Sardaigne ,  ne  tassent  le  plus  grand  nombre ,  et 
qu'ils  ne  se  hâtassent  de  marquer  irur  recouHoissancc 
a  leur  questeur,  auquel  ils  avoîeat  tant  d'obligatioQ  ? 

*7  Quelle  candeur  dans  cette  simplicité  !  qnelélog!» 
pour  Cornéhe  ,  et  quel  éloge  pour  les  Graoques  l  et 
tout  cela  en  trois  mots. 

*^  Le  Grec  dit,  q^e  toi  qui  es  un  homme.  Mais  il 
xn*a  paru  qu'il  y  avoit  plus  de  sel  dans  la  manière 
dont  je  Tai  mis,  quoique  6e  soit  le  même  sens. 

'9  Dans  VEpîtome  de  Tîte-Live  ,  Ix  ,  il  est  porté 
qu^il  m4ia  six  cents  chevaliets  aux  trois  cents  séna- 
teurs. Mais  peut-être  que  le  passage  doit  être  expliqué 
de  cette  manière  ,  que  Caïus  allia  au  sénat  lea  six  cents 
«hevaliers  qui  étoient  à  Rome  ;  mais  tantôt  les  uns 
et  tantôt  les  autres  ;  de  sorte  qu  il  y  avoit  toujours  au- 
tant de  chevaliers  que  de  séoateurs  »  et  jamais  daran- 
lage.  Ce  sens  semble  même  détemiinc  parce  que  Pli;* 
tarque  dit  ensuite  ,  que  le  peuple  donna  à  Caïus  le 

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K0TE8.  48l 

il  de  cbmnr  les  cheraiiers  qu'il  vouloit  établir 
T  juges.  Mais  le  savant  Paul  Manuce ,  dans  son  ex- 
en  t  traite  des  lois  ,  a  fait  voir  que  Plutarqne  s'est 
npé  en  cet  endroit ,  et  que  Caïus  n'associa  pas  1rs 
valîers  au  sénat  pour  le  jugement  des  procès  , 
îs  qa'^îl  l'àtA  entièrement  au  sénat,  et  le  donna  aux 
valîers  ,  qui.jouirent  de  ce  droit  pendant  seize  ou 
-sept  ans  jusqu'au  consulat  de  Servilius  Cxpio 

associa  le  sénat.  Les  chevaliers  furent  ensuite  ré- 
lis  dans  ce  droit ,  ensuite  il  fut  encore  partagé  en^e 
chevaliers  et  les  sénateurs  jusqu'au  temps  de  Sylla  » 

en  priva  les  chevaliers  ;  ce  qu'il  prouve  par  l'au- 
ité  de  Velléius  ,  d'Asconius  ,  d'Appien  ,  de  T  itè- 
re ,  et  de  Cicéron  même.  Ruauld  a  aussi  traité  cette 
tière  dans  son  animadt/,  zxvj. 

'^  Ce  changement  de  situation  et  de  vue  paroît  en 
ittrés-légeret  très -peu  important  j  mais  il  etoit  très- 
isid  érable ,  et  ne  pou  voit  pas  manquer  d'avoir  Tef- 
qu'il  eut.  Un  orateur  qui  en  parlant  se  tonrnoit  du 
Le  du  sénat  ,  reconnoissoit  l'autorité  du  sénat  ,  au 
u  qu'en  se  tournant  du  côté  du  peuple  ,  il  recon- 
issoit  l'autorité  du  peuple ,  et  nen  n'est  plus  con- 
>me  à  la  nature  et  à  la  raison  ,  et  tel  a  toujours  été 
isage  de  tous  les  pays.  Encore  ajourd'hui  ,  parmi 
us  ,  celui  du  côté  auquel  on  se  tourne  en  parlant  eu 
iblic  ,  ou  à  qui  on  adresse  la  parole  ,  est  reconnu 
»ur  le  maître  et  le  plus  puissant. 

''  .C'est  ce  que  signifie  ittiCtXimç  fÀ  i^ffJ»ûis^ 
.ntt^ôXàç  étoit  un  homme,  un  valet  qui  aidoit  sou 
aîire  à  montera  cheval.  Ceux  qui  ont  expliqué  sans 
fiers  se  sont  trompés  ^  car  alors  >  les  étricrs  nVtoient 
>lnt  encore  copnus, 

^'  Le  consulat  et  le  tribunat  n'éioient  pas  com- 
aktibles,  et  nepouvoient  être  possédas  ensemble  par 
!  même  magistrat.  U  fautdonc  cniondre  qu'on  croyok 
u'il  l<»  dequinderoit  pour  deux  anuées  difCéientes* 

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483  NOTEB. 

*'  En  Italie  comme  en  Gtèce ,  les  poètes ,  «pi  &• 
soient  jouer, leurs  pièces,  tâehoient  de  se  surpasscrl  > 
uns  et  Jes  autres,  pour  attirer  la  faveur  <la  pèop)^:  - 
ies  magistrats  qui  les  achetoicnt  entroieot  daBseri» 
.sorte  d  ambition. 

'*  Voici  Carthage  nommée  Junoniaj  la  vUie  <>' 
Junon ,  par  Caïus ,  près  de  cent  ans  avant  que  Vir;  : 
travaillât  à  son  Enéide  ;  et  par  conséquent  ce  n'< 
pas  par  une  fiction  poétique  que  Virgile  a  ditdcceiK 
vlUe-l  , 

Qusm  Jimo  fertnr  terris  magis  omnibu*  nnan 
PokthabiU  colttisa«  Samo. 

^n.  I.  «o. 

On  voit  quil  a  suivi  une  tiraditioo  reçue ,  cl  la  mcŒt 

3ui  avoit  porté  Caïoâ  à  changer  l^aocien  nom  de  C^- 
lage  en  celui  de  la  ville  'de  Junon, 

'^  Il  n^y  a  point  de  Lhcïus  Hostilios  qni  ait  brip^' 
le  consulat  cette  annve-là  ;  Arétinus  et  Sigooius  oj* 
frirt  bien  vu  qu^l  falloit  lire  Ïmçîus  Opimius.  (•■ 
c^est  Opimius  qu.i ,  ayant  brigué  inutileoient  le  ^"i 
sulat  pour  Tan  63 1  ,. fut  nommé  consul  pourrano'^ 
suivante  avec  Q.  Fabius  Maximus. 

^^  C'est  ce  que  signifient,  â  mon  àvi» ,  ces  mol». 
éJh»  ,  i^*¥^pu  o^^iffîetTlt^ofrtt'y  çjà  qui  semble  martp" 
toute  autre  chose  qu'un*  menace.  Mais  il  n*e5itp^fi^ 
cessa  ire  de  rechercher  ce  c^u'il  voiiloit  marquer  p^ 
cette  posture  trés-iodécente. 

*7  C'est  ainsi  que  Plutârqne  explique  fort  bi«  ^ 
que  les  Romains  àppeloiënt ./licum  J*urinœ,  k  b*'* 
de  la  déesse  Furiiie.  Car  cette  déesse  étoit  Ef'^'Oi 
Jf urina.  Son  bois  étoit  prés  du  pont  SâbUcius.Aurt' 
lius  Victor,  dans  son  Traité  des  Hommes  illiutf^' 
éclaircit  tout  cet  endroit  >  et  nomme  les  deuxani>"^- 
Caïus,  ^ui,  pour  lui  donner  le  temps  de  se  saaur 
ft^opposèreat  généreusement  à  cens  ^ui  le  pouifar 

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NOTES.  485 

511^-  Pomponio  amico  apud  portam  Trigeminam, 
L^cetorio  in  ponte  Suhlicio  persequentibus  résistante 
'u^yg^m  furinœ  pert^enit.  Celte  déesse  Furina  aToit 
grand -prêtre  appelé  Flamen  Furinalis,  et  une 
i  appelée  Furinalia.  Varron  cHl ,  dans  le  cinquième 
re  cle  la  langue  Latine ,  Furinalia  et  Furina ,  quod 
*ic£B  fenœ  putlicœ  dies  is,  eu  jus  deœ  honos  apud 
ii€^uos  f  nam  ei  sacra  instituta  annua ,  et  Flamen 
ributMis ,  mtnc  vix  nomen  notuni  paucis,  Festus  en 
L  aussi  mention,  Furinalia,  sacra  Furinœ  quant 
am  dicebant.  Et  dans  le  calendrier ,  sa  fête  est  mat- 
ée le  25  de  juillet.  Fur.  2V.  P.  Ludi, 

^^  Cela  est  assez  remarquable.  Plutarqne  appelle 
/  public^  de  s'être  laissé  corrompre  par  argent  pour 
iHîr  les  intérêts  de  sa  patrie.  Kten  effet,  iln^yapa^ 
!  plas  grand' Tol  que  celui-là. 

^9  C^est  ce  que  l'expérience  fait  voir  assez  souYeot. 
n  homme  vertueux  qui,  dans  la  prospérité,  n'a  pu 
défendre  contre  la  fortune ,  résiste  souvent  à  tous 
s  coups  les  plus  rudes  dans  l'adversité.  Et  il  n'^st- 
ïs  mal  aisé  d*en  trouver  la  raison  :  la  prospérité 
mollit  et  relâche ,  au  lieu  que  l'adversité  resserre  et 
idurcit. 

^^  Le  passage  de  Platon  est  du  quatrième  livre  tU 
t  RépuhUque  ,  tome  ij ,  page  4^6,  et  il  convient  par« 
litement  ici  ^  car  Platon  parle  des  législateurs  qui 
roicnt  par  de  petites  lois  en  détail  déraciner  les  vicet 
e  leur  république.  Voici  comme  il  s'en  moque  :  (c  Ce 

sont  de  merveilleux  personnages  ces  législateurs 
:  qui  font  les  lois  dont  je  viens  de  parler ,  et  qui  sont 
;  toujours  occupé^^jgjUttuiine^pRBCSMroyant  avoir 
{  trouvé  par  là 
c  fraudes  et  I 


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